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Palestine - 7 juillet 2012
Par Jimmy Johnson
Jimmy Johnson est l'un des centaines de milliers de chômeurs de Détroit et il devrait faire plus de sit-in. Il administre Neged Neshek, un site web de documentation et d'analyse sur les armes israéliennes et les industries sécuritaires d'Israël. Il fut coordinateur international de l'ICAHD (Comité israélien contre les démolitions de maison).
Le Centre d'Information Alternative a publié le 12 juin un article de soixante-dix mots annonçant que cinq dunams de terre appartenant à Rana Talbieh avaient été confisqués à Al-Khader, un village à l'ouest de Bethléem (1). Une nouvelle somme toute banale signalant que quelques agriculteurs allaient connaître des difficultés, mais elle est l'exemple du processus fondamental qui sous-tend le souvent mal-nommé "conflit" israélo-palestinien, un processus que nous pouvons identifier en faisant la distinction entre deux des nombreuses façons dont les gens déménagent : l'immigration et la colonisation.
Colonie sioniste Har Homa, près de Bethléem, Cisjordanie occupée
Nous parlons de l'arrivée des sionistes en Palestine avec le terme hébreu aliyah (ascension ; au pluriel : aliyot). Les aliyot sont presque toujours décrites comme "des vagues d'immigration". Ce qui dépeint les choses de façon erronée. Lorsque vous immigrez quelque part, vous rejoignez ou vous intégrez la souveraineté (la société organisée : nation, tribu, royaume, etc.) que vous trouvez à votre arrivée. Les colons ne le font pas. Les colons emmènent avec eux leur propre souveraineté qui conteste la souveraineté indigène. Les colonies de peuplement réussies déplacent ou exterminent la souveraineté indigène. Lorsque les Britanniques ont construit des colonies sur l'Ile de la Tortue (2), ils ont "emmené la Grande-Bretagne avec eux", créant des colonies de peuplement et déplaçant la souveraineté et la population powhatans qu'ils ont rencontrée dans ce que la société coloniale appelle la Virginie. C'est par cette augmentation simultanée de Britanniques - plus tard Américains - et la diminution de la souveraineté indigène que l'Ile de la Tortue s'est transformée en "Amérique du Nord" au cours des 500 dernières années. Le processus d'établissement, de perpétuation et d'extension de colonies de peuplement est appelé colonialisme de peuplement.
Les sionistes ont fait les choses différemment que la Grande-Bretagne mais ont pourtant établi une colonie de peuplement. Fait unique parmi les colonies de peuplement, Israël n'avait pas un Etat-nation de base d'où il tirait la population coloniale et le soutien logistique (ce détail relativement mineur est l'explication traditionnelle du pourquoi le sionisme est censé ne pas être colonial). Au lieu de cela, les sionistes ont emmené avec eux le capital et le privilège de classe européens et établi une souveraineté coloniale sur place, déplaçant la souveraineté palestinienne indigène qu'ils ont rencontrée. Tel Aviv n'est pas une excroissance de Shayk Muwannis et des autres villages palestiniens enterrés sous elle, pas plus qu'elle ne fut une banlieue de sa voisine Jaffa. Tel Aviv est la souveraineté qui a éliminé ces villages et, avec eux, la souveraineté palestinienne existante. Construite Tel Aviv et les autres colonies sionistes - les kibboutzim "collectivistes" inclus - est du colonialisme de peuplement, le processus de création d'Israël là où était et est la Palestine. Cinq dunams supplémentaires d'Israël sont créés maintenant à Al-Khader, tandis que cinq dunams supplémentaires de Palestine sont éliminés. C'est l'équation du colonialisme de peuplement.
La question de la souveraineté distingue non seulement les colons des immigrants, mais le colonialisme de peuplement des formes de colonialisme plus largement discutées et étudiées. Les Britanniques, en Inde et au Niger, ont coopté, exploité et réorganisé les souverainetés et les sociétés qu'ils ont rencontrées. Les Britanniques à l'Ile de la Tortue et les sionistes en Palestine les ont éliminées. Le déplacement colonial de la souveraineté autochtone est une fonction première de ce que le professeur australien Patrick Wolfe appelle "la logique d'élimination" du colonialisme de peuplement. Il y a eu et il y a également élimination par les Britanniques en Inde et au Niger et cooptation, exploitation et réorganisation par les sionistes en Palestine, mais pas en tant que processus défini. L'article déterminant de Wolfe en 2006, "Colonialisme de peuplement et élimination de l'indigène"
Settler colonialism and the elimination of the native
se centre principalement sur l'élimination coloniale du peuple indigène, mais la logique éliminationniste qu'il décrit est également applicable à l'éradication de la souveraineté.
Démolition à Al-Arakib, dans le Naqab
La Palestine et les Palestiniens sont éliminés par la mort, le déplacement et la spoliation de l'identité. Des centaines de milliers ont été expulsés en 1948 tandis que la société coloniale devenait l'Etat d'Israël, et à nouveau en 1967 lorsqu'Israël a étendu son contrôle à toute la Palestine historique. De 1967 à ce jour, Israël a révoqué les droits à résidence de 240.000 autres Palestiniens de Cisjordanie et de la Bande de Gaza, les condamnant à être "illégaux" dans leur patrie ou à l'exil. Les nombreux massacres israéliens perpétrés entre 1947-49 montrent cette "logique d'élimination" de la manière la plus horriblement claire. Une autre manière d'éliminer la population autochtone est de lui retirer son indigénéité. Israël essaie de le faire avec la catégorie des "Arabes israéliens". Appeler les citoyens palestiniens d'Israël "Arabes israéliens" leur enlève leur identité palestinienne et, à la place, et les définit à travers la société coloniale. C'est exactement ce qui se passe dans le Naqab (que la société coloniale appelle le Néguev) où Israël tente d'éliminer la population bédouine, non pas en la tuant, mais en l'empêchant de vivre comme peuple indigène. Les Bédouins du Naqab ne sont pas autorisés à être pasteurs ni à définir de toute autre façon leurs relations à leurs terres historiques. Quand ils essaient, le gouvernement israélien démolit leurs maisons, leur inflige des amendes ou les arrête. C'est aussi la raison pour laquelle le Naqab doit être appelé le Néguev et que la Palestine doit être appelée Israël. Les populations et les souverainetés autochtones n'ont pas de place dans les sociétés coloniales.
On pourrait bien sûr développer plus avant. Les particularismes de la colonisation sioniste et de la résistance palestinienne sont modelés, soutenus et contestés par de nombreux facteurs. Parmi eux : l'antisémitisme européen (dont les pogroms et la shoah), la politique foncière ottomane, le colonialisme britannique et français, le capitalisme, le "nationalisme tiers-mondiste", l'islamisme, les interventions US et soviétiques et la Guerre froide, l'empire US, les quêtes égyptienne, irakienne, libyenne, israélienne, saoudite et iranienne d'une hégémonie régionale et les détails des récits et idéologies sionistes et palestiniennes. Tous ces facteurs sont importants mais nous perdons très souvent de vue le processus fondamental de colonialisme de peuplement lorsque nous en discutons. Cinq dunams de plus d'Israël, cinq dunams de moins de Palestine.
Le processus de colonialisme de peuplement a été le même depuis la deuxième aliya (1904-1914) lorsque les nouveaux arrivants juifs ont décidé définitivement de ne pas s'intégrer à la société palestinienne mais de créer leur propre souveraineté séparée en Palestine (3). Le colonialisme de peuplement est la transformation de la Palestine en Israël, le processus de l'élimination coloniale de l'indigène, et c'est la raison pour laquelle les Palestiniens résistent - comme ils l'ont fait depuis le début - à la construction continue de colonies israéliennes. La construction de colonies israéliennes est littéralement la destruction palestinienne (4). Et c'est pourquoi la confiscation de cinq dunams supplémentaires, juste un demi-hectare, à Al-Khader, nous en dit plus sur le processus fondamental à l’œuvre que 99% de toutes les discussions sur le "conflit" israélo-palestinien.
(1) "Israël confiscates Palestinian-owned land south of Bethlehem", AIC, 12.06.2012.
(2) Ile de la Tortue est un des nombreux termes indigènes désignant ce que la société coloniale appelle l'Amérique du Nord. Je l'utilise uniquement comme exemple et non pour privilégier le terme, utilisé principalement par les tribus nord-est, sur d'autres.
(3) Voir "Land, Labor and the Origins of the Israëli-Palestinian Conflict, 1882-1914", de Gershon Shafir, pour un examen approfondi.
(4) Voir "All That Remains", de Walid Khalidi, et "Palestinian Walks", de Raja Shehadeh, parmi autres ouvrages sur ce récit.
Source : Counterpunch
Traduction : MR pour ISM
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