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Palestine - 29 septembre 2011
Par Julien Salingue
Interview au quotidien algérien La Nouvelle République (propos recueillis le 26 septembre )
1/ Le 23 septembre, Mahmoud Abbas a présenté à l’ONU une demande de reconnaissance d’un Etat palestinien, démarche justifiée par le blocage des négociations et la politique de colonisation d’Israël. D’après-vous, est-ce la bonne solution ?
La bonne solution pour quoi ? S'il s'agit, comme l'affirment Mahmoud Abbas et ses proches, de reprendre les négociations avec Israël en espérant améliorer le rapport de forces, on ne peut qu'être sceptique. Quiconque connaît un tant soit peu l'histoire d'Israël sait en effet que cet Etat n'a jamais accordé de grande importance aux résolutions des Nations Unies qui, directement ou indirectement, condamnent ou mettent en cause sa politique. Pour l'establishment israélien, une reconnaissance, même par une écrasante majorité des membres de l'ONU, de l'Etat de Palestine, n'est pas une menace. Souvenons-nous qu'en novembre 1988, le Conseil National Palestinien, réuni à Alger, a proclamé unilatéralement l'indépendance de l'Etat de Palestine. S'en est suivi un vote de l'Assemblée Générale des Nations Unies, au cours duquel plus de 100 Etats ont reconnu la légitimité de la démarche palestinienne. Il n'y a eu que deux votes contre : les Etats-Unis et Israël. 23 ans plus tard, l'Etat palestinien n'a aucune réalité, et il n'y a aucune raison de considérer que les choses se passeront différemment cette fois-ci, même si la Palestine devient un « Etat non-membre ».
Mahmoud Abbas à l'ONU le 23 septembre 2011, la demande d'adhésion d'un Etat palestinien à la main (photo AFP Stan Honda)
2/ Dans l’un de vos articles vous écriviez que « la quête de la reconnaissance de l’État de Palestine à l’ONU est donc une inflexion tactique de la direction palestinienne, qui tente de sauver, sinon de ressusciter, le projet politique auquel elle est identifiée et qui lui assure sa survie économique et politique depuis plusieurs décennies », or, au sein même de la classe politique et la société civile, cette initiative ne fait pas l’unanimité. Comment l’AP pourrait-elle dans ce cas sauver ou ressusciter le projet politique auquel elle s’est identifiée ?
Je pense que le réel objectif d'Abbas et de la direction de l'AP est ici. Abbas et ses proches représentent cette fraction du mouvement national palestinien qui a fait la pari, il y a plus de 30 ans, d'une solution biétatique négociée sous l'égide des Etats-Unis. Les Accords d'Oslo (1993-94) et la création de l'Autorité palestinienne (AP) s'inscrivaient dans cette perspective. Or, même si le « processus de paix » n'a guère avancé – c'est le moins que l'on puisse dire – durant les années 90 et 2000, l'AP a trouvé sa propre raison d'être. Cette autorité, qui devait être « intérimaire », et le « processus de paix », ont créé une couche sociale nouvelle, dans les territoires palestiniens, dépendante politiquement et économiquement de la poursuite des négociations et du maintien de la perspective de « l'Etat indépendant ». L'AP est un appareil d'Etat sans Etat, avec son lot de ministres, de conseillers, de hauts fonctionnaires, etc. : leur survie politique et économique repose sur le projet « Etat indépendant ». Or celui-ci semble de plus en plus virtuel, et c'est l'existence même de l'AP qui est remise en question. Il s'agit donc, par un acte symbolique fort, de redonner une visibilité internationale à la solution biétatique et de re-légitimer la direction Abbas, même si cette dernière ne croit probablement plus qu'un véritable Etat palestinien indépendant verra le jour.
C'est notamment pour ces raisons que la démarche de la direction de l'AP a été critiquée, voire contestée, par certains, y compris dans le champ palestinien. S'y est ajoutée une question essentielle : le sort des réfugiés, qui représentent la majorité de la population palestinienne. Certains ont en effet souligné que si l'Etat, plus ou moins délimité territorialement, se substituait à l'OLP, qui représente l'ensemble des Palestiniens, y compris ceux de l'exil, les réfugiés couraient un risque majeur : celui de ne pouvoir prétendre, au mieux, qu'à une « nationalité palestinienne » et à un « droit à l'installation » au sein des frontières de cet Etat. Or la revendication des réfugiés est le droit au retour, individuel et collectif, et non le droit d'avoir un passeport palestinien et de vivre dans les enclaves de Gaza et de Cisjordanie . Je ne suis pas juriste et ne suis pas suffisamment compétent en la matière, mais une chose est certaine : la focalisation sur la question de l'Etat marginalise les revendications des réfugiés et des Palestiniens d'Israël.
Donc, pour en revenir à votre question, le problème pour Abbas et ses proches n'est pas tant de conquérir une quelconque légitimité au sein de la population ou de la société civile palestiniennes. Il s'agit davantage de se repositionner sur la scène internationale, afin que l'industrie du processus de paix continue de fonctionner. Vous savez, Abbas n'est plus, constitutionnellement, Président de l'AP depuis plus de deux ans et demi ; et le Premier ministre Salam Fayyad avait obtenu à peine plus de 2% des voix lors des législatives de 2006. Ils tirent l'essentiel de leur « légitimité » du soutien qui leur est accordé par les pays occidentaux et certains Etats arabes, pas des espoirs qu'ils susciteraient dans la population des territoires occupés.
3/ Cette initiative ne va-t-elle pas porter préjudice à la réconciliation inter-palestinienne ?
Cette « réconciliation » était déjà, elle aussi, très virtuelle. Même après l'accord signé au Caire, les forces de sécurité de l'AP de Ramallah ont continué d'arrêter des dizaines de militants du Hamas, tandis que le mouvement islamique ne tolérait guère d'expression publique du Fatah dans la bande de Gaza. Les deux mouvements n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur un « gouvernement d'union nationale » ou sur un quelconque calendrier électoral ; le Fatah a même proposé de reconduire Salam Fayyad au poste de Premier ministre, alors qu'il incarne, aux yeux de nombre de dirigeants du Hamas, l'orientation pro-occidentale suivie par l'AP depuis de nombreuses années ! Bref, le moins que l'on puisse dire est qu'avant même l'Assemblée générale de l'ONU, la « réconciliation » n'avait aucune réalité. La démarche d'Abbas n'a fait que renforcer cette situation : le Hamas l'accuse d'avoir instrumentalisé la « réconciliation » pour pouvoir aller aux Nations Unies, prétendre parler au nom de tous les Palestiniens et se relégitimer au détriment du mouvement islamique. Certaines organisations de gauche comme le FPLP expliquent que l'urgence n'est pas dans une énième démarche en vue de la reprise des négociations mais bien dans une unité nationale réelle.
Lire la suite de l'entretien sur le blog de Julien Salingue.
Source : Blog Julien Salingue
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