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ISM France - Archives 2001-2021

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Israël -

"Check Point" a aidé Azmi Bishara à traverser une période difficile

Par

La catharsis d’un écrivain : un député arabe israélien réussit à faire passer son message, grâce à l’écriture.
Azmi Bishara, l’homme politique palestinien le plus célèbre en Israël, irradie d’énergie. Membre de la Knesset depuis huit ans, charismatique et parlant couramment quatre langues, Bishara est un avocat infatigable des droits de l’homme et de la cause palestinienne. Il motive les moins combatifs moralement à se lever le matin.
Mais qu’est-ce qui fait courir Bishara ?
En des temps où la situation en Palestine et dans les Territoires occupés semble plus sombre que jamais, comment fait-il, lui-même, pour se lever le matin ?

« Il y a deux choses, qui m’aident », explique-t-il, sobrement. « Tout d’abord ; ma fille, et mon fils. Je veux les embrasser avant leur départ pour l’école. Mon autre motivation, c’est ce sentiment, profond, du devoir. Tu dois faire ce qu’il faut faire, ce qui est juste, même si tu n’es pas capable d’expliquer pourquoi tu le fais… »

Bishara – même lui ! – connaît de ces jours où il doit se tirer du lit par le col du pyjama. La publication de son premier ouvrage de fiction, « Check Points, Fragments de Roman », en arabe et en français, est le fruit d’un trop-plein émotionnel, qui l’a soutenu aux moments les plus durs.

« J’ai écrit « Check Point » durant les moments les plus difficiles que j’aie jamais connus dans ma vie. C’était au début de la seconde Intifada, et j’étais moi-même, personnellement, en butte à la violence », explique-t-il, évoquant des tentatives d’incendie volontaire de son domicile, à Nazareth, et de l’obligation à laquelle il fut soumise de vivre et de travailler dans une atmosphère générale d’intense hostilité.

L’écriture de son livre lui a permis d’exprimer ses sentiments avec une liberté qu’il a rarement lorsqu’il écrit des articles ou des manuels politiques ou philosophiques. Ce livre est aussi un véritable cri du cœur.

« Durant ces trois dernières années, il y avait quelque chose, à l’intérieur de moi, qui devait sortir, si je voulais survivre. Le livre que vous avez en mains est au plus près de mes sensations ; le « je » est tellement plus fort que la tournure impersonnelle et distanciée propre au style d’un article… »

Ecrit dans un style fragmenté – « parce que notre réalité est fragmentée, par les check points », explique l’auteur – « Check Point » est le premier roman d’une trilogie, structurée comme une série de vignettes sur la vie quotidienne en Israël et dans les Territoires occupés. Tout tourne autour des check points, où les Palestiniens sont contraints à perdre énormément de leur temps.

Dans le premier chapitre, une petite fille enjouée, qui va au jardin d’enfants, perd tellement son temps au barrage routier, sur le chemin de son école, que lorsque l’un de ses parents lui demande où elle a passé la journée, elle répond : « au check point ! »

Plus qu’au check point littéral, physique, Bishara s’intéresse à sa nature symbolique, hégémonique, qui colore tous les aspects de l’existence (des Palestiniens).

« Nous en sommes réduits à une situation où nous devons constamment nous justifier », dit Bishara, titulaire d’un doctorat de philosophie. « Tu es qui ? Tu vas où ? Le check point est le symbole de « qui domine qui ? » »

L’Etat d’Israël n’est jamais mentionné. C’est délibéré. Bishara lui préfère la dénomination d’Etat du check point. Les soldats israéliens sont les maîtres du check point.

Le paysage qu’il décrit est fait de villages disloqués, définis par leur situation « avant » ou « après » le check point ; ce sont des sortes d’îles, sortis desquelles les gens doivent emprunter des routes détournées, parce que les routes principales, les routes directes, sont condamnées.

« A un check point, une bâche militaire, tendue pour faire de l’ombre, est tombée. Les gens, qui font la queue sous un soleil brûlant, la ramassent, et la tendent au-dessus de leurs têtes, chacun tenant un pan de toile d’une main tendue vers le ciel…. »

Le style fragmenté de « Check Point » n’est en aucun cas un reflet décousu de la situation régnante. Dans une certaine mesure, le livre rappelle le film primé d’Elia Suleiman, Intervention divine. Les tranches de vie évoquent le désespoir, la colère, le cynisme, une profonde tristesse et une sombre comédie. Mais Suleiman, quant à lui, laisse ses personnages s’abandonner à la comédie. Tandis que les protagonistes anonymes de Bishara philosophent au sujet de leur situation, au cours de conversations alambiquées et souvent loufoques, qui ne laissent pas d’évoquer des monologues intérieurs.

Au cours d’un de ces échanges, une personne demande à une autre de venir à une manifestation, devant un… check point. L’autre lui demande pourquoi il le ferait, puisqu’il subit un check point devant son pas de porte. Son ami lui dit qu’il ne comprend pas. Comment il peut subir un check point, à Tel-Aviv ? Il s’entend répliquer : « C’est simple : j’ai un check point interne, un état de siège interne et un couvre-feu interne, qui ne cessent de me harceler… »

Bishara évoque aussi la difficulté qu’il y a à être un Arabe israélien. Un de ses personnages raconte que les Arabes le traitent comme un Juif, et les Juifs comme un Arabe.

« Mon peuple se bat contre mon Etat, et mon Etat fait la guerre à mon peuple », dit-il.

Chaque jour, Azmi Bishara doit affronter cette dichotomie.

« Jamais tu ne ferais le boulot que je fais ! » dit-il, poussant un profond soupir.

« Personnellement, j’ai horreur d’être à la Knesset. C’est un endroit très difficile, pour moi. Je ne veux pas me lever et aller là-bas. Mais il faut bien que je le fasse. C’est tout. Les gens ne se rendent pas compte du sacrifice personnel que cela représente. Beaucoup pensent que c’est un privilège. Pour moi, ce « privilège », comme ils disent, me coûte énormément. »

Si la rigueur morale permet à Bishara de continuer son combat politique, écrire une fiction lui offre une certaine catharsis. Il a déjà terminé d’écrire la suite de Check Point, et il a déjà la structure du troisième volume (de la trilogie).

Pour Bishara, qui parle couramment l’hébreu, il est primordial que ses livres soient publiés dans cette langue. Une traduction de Check Point en hébreu est déjà là, sur son bureau. Il manque de temps, pour corriger les épreuves. Cela l’arrange plutôt, car il trouve cette tâche psychologiquement éprouvante.

Aujourd’hui, Israël et la Palestine se résument à une série quotidienne d’opérations commandos, aux yeux des téléspectateurs occidentaux. Une fiction est sans doute le genre littéraire qui rende le mieux la dimension humaine de la tragédie causée par la situation politique. La prestigieuse maison d’édition Actes Sud a publié Check Point cet automne, et jusqu’ici, le livre se vend comme des petits pains.

Bishara espère que Check Point sera bientôt traduit en anglais. Il a l’impression qu’il lui est devenu plus difficile de transmettre son message, récemment, à cause des développements mondiaux, qui n’ont pas nécessairement un lien avec la question palestinienne, mais qui fractionnent le monde.

« Je suis un peu désespéré, parce que le monde est polarisé à un tel point que je ne pense pas que j’y aie encore ma place. C’est soit Bush, soit Ben Laden. Et moi, je ne veux être ni l’un, ni l’autre. C’est un peu comme si tu devais choisir entre l’occupation israélienne, et les attentats kamikazes… »

« Je suis convaincu qu’on peut être à la fois rationnel dans la façon de gérer la société, et moral dans ses jugements. Je pense qu’il y a actuellement une tentative de marginaliser l’humanisme et de nous rendre hors sujet. Mais si nous réussissons encore à dire ce que nous pensons, et si les gens peuvent encore nous entendre, alors, nous pouvons continuer… »

Faisant référence à cette prise de conscience, qui s’est produite voici deux siècles, qui imposa aux gens de se comporter avec décence, Azmi Bishara dit, après un petit éclat de rire : « C’est vrai, je vis encore au dix-neuvième siècle. J’assume… »



Check Point est publié en français chez Actes Sud, et en arabe, sous le titre « Al-Hajiz », chez Riad Al-Rayyes.

Source : The Daily Star

Traduction : Marcel Charbonnier

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