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ISM France - Archives 2001-2021

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Palestine -

"Le Pianiste" de Palestine

Par

Omar Barghouti, analyste politique indépendant, réside en Palestine. Son article "9.11 Putting the Moment on Human Terms" a été élu parmi "les meilleurs de 2002" par the Guardian. Il peut être joint à : jenna@palnet.com

En voyant le film Le Pianiste, récompensé par un Oscar, j’ai eu trois réactions mêlées, plutôt dérangeantes.
Le film ne m’a pas particulièrement impressionné, esthétiquement parlant. J’ai surtout été horrifié par la description de la déshumanisation des juifs polonais, d’une part, et de l’impunité totale des occupants allemands, d’autre part.
Et je n’ai pas pu m’empêcher de comparer le ghetto de Varsovie au mur d’Israël, beaucoup plus pernicieux encore puisqu’il encage trois millions et demi de Palestiniens de Cisjordanie dans des prisons à la fois éparpillées et tentaculaires.

Dans le film, lors d’une séquence où des militaires allemands forcent des musiciens juifs à jouer pour eux, à un barrage, j’ai pensé en moi-même : "Tiens, bizarre : voilà quelque chose que les militaires israéliens n’ont pas encore fait aux Palestiniens ?"
J’avais parlé trop vite, semble-t-il.


Le plus grand quotidien israélien, Ha’aretz, a écrit la semaine passée qu’une association israélienne de défense des droits de l’homme qui surveillait un barrage routier destiné à intimider la population, près de Naplouse a enregistré en vidéo des militaires israéliens en train de forcer un violoniste palestinien à jouer pour eux.
La même association a confirmé que des abus similaires s’étaient déjà produits, plusieurs mois auparavant, à un autre checkpoint situé, quant à lui, près de Jérusalem.



Grâce à une de ces opérations de blanchiment dont Israël a le secret, l’ «incident» avait été minimisé par un porte-parole de l’armée, qui avait parlé d’ «insensibilité», sans nulle intention malveillante d’humilier le Palestinien victime de cette mise en scène. Et, bien entendu, le mantra habituel, avec soldats confrontés à la nécessité "de faire face à une réalité complexe et dangereuse, bla, bla, bla…", nous a été servi une énième fois en guise d’excuse "ready made – taille unique".

Je me demande si la même chose pourrait être dite ou acceptée, au sujet de la pratique nazie originale, aux portes du ghetto de Varsovie, dans les années 1940 ?



Hélas, la similitude entre les deux occupations illégales ne se limite pas à cela. Beaucoup des méthodes de «punition» tant individuelle que collective infligées aux civils palestiniens par de jeunes soldats israéliens – racistes, le plus souvent sadiques et toujours insensibles à toute critique – aux centaines de checkpoints qui jonchent les territoires palestiniens occupés, évoquent les pratiques nazies routinières à l’encontre des juifs.


A la suite d’une visite dans les territoires palestiniens occupés, en 2003, un député juif au Parlement anglais en a porté témoignage, écrivant : "Les pionniers qui ont créé l’Etat d’Israël n’auraient sans doute pas pu ne serait-ce seulement imaginer l’ironie cruelle à laquelle Israël est confronté, de nos jours : en échappant aux cendres de l’Holocauste, ils ont enfermé un autre peuple dans un enfer similaire de par sa nature – même s’il n’est pas comparable quant à son étendue – au ghetto de Varsovie."



Même Tommy Lapid, ministre israélien de la Justice et lui-même rescapé de l’Holocauste, a soulevé une tempête politique l’an dernier, en évoquant à la radio israélienne le fait que l’image d’une femme palestinienne âgée, en train de rechercher ses remèdes dans les ruines de ce qui avait été sa maison, lui avait remis en mémoire sa grand-mère, morte à Auschwitz.

Plus : il avait commenté la destruction totalement arbitraire de maisons, d’entreprises et de fermes palestiniennes – à Gaza, à l’époque – par son armée, disant : "Si nous continuons comme ça, nous seront exclus de l’ONU et les responsables [de ces exactions] se retrouveront devant le tribunal international de La Haye."



Certains des crimes de guerre qui inquiètent des gens tel Lapid ont été révélés récemment par des témoignages oculaires d’anciens soldats, qui ne pouvaient plus concilier le peu de valeurs morales dont ils étaient porteurs avec leur complicité dans l’humiliation, le rudoiement et les blessures qu’ils infligeaient quotidiennement à des civils innocents.

De tels crimes étaient devenus, pour eux, des actes acceptables, voire même indispensables, afin de "discipliner" des indigènes indomptés et d’assurer "la sécurité".



D’après un reportage récent repris par plusieurs médias israéliens, un commandant a été accusé d’avoir tabassé sans raison des Palestiniens au tristement célèbre checkpoint de Hawwara. Ironie du sort : la preuve la plus accablante retenue contre lui fut une bande vidéo, enregistrée par le service de formation de l’armée !

Dans cet épisode assez spécial, l’officier supérieur responsable de ce barrage routier, ayant appris qu’une équipe de tournage se trouvait non loin et sans avoir été en quoi que ce soit provoqué, avait tabassé un Palestinien "accompagné de sa femme et de ses enfants" : il lui a envoyé un coup de poing en plein visage et "il l’a même roué de coups de pied", indique le reportage.



Récemment, une exposition intitulée "Briser le silence" a été organisée, à Tel Aviv, par un groupe de soldats israéliens dotés d’une conscience, qui ont fait leur service dans Hébron occupée.
Elle consistait en des photographies et visait à dénoncer des formes de belligérance encore plus graves à l’encontre de Palestiniens sans défense.



Inspirée par des graffiti de colons juifs, affirmant : "Les Arabes : dans les chambres à gaz !" ; "Arabes = race inférieure" ; "Versez le sang arabe !" et, bien entendu, l’indémodable "Mort aux Arabes !" qui fait plus florès que jamais, des militaires israéliens ont eu recours à une myriade de méthodes pour rendre la vie du Palestinien moyen insupportable.

Une des photographie montrait un autocollant apposé sur une voiture passant devant l’objectif.
Cet autocollant entendait peut-être expliciter le but ultime de ces formes de violence, en affirmant : "La repentance religieuse nous donnera la force nécessaire pour expulser les Arabes !" ?

Le commissaire de l’exposition a décrit une politique particulièrement choquante, consistant à sulfater des quartiers résidentiels palestiniens particulièrement surpeuplés, comme Abu Sneina, avec des mitrailleuses et des lanceurs de grenades, des heures durant, en réplique au tir bénin de quelques balles, depuis une maison du quartier, contre les colonies juives installées à l’intérieur même de la ville.



Les horreurs hébronites pâlissent, toutefois, lorsqu’on les compare à ce que des unités de l’armée israélienne ont fait à Gaza. Ainsi, par exemple, dans une interview accordée à Ha’aretz en novembre 2003, Liran Ron Furer, sergent dans l’armée israélienne et diplômé d’une école d’art, a décrit la transformation progressive de tout soldat en « animal » lorsque ce soldat est affecté à un checkpoint, sans égard pour les valeurs dont il avait bien pu hériter au sein de sa famille.


Sous cet angle, ces soldats sont infectés par ce que le témoin appelle « le syndrome du checkpoint », dont l’un des symptômes éloquents est un comportement violent envers les Palestiniens, "de la manière la plus primitive et impulsive qui soit, sans aucune crainte d’être sanctionné…" "Au checkpoint", explique-t-il, "des jeunes gens ont l’opportunité d’être les maîtres et le recours à la force et à la violence devient (pour eux) légitime…"



Furer décrit de quelle manière ses collègues ont humilié et tabassé sans pitié un Palestinien atteint de nanisme, juste pour s’amuser ; comment ils ont pris une "photo souvenir" de civils attachés et ensanglantés, qu’ils avaient rossés ;
comment un soldat a pissé sur la tête d’un Palestinien adulte par ce que celui-ci avait eu "le culot de sourire" à un soldat ;
comment un autre Palestinien a été forcé à marcher à quatre pattes et à aboyer comme un chien ;
comment encore un autre soldat a demandé des cigarettes à des Palestiniens, "leurs brisant la main" ou "crevant les pneus de leur voiture", s’ils osaient refuser.



De toutes ces exactions, la plus effroyable est celle de son propre témoignage : "J’ai couru vers un groupe de Palestiniens, et j’ai collé un marron à un Arabe, en pleine poire", a-t-il reconnu.

"Le sang lui dégoulinait de la lèvre, sur le menton. Je l’ai amené derrière la jeep et je l’ai balancé dedans : il s’est pété les genoux sur le coffre arrière et il a atterri à l’intérieur."

Puis il poursuit sa description, émaillée de détails « gore » : comment ils se sont servi, comme d’un marchepied, de leur prisonnier étroitement saucissonné, qu’ils appelaient entre eux « l’Arabe » ;
comment ils l’ont frappé jusqu’à "ce qu’il saigne de partout, et devienne une sorte de bouillie de sang et de salive mêlés" ;
comment ils l’ont "soulevé par les cheveux et lui ont tourné la tête le plus loin possible, sur un côté", jusqu’à ce qu’il hurle de douleur
et comment les soldats lui ont alors "sauté, de plus en plus fort, sur le dos", pour le faire taire.

Après quoi, Furer révèle que le commandant les a félicités : "Joli travail, mes tigres !".

Après avoir emmené leur proie dans leur campement, les abus se sont poursuivis, prenant diverses formes. « Tous les autres soldats attendaient là, impatients de voir CE QUE [c’est l’auteur qui souligne] nous avions attrapé [comme gibier]. Quand nous sommes entrés, avec la jeep, ils ont sifflé et applaudi à tout rompre ».

Un des soldats, a expliqué Furer, «est venu vers lui, et lui a envoyé un coup de ranger dans le ventre. L’Arabe se cassa en deux, et se mit à geindre. Nous étions pliés de rire.
C’était marrant… Je lui ai envoyé des coups de pied vraiment violents dans le c.l, et il a fait un vol plané vers l’avant, exactement selon la trajectoire prévue.
Les copains s’esclaffaient criaient… Ils hurlaient de rire… Je m’éclatais. Notre Arabe n’était qu’un adolescent de seize ans, handicapé mental.»



Aussi sauvages soient-elles, les exactions, habituelles aux checkpoints, ne sont absolument pas uniques de leur genre. Elles s’insèrent parfaitement dans le tableau général consistant à voir dans les Palestiniens des êtres à peine humains, qui n’ont aucun titre à la dignité et au respect auxquels, seuls, des gens « pleinement humains » peuvent prétendre.

Ainsi, au plus fort de la réoccupation massive des villes palestiniennes par l’armée israélienne, en 2002, des soldats israéliens ont gravé des étoiles de David au couteau sur les bras de plusieurs hommes et adolescents palestiniens faits prisonniers. Les photos insoutenables des victimes ont été tout d’abord montrées par des chaînes télévisées diffusées par satellite, et finalement publiées sur le « Net ».



En 2002, toujours, dans le camp de réfugiés d’Al-Am’ari, durant une rafle massive de Palestiniens (exclusivement de sexe masculin), adolescents et vieillards inclus, les soldats israéliens ont inscrit des numéros d’identification «sur le front et les avant-bras de prisonniers palestiniens en attente d’être soumis à interrogatoire
Le dirigeant palestinien disparu Yasser Arafat compara ces agissements aux pratiques bien connues des nazis, dans les camps de concentration.
Tommy Lapid, ulcéré, déclara : «En ma qualité de survivant de l’Holocauste, je trouve ces agissements insupportables».

Néanmoins, Raanan Gissin, un des porte-parole du Premier ministre Ariel Sharon, n’était préoccupé que d’une seule chose : le risque que l’image d’Israël ne soit ternie : "A l’évidence [ce comportement] entre en conflit avec le désir de faire passer un message de «relations publiques»", avait-il déclaré à la radio israélienne.

Reprenant cette version avec un remarquable psittacisme, les médias consensuels en Israël, eux aussi, se montrèrent beaucoup plus soucieux de «l’impact désastreux en matière de relations publiques» que d’exprimer une quelconque horreur ou une quelconque forme de protestation contre l’immoralité de l’acte et la cruelle ironie se dégageant de cette mise en scène.



Yoram Peri, professeur de sciences politiques et de médiologie à l’Université de Tel-Aviv voit dans les "PR", les "Public Relations" "un problème fondamental dans la vie israélienne."
"Nous ne pensons pas commettre quoi que ce soit de mal…", explique-t-il dans une interview accordée au quotidien britannique The Guardian, "… en revanche, nous pensons que nous nous expliquons mal, et que les médias internationaux sont antisémites."


Obsédés par la manière dont Israël est perçu, bien plus que parce qu’Israël fait réellement, les Israéliens, dit Peri, sont essentiellement préoccupés du fait "que nous ne savons pas expliquer ce que nous faisons. Quand nous discutons des choses horribles qui se passent en Cisjordanie , nous ne parlons pas du problème lui-même, mais (uniquement) de la manière dont il sera perçu."



Reconnaissant le cynisme, l’apathie et l’acquiescement dominants chez la majorité des Israéliens, vis-à-vis de la cruelle oppression des Palestiniens, l’ex-députée à la Knesset Shulamit Aloni a déclaré, au cours d’une interview récente accordée à la publication irlandaise The Handstand, que "cette grossière insensibilité" menace la société israélienne de désintégration.
Faisant référence aux Allemands, à l’époque du régime nazi, elle a ajouté : «Je commence à comprendre pourquoi une nation toute entière a pu dire : "Nous ne savions pas"».



Je me demande, personnellement, si viendra le temps où un metteur en scène célèbre, bardé de prix internationaux, aura le courage de braver le terrorisme intellectuel et les tactiques d’intimidation prévisibles, en produisant une adaptation palestinienne du « Pianiste », afin de dénoncer le cocktail vireux israélien, composé pour moitié de racisme, et pour moitié d’impunité ?

Source : http://counterpunch.org/

Traduction : Marcel Charbonnier

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