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Gaza - 13 août 2009
Par Eva Bartlett
J’étais de mauvaise humeur, j’avais chaud et je n’arrivais pas à me détendre. Je me suis retrouvée dans le quartier du marché, à l’est de Gaza, pas très sûre d’où je voulais aller. Je me suis baladée dans les ruelles et j’ai commencé à me calmer, apaisée par la pulsation de vie qu’on trouve dans les marchés, partout à travers le monde. Je n’avais rien de particulier à acheter, juste envie de sentir autre chose que la frustration de tellement de vies brisées… autre chose que la chaleur oppressante.
Des gens me lançaient des « bienvenue », « bonjour, comment tu t’appelles ? », « inti falistiini ? » (« yarayt ! », j’en serais honorée !)…
J’ai traversé pour aller chez un vendeur de chemises de différentes longueurs de manche et couleurs. Ma chemise noire, que je porte pratiquement tous les jours, montre des signes d’usure : un trou au coude, plus d’élasticité… il faut que je la remplace. Tandis que je choisissais un haut noir à manches longues, le vendeur et moi discutions. Les questions habituelles : d’où je venais, comment j’étais entrée à Gaza, depuis combien de temps j’étais ici… et ce que je pensais des Palestiniens ? De Gaza ?
La réponse à la dernière question est la plus difficile. Quelquefois, j’ai envie de dire « c'est beau », parce qu’il y a des images stupéfiantes de beauté, si vous avez les yeux ouverts. Dans un visage (photo ci-dessous : Aboud, qui semble surmonter son traumatisme post-guerre), dans un monticule d’épices empilées de manière artistique, dans la fierté d'un travail, dans un rire, dans l’accueil toutes portes ouvertes des visiteurs…
Mais habituellement, je dis : « Les Palestiniens sont ‘ahsan ness’, les meilleurs. Gentils, hospitaliers, drôles, enthousiasmants… Souvent, la réponse est d’abord : « inti ahsan (toi tu es la meilleure), puis : « Comment puis-je sortir d’ici ? N’importe où, j’irai n’importe où. » J’ai reçu toute une série de propositions de mariage demi-sérieuses, ou simplement « mets-moi dans tes bagages quand tu partiras. »
Cette exaspération et ce désespoir ne sont pas dus à un manque de fierté pour leur culture, leur terre, leur histoire, mais à la réalité dans laquelle ils vivent. Et franchement, pourrais-je la supporter aussi longtemps qu’eux ? Non, certainement pas, pas aussi longtemps, pas avec autant d’énergie et de détermination à survivre.
Mohammed, le vendeur de chemises, m’a emmenée à un magasin de chaussures. Je n’avais pas prévu de faire des courses, mais comme je l’ai dit, Gaza est au pic de l’été et mes vêtements complètement usés. J’avais besoin de sandales, et je me suis souvenue d’un magasin de chaussures qui vend des sandales Khalili. J’avais acheté des sandales à Hébron (al-Khalil, ndt) en 2007 et elles ont duré longtemps, elles étaient en cuir très bien travaillé, pas chères, et fabriquées par des Palestiniens. Mohammed m’a laissée avec un « dès que tu as besoin de quelque chose, appelle-moi. » Après 10 minutes de discussion. Ce n’est pas la première fois.
Après le magasin de sandales, j’ai flâné, cherchant des barrettes pour relever enfin mes cheveux et me rafraichir le cou. Je me suis arrêtée dans une boutique qui avait du shampooing et autres articles en vitrine et j’ai demandé. Non, il n’avait pas de barrettes à cheveux. De l’autre côté de la rue, pareil. Mais le vendeur m’a suggéré où je pouvais essayer et m’a indiqué un autre magasin.
Un gamin est venu me dire quelque chose. « Mon père veut que tu reviennes dans le magasin, » m’a-t-il dit en arabe. A l’intérieur, l’autre fils a été viré de sa chaise et envoyé à un autre magasin pour les barrettes à cheveux. Le père m’a invitée à m’asseoir.
Nous avons discuté. Les questions. Il a mentionné, avec désinvolture, certains articles qu’il n’avait pas, comme l’après-shampooing, parce que c’est “mamnoouh”, interdit. L’après-shampooing fait partie de la longue liste des articles superflus qui n’entrent pas à Gaza, sauf par la voie souterraine.
Par curiosité, j’ai commencé à l’interroger sur ses problèmes d’approvisionnement. Il a sorti un paquet de pages, tous les articles qu’il pouvait importer, mais qu’il ne peut plus. Nous avons parlé de ses pertes : un container de 60.000$ de sous-vêtements, casquettes et gants, bloqué à Ashdod, Israël ; un container de 20.000$ d’articles tout aussi inoffensifs, également à Ashdod, les deux accumulant la poussière (et les frais d’entreposage) depuis mi-octobre 2008.
Pas d’amertume sur son visage. De la consternation, oui, et des soucis financiers. Mais pas le moindre soupçon de haine.
Tandis que nous parlions, un de ses amis est entré, m’a posé les questions, puis m’a offert un fallafel qui venait d’être frit, difficile de refuser. Et un coca.
Un autre ami, un professeur d’anglais « retraité, très retraité, et très fatigué »* est venu s’asseoir et nous nous sommes mis à discuter.
J’ai réalisé tout d’un coup qu’une heure venait de passer, en compagnie d’étrangers qui ne sont jamais tout à fait des étrangers ici à Gaza.
Ma mauvaise humeur était partie, comme la chaleur, et j’ai à nouveau réalisé que je suis toujours aussi heureuse d’être ici, dans cet endroit où les gens ont été poussés au désespoir. Je suis heureuse d’être justement avec ces gens.
* Jeu de mot anglais assez intraduisible : « retired, very retired and very tired » qui donnerait : « retraité, très retraité et très traité » (si « traité » signifiait en français « fatigué » !) (ndt)
Source : In Gaza
Traduction : MR pour ISM
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Eva Bartlett
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