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Israël -

Récit d'une jeune fille musulmane confrontée aux méthodes israéliennes

Par

En mars 2012, j'ai décidé d'aller en Palestine.
Pour donner un vrai sens à mes engagements, pour me ressourcer à Jérusalem, pour rencontrer mes frères et sœurs à travers tout le territoire occupé, et surtout pour témoigner. Effectivement, il est plus que facile de s'informer sur la question palestinienne, et avec un peu d'objectivité et de bonne foi, s'indigner. Nous écrivons alors sur Facebook, nous partageons des informations. Pour les plus actifs d'entre nous, nous récoltons de l'argent et organisons des évènements en rapport.

Récit d'une jeune fille musulmane confrontée aux méthodes israéliennes

Mais pour bon nombre d'entre nous, ce n'est plus suffisant. J'ai ressenti le besoin d'aller voir de mes propres yeux, d'aller vivre cette légendaire agressivité, cette violence, cette paranoïa, ce système d'apartheid que les Palestiniens vivent au quotidien. Tant de sentiments négatifs, sur des terres pourtant sacrées.

Je suis donc partie le 25/03/12 à Tel Aviv, avec la compagnie Easyjet, depuis l'aéroport de Genève. Le vol fut correct, hormis quelques regards surpris, hostiles ou méfiants de juifs israéliens (comme c'est étrange, une musulmane qui veut aller chez « nous », on en avait presque oublié qu'il n'y avait pas que nous qui étions attachés à cette terre). Après tout, j'étais la seule musulmane du vol, voilée qui plus est !

J'arrivais l'esprit tranquille à l'aéroport, à 11h du matin, loin de me douter que la situation allait bientôt tourner au désastre. Je fais la queue, comme tout le monde, quand l'agent du guichet me fait remarquer une irrégularité sur mon passeport. Une femme vient alors me chercher, l'air incroyablement agacé et hurlant sur tout le monde. Je patiente dès lors dans une petite pièce aux murs nus, sur son ordre, durant une trentaine de minutes. La jeune femme qui me reçoit est enceinte, hurle elle aussi (décidément...) au téléphone en hébreu, et m'observe à peu près comme si j'étais une bouse de vache. Le ton est donné.

L'expérience du premier interrogatoire, qu'on oublie rarement. La femme me pose les mêmes questions à plusieurs reprises : "Pourquoi suis-je ici ? Avec qui ? Comment ?", me coupe la parole pour parler au téléphone ou à sa collègue, me balance presque mon passeport au visage en hurlant, « Vous ne pourrez pas rentrer, vous verrez ».

L'entretien est fini, au suivant, je dois de nouveau attendre 45minutes environ. Quelques personnes m'entourent, toutes plus anxieuses les unes que les autres. Je commence à réfléchir, la tension monte, et l'angoisse suit. Une deuxième femme remplace alors la précédente, dans le même bureau, et m'appelle. Cette fois-ci, l'interrogatoire a des formes d'entretien poli, elle est douce et semble compréhensive, je me sens apaisée et je sens la confiance me gagner à nouveau. Mêmes questions.

Elle m'entraîne alors dans un espèce de hall d'attente, où la majorité des individus sont arabes, sans compter quelques européens. Je suis immédiatement prise en charge par une jeune femme (mon âge ?! Il semblerait...) qui m'appelle à son bureau. Ici, l'interrogatoire reste cordial mais plus poussé. On me demande pour quelle raison je suis musulmane pratiquante, pourquoi je suis voilée, si je vais à la mosquée, si j'observe dans cette mosquée des évènements tels que des collectes de fonds pour la Palestine, qui sont mes parents et des détails sur leur vie, quelles sont mes lectures, et j'en passe. Bien que je sente la colère monter (en effet quels droits ont-ils de me demander tout ça) je reste calme et me soumet avec résignation. Elle prend des notes en hébreu, tout du long.

Je dois ensuite attendre de nouveau dans ce hall, il est déjà plus de 13h. Je pense avec angoisse à mes amis qui m'attendent de l'autre côté, dans l'aéroport, et qui à ce moment doivent comprendre que les choses tournent mal pour moi. Le temps s'étire, pas de possibilité de manger quelque chose, la seule boisson disponible à l'achat, du Coca-Cola que je déteste. Les voyageurs qui attendent comme moi commencent à discuter entre eux mais sont méfiants, en effet un israélien en civil attend toujours à nos côtés, sans aucun doute pour essayer de glaner quelques informations.

Je finis par être appelée dans le bureau d'un jeune homme à l'air intelligent et sournois, qui me regarde semblant dire « à moi, tu ne vas pas me la faire ». L'interrogatoire reprend, mêmes questions encore et toujours, mais cette fois l'homme exige de voir le contenu de mon adresse e-mail. Prévenue de leurs méthodes (bien que le vivre maintenant était autrement plus difficile), j'avais bien sur créer une adresse e-mail bidon, la mienne regorgeant d'infos sur l'actualité palestinienne, etc. Frustré, il demandait à voir les livres touristiques que je détenais sur Jérusalem. Un deuxième homme, en uniforme et l'air vraiment impressionnant, s'invite dans le bureau et observe les livres avec lui. Pensaient-ils peut-être que j'avais laissé quelques annotations sur les pages, comme « ne pas oublier de faire exploser cet endroit » ou « tuer un maximum de gens ici » ? Je m'empêchais de sourire malgré la tension du moment, tant toute cette procédure était ridicule au vu de mes intentions tout à fait honnêtes. Puis vint la question qui tue : « Comptez-vous vous rendre dans les territoires palestiniens ? ». Sentant la sentence, j'avais décidé depuis longtemps de ne pas jouer la carte de la sincérité totale. Je jouais donc la naïve, leur disant que pas du tout, je comptais simplement rester à Jérusalem et visiter quelques villes saintes aux alentours. Ils échangeaient entre eux des propos en hébreu, le but étant que je me demande ce qu'ils pouvaient bien dire, ce qu'ils pouvaient bien savoir que je ne savais pas. Je suis congédiée du bureau, pour le moment...

Les heures se déroulent, toujours plus lentement... L'angoisse est à son maximum pour le moment, je me demande clairement quelle sera la conclusion de cette journée et je pense à mes parents qui, sans doute alertés, n'ont toujours aucune nouvelle de moi. Nous sommes maintenant en fin d'après-midi, je n'ai pas de portable pour appeler qui que ce soit, d'ailleurs j'ai peur de le faire en leur présence car j'ai spécifié ne pas connaître grand monde sur place.

De nouveau, un interrogatoire avec le même jeune homme, pour les mêmes questions, qui ne sembleront jamais s'arrêter. Le but ? Que je craque. Que j'avoue tous les crimes abominables que je m'apprête à commettre dans leur sacro-sainte démocratie. Sauf que je ne change pas de version, malgré la fatigue, et que ça énerve franchement le bonhomme. Il finit par me dire, clairement, « je ne vous crois pas. Je ne sais pas ce que vous cachez, mais je finirais par le découvrir ».

Me revoilà dans le hall. Je m'isole, sentant que le moment de relâcher la pression est venu. Je commence à pleurer dans mes mains, déçue de moi-même, me pensant plus forte. La fatigue, la rage, la frustration face à l'injustice, tout ça sort et coule le long de mes doigts. Des Palestiniens commencent alors à m'entourer, et à me réconforter en anglais pour ceux qui le peuvent. Un homme me dit, « Je sais à quel point c'est difficile, leur but est de vous traumatiser, vous dégouter à jamais, que vous ne reveniez jamais ici. Même si tout s'était bien passé et qu'ils n'avaient aucun doute sur vous, ils vous auraient fait attendre 2 ou 3h pour la forme, parce que vous êtes arabe, et qu'ils veulent que votre vie soit misérable. Ne cédez surtout pas. ». Et il alla m'acheter à boire.

Le jeune homme qui m'avait interrogée deux fois de suite passe alors devant moi, les yeux rougis et le mouchoir trempé, et me dit en anglais « Pourquoi tu pleures ? Espèce de gamine ».

Je décide alors d'emprunter le portable de mon compatriote palestinien, et j'appelle une de mes amies qui m'attendait de l'autre côté. Je lui explique brièvement la situation et lui demande de prévenir au moins un de mes parents si elle le peut, les rassurer. Impuissance.

Il est alors plus de 18h, un membre du personnel, prit de pitié, m'apporte à boire et un sandwich que je ne toucherais pas tant j'ai la gorge nouée. Bingo : on me convoque pour m'annoncer qu'on ne me laissera finalement pas passer, les soupçons étant trop forts. Au même moment, l'ambassadeur français de Tel Aviv appelle pour moi, alerté par mes amis. Il m'annonce alors : « Pour le problème avec le passeport, il peut être réglé en trente minutes, pour une minuscule somme d'argent, je peux même me déplacer. Mais le problème n'est pas du tout là. Je ne sais pas pourquoi ne vous connaissant pas, mais ils ne vous aiment pas et ne veulent pas vous laisser passer. Leurs lois sont faites de telle sorte qu'ils n'ont pas à se justifier quoi qu'ils fassent, et qu'ils ont tout pouvoir. Je ne peux rien pour vous, mais vous pouvez toujours m'appeler en cas de... problème ».

Dès l'annonce du refus de me laisser entrer, on m'isole désormais du hall et on empêche les gens avec qui j'avais sympathisé de me parler. Je me sens bien sur seule et désœuvrée face à un processus qui me dépasse malheureusement. Je n'ai jamais revu ces personnes qui m'ont beaucoup aidée sur le moment.

Je change maintenant de décor, je suis escortée par une israélienne de mon âge, blonde décolorée genre gossip, agacée que je la regarde avec dédain. Arrivée dans une autre partie désertée de l'aéroport, les masques tombent. Le jeune homme qui m'avait interrogée deux fois revient et m'annonce que si j'essaie à nouveau d'entrer en Israël, il y a de fortes chances qu'on ne me laisse pas entrer. Je crois qu'il me connait bien mal. Ils plaisantent ensuite entre eux, en hébreu, comme des enfants, car c'est ce qu'ils sont. La majorité des agents auxquels j'ai été confrontée avaient mon âge ou pas beaucoup plus, il était incroyable de voir à quel point ils étaient déjà insensibilisés et complètement inconscients de ce qu'ils faisaient.

S'ensuit alors une fouille hyper détaillée de mes bagages, du moindre objet, du moindre vêtement. Pendant qu'ils cherchent quelque chose (quoi, d'ailleurs? ), j'ai droit à deux autres interrogatoires dont un en français, avec les mêmes questions, par des agents complètement blasés, genre « allez, un de plus pour la route », qui prennent plaisir à me tourner en ridicule (apparemment, c'est tellement comique d'être musulmane).

Un individu arrive, dans la même situation que moi. On fouille ses bagages à son tour. J'apprendrais qu'il est originaire du Canada, et qu'il était venu pour participer à la marche de Jérusalem avec du matériel de caméras (ironie, je n'avais pas du tout l'idée de participer à cette marche). Une femme me déshabille ensuite intégralement dans une petite cabine dont le rideau est à peine fermé, de manière très détaillée et longue, c'est l'humiliation supplémentaire mais plus rien ne m'étonne. Avant de partir, le jeune homme sadique se lâche : "êtes-vous une terroriste ? Êtes-vous en contact avec des terroristes?". L'air méprisant, je lui réponds que non...

Conclusion du moment : une dizaine d'heures d'attente, une dizaine d'interrogatoires.

Il est plus de 20h, on nous annonce finalement qu'en attendant nos avions de retour, nous irons en prison. Plaisantant, un des agents nous dit « un bel hôtel vous attend ». Effectivement. Nous prenons donc une sorte de mini-bus aux vitres teintées, et un type se fait un malin plaisir à nous faire une petite visite guidée : « à votre droite, blablabla, à votre gauche, blablabla ». Je le coupe et lui demande en anglais : « Quel besoin avez-vous d'être cruel ? ». Il se tait.

Nous arrivons donc presque immédiatement à la prison, on confisque mes bagages, je suis conduite à une sorte de dortoir où une femme est déjà emprisonnée. La lumière est crue, on ne peut presque pas ouvrir les fenêtres qui ont de toute façon des barreaux, l'odeur est mauvaise, on ne peut pas fermer la porte des toilettes, la douche est inutilisable tant elle est sale (de toute façon, nous n'avons pas d'habits de rechange) et les lits sont sommaires, sortes de planches en bois avec un mince matelas de mousse. Pas d'oreiller bien sur. On me donne une barquette de nourriture froide immonde et on ferme la porte, qui ne s'ouvre que de l'extérieur. J'apprends que ma voisine est d'origine russe, et qu'elle est ici depuis une semaine, tentant de ne pas devenir folle. Inquiète pour mes parents, folle de rage d'être ici, j'attends que la femme dorme pour aller dans les toilettes, glisser mon nez dans la fente de la fenêtre, et tenter de sentir l'air de cette terre spoliée, meurtrie. C'était donc vrai, l'air ici est spécial. Une amie m'a dit, « tu sentiras le sang versé des musulmans ». Je ne sais pas si c'est ce que je sens, mais je sens que je ne suis pas n'importe où. Je pleure un long moment et je regarde le ciel, très beau, avant d'aller essayer de dormir (chose difficile, les lumières étant toujours allumées). Sur les murs, des messages du monde entier que des gens de passage ont écrit : "n'abandonne pas", "Palestine vaincra"...

Le lendemain matin, deux autres jeunes filles arrivent, une roumaine et une ukrainienne. Nous avons la permission de sortir, escortées, dans la cour grillagée et murée, afin de nous asseoir sur un banc et enfin respirer de l'air frais. Nous discutons en anglais, apprenons à nous connaître, partageons du chocolat qu'ils ont bien voulu nous donner (miracle !) et même, rions (surtout lorsque l'une d'elles se lève et nous fait une petite danse). Un des gardes vient faire la discussion avec nous, amical en apparence, mais je ne peux m'empêcher de me méfier, même lorsqu'il me parle en arabe.

La journée passe. Le moment pour moi est venu de partir, mon avion pour Genève est à 17h50. Le fait de quitter mes voisines me fait mal car dans l'adversité on noue des liens véritables. Elles me donnent leurs adresses que je cache, et l'une d'elle me donne sa bague, afin que je ne l'oublie pas.

Je suis donc escortée jusqu'à l'avion lui-même, sur la piste (dans le cas peu probable où je souhaiterais tenter de m'enfuir en hurlant, sous le nez des gardes armés). Un des agents me demande s'il peut goûter mon chocolat suisse, que j'avais acheté pour mes amis. Je lui offre la boîte, sous les yeux ébahis de ses collègues, et lui dit « Je vous l'offre car ma religion me dicte la générosité, et notre Prophète avait lui-même de la miséricorde pour ceux qui l'oppressaient » (pensant au jour où Muhammed, salallahu aleihi wa salam, qui s'était fait lapidé par les habitants de cette cité, avait demandé le pardon pour eux plutôt qu'un châtiment)...

A plus de 22h, me voilà de retour à Genève, épuisée mais déterminée. Durant le trajet, j'ai fait connaissance avec un juif d'origine iranienne, choqué par mon récit, et de ses propres mots : « Comment faire avec un tel gouvernement pour ne pas être haï du monde entier? ».

Trois jours plus tard, je repartais en Jordanie.


Récit d'une jeune fille musulmane qui ne veut pas abandonner

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Ainsi, trois jours plus tard, après 8h de voyage et une escale à Londres, j'arrive à Amman, Jordanie, à 4h du matin le 29/03/12.

Un peu perdue dans ce monde radicalement différent de Tel Aviv ou de Genève, je dégote un chauffeur de taxi sympathique dans la fraicheur ambiante, et lui demande de m'amener au King Hussein Bridge, où je veux tenter à nouveau d'entrer en Palestine occupée, en ayant cette fois la possibilité de rester en Jordanie si les choses tournent mal.

Je me sens néanmoins bien, car je suis entourée par mes semblables, musulmans. J'observe, fascinée, le magnifique décor qui défile par la vitre, tandis que le conducteur m'explique qu'il faudra attendre que le pont ouvre, à 8h. Nous arrivons finalement au checkpoint jordanien, et je descend.

S'ensuit alors une longue attente (j'apprends lors de ces jours, le vrai sens du mot « patience »). Il faut remplir des papiers, payer le bus, charger les bagages, changer de l'argent, attendre que les employés boivent leurs cafés... Nous partons finalement ! Dans le bus, une majorité de touristes en circuit dans le coin, des Palestiniens vivant en Jordanie qui veulent se rendre à Jérusalem, et des musulmans ayant apparemment le même but que moi. Nous traversons le no man's land, et ce n'est pas sans peine que je vois ces grillages, ces barbelés, ces tours de gardes sur cette terre si belle... Nous arrivons au checkpoint israélien.

Je suis alors confrontée à une scène surréaliste. Sous mes yeux, comme à Tel Aviv, les Israéliens gèrent complètement l'entrée des Palestiniens sur leur propre terre. L'accès a beau donner sur un territoire censé être « autonome » dans les textes, les sionistes ici règnent en maîtres des lieux ! J'avais beau le « savoir », le choc fut rude. Devant moi s'étiraient des files de personnes, que ces Israéliens faisaient attendre des heures. Femmes, hommes, vieux, jeunes, enfants, seuls les arabes et les musulmans étaient traités de la sorte.

Bien sur, je suis alors immédiatement mise à part. Bien que je commence à être rodée, mes nerfs seront mis à rude épreuve au cours de cette journée d'attente, que je résumerais pour ne pas vous lasser. De nouveau déshabillée complètement dans une cabine et fouillée au corps, mes bagages seront deux fois plus fouillés que la première fois. Les pauvres ne trouveront que des éléments suspects tels que des pyjamas, une brosse à dents, un sèche-cheveux (démonté par leurs soins) et des paires de chaussettes... Un vrai matériel de terroriste en puissance ! La valise, qui ne m'appartient pas à la base, a le malheur de s'avérer avoir été cassée en un point auparavant. Un des agents de sécurité m'annonce alors qu'il pense que je cache un passeport et que j'ai intentionnellement cassé la valise pour créer une petite cachette (j'avais pris le soin de partir cette fois avec mon passeport suisse, bien plus respecté). Devant cette théorie fumeuse et complètement folle, je ne peux m'empêcher d'exploser de rire !

J'attends des heures, seule dans une salle, bien moins anxieuse que la première fois, mais néanmoins folle de colère. Je suis interrogée plusieurs fois de suite, mais ici les pauvres gardes ne semblent même pas disposer de bureaux corrects. Je répète toujours la même version, expliquant je ne suis absolument pas d'accord de laisser tomber mon projet de voyage sans raisons valables de leur part. Je suis surveillée par une espèce de garde armé et musclé, en tee-shirt moulant, le sosie de Jean-Claude Van Damme avec un air de méchant ! S'ensuit alors un interrogatoire avec une femme m'annonçant travailler pour un quelconque ministère du gouvernement israélien (j'ai oublié). Elle m'annonce clairement qu'elle va réfléchir si elle décide de me laisser rentrer ou pas. Laissée à son bon-vouloir, un sbire vient finalement m'annoncer qu'elle a décidé que non, je ne rentrerais pas. Je demande alors pour quelle raison, l'homme hausse les épaules et m'ignore. Je suis arrivée ici à 10h, il est environ 16h. Je vois que sur mon passeport, confisqué depuis le début, stipule la mention « entrée refusée en Israël », avec un tampon barré en rouge. On me rend mes bagages, dont le contenu a été jeté pêle-mêle à l'intérieur. Je suis escortée à l'extérieur du checkpoint, où j'attends un bus pour retourner en Jordanie, toujours sous escorte armée. On empêche le personnel qui s'occupe des tâches difficiles (tous de jeunes arabes) de me parler.

Je prends finalement le bus, en compagnie d'une jeune fille palestinienne vivant en Jordanie, elle aussi refoulée. Elle tient un blog sur internet, et n'a pas sa langue dans sa poche, ce qui explique tout. Nous sympathisons, et nous arrivons ensemble au checkpoint jordanien où nous sommes obligées de remplir des papiers pour expliquer notre incapacité de passer, heureusement son parfait dialecte jordanien nous épargne des heures d'attente ! La police jordanienne est sympathique, et compatit. Heureusement la jeune femme habite à Amman, où j'avais prévu d'aller en cas de problème, et m'offre de me raccompagner sur place. Ici s'arrête ma confrontation directe avec ces soldats de l'enfer.

Il s'est ensuivi un magnifique séjour à Amman et ses environs, où j'ai pu me rendre à l'ambassade suisse, l'ambassade palestinienne, pour parler de mon cas. Les réponses furent marquantes. L'homme qui me reçut à l'ambassade suisse m'expliqua qu'ils étaient complètement impuissants, les sionistes ayant fait attendre sa propre femme, enceinte, pendant des heures sans pouvoir aller aux toilettes, alors qu'elle n'est absolument pas musulmane, arabe, ou pro-palestinienne. Selon ses propres mots, « nous ne pouvons qu'être horriblement révoltés par cette situation. Les citoyens suisses refusés adressent souvent des plaintes à Berne ou à l'ambassade israélienne en Suisse, et ne reçoivent jamais de réponse. Il est clair qu'Israël classe les citoyens du monde en deux catégories, les musulmans/arabes et les autres ».

A l'ambassade palestinienne, un discours tout aussi noir. Le responsable m'explique qu'en pratique ils n'ont aucun pouvoir sur leur propre terre, c'est aussi simple que ça. Ils ne sont que des figurants, des pantins, et ne peuvent rien, ne servent à rien. Profondément écœurée, choquée, je continuais ma route.

Amman est une ville magnifique, dont un énorme pourcentage d'habitants sont palestiniens. J'eus donc l'occasion d'en croiser des dizaines, tous chassés de leur terre, ne pouvant retourner voir leur famille, ayant parfois grandi dans des camps à Gaza ou ici. On ne peut imaginer le courage, l'amour de ces gens pour leur origine, et leur volonté d'aller de l'avant. Par la suite, je suis allée au camp de réfugiés de Gaza, au nord d'Amman, et j'ai rencontré qui avaient eu moins d'argent, donc moins de chance. Mais ceci, j'en ferais un autre article avec album photos.

Récapitulons les méthodes israéliennes, et n'oublions jamais que ces méthodes, les Palestiniens les vivent au QUOTIDIEN. Chaque jour que Dieu fait, dans un système d'apartheid. Isolation, stress, le but est de vous déstabiliser, de vous mettre en confiance pour ensuite vous maltraiter psychologiquement et vous ruiner mentalement. Le but est de vous faire sentir que vous n'êtes pas normal, que vous êtes coupable, criminel, et surtout seul au monde. Vous faire attendre des heures et des heures, afin que vous ayez le temps de réfléchir à votre sort, d'angoisser. Vous faire subir des interrogatoires successifs, pour que vos nerfs lâchent et qu'ils vous amènent où ils veulent.

Nous, musulmans vivant en Europe, nous pouvons dire être habitués à vivre l'islamophobie au quotidien pour la plupart. Une certaine forme de violence morale et de racisme, mais rien de comparable. Cependant, que découvre un citoyen lambda, n'ayant jamais été confronté à la vraie injustice d'être haï pour ce qu'il est ? J'imagine alors le choc qu'il peut ressentir. J'ai aussi pensé à mes frères et mes sœurs dans l'ensemble du monde arabe, souvent trop habitués à ces méthodes barbares de la part de leur propre gouvernement. En cela, je leur dis courage pour ce qu'ils vivent actuellement !

Un autre fait : la difficulté rapproche incroyablement de Dieu. Comment revenir ensuite dans mon pays, l'esprit tranquille, pendant que ceux que j'aime en Dieu sont toujours en Palestine et souffrent ? Aujourd'hui encore, je n'ai pas vraiment trouvé de réponse et je n'ai pas trouvé de véritable paix intérieur.

Un autre problème moral s'est posé à moi, grosse remise en question. La question se pose, quand la haine se répand : comment accepter le principe que tous les Israéliens ne sont pas complices de tels agissements ? Si nous ne nous sentons pas responsables des agissements d'Hitler en tant qu'européens, ou que nous, musulmans, ne comprenons pas pourquoi nous devons nous justifier vis-à-vis d'actes terroristes... Pourquoi devraient-ils tous porter la culpabilité ? Paradoxalement, comment ne pas leur en vouloir de vivre une vie d'aisance et de bonheur dans des terres que leurs ancêtres ont pris par la violence, et continuent d'occuper par la tyrannie au détriment d'un peuple qui se meurt ? La haine engendre la haine. Comment lutter contre ce sentiment, afin de ne pas devenir comme ces animaux ? Comment ne pas tomber dans le piège de la haine et du racisme ? Comment, après avoir vécu l'injustice, après avoir foulé une terre de souffrance, tirer quelque chose d'intelligent de cette expérience?

Difficile dès lors de compatir avec les partisans de la paix, les partisans de deux Etats. Si les Israéliens souhaitent la paix par idéologie pure, sorte d'utopie pacifiste, ou pour se dédouaner des agissements de leur gouvernement, il s'agit cependant d'un véritable effort de miséricorde pour les Palestiniens qui deviennent alors mes exemples de vie. Excuser les souffrances qu'on a vécues, que nos aïeux ont vécues, pardonner la situation injuste qu'on vit encore, ce n'est pas donner à tout le monde. Mais comme beaucoup l'auront compris, le cœur des Palestiniens est assez grand pour contenir le monde.

Bien que cette histoire ne soit pas simplement la mienne mais celle de milliers d'amoureux de la Palestine, ce n'est pas une histoire banale. C'est l'histoire d'un système qui brise les gens dans ses rouages, les entraînent là où ils ne veulent pas aller, là où leurs droits élémentaires sont bafoués.

Merci de m'avoir lue,
Lila.

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