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Bethléem - 20 janvier 2004
Par Toin Van Teeffelen
Toine Van Teeffelen est hollandais, marié à une palestinienne ; il est coordonnateur à l'United Civilians or Peace, une organisation hollandaise pour l'envoi d’observateurs civils en Cisjordanie et à Gaza.
Depuis le 4 janvier, des visiteurs étrangers (ou des Palestiniens voyageant avec un passeport étranger et un visa) se sont vu réclamer d'avoir une autorisation spéciale pour entrer dans les Territoires Palestiniens.
Mais qu'en est-il des touristes venant à l'Eglise de la Nativité ?
Devront-ils aussi demander un permis ?
Jebel Abu Ghneim, occupé par la colonie Har Homa, au Nord-Ouest de Bethlehem. (PENGON)
En arrivant à Tel Aviv, à mon retour de vacances avec Mary et ses enfants, un imposant garde de sécurité avec un sourire amical me conduit à travers l'aéroport Ben Gourion pour interrogatoire. Dans une petite pièce parcimonieusement décorée l'homme me monte son insigne du Ministère de la Défense et me demande comment ça va.
Une deuxième personne dans la pièce, apparemment un témoin, m'apporte une tasse d'eau en plastique, en silence, la tête inclinée. D'une manière plutôt décontractée, l'interrogateur comme à dévider ses questions dans un anglais simple et franc.
"Comment avez-vous rencontré votre femme ?"
"Aimez-vous la société arabe ?"
"Quels sont les professeurs musulmans que vous connaissez à Bethléem ?"
L'homme écrit des notes largement espacées et trace de flèches entre mon travail et mon financement. D'une voix douce il commente : il ne croit pas aux actions pacifiques dans lesquelles je suis engagé.
"Comment vous situez-vous dans le champ politique, à Droite, au Centre, à Gauche, à l'Extrême-Gauche ?"
"Maintenant écoutez bien, c'est une question importante : avez- vous eu des contacts avec l'International Solidarity Movement (ISM) ou avec des factions politiques palestiniennes ?
Presque contrit, il dit qu'il n'est pas très courant pour des étrangers de vivre maintenant à Behtléem.
"C'est pourquoi je vous pose ces questions"
et brusquement la conversation est terminée.
"Tout est parfait. Vous pouvez partir".
Une journée longue et fatiguante se termine aussi. A Budapest où j'ai pris un avion d'el Al après avoir été bloqué à Vienne en raison d'un épais brouillard, j'ai été gardé pendant plus d'une heure dans une salle isolée avec trois personnes pour fouiller mes bagages .
Après que ma brosse à cheveux ait été suspectée de contenir un système électronique, un gardien de la sécurité a paniqué et commencé à appelé ses collègues. Ils 'étaient pas d'accord sur ce qu'il convenait de faire.
De retour à Bethléem j'ai attendu dix jours jusqu'à ce que Mary et ses enfants et ma belle-famille, soient revenus de longues vacances en Hollande, à Paris et en Bretagne où ils ont goûté à la liberté sur une plage, et dans les forêts.
"Retour à la vie anormale", a l'habitude de dire Mary quand elle revient en Palestine.
A l'arrivée au pont Allenby, ils ont eu la veine de pouvoir prendre un seul taxi pour faire tout le chemin jusqu'à Bethléem. Il tombait des cordes.
Le chauffeur de taxi était nerveux à cause des soldats qui risquaient de vérifier sa voiture, parce qu'il n'a pas l'autorisation de transporter des passages sans pièces justificatives et il voulait larguer ses passagers quelque part avant Azzariyyeh (la Béthanie biblique).
Mary a pourtant insisté et l'homme n'a pas eu le coeur de laisser les enfants et ma vieille belle-maman dehors sous cette pluie battante.
"Combien avez-vous de passeports étrangers ?" a-t-il demandé
Mary a répondu, et c'était vrai, "deux" (pour les enfants).
C'est probablement à cause de la pluie que les soldats n'ont pas contrôlé toutes les voitures aussi ma famille a pu faire le voyage à Bethléem par Jérusalem au lieu de prendre la route sinueuse et abrupte de Wadi Nar qui longe l'est de la ville et où il y a habituellement un checkpoint difficile.
Le coût pour ma famille de ce voyage de Bethléem à Amman et retour a été presque aussi élevé qu'un voyage en avion, environ 200$ y compris le prix des taxis spéciaux, des taxes frontalières, l'autorisation d'entrée en provenance de Jordanie, et l'hôtel à Amman ?
Interdit aux pauvres.
Sur le chemin vers le pont Allenby il y a des Palestiniens passent parfois la nuit à l'hôtel à 'Azzariyyeh ou à Jéricho. La route est pleine d'obstacles, le dernier étant le Mur.
Un mur de huit mètres de haut érigé la semaine dernière.
Azzariyyeh a mérité cette remarque des gens du pays : "même Jésus, (qui ressuscita Lazare à Béthanie/Azzariyyeh) n'aurait pu entrer dans la ville à travers ce mur".
Les obstacles aux déplacements ne sont pas seulement réservés aux Palestiniens.
Depuis le 4 janvier, des visiteurs étrangers (ou des Palestiniens voyageant avec un passeport étranger et un visa) se sont vu réclamer d'avoir une autorisation spéciale pour entrer dans les Territoires Palestiniens.
Selon une annonce officielle, ils ont même été menacés de déportation s'ils étaient trouvés sans permis dans Bethléem, par exemple.
Mais qu'en est-il des touristes venant à l'Eglise de la Nativité ?
Devront-ils aussi demander un permis ?
J'ai appelé le bureau du représentant hollandais à Ramallah, qui a déclaré que le Bureau avait été informé de cette nouvelle réglementation mais qu'il ne savait pas comment on pourrait la mettre en application.
On ne sait pas encore où demander ce permis.
Le détenteur d'un passeport étranger à l'université de Bethléem pense que cete mesure est un ballon d'essai israélien pour tester la réaction internationale et si elle est faible, ils la mettront en application au moins dans certaines régions de Cisjordanie .
En général, ce type de mesures semble faire partie d'une politique constante depuis ces dernières années pour empêcher les militants internationaux, les observateurs et même les touristes et les pèlerins d'observer et de conter ce qui se passe dans les régions palestiniennes et pour créer un sentiment d'isolement parmi les Palestiniens.
Les étrangers sont supposés partager la coutume israélienne d'éviter ces zones comme si elles étaient contagieuses.
Combien de fois me suis-je entendu dire par les Israéliens de faire attention et d'être spécialement attentif quand je vais à Bethléem alors que je me suis toujours senti plus en sécurité à Bethléem qu'à Jérusalem ?
Récemment un ami disait que "les murs sont en train de se fermer sur vous". Comme c'est vrai.
De retour au travail, les professeurs de l'atelier me disent ensemble combien Bethléem est maintenant cerné par le Mur.
Au sud-est le projet d'une cité pour les étudiants de l'université de Bethléem est menacée par le mur près de Khili al-Jooz. La question a été présentée devant la Haute Cour tout comme le Mur destiné à enfermer la tombe de Rachel..
Un autre professeur explique comment à l'ouest de la région de Bethléem, les beaux champs de Cremisan, le monastère salésien seront coupés de Beit Jala.
Au Nord, le mur barbelé qui existe déjà coupe Bethléem de ses oliveraies maintenant annexées à Har Homa/Abu Ghneim.
Au Sud, nous nous attendons à ce que le Mur soit installé près de la colonie Gush Etzion.
L'histoire est devenue familière : les établissements seront séparés de leurs clients, les familles de leurs proches, les paysans de leurs terres, les enfants de leurs écoles.
Physiquement, avec le Mur à perte de vue, le sentiment d'isolement deviendra accablant.
Economiquement, cette barrière au commerce va sceller le destin des communautés palestiniennes de Cisjordanie .
Dès à présent, plus de 70% de la population de Bethléem est sans emploi selon l' Applied Research Institute de Bethléem, comparé aux 60% de l'année dernière.
De plus, les organisations d'aide internationale peuvent décider de quitter massivement les territoires occupés parce qu'elles en veulent pas subventionner l'occupant qui après tout est responsable du bien-être de la population qu'elle a sous son contrôle. Si bien que les Palestiniens ici risquent de devenir un groupe dont on parle beaucoup mais humainement oublié.
Dans un simple geste pour contrer une telle tendance, nous, l'Institut de Bethléem, avons reçu des centaines de prières pour Noël et de voeux réunis par le mouvement Pax Christi dans différents pays du monde.
Une consolation, même si elle n'est que symbolique.
Jara, de retour à l'école, lit dans son livre d'études sociale ce qu'est la pêche à Gaza. On recommande qu'elle et son professeur aillent visiter Gaza et les pêcheurs, comme si c'était possible pour les écoliers de Cisjordanie d'aller voir Gaza.
Et qu'importe que les pêcheurs de Gaza peuvent à peine quitter le port quand la marine israélienne les suspecte de faire du trafic d'armes.
Pour sa part, Tamer est encore rempli d'enthousiasme du voyage en avion qu'il a fait. Il prend tout le temps la main de ses parents et des visiteurs pour leur montrer fièrement le tayyaara (l'avion) en plastique qu'il a sur le mur de sa chambre.
Heureusement, Jara et Tamer ne sont pas encore conscients qu'ils grandissent dans une prison.
Source : http://electronicintifada.net/
Traduction : CS
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