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Palestine 48 - 8 juin 2008
Par Omar Barghouti
Omar Barghouti est un analyste politique palestinien indépendant. Il est l’un des membres fondateurs de la Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel (PACBI). Il a présenté cet exposé lors de la troisième Conférence Internationale de Bil’in pour une résistance populaire, le 4 juin 2008.
«L’idée est de mettre les Palestiniens à la diète, mais pas de les faire mourir de faim», disait il y a quelques années Dov Weisglass, le plus proche conseiller de Sharon.
Aujourd’hui Israël est en train d’étouffer lentement Gaza et de conduire la population civile au bord de la famine et d’une catastrophe humanitaire planifiée.
Si le gouvernement états-unien est évidemment un complice qui finance, justifie et dissimule l’occupation et les autres formes d’oppression israéliennes, l’Union Européenne, le plus important partenaire commercial d’Israël au niveau mondial, n’est pas moins complice de la perpétuation de l’oppression coloniale d’Israël et de son apartheid particulier.
Photo : Omar Barghouti ,l’un des membres fondateurs de la Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israël (PACBI).
Alors qu’Israël assiège cruellement Gaza, inflige une punition collective à 1.5 millions de civils palestiniens, les condamne à la désolation et promet à une mort imminente des centaines de patients, bébés prématurés et autres, l’Union Européenne adresse une invitation à Israël en vue d’ouvrir des négociations pour rejoindre l’OCDE. Au lieu de mettre un terme à l’accord d’association UE-Israël en raison des graves violations, par Israël, de la clause concernant les droits de l’homme.
Non seulement les Etats-Unis et les gouvernements européens apportent à Israël des aides économiques massives et lui ouvrent leurs marchés, mais en plus ils lui fournissent des armes, l’immunité diplomatique et un soutien politique sans limite. Ils étendent leurs relations mutuelles précisément au moment où Israël commet des actes de génocide.
En suspendant régulièrement, et pour de longues périodes, l’approvisionnement de Gaza en carburant et en électricité, Israël, la puissance occupante, s’assure en fait de l’impossibilité du pompage et de la distribution d’eau « potable » dans les maisons et les diverses infrastructures ; les hôpitaux ne peuvent plus fonctionner correctement, ce qui entraîne de nombreux décès, notamment chez les plus vulnérables ; on dénombre déjà plus de 180 décès résultant directement du récent siège parmi les patients de Gaza, principalement des enfants et des personnes âgées ; les quelques usines qui continuent de fonctionner malgré le blocus vont bientôt devoir fermer, ce qui augmentera encore un peu plus un taux de chômage qui est déjà extrêmement élevé ; le traitement des eaux usées s’est interrompu, ce qui entraîne une pollution accrue des rares et précieuses réserves d’eau de Gaza ; les institutions universitaires et les écoles sont dans une large mesure dans l’incapacité de fonctionner normalement ; et la vie de tous les civils est gravement bouleversée, voire même atteinte de dommages irréversibles.
En résumé, Israël est en train de condamner toute la prochaine génération des Palestiniens de Gaza à des maladies chroniques, à une pauvreté abjecte et à des restrictions durables en termes de développement. Le Rapporteur Spécial du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, le spécialiste de droit international Richard Falk, considérait le siège israélien comme un «prélude au génocide» avant même le dernier crime consistant à couper entièrement l’approvisionnement en énergie. Aujourd’hui les crimes israéliens à Gaza peuvent être catégorisés comme des actes de génocide au sens strict, même si ce génocide est lent.
En parallèle, Israël est en train de lentement transformer la Cisjordanie occupée, y compris Jérusalem-Est, en un ensemble de réserves dans lesquelles la vie est impossible et qui donnent, en comparaison, une connotation positive au terme Bantoustan. Israël provoque, de manière organisée, la lente désintégration de la société palestinienne sous occupation, par l’intermédiaire [de la construction] du Mur, de sa politique de fragmentation et de ghettoïsation, de son déni des droits les plus élémentaires des Palestiniens et de son obstruction au développement humain. Israël transforme lentement, de manière régulière et systématique, la vie des Palestiniens ordinaires, fermiers, ouvriers, étudiants, universitaires, artistes et autres professions, en un véritable enfer, destiné à les contraindre à partir.
L’objectif fondamental du courant dominant du Sionisme politique, procéder au nettoyage ethnique de la Palestine en la vidant de sa population indigène pour qu’elle laisse la place aux seuls colons juifs, n’a connu qu’un seul changement significatif depuis le début de la conquête coloniale sioniste il y a un plus d’un siècle : les choses vont tout simplement moins vite.
Depuis la Nakba, la création de l’Etat d’Israël en 1948 par le nettoyage ethnique de plus de 750 000 Palestiniens indigènes, chassés de leur terre, et par la destruction de la société palestinienne, de nombreux «plans de paix» ont été élaborés afin de résoudre le «conflit».
En réalité tous ces plans avaient un point commun : ils ont cherché à imposer un règlement basé sur les faits accomplis, en d’autres termes sur le rapport de forces largement asymétrique qui laisse l’une des deux parties, les Palestiniens, dans une situation d’humiliation, d’exclusion et d’inégalité. Ces plans étaient injustes : en conséquence ils ont échoué.
Le chemin vers la justice et la paix doit tenir compte des particularités de la réalité coloniale israélienne. Dans son essence, l’oppression, par Israël, du peuple palestinien, comprend 3 dimensions majeures : le déni des droits des réfugiés palestiniens, parmi lesquels leur droit de retourner dans leurs foyers ; l’occupation militaire de Gaza et de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-est), incluant la colonisation massive de cette dernière ; et un système de discrimination raciale contre les citoyens palestiniens d’Israël, qui ressemble en partie à l’apartheid sud-africain. Une paix juste devrait réparer, moralement et concrètement, ces trois injustices, condition minimale pour une justice relative.
Les récents développements politiques en Israël, tout particulièrement les dernières élections législatives, qui ont porté au pouvoir un gouvernement avec des tendances ouvertement fascistes et qui ont conduit à la guerre criminelle contre le Liban et, plus récemment, au lent génocide contre Gaza, ont démontré sans équivoque qu’une écrasante majorité d’Israéliens soutient avec ferveur les politiques racistes et coloniales de l’Etat et ses violations persistantes du droit international.
Une solide majorité soutient, par exemple : les crimes de guerre perpétrés quotidiennement par l’armée à Gaza, y compris les coupures d’approvisionnement en énergie, le Mur d’apartheid, les exécutions extra-judiciaires de militants palestiniens, le déni du droit au retour des réfugiés palestiniens, le maintien du système d’apartheid à l’encontre des citoyens palestiniens d’Israël, et l’accaparement de larges parties de la Cisjordanie occupée, particulièrement autour de Jérusalem, ainsi que des ressources aquifères palestiniennes. Si c’est la paix dont la plupart des Israéliens veulent, elle ne répond en aucun cas aux critères minimums en termes de droit international et de droits humains fondamentaux…
Devant la faillite de la communauté internationale à demander des comptes à Israël, de nombreuses personnes, aux quatre coins du monde, ont commencé, en conscience, à prendre en considération l’appel de la société civile palestinienne à une résistance non-violente contre Israël jusqu’au terme des trois dimensions de l’oppression du peuple palestinien.
Du proéminent historien israélien Ilan Pappe au Ministre juif du gouvernement sud-africain Ronnie Kasrils, en passant par l’Archevêque Desmond Tutu, un nombre grandissant de figures de renommée internationale ont établi des parallèles entre l’apartheid israélien et son prédécesseur sud-africain et ont, en conséquence, défendu le principe de mesures de type sud-africain.
Il est assez significatif de remarquer que l’ancien président US Jimmy Carter et l’ancien Rapporteur Spécial de l’ONU aux Droits de l’Homme, le Professeur John Duggard, qui n’ont certes pas encore repris le mot d’ordre du boycott, ont tous les deux accusé Israël de mener une politique d’apartheid contre les Palestiniens.
Lorsque l’on tient compte du caractère canonique des résolutions de l’ONU à l’encontre des crimes d’apartheid, la position de Dugard ne doit pas être prise à la légère. Ceci pourrait bien être la première étape d’une très longue marche ayant pour finalité d’amener les Nations Unies à identifier Israël comme un Etat d’Apartheid et à adopter, en conséquence, les sanctions appropriées.
En 2001 déjà, à Durban, en Afrique du Sud, malgré l’absence de volonté officielle de l’Occident de demander des comptes à Israël, le Forum des ONG de la Conférence Mondiale de l’ONU contre le racisme avait largement adopté le point de vue selon lequel la forme particulière d’apartheid israélien nécessitait un recours aux mêmes outils qui étaient venus à bout de son prédécesseur sud-africain. Beaucoup espèrent que «Durban 2» continuera sur la lancée de cet acquis essentiel.
Peu de temps après Durban, des campagnes appelant au désinvestissement les firmes soutenant l’occupation israélienne se sont multipliées dans les campus états-uniens. De l’autre côté de l’Atlantique, particulièrement au Royaume-Uni, des appels à diverses formes de boycott contre Israël ont commencé à être entendus parmi les intellectuels et les syndicalistes.
Ces efforts se sont intensifiés avec la réoccupation israélienne de l’ensemble des villes palestiniennes au printemps 2002, les destructions et les victimes qu’elle a laissées derrière elles, particulièrement les atrocités commises dans le camp de réfugiés de Jénine.
En 2005, un an après l’avis de la Cour Internationale de Justice contre les colonies israéliennes et le Mur d’Apartheid, la société civile palestinienne a émis un appel pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions, ou BDS.
Plus de 170 syndicats et organisations de la société civile palestinienne, y compris les principaux partis politiques, ont appuyé cet appel qui vise à contraindre Israël à se conformer au droit international. 12 ans après l’échec lamentable du soi-disant « processus de paix » amorcé en 1993, la société civile palestinienne a décidé de revendiquer l’initiative en mettant les revendications palestiniennes au cœur du combat international pour la justice, depuis longtemps obscurci par des «négociations» trompeuses et sans aucune perspective. Phénomène sans précédent, l’appel au BDS a été émis par des représentants des trois composantes du peuple palestinien : les réfugiés, les Palestiniens d’Israël et ceux vivant sous occupation. L’appel s’adressait en outre directement aux Juifs israéliens intègres, les invitant à soutenir ses revendications.
Depuis plus d’un siècle la résistance civile a toujours été une composante essentielle de la lutte du peuple palestinien contre le Sionisme. Au cours de la récente histoire palestinienne, la résistance au projet colonial sioniste a principalement pris des formes non-violentes : des manifestations de masse, des mobilisations populaires, des grèves de travailleurs, le boycott des produits sionistes, et la résistance culturelle, souvent ignorée, au travers de la poésie, de la littérature, de la musique, du théâtre ou de la danse.
La Première Intifada (1987-1993) a été un laboratoire d’une richesse unique en termes de résistance civile, que les militants ont organisée, au niveau local, en encourageant l’auto-suffisance et le boycott, à des degrés divers, des produits israéliens mais aussi des autorités militaires. A Beit Sahour, par exemple, une célèbre grève des impôts fut l’un des défis les plus conséquents de cette période à l’égard de l’occupation israélienne.
Le BDS doit ainsi être appréhendé comme étant implanté dans une authentique culture palestinienne de résistance civile, même s’il s’inspire aujourd’hui principalement de la lutte anti-apartheid sud-africaine. C’est ce riche héritage qui inspire la résistance populaire actuelle à Bil’in, contre le Mur.
Au cours des dernières années, beaucoup d’importants groupes et institutions, aux quatre coins du monde, ont entendu les appels au boycott venus de Palestine et se sont mis à réfléchir ou à appliquer concrètement diverses formes de pression effective sur Israël. Parmi eux, les deux principaux syndicats britanniques, Unison et la Transport and General Workers Union (TGWU) ; la British University and College Union (BUCU), qui a récemment réaffirmé une position pro-boycott ; Aosdana, l’Académie Irlandaise des Artistes reconnue par l’Etat ; l’Eglise d’Angleterre ; l’Eglise presbytérienne des Etats-Unis ; de célèbres architectes britanniques ; la National Union of Journalists au Royaume-Uni ; le Congress of South African Trade Unions (COSATU) ; le Conseil Mondial des Eglises ; le Conseil Sud-africain des Eglises ; la Canadian Union of Public Employees en Ontario et, plus récemment, la Canadian Union of Postal Workers et l’ASSE, la principale organisation étudiante au Québec ; et des dizaines d’auteurs, d’artistes et d’intellectuels reconnus, conduits, entre autres, par John Berger.
En Europe, beaucoup d’Universitaires et de personnalités du milieu de la Culture rejettent des invitations à participer à des événements en Israël, pratiquant de la sorte un «boycott silencieux . Récemment, Jean-Luc Godard, icône du Cinéma, a annulé sa participation à un festival du film à Tel Aviv après que des Palestiniens le lui ont demandé. Avant lui, Björk, Bono, les ex-membres de Beatles, les Rolling Stones… ont décidé de ne pas de se produire en Israël, boycottant de fait les célébrations du soixantenaire d’Israël.
En novembre 2007, des centaines de militants palestiniens investis dans le boycott, des syndicalistes, des représentants de tous les principaux partis politiques, des organisations de femmes, des associations d’agriculteurs, des organisations étudiantes et d’à peu près tous les secteurs de la société civile palestinienne se sont rassemblés à l’occasion de la première conférence du BDS dans les territoires palestiniens occupés.
L’un des résultats immédiats de l’effort accompli à cette occasion a été la mise en place récente du Comité National du BDS, ou BNC, pour développer la conscientisation au sujet du boycott, pour organiser les principales initiatives locales et pour agir comme un référent unique pour les campagnes internationales du BDS.
Pour les cyniques qui considèrent encore que les progrès mentionnés ici sont minimes au regard du temps écoulé, je ne peux que rappeler ce qu’un camarade sud-africain nous disait : «L’ANC a émis un appel au boycott académique dans les années 50 ; la communauté internationale a commencé à y prêter attention près de trois décennies plus tard ! Donc vous vous en sortez beaucoup mieux que nous».
Aujourd’hui, face à l’intensification des crimes de guerre israéliens, face à l’impunité et face au mépris total du droit international, nous appelons la société civile internationale à initier ou à soutenir toute campagne BDS qui semble appropriée selon chaque contexte particulier et chaque situation politique spécifique, afin de soutenir la résistance civile palestinienne.
C’est la forme de solidarité avec les Palestiniens qui d’avère être la plus efficace et la plus valable moralement et politiquement. Dans des circonstances exceptionnelles où un génocide est en train d’être commis, des mesures exceptionnelles et lucides, d’un point de vue éthique, sont requises.
C’est le chemin le plus sûr vers la liberté, la justice, l’égalité et la paix en Palestine et dans l’ensemble de la région.
Source : http://www.counterpunch.org/
Traduction : Julien Salingue
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