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Liban - 18 août 2006
Par Mike Whitney
Une fois Israël parti, le Hizbullah va-t-il déposer les armes ?
C’est ce qui préoccupe Israël, mais c’est une fausse question.
La vraie question est celle-ci : quelle est la probabilité qu’Israël ré-envahisse le Liban, à l’avenir, comme il l’a déjà fait à quatre reprises ?
Et qui fournira les armes susceptibles de dissuader de manière crédible une agression israélienne, afin que le Liban puisse vivre en paix ?
"La stratégie d’Israël consiste à établir des positions situées le plus au Nord possible, en vue de contraindre à un retour accompagné de combats. Ceci signifie que les Israéliens vont essayer de gagner le plus de terrain possible sur le Hizbullah, au cours de leur blitz en direction du Sud." [Edito du Ha’aretz, 17 août 2006]
"Tant qu’il y aura un déploiement armé israélien, une agression israélienne sur le terrain et des soldats israéliens occupant notre territoire, il est de notre droit naturel de les combattre et de défendre nos terres, nos maisons, et nous-mêmes." [Shaïkh Hasan Nasrallah, chef de la Résistance armée libanaise – Hizbullah]
La soudaine incursion d’Israël en direction de la rivière Litani est un acte patent de désespoir politique, dans le but escompté de dissimuler la défaite humiliante infligée par le Hizbullah à l’armée israélienne.
Elle se produit à la veille même de la conclusion d’un accord de cessez-le-feu de l’Onu concocté par les amis d’Israël au sein de l’administration Bush qui attendaient [avec l’insoutenable patience que l’on sait] une opportunité diplomatique susceptible de permettre à Olmert de se tirer honorablement de la plus grande débâcle essuyée par Israël depuis la guerre d’Octobre 1973.
Ce soi-disant cessez-le-feu est taillé sur mesure pour empêcher la victime de l’agression israélienne de se défendre, en donnant au contraire à l’armée israélienne le sauf-conduit lui permettant de poursuivre ses dévastations.
Telle est la logique kafkaïenne de [ce théâtre de marionnettes qu’est devenue] l’Organisation des Nations [dites] Unies et de ses tireurs de ficelles, à Tel Aviv.
Il n’existe désormais plus aucune expectative raisonnable qu’Israël réalise l’un quelconque de ses objectifs proclamés. La puissante armée israélienne a reçu une torgnole magistrale de la part d’une poignée de guérilleros fortement motivés, qui ont maintenu "Tsahal" clouée au sol dans un rayon de cinq minuscules kilomètres au nord de sa frontière, durant un bon mois.
C’est assurément là un des plus grands triomphes de toute l’histoire des conflits asymétriques.
Non, le Hizbullah ne sera pas "désarmé" comme le claironnait Olmert, voici encore seulement quelques semaines.
Bien au contraire : ses fortunes semble ne cesser de se renforcer tandis qu’Israël continue à se débattre [avec sa "conscience"] après avoir bombarder aveuglément, en totale impunité, des infrastructures civiles vitales au Liban. Le conflit n’a fait que confirmer le soupçon très largement partagé [dans le monde entier] que l’Etat juif n’est qu’un tireur fou, prêt à sulfater dans le tas à la moindre provocation.
Le Premier ministre Olmert, le ministre de la Défense Péretz et le chef d’état-major Dan Halutz sont les cibles de critiques incandescentes dans la presse israélienne, à très juste titre.
Il s’agit là, sans appel, de la pire collection de bousille-tout de toute l’histoire israélienne ; ce sont les équivalents des Pieds Nickelés. Sharon était certes un criminel de guerre, mais c’était aussi un stratège rusé.
Olmert et Halutz le délinquant sont totalement dans le coaltar. Dès lors qu’il fut certain que la guerre ne pourrait pas être remportée militairement, Halutz lança l’assaut jusqu’au Litani, soutenu par des milliers d’hommes de troupes redoutant que ses chances de conquérir la gloire s’amenuisaient à la vitesse grand V.
Résultat : 31 hommes de plus furent tués au cours d’une campagne qui n’a pas encore d’objectifs clairement définis. Et Shaul Mofaz, le seul général israélien à avoir été susceptible de transformer – on ne sait jamais ; on peut toujours essayer – la Berezina en cours en quelque chose qui ressemblât plus ou moins à un "retrait" en bon ordre, se retrouve sur la touche.
Quel fiasco !
Maintenant, le cessez-le-feu ayant été avalisé, les hommes politiques et les généraux se livrent à une foire d’empoigne dans l’espoir de recoller les morceaux d’une improbable victoire qui leur échappe des mains inéluctablement depuis quatre semaines.
Olmert & Co. savent que dès que la poussière sera retombée, ils seront confrontés à une opinion publique israélienne qui puisse lui servir de bouc émissaire pour cette débâcle.
L’éditorialiste Ari Shavit, du quotidien Ha’aretz, a résumé ainsi l’état d’esprit de la population israélienne :
"Une chose devrait être très claire : si Olmert déserte maintenant la guerre qu’il a déclenchée, il ne pourra pas rester Premier ministre un jour de plus.
Même la chuzpah [légendaire culot à la mode israélienne - inutile de se méfier des imitations, la chuzpah est insurpassable, ndt] a des limites.
On ne peut conduire toute une nation à la guerre en lui promettant la victoire, causer une défaite humiliante et rester au pouvoir.
On ne peut pas enterrer cent vingt Israéliens dans les cimetières, confiner un million d’Israéliens dans les abris un mois durant, porter atteinte à ‘notre’ puissance de dissuasion, rapprocher la prochaine guerre considérablement, et puis dire : "Oups, désolé, j’ai fait une bourde !". Impossible…"
L’éditorialiste Moshe Arens a apporté de l’eau au moulin de Shavit : "La tâche à laquelle Israël est désormais confronté, c’est de restaurer sa puissance de dissuasion et se préparer en vue des attaques qui ne vont pas manquer de se produire. Mais pas avec ces dirigeants-là ! Ils ont épuisé le peu de crédit qui leur était concédé quand on les a élus."
On constatera que la colère en train d’enfler en Israël est purement narcissique et égoïste, pour ainsi dire autiste : il n’est jamais question des énormes destructions causées par les bombardements de l’aviation israélienne dans un Liban littéralement assommé de bombes.
Le Liban est en ruines. Les principaux ponts, les principales routes, usines, les ports, les canaux, les centraux téléphoniques, les dépôts d’essence, les stations de pompage ont été enterrées par un feu de barrage ininterrompu de bombes israéliennes (pourtant) "intelligentes" et guidées par des systèmes de précision.
On peut attribuer à George Bush le plus gros de ces destructions.
Il a accéléré la livraison de bombes high-tech à ses amis de Tel Aviv, veillant à ce que le massacre ne connaisse aucune interruption. Il a, parallèlement, bloqué toutes les résolutions de cessez-le-feu à l’Onu, ce qui a permis à Israël de poursuivre ses bombardements apocalyptiques au Liban.
L’accord de cessez-le-feu a été manifestement rédigé en étroite kollaboration avec Israël. Il autorise l’armée israélienne à poursuivre ses "opérations défensives", alors qu’il est exigé du Hizbullah qu’il cesse le combat. Israël interprète ceci comme un feu vert pour poursuivre le Hizbullah de manière offensive.
D’après le journal israélien Ha’aretz, "L’armée arrêtera son offensive dès que l’échelon politique lui en donnera l’ordre, après quoi elle commencera à retourner sur ses pas afin de débusquer toutes les poches de résistances qui pourraient rester dans la zone."
Avec les troupes israéliennes aujourd’hui stationnées au bord du Litani, cela pourrait impliquer des opérations militaires dans la totalité du Sud Liban, ce qui signifie que les hostilités pourraient se poursuivre durant plusieurs mois.
C’est avec lui-même qu’Israël est en guerre. Il s’échine à exhiber une victoire, là où aucune victoire n’est possible. Moins de vingt-quatre heures avant l’entrée en effet du cessez-le-feu, les Israéliens ont lancé une vague de bombardements massifs sur plus de cinquante villes et villages situés au Nord et au Sud de la rivière Litani.
Cette vague de bombardements a immédiatement fait réagir Kofi Annan, qui a déclaré que cette attaque "ne s’harmonisait pas" [bien] avec l’"esprit du cessez-le-feu" [on a déjà connu condamnation plus énergique… ndt].
En vain. Les Israéliens continueront à tirer, ravageant le peu qui reste debout de l’infrastructure bousillée du Liban, dans le vain espoir de rapiécer les guenilles de quelque chose qui puisse ressembler de très loin à un succès.
Mais cela servira-t-il à quoi que ce soit ?
Le Hizbullah est peut-être salement amoché, ses lignes de ravitaillement sont sans doute rompues, mais il n’a pratiquement même pas à lever le petit doigt pour générer un afflux suffisant de nouvelles recrues et pour s’attirer les vivats du monde entier, pour avoir tenu tête à l’"invincible" "Tsahal".
Le Premier ministre Olmert s’emmêle les crayons quand il tente de justifier la soudaine escalade militaire de la vingt-cinquième heure, juste avant le cessez-le-feu. Clairement, c’est la guerre qui contrôle Olmert ; ce n’est pas Olmert qui contrôle la guerre.
Le tollé, dans les médias, le laisse groggy et hésitant ; il recherche d’autres solutions qu’un prompt retrait. Il ressemble à une poule devant deux pailles en croix, dans l’espoir que quelque événement décisif apporte la preuve que le Hizbullah est en train de faiblir. Pendant ce temps-là, les pertes de l’armée israélienne continuent à s’accumuler, et l’angoisse de l’opinion publique israélienne devient de plus en plus palpable.
Quant au Sheikh Nasrallah, il a résisté à la tentation de la traditionnelle rhétorique enflammée, et il a apporté la démonstration de l’efficacité mortelle du Hizbullah sur le champ de bataille, où et quand il le fallait.
Les guérilleros ont remporté le combat d’homme à homme contre "Tsahal", et ils ont cloué au sol la quatrième armée du monde.
Aux premiers jours du conflit, Nasrallah a présenté les capacités du Hizbullah en des termes pondérés :
"Nous ne sommes pas une armée classique, qui s’étendrait de la Méditerranée jusqu’au Mont Hermon.
Nous sommes un mouvement de résistance, populaire et sérieux, présent dans beaucoup de régions, et sur de nombreux axes. Notre équation et nos principes sont ceux-ci : quand les Israéliens font une incursion sur notre territoire, il doivent le payer chèrement, en termes de tanks, d’officiers et de simples soldats.
C’est ce à quoi nous nous engageons, et nous honorerons notre engagement, avec l’aide de Dieu."
Olmert devrait étudier ce passage, et l’apprendre par cœur !
Nasrallah y a exposé ses objectifs de guerre très circonscrits en une langue lucide, mais ô combien puissante. Ce sont là des objectifs réalistes, et réalisables, contrairement à ceux d’Israël. C’est probablement la raison pour laquelle il l’emportera, s’il persévère. Nasrallah ne nourrit absolument pas la folle idée de défaire l’armée israélienne ou d’envahir Israël. Non.
Simplement, il projette de mordre, jour après jour, heure après heure, les mollets de l’armée d’occupation, la contraignant en fin de compte à se retirer.
Nasrallah est un chercheur avisé en matière de guerre asymétrique, et il sait bien exploiter les vulnérabilités d’une armée régulière, et aussi les vulnérabilités de l’opinion publique israélienne (qui est déjà en train de tourner au vinaigre au sujet du conflit).
Nasrallah a dit qu’il respectera les termes du cessez-le-feu, mais qu’il ne désarmera pas [le Hizbullah] tant que l’armée libanaise et les forces de l’Onu ne seront pas positionnées, et tant que l’armée israélienne ne se sera pas retirée du territoire libanais.
Dans son esprit, il est incohérent de parler dès maintenant de désarmement, dès lors que le Hizbullah est la seule force capable de défendre le Liban contre une invasion étrangère.
Une fois Israël parti, le Hizbullah va-t-il déposer les armes ?
C’est ce qui préoccupe Israël, mais c’est une fausse question. La vraie question est celle-ci : quelle est la probabilité qu’Israël ré-envahisse le Liban, à l’avenir, comme il l’a déjà fait à quatre reprises ? Et qui fournira les armes susceptibles de dissuader de manière crédible une agression israélienne, afin que le Liban puisse vivre en paix ?
Les promesses faites par Nasrallah de désarmer ne veulent rien dire. Sa première responsabilité est envers son peuple, c’est celle de garantir le droit de son peuple à vivre à l’abri de la violence et de l’occupation des Israéliens.
Si le Shaïkh Nasrallah décide de désarmer, en apportant foi aux objurgations de non-agression d’Israël, libre à lui.
Mais il devrait y réfléchir à deux fois, et longuement méditer le traitement réservé aux Palestiniens de Gaza, avant de déposer son arme à ses pieds.
Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es). Cette traduction est en Copyleft.
Source : http://www.palestinechronicle.com
Traduction : Marcel Charbonnier
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