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Gaza - 27 juin 2006
Par Jonathan Cook
Jonathan Cook, écrivain et journaliste, vit à Nazareth, en Israël. Il est l'auteur du livre, à paraître (en anglais) : « Blood and Religion : The Unmasking of the Jewish and Democratic State » [Sang et religion : démasquons l'Etat « juif et démocratique »], qui sera publié par Pluto Press, et sera disponible aux Etats-Unis auprès de l'University of Michigan Press
Deux militaires israéliens abattus par des résistants palestiniens et la capture d'un troisième, dans un poste militaire proche de la bande de Gaza, ont planté le décor pour des « représailles » et des « rétorsions » israéliennes, d'après divers reportages des correspondants de la BBC tant en Israël que dans la bande de Gaza.
L'attaque effectuée par ces Palestiniens, qui ont creusé des tunnels sous la barrière électronique encerclant Gaza, aurait marqué une "grave escalade dans la tension transfrontalière" (Alan Johnston), qui "menacerait" de compromettre "une semaine de progrès, sur deux fronts" (John Lyon) ; à savoir : les pourparlers récents entre le Premier ministre israélien Ehud Olmert et le président Mahmoud Abbas, en Jordanie, ainsi qu'entre les deux groupes palestiniens rivaux : le Fath et le Hamas.
Ainsi, d'après l'analyse de la BBC, cette attaque mettrait un terme aux chances immédiates de négociations de "paix" et elle fournirait le contexte de la prochaine flambée du conflit entre l'armée israélienne et les Palestiniens de Gaza.
Nous sommes sommés d'inférer que toute souffrance que l'armée israélienne infligera aux Palestiniens au cours des jours et semaines à venir devrait être attribué à ce moment d' « escalade » des Palestiniens.
Nous sommes priés d'ignorer les semaines de bombardements de Gaza par l' armée israélienne et le tir de centaines de missiles sur la bande de Gaza surpeuplée, qui ont détruit des vies et des biens palestiniens, répandant la terreur dans la population civile et approfondissant le trauma psychologique dont souffre une génération entière d'enfants palestiniens.
On nous demande d'ignorer la mort de plus de trente civils, et des dizaines de blessures horribles, au cours des semaines écoulées, du fait de l'armée israélienne ; notamment, trois enfants tués au cours d'une frappe aérienne foireuse, la semaine passée et une femme enceinte de plusieurs mois et son frère médecin, tués le lendemain par un missile qui s'est abattu sur leur maison où ils étaient en train de déjeuner.
Nous devons ignorer la fermeture des « frontières » de Gaza par l'armée israélienne, depuis des mois d'affilée, ce qui empêchait les Palestiniens vivant dans la bande de vendre leurs produits aux points de passage en Israël, et de recevoir des livraisons vitales de vivres et de médicaments.
Population prisonnière assiégée par les soldats israéliens, les Gazaouis sont menacés d'une catastrophe humanitaire résultant de la politique du gouvernement israélien et mise en ouvre par l'armée israélienne.
Oubliées, les menaces d'Israël à l'encontre de la communauté internationale pour la forcer à se rendre complice du blocus du gouvernement Hamas afin de le priver d'argent et de toute marge de manouvre diplomatique, empêchant du même coup les dirigeants palestiniens élus de gérer Gaza.
La situation y est si désespérée que des responsables du Hamas en sont réduits à introduire en contrebande des millions de dollars, en billets bourrés dans des attaché-case, afin de pouvoir verser les salaires des employés.
Enfin, nous sommes priés d'oublier la violation du territoire palestinien par les commandos israéliens qui s'étaient infiltrés dans Gaza pas plus tard que la veille de l'attaque palestinienne, afin de kidnapper deux Palestiniens dont Israël prétend qu'il s'agit de "terroristes".
Ils ont "disparu", sans doute sont-ils en détention administrative (il s'agit d'un type de détention où on peut leur refuser un avocat, et même de passer en jugement, ce qui revient, bien entendu, à leur dénier toute justice) ?
Rien de tout cela n'est susceptible d'expliquer l'attaque palestiniennecontre le poste frontière - pas plus, aux yeux de la BBC, toujours - que les quarante années d'occupation qui l'ont précédée. Rien ne saurait expliquer l'attaque palestinienne, ni permettre de remettre en cause la légitimité des "représailles" militaires imminentes d'Israël.
Bref, pour la BBC, nous pouvons oublier la politique israélienne de longue date : l'unilatéralisme.
C'est-à-dire son refus de négocier de manière sérieuse avec les Palestiniens, que ce soit avec la vieille garde du Fath avec la nouvelle garde du Hamas - accompagné de son recours au châtiment collectif envers la population civile de Gaza afin de la faire se soumettre à son occupation, qui se poursuit.
Dans les priorités morales et informationnelles de la BBC, deux soldats israéliens tués par des résistants palestiniens - ce qu'elle appelle "l'escalade" - fournissent une justification à des "représailles féroces" contre Gaza, avec leur tribut inévitable de victimes chez les résistants et chez les civils.
Les dizaines de civils palestiniens préalablement massacrés par l'armée israélienne, toutefois, ne sauraient servir de justification aux représailles palestiniennes d'hier contre l'armée israélienne. Allez comprendre ! ? !
Autrement dit, sur l'échelle de l'outrage moral, la BBC classifie la mort de soldats israéliens perpétrant une occupation illégale très haut au-dessus de celle de civils palestiniens supportant ladite occupation illégale.
Mais ce n'est pas la seule asymétrie dans l'appréciation que la BBC se fait de l'"escalade". La participation de l'aile armée du Hamas dans l'attaque est une preuve, suggèrent ses reporters, du rôle joué par la direction palestinienne dans "l'escalade de la tension".
Mais le fait que l'armée israélienne ait tué les sept membres d'une même famille, sur une plage de Gaza, le 9 juin, et beaucoup d'autres civils depuis lors, ça n'était apparemment pas une "escalade", même si cela a amené le Hamas à renoncer à un cessez-le-feu qu'il respectait depuis seize mois, en dépit d'incessantes agressions militaires israéliennes.
Ainsi, qu'est censé retirer de tous ces événements le téléspectateur ordinaire - le "cycle" incessant "de la violence" - dès lors qu'il a la BBC pour mentor ? (Mentionnons que la BBC n'est pas pire - elle est même certainement meilleure - que la plupart des autres chaînes occidentales. Au moins, son reporter, Alan Johnston, vit-il à Gaza.)
Non seulement ses reporters démontrent-ils les partis pris associés avec son racisme institutionnel - en tant qu'organisation, la BBC s'identifie délibérément aux préoccupations israéliennes, avant les palestiniennes - mais ils peuvent de surcroît redoubler cette distorsion en répétant mot pour mot, sans aucune critique, les propres représentations biaisées qu'Israël donne des événements.
Les reporters, comme tant de leurs collègues, tombent dans le piège consistant à présenter le conflit vu par les yeux du gouvernement israélien - ce même gouvernement dont le Premier ministre, Ehud Olmert, a étalé fièrement son chauvinisme ethnique en mettant en scène la souffrance des résidents juifs de Sderot, lesquels sont confrontés à des tirs de roquettes palestiniennes artisanales Qassam, la plupart du temps non mortels, en la plaçant très au-dessus du tribut de victimes qui ne cesse de s'accroître, à Gaza, du fait des bombardements aériens et d'artillerie incessants auxquels les soumet l'armée israélienne.
"Je suis désolé, de tout mon coeur, pour les habitants de Gaza", a ainsi déclaré Olmert, "mais les vies et le bien-être des habitants de Sderot sont plus importants que ceux des résidents de Gaza".
Autrement dit : une menace potentielle pesant sur un seul juif est plus grave que la mort de plusieurs dizaines de Palestiniens totalement innocents.
Ainsi, nous apprenons - sans commentaire de la part de la BBC - qu'Olmert a dénoncé l'assassinat des deux soldats en le qualifiant de "terrorisme", même si ce terme ne saurait qualifier une attaque commise par un peuple soumis à occupation contre une armée d'occupation.
Comment peut-il se faire que quelques hommes équipés d'armes légères puissent terroriser une des armées les plus puissantes au monde ? Après ça : quoi ?
Allons-nous devoir entendre avec sympathie les Etats-Unis affirmer que leurs soldats sont "terrorisés" par les insurgés irakiens ?
L'excuse invoquée par la BBC - à savoir qu'elle se contenterait de rapporter la position israélienne - ne tient pas la route.
Est-il même seulement envisageable que nous entendions un jour un reporter de la BBC rapporter de manière neutre une déclaration du Hamas selon laquelle l'armée israélienne serait (est.) en train de terroriser les Palestiniens, par ses bombardements aveugles contre des civils à Gaza, même si l'utilisation de ce terme, en
pareil cas, correspondrait nettement mieux à la définition qu'en donnent les dictionnaires ?
Il est pourtant très vraisemblable que les obus israélien sèment bel et bien la terreur parmi la population civile de la bande de Gaza.
Nous entendons aussi, sans commentaire, qu'Olmert tient à la fois le Hamas et le président palestinien Mahmoud Abbas pour responsables de cette attaque.
La BBC répète servilement les allégations selon lesquelles Abbas disposerait des moyens lui permettant de combattre la "terreur", alors qu'on sait que l'argent destiné à payer les forces palestiniennes de sécurité est gelé par des banques étrangères refusant - à l'instigation [Bingo !] d'Israël et des Etats-Unis - de le transmettre, et que le Hamas et Abbas sont aux prises à une bataille pour le contrôle du gouvernement palestinien en train de rétrécir de plus en plus.
Le sens commun n'a-t-il pas un sursaut devant la suggestion que tant le Hamas qu'Abbas peuvent être tenus pour responsables de l'attaque, alors même qu'ils sont des rivaux acharnés pour le pouvoir ?
Ou encore que l'un comme l'autre peut être tenu responsable, alors qu'Israël refuse de négocier avec eux, ou de les traiter en représentants authentiques du peuple palestinien ?
Encore une fois, la BBC est-elle prête à faire état avec la solennité qui s'impose des affirmations des Palestiniens selon lesquelles ils tiennent Olmert et Peretz personnellement coupables des morts de civils à Gaza depuis quinze jours, même si, dans un monde éclairé, l'un comme l'autre devraient être convoqués devant un tribunal pour y répondre de crimes de guerre ?
Mais non. Nous en sommes bien loin. Aussi improbable soit la version qu'Israël donne de la réalité, la BBC est trop contente de semer la confusion au service de l'armée israélienne.
Comme d'autres chaînes télévisées, elle rapporte avec une crédulité incroyable des arguments abracadabrants qui visent à exonérer l'armée israélienne de toute responsabilité dans le
bombardement d'une plage de Gaza qui a causé la mort de sept membres d'une même famille palestinienne.
Elle traite comme tout aussi crédible la version - tardive - de l'armée israélienne, selon laquelle des activistes palestiniens auraient placé une seule mine, isolée, à un endroit de la plage prisé des pique-niqueurs, dans l'espoir illusoire d'empêcher l'accostage de la marine israélienne tout au long des dizaines de kilomètres de côte de la bande de Gaza ! (En conséquence de quoi, la BBC exclut de sa liste de victimes civiles récentes à Gaza les sept morts palestiniens et les dizaines de Palestiniens blessés au cours de cette attaque israélienne.)
Et nos deux reporters de la BBC de relever avec gravité que, pour la première fois depuis le retrait israélien de Gaza, voici un an de cela, des activistes palestiniens se sont infiltrés à l'intérieur du territoire israélien.
En quelque sorte, le simple fait que des Palestiniens se soient brièvement échappés de leur cage semble rendre l'attaque d'autant plus choquante, non seulement pour Israël, mais pour les deux reporters de la BBC !
Cette attaque menée en Israël, nous disent-ils, est la plus grave jusqu'ici, ce qui semble impliquer qu'elle serait, par conséquent, illégitime et qu'elle s'inscrirait dans la fameuse "escalade".
Même en ignorant le fait que cette attaque était dirigée contre des soldats israéliens en train d'assiéger, d'emprisonner et de bombarder les Palestiniens dans Gaza, le deux poids - deux mesures que la BBC est en train d'appliquer ne la fait-elle pas tiquer ?
L'incursion de l'armée israélienne dans Gaza, la veille, pour capturer deux activistes palestiniens allégués, n'était-elle pas une escalade au moins aussi grave ? N'était-ce pas une violation aussi grave de la souveraineté palestinienne ?
Vous voulez rire ? Bien sûr que non !
La BBC sait, comme nous le savons tous, que l'armée israélienne n'a jamais réellement quitté Gaza et que l'occupation israélienne à Gaza n'a jamais réellement pris fin.
Mais ça, ne vous attendez pas à l'entendre dans la bouche de ses journalistes !
Source : CounterPunch
Traduction : Marcel Charbonnier
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