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ISM France - Archives 2001-2021

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Palestine -

La Résolution de l'ONU que le temps a oubliée

Par

Ghada Karmi est palestinienne, médecin et universitaire. Elle est, entre autres, l'auteur de "Mariée à un autre homme : le dilemme d'Israël en Palestine" (2007).

Il y a soixante ans, le 11 décembre 1948, l'Assemblée Général des Nations Unies votait une importante résolution concernant Israël et les Palestiniens. Elle demandait à l'Etat d'Israël nouvellement créé de rapatrier les Palestiniens déplacés "qui souhaitaient vivre en paix avec leurs voisins […] le plus tôt possible", et de les indemniser pour les pertes subies. Une Commission de conciliation fut créée pour superviser le rapatriement des réfugiés. Bien qu'elle ne soit jamais entrée en vigueur et fréquemment ignorée depuis lors, la Résolution 194 hante le processus de paix israélo-palestinien depuis, et s'est avérée être l'obstacle le plus insurmontable de toutes les négociations de paix. Elle est la base légale du Droit au Retour, auquel les Palestiniens se raccrochent depuis soixante ans.

La Résolution de l'ONU que le temps a oubliée


Famille palestinienne de Ramallah, 1900-1910

Loin de protéger et de préserver cette pièce maîtresse de la cause palestinienne, les parties s'en sont servis comme d'une balle qu'on se renvoie, quelquefois pour attaquer, quelquefois pour se défendre, et maintenant comme d'un objet de marchandage. Par ce processus de manipulation, le discours sur le Droit au Retour est volontairement devenu ambigu ou vague répondant aux angoisses d'Israël.

Affirmer aujourd'hui (contre cet arrière-plan conciliateur) que le Droit au Retour est le sine qua non de toute solution au problème israélo-palestinien est considéré comme "irréaliste" et démodé, et même un obstacle à la paix, comme si le passage de soixante ans avait disqualifié les Palestiniens de leur droit à leur patrie. Israël, à l'inverse, ne montre pas la même ambiguïté dans son rejet sempiternel et non équivoque du Droit au Retour.

La toute dernière confusion de ce droit, supposée attirer Israël à la table de négociation avec les Arabes, est le plan de paix saoudien (et maintenant arabe), élaboré pour la première fois en 2002. Le projet, comme dessiné à l'origine, stipulait un retrait israélien aux frontières du 4 juin 1967, la création d'un Etat palestinien et Jérusalem comme capitale d'Israël et de la "Palestine". Il incluait également une condition ambiguë sur le retour des réfugiés palestiniens, mais sans spécifier si les réfugiés devaient "revenir" en Israël ou dans l'Etat palestinien qui serait créé.

Lorsque le plan a été adopté par la Ligue Arabe à Beyrouth en 2002, l'accent a été mis sur la question des réfugiés à l'insistance du Liban, avec une clause qui rejetait toute forme de rapatriement palestinien "qui entrerait en conflit avec les situations particulières des pays d'accueil arabes ". Toutefois, aucun détail du nombre de réfugiés ou du mécanisme de leur rapatriement n'était joint, même si les autres clauses du projet étaient sans ambiguïté.

Dans sa version actuelle, l'initiative de paix arabe parle de parvenir à "une solution juste du problème des réfugiés palestiniens à convenir en accord avec la Résolution 194 de l'Assemblée Générale des Nations Unies", sans préciser ce que cela veut dire.

Beaucoup d'Etats occidentaux ont vu la création d'Israël, en mai 1948, comme un acte moral et nécessaire pour dédommager les Juifs des préjudices que l'Allemagne leur avait infligés. Un pays lointain, la Palestine, dans une région arriérée, principalement sous contrôle occidental et sans capacité à résister, doit avoir semblé être un refuge idéal pour les Juifs d'Europe accablés. Dans les heures qui ont suivi la déclaration de création d'Israël le 14 mai 1948, l'Amérique et l'Union Soviétique ont reconnu le nouvel Etat, et beaucoup d'autres ont suivi. Une année après, le 11 mai 1949, l'Assemblée Générale des Nations Unies votait, par une majorité de 17 voix, l'admission d'Israël comme membre de l'organe mondial.

Dans cette euphorie d'installation des réfugiés juifs de l'après-guerre qui résolvait en même temps la question juive, vieille de plusieurs siècles, et dont avaient souffert l'Europe et ses Juifs, être ignorés fut le prix à payer par la population autochtone de Palestine. La tragédie qui en a résulté pour le peuple palestinien a longuement été relatée. En dépit de la propagande israélienne du contraire, elle était inévitable et prévisible, étant donné la détermination des fondateurs d'Israël de créer un Etat pour les Juifs sur une terre qui n'était pas juive. Ils ont admis depuis le début qu'ils devraient inverser la démographie palestinienne en transformant la majorité arabe existante en une majorité juive.

Les écrits sionistes, à partir du dix-neuvième siècle, n'ont fait aucun secret de la nécessité de débarrasser la terre des Arabes.
"Nous devons chasser la population pauvre [arabe] au-delà de la frontière… Le processus d'expropriation et de déplacement des pauvres doit être conduit discrètement et avec circonspection", écrivait Théodore Herzl, fondateur du sionisme politique dans son Journal le 12 juin 1895.

Yoram Bar Porath l'a dit plus carrément au quotidien israélien Yediot Ahronot, le 14 juillet 1972 : " Il n'y a pas de sionisme, colonisation ou Etat juif sans l'éviction des Arabes et l'expropriation de leurs terres". Et Rafael Eitan, Chef d'Etat-Major d'Israël, a dit au New York Times le 14 avril 1983 : "Les Arabes n'ont aucun droit de s'établir sur ne serait-ce qu'un seul centimètre du
Grand Israël
".

Cette façon de penser a inévitablement provoqué la fuite et l'expulsion, en 1948, de quelques 750.000 Palestiniens autochtones, 90% du total de la population. Un tiers d'entre eux avaient déjà été chassés par les forces juives avant la déclaration d'existence de l'Etat d'Israël, en ligne avec la stratégie sioniste. Les Palestiniens appellent ces événements catastrophiques leur "Nakba", commémorée chaque année avec douleur et colère.

Les réfugiés furent dispersés dans des camps dans les pays arabes environnants, et exilés dans le monde arabe plus large et au-delà. Cette dispersion et l'inquiétude des Etats arabes obligés d'accueillir les réfugiés ont formé l'arrière-plan de la Résolution 194. Exprimant les appréhensions arabes de l'époque, le délégué égyptien aux Nations Unies avait souligné que les Etats arabes ne pouvaient être tenus pour responsables des réfugiés qu'Israël avait expulsés, et il avait insisté pour qu'Israël les rapatrie sans délai.

Israël a rejeté toutes ces demandes, alors même que les conditions de son admission comme membre des Nations Unies requéraient qu'il adhère aux résolutions de l'ONU, dont la 194. Lorsque le Médiateur de l'ONU pour la Palestine, le diplomate suédois Comte Bernadotte, horrifié par le sort tragique des réfugiés, exigea leur rapatriement selon la Résolution 194, des dissidents de l'organisation israélienne Irgun, commandés par Menachem Begin (futur Premier Ministre d'Israël) l'ont assassiné en septembre 1948.

Rien n'a réussi à modifier l'opposition d'Israël. En soixante ans, Israël n'a pas rapatrié un seul réfugié, ni même présenté la moindre excuse pour ses exactions de 1948, demandant plutôt que les réfugiés s'installent dans d'autres Etats et soient indemnisés par des fonds internationaux.

Aujourd'hui, eux et leurs descendants sont au nombre de 5 millions de personnes, dont la plupart vivent dans des camps de réfugiés. Selon les Nations Unies, en 2007, il y avait 4,5 millions de réfugiés palestiniens enregistrés, en Jordanie, au Liban, en Syrie et en Cisjordanie et Gaza.

Israël ne les a jamais autorisés à revenir. "Nous devons tout faire pour nous assurer qu'ils [les réfugiés palestiniens] ne reviennent jamais", a écrit David Ben-Gourion, premier Premier Ministre d'Israël, dans son Journal, le 18 juillet 1948. "Les vieux mourront et les jeunes oublieront". Pour tenir cette promesse, Israël a pratiqué la politique du tirer-pour-tuer contre les Palestiniens qui tentaient de revenir sur leur terre, assassinant des milliers d'entre eux au cours des années 1950.

Mais les Palestiniens n'ont pas oublié. En visite dans un camp de réfugiés à Beyrouth en 1998, j'ai rencontré des petits palestiniens, ne sachant pas encore lire et écrire, récitant les noms d'endroits maintenant en Israël qu'ils appelaient "chez moi", déclarant avec intensité qu'ils reviendraient.

Chaque plan de paix sérieux depuis la Résolution 194 a sombré sur la question des réfugiés. Le plan de paix saoudien, avec toutes ses limites, doit encore intégrer la question d'une solution juste pour les réfugiés, reconnaissant leur centralité pour tout règlement durable. Aucun n'a donc réussi à ce jour et les Palestiniens, la plus longue communauté réfugiée au monde, sont toujours suspendus dans une existence anormale, sans droit ni avenir. Mais par quelle logique les Kosovars déplacés, par exemple, peuvent-ils être rapatriés, alors que les Palestiniens ne peuvent pas ?

Rectifier cette injustice est un impératif moral et pratique. Edulcorer le Droit au Retour, comme ont essayé de le faire divers partisans de la paix, n'est ni légal ni juste et est voué à l'échec. Seule une solution qui conciliera le Droit au Retour palestinien avec les droits des Juifs israéliens peut réussir.

La solution à Deux-Etats, actuellement promue, ne peut le faire. Elle crée un petit territoire palestinien incapable d'absorber les réfugiés, et affirme le droit d'Israël à une majorité juive, excluant par définition le retour des réfugiés. Des tentatives occidentales ont commencé à la fin des années 1990 pour trouver des alternatives autres que le retour et ont proposé l'absorption dans les pays d'accueil, des indemnités et l'émigration vers divers Etats occidentaux. La plupart des Palestiniens ne se sont pas laissés avoir par ces tentatives évidentes de leur voler leurs droits.

Une seule solution à ces soixante ans d'impasse peut satisfaire les droits des Palestiniens, des Israéliens et les exigences de justice. Seul un Etat unitaire en Israël-Palestine peut englober les Palestiniens de retour et garantir l'existence continue d'une communauté juive israélienne, quelque énorme que soit sa présence sur cette terre.

En cette année anniversaire, il est temps qu'on laisse la Résolution 194 reposer en paix, non par négligence comme l'a longtemps souhaité Israël, mais par une nouvelle résolution de l'ONU. Celle-ci affirmera le Droit au Retour des Palestiniens dans les villes et villages où habitaient leurs ancêtres depuis des générations, et appellera les Palestiniens et les Israéliens à partager la terre entre la Méditerranée et le Jourdain, dans un Etat démocratique et laïque où les droits de tous ses citoyens à la liberté de culte, la sécurité et l'égalité feront partie intégrante de la loi.

Ni un camp ni l'autre ne peut gagner la guerre sur la propriété exclusive de la Palestine historique. Les tentatives d'Israël de le faire n'ont provoqué qu'un conflit et des souffrances sans fin. Les Nations Unies ont fait Israël et doivent maintenant le défaire, non par l'expulsion et le déplacement, comme en 1948, mais en transformant son héritage lugubre en un avenir d'espoir pour deux peuples dans Un Etat. Si cela arrive, ce sera un anniversaire qui vaudra vraiment d'être célébré.

Source : Exposing Israel

Traduction : MR pour ISM

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