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Qatar - 26 janvier 2012
Par Yamin Makri
Le Qatar est le pays de toutes les contradictions :
- La plus grande base américaine est au Qatar mais les Talibans ont maintenant leur représentation dans l’émirat.
- C'est le pays d’Al-Jazeera, le média audio-visuelle qui a le mieux couvert médiatiquement la seconde Intifida et le bombardement sur Gaza ; mais c'est l'un des rares pays arabes qui a une représentation israélienne sur son sol.
- C'est un pays foncièrement pro-américain mais c’est aussi celui qui soutient beaucoup de mouvements islamistes dont le Hamas qui a aussi sa représentation dans ce micro-état.
Mais quand on visite ce pays, ce qui nous choque d’abord, c'est que c’est le pays de l’extravagance consumériste et de l’ultralibéralisme économique. L’essentiel est en réalité là. En fait, tant que les privilèges sont préservés, tant que l'appropriation des richesses au profit d’une caste perdure, tout le reste devient secondaire. Si l’on ne comprend pas ce préalable, on aura du mal à comprendre la logique de cet État.
Coincé entre les deux puissances régionales, l’Arabie Saoudite et l’Iran, le petit émirat a soif de rayonnement internationale. Le Qatar a aujourd’hui cette ambition démesurée : être reconnue comme la puissance régionale politique et diplomatique incontournable du monde arabe. Et cela pour deux raisons, d’abord satisfaire son ego insatiable, et ensuite faire en sorte que personne ne puisse remettre en cause l’appropriation des richesses de son sous-sol par la famille royale.
En acceptant, l'installation de la plus grande base américaine de la région sur son sol et en se mettant donc sous la protection US, la famille royale espère pérenniser sa mainmise sur les gisements d’hydrocarbures mais aussi se protéger des ambitions régionales de ses deux grands voisins qu'il craint le plus.
Et l'installation de la représentation diplomatique israélienne sur le sol qatari est bien évidemment la condition incontournable pour cette protection américaine.
L'affaiblissement de la puissance financière et économique américaines est l'élément nouveau de cette dernière décennie. Cela bouleverse la donne dans cette région qui avait l’habitude depuis plusieurs décennie de vivre sous l’ordre américain.
Aujourd’hui, les USA n'ont plus les moyens de leur politique hégémonique. De plus, la zone Asie-Pacifique, avec l'émergence de la Chine, devient la région-clé pour l'impérialisme américain, beaucoup plus que le Moyen-Orient.
Certes, la protection des gisements d’hydrocarbures et de ses voies d’acheminement vers les pays du Nord restera un enjeu central. Mais la crise économique et financière mondiale associée à la reconsidération des priorités stratégiques font qu'aujourd’hui les USA n’ont plus les moyens d’agir directement dans cette région pour préserver leurs intérêts.
Cette situation inédite a deux conséquences pour cette région :
1) La première conséquence est que les USA, face à leurs nouvelles restrictions budgétaires, ont décidé d’intervenir dorénavant à travers leurs relais locaux qui, eux, ont les moyens et l'ambition de devenir des puissances régionales.
Ces relais locaux sont d’abord ceux qui historiquement ont toujours été présents dans cette région : tout d’abord, les deux anciennes puissances coloniales, la France et la Grande-Bretagne (puissance militaire et technologique), et ensuite la fidèle héritière de l’empire ottoman, la Turquie, nouvelle puissance économique et militaire.
Le Qatar, diplomatiquement et médiatiquement très présent, espère aussi être reconnu comme une nouvelle puissance régionale. Il aspire aussi à être un de ces relais de la puissance américaine qui aura l’avantage d’être le seul à appartenir à la « nation arabe ».
Fait important, ces pays (France, GB, Turquie et Qatar), qui sont déjà des acteurs influents dans l’évolution des révolutions arabes, sont tous membres de l’OTAN ou hébergent d’importantes bases américaines et ont tous des relations diplomatiques et économiques avec l’État sioniste.
2) La seconde conséquence de cette situation nouvelle est que ces relais locaux, tout en agissant pour les intérêts US, œuvrent aussi pour leurs propres intérêts. C'est, tout à fait logiquement, une « juste » rétribution qu'« autorise » le gendarme américain :
- Ainsi, profitant des révolutions arabes, les anciennes puissances coloniales européennes (France, Grande-Bretagne) tentent de reprendre pied dans cette région et espèrent devenir l’intermédiaire obligé.
- La Turquie voudrait reconquérir, à travers son dynamisme économique, son aire d’influence qui s’étendait de l’Asie centrale au Maghreb. L’État sioniste qui entretient des relations économiques florissantes avec le capitalisme turc ne fait pas exception. Business is Business.
- Le Qatar, avec sa toute nouvelle puissance financière et médiatique, promeut une parole libre (mais évidemment orientée) de toutes les tendances politiques du monde arabe et espèrent ainsi devenir le centre d’un nouveau rayonnement pan-arabe.
C'est donc dans ce contexte qu'il faut interpréter l'action du Qatar et son rapport avec le Shaykh Al-Qaradawi et la chaine satellitaire Al-Jazeera.
Pour comprendre le rôle du Shaykh Al-Qaradawi, il faut revenir à l'histoire. Issu des Frères musulmans égyptiens, Shaykh Al-Qaradawi a payé très cher son opposition publique et franche à la dictatures égyptienne ; il vécu une partie de sa vie dans les prisons égyptiennes. Jusqu’à très récemment, tous les mouvements politiques islamiques des pays arabes, sans aucune exception, vivaient sous une terrible répression : meurtres, disparitions, emprisonnements, massacres, tortures. Et cela, sous l'indifférence de tous les médias occidentaux.
Shaykh Qaradawi a toujours refusé de se taire sur le droit d'expression de tous les peuples et sur son anti-sionisme viscéral. Le seul pays qui a, finalement, accepté de l'accueillir tout en lui laissant sa liberté de parole fut le Qatar. Il fit même plus, il lui donna un canal (Al-Jazeera) pour lui permettre de s’adresser à toutes les masses arabes. La quasi-totalité des dirigeants des mouvements politiques islamiques en exil ou vivant la répression lui emboitèrent le pas. Dépassant la censure exercée par toutes les dictatures arabes, ils purent à travers Al-Jazeera exprimer leur point de vue et en débattre avec les autres mouvements d’oppositions arabes.
Ainsi, à travers Al-Jazeera et le rayonnement du Shaykh Al-Qaradawi, le Qatar a obtenu ce qu'il voulait : être une puissance médiatique incontournable dans cette région. À travers le Qatar, le Shaykh Al-Qaradawi et beaucoup de mouvements islamiques réprimés ont obtenu en retour le droit de s'exprimer et de débattre publiquement. Ce qu'ils n'ont jamais pu espérer dans leur propre pays et cela depuis plusieurs décennies.
Aujourd’hui, le Qatar espère tirer ses dividendes de sa politique, audacieuse à l’époque, d’ouverture vis-à-vis des mouvements politiques islamiques. L’émirat s’implique désormais directement dans les révolutions arabes, financièrement, médiatiquement, diplomatiquement et même militairement, si cela doit s’avérer nécessaire. Pour cela, l’émir du Qatar n’a pas hésité à reprendre en main plus directement la chaine Al-Jazeera. La direction a été changée pour qu’elle réponde plus fidèlement aux orientations politiques du pays.
Si la situation du monde arabe n’était pas aussi dramatique, on pourrait sourire de ce petit émirat royal qui soutient les soulèvements populaires et donne des leçons de démocratie alors que l’émir lui-même est arrivé au pouvoir en destituant son propre père.
Du Nord ou du Sud, musulman ou non, nous n’oublierons jamais ce qui rassemble ces États (France – Grande-Bretagne – Turquie – Qatar) qui se posent aujourd’hui en modèle pour les peuples arabes :
- Un assujettissement à l’ordre US, responsable de toutes les guerres impériales menées dans la région.
- Des relations normalisées avec l’État sioniste, seule idéologie d’Etat ouvertement raciste du XXIe siècle.
- Une intégration à un système économique mondial capitaliste et ultra-libéral responsable de la pire des catastrophes humaine, spirituelle et écologique (1 milliard de sous-alimentés, inégalité croissante, consumérisme, réchauffement climatique…).
Dépasser l’impérialisme américain, combattre l’idéologie raciste que représente le sionisme, se libérer du modèle consumériste occidental et de sa logique capitaliste demande la mise en place d’un projet alternatif de société pour les pays arabes.
Le chemin sera certainement long et difficile. Par contre, ce qui est déjà clair aujourd’hui, c’est que ni la Francen avec ses philosophies des Lumières qu’elle renie au quotidien, ni la Turquie, avec son orientation islamo-libéral qui trahit l’essence de notre foi musulmane, ni les pétrodollars d’un Qatar consumériste et égoïste ne sont un modèle pour tous les peuples qui aspirent à se libérer.
Et seul Dieu est Savant de toutes choses.
Source : Globislam
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Yamin Makri
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