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ISM France - Archives 2001-2021

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Palestine occupée -

Criminaliser la résistance : le cas des camps de Réfugiés de Balata et de Jénine (2/2)

Par

A propos de l'auteur : Alaa Tartir est chercheur postdoctorat au Centre sur le Conflit, le Développement et la Consolidation de la Paix (CCDP) à l'Institut Supérieur des Études Internationales et du Développement (IHEID) à Genève. Tartir est également directeur de programme chez Al-Shabaka: The Palestinian Policy Network. Tartir a été chercheur en études de développement international à la London School of Economics and Political Science (LSE) entre 2010 et 2015, où il a obtenu son doctorat.

Coordination sécuritaire : la domination comme coopération [37]
La coordination de la sécurité avec Israël est une caractéristique déterminante de la doctrine de l'Autorité palestinienne en matière de sécurité, et une source majeure de tension entre le peuple palestinien et ses représentants. [38] Bien qu’elle soit un sous-produit des Accords d'Oslo de 1993 [39], cette coopération est devenue la question principale dans le projet d'édification de l'État par l’AP. Elle a ensuite été écrite dans le marbre dans la période qui a suivi 2007. [40]

Criminaliser la résistance : le cas des camps de Réfugiés de Balata et de Jénine (2/2)

Camp de réfugiés de Jenin, Palestine occupée
Mais ses détracteurs considèrent que la coordination sécuritaire a eu un impact préjudiciable sur la légitimité de l'Autorité palestinienne, et elle est perçue par beaucoup de Palestiniens comme une forme de trahison nationale. [41] Cette collaboration entre les PASF et l'armée israélienne se manifeste de plusieurs façons, notamment : l'arrestation par les PASF des suspects palestiniens recherchés par Israël; la suppression des manifestations palestiniennes contre les soldats israéliens et/ou les colons ; le partage du renseignement entre l’armée d’occupation et les PASF ; la politique de la porte tournante entre les prisons israéliennes et palestiniennes par laquelle les militants palestiniens font des passages successifs pour les mêmes infractions ; des réunions, des ateliers et des formations régulières entre Israéliens et Palestiniens. [42]

En mai 2014, le président Abbas a déclaré que « la coordination de la sécurité [avec Israël] est sacrée, [c'est] sacré. Et nous allons continuer, indépendamment de nos désaccords ou accords sur le plan politique »[43]. Cependant, la grande majorité des Palestiniens ne sont tout simplement pas d'accord. Un sondage auprès des habitants palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza par le Arab Center for Research and Policy Studies [Centre arabe pour les études de la recherche sur les politiques] en 2014, a montré que 80% des personnes interrogées s'opposaient à la poursuite de la coordination sécuritaire avec Israël. [44]

Ce désaccord fondamental entre le public palestinien et sa direction politique officielle a entraîné une colère populaire, ce qui a mené à des manifestations qui ont été violemment réprimées. Une telle colère se reflète également dans la façon dont les PASF sont perçus. Après 2007, les PASF étaient souvent appelées « les forces de Dayton », en référence au lt. Gen. Keith Dayton, l'architecte en chef de l'équipe des coordonnateurs de la sécurité des États-Unis (USSC), responsable de la formation des neuf bataillons qui ont mené les campagnes répressives dans les camps de réfugiés de Balata et Jénine.

Dans un discours tenu en 2009 à Washington, Dayton a salué les « nouveaux hommes palestiniens » que son équipe avait formés et a cité des commandants de l'IDF qui lui demandaient : « Combien de plus de ces nouveaux Palestiniens pouvez-vous produire et à quelle rythme ? » Le général américain a également fait référence aux paroles d'un haut fonctionnaire palestinien qui s’exprimait devant une classe de gradués du PASF en Jordanie, formés sous les auspices de l'USSC. « Vous n'avez pas été envoyés ici pour apprendre à lutter contre Israël », a déclaré le fonctionnaire, selon Dayton : « mais vous avez été plutôt envoyés ici pour savoir comment conserver l'ordre public, respecter le droit de tous nos citoyens et imposer la loi afin que nous puissions vivre en paix et en sécurité avec Israël ». [45] De telles déclarations, en plus des révélations des Documents palestiniens [46], ont encore alimenté les perceptions négatives du public sur la doctrine de la collaboration sécuritaire et sur ses implications sur la vie des Palestiniens. [47]

Photo
Ramallah, répression d’une manifestation par les forces de sécurité de l’autorité palestinienne


La grande majorité des personnes interrogées dans les camps [de réfugiés] ont exprimé leur mécontentement à l'égard de la coordination sécuritaire. Un responsable communautaire dans le camp de Jénine m'a dit : « Je n'ai pas de problème avec [cela] tant que c’est réciproque. Cependant, ce n'est pas le cas. Ce sera une histoire entièrement différente lorsque l'AP pourra demander à Israël d'arrêter un colon et de protéger la sécurité des Palestiniens. Il n'y a pas de sens dans la coordination, mais seulement de la domination. » Un responsable de communauté du camp de Balata l'a dit plus brutalement : « Les campagnes de sécurité ont fait une chose : elles ont minimisé le nombre des agressions israéliennes et ont confié aux PASF le rôle des forces d'occupation. Elles ont en fait instauré une division du travail. »

La politique de la porte tournante (al-bab al-dawar) fut particulièrement sensible pour ceux qui en ont souffert. Une des personnes interrogées dans le camp de Jénine qui a passé du temps dans les prisons israéliennes et palestiniennes m'a expliqué : « J'ai été détenu pendant neuf mois dans la prison des Forces de sécurité préventives de l'AP parce que j'appartenais au Hamas. Trois semaines après ma libération de la prison de l'AP, Israël m'a arrêté exactement sur les mêmes accusations. Ils ont littéralement utilisé les mêmes mots. » De son côté, un cadre de Fatah âgé de trente-trois ans, du camp de Balata, m’a raconté : « Après six mois de détention administrative [sans inculpation ni procès] dans une prison israélienne et avant que je puisse jouir de la liberté, les forces de l’AP ont attaqué notre maison après minuit et m'ont emprisonné pour une période de huit mois. Ils ne m'ont pas posé de questions en prison. Ils m'ont simplement montré un document et ont dit "beseder" [« bien », en hébreu] ; « beseder, votre dossier est prêt, et maintenant tout ce que vous avez à faire est d'attendre la miséricorde de Dieu! » Même ceux qui pensaient que les campagnes de sécurité et les réformes avaient permis des résultats positifs sont restés prudents en exprimant une satisfaction muette. [48]

« Nous faisons notre travail »

Le personnel de sécurité de l'Autorité palestinienne a des vues complètement différentes de celles du grand public. Ils ont compris leur travail en termes techniques et ont exprimé une forte volonté d’en appliquer les règles, car cela leur a été expliqué par leurs commandants. « Les affaires sont les affaires et je fais mon travail », m'a déclaré un membre des PASF à Naplouse. « Allez demander aux gens et vous vous rendrez compte que nous faisons bien les choses et que tout les autres ont tort », a-t-il ajouté. « Vous ne pouvez pas avoir deux coqs dans la même basse-cour », a déclaré en toute confiance un autre agent local de sécurité. « Ce sont les forces de sécurité de l'AP ou les milices et les factions armées. Il n'y a pas de justification pour l'existence de l'Autorité palestinienne si sa tâche numéro un n'est pas une application de la sécurité. » Un agent des forces de sécurité préventive mentionnées ci-dessus le déclare comme suit : « Il n'y a pas de résistance (et encore moins de résistance armée) et c'est pourquoi les conditions de sécurité sont meilleures. Malheureusement, les campagnes de sécurité signifient également que l'AP doit s’occuper de celle [de ses agents] (al-Sulta lazim ta'kul wladha). Je veux dire que tout le monde parle de prisonniers et de torture, même s'il n'y a rien de tel, mais personne ne parle des problèmes auxquels sont confrontés les interrogateurs. C'est leur travail et ils doivent interroger les prisonniers, mais personne ne les protège si les prisonniers décident plus tard d’appliquer des représailles. »

Lorsqu'on l’interroge sur la violence des PASF et leur utilisation excessive de la force pendant les descentes de police et dans les prisons de l'AP, un agent de sécurité au bureau de liaison de la police de Naplouse m'a dit : « Bien, l'utilisation excessive de la force peut être un problème, mais dans certains cas il n'y a pas d'autre choix que d'y recourir. Le droit international permet l'utilisation de la force selon ce que les experts européens et locaux nous ont enseigné. Mais ces lois sont très biaisées [vers l'humanitarisme] et elles doivent être adaptées parce que nous avons besoin de plus de marge de manœuvre pour utiliser la force physique avec les détenus. » Lorsque j'ai cité ces paroles à un haut responsable du ministère de l'Intérieur de l'AP, sa première réaction a été de demander : « Pourquoi êtes-vous surpris ? C'est notre travail. » Il a ensuite ajouté : « En fin de compte, le fait que les forces de sécurité palestiniennes opèrent sous le contrôle de l'occupant est embarrassant pour tout le monde parce que les gens souhaitent que ces forces de sécurité les protègent contre les Israéliens, mais cela n'arrivera jamais. »

La réforme du secteur de la sécurité dans le cadre de l'édification de l'État post-2007 de l'AP ne visait pas seulement à améliorer le fonctionnement et l'efficacité des PASF et à assurer la stabilité et la sécurité d'Israël, mais elle a également cherché à endiguer la résistance à l'occupation et à la domination coloniale d'Israël en criminalisant le militantisme et en démantelant son infrastructure de base. L'AP et ses forces de sécurité ont utilisé le harcèlement, la mise à l’écart, l'arrestation, la détention et la torture contre ceux qui se sont engagés à résister à Israël, et ont démantelé les structures qui soutiennent une telle résistance grâce à la conduite de campagnes de sécurité agressives dans les espaces les plus militants de la Cisjordanie occupée.

Photo
Octobre 2014 : les étudiants de l’université an-Najah (Naplouse) protestent contre la répression des forces de sécurité palestinienne sur leur campus


Comme l'ont suggéré les témoignages recueillis auprès des personnes ordinaires - ce que j'ai appelé les voix de base - dans les camps de réfugiés de Balata et Jénine, les campagnes de sécurité ont été largement perçues comme illégitimes et inefficaces. Ces voix de base contestent fondamentalement l'affirmation selon laquelle les PASF faisaient leur travail pour maintenir l'ordre public, et soutiennent que plutôt que d’éprouver un sentiment de sécurité plus élevé, ils ont assisté à la transformation de l'AP en un régime autoritaire dont les forces de sécurité se rapprochent de celles d’un Etat policier en gestation. En somme, alors que la référence de la réforme de la sécurité était de mettre en place une institution de sécurité professionnelle, les gens ordinaires voulaient une protection contre leur principale source d'insécurité, à savoir l'occupation militaire israélienne. Comme l'a dit une des personnes interrogées : « Cela ne signifie rien pour moi si nous avons les forces de sécurité et l'armée les meilleures du monde si elles ne sont pas capables de me protéger. »

Épilogue

Recueillir l’opinion des gens ordinaires est une tâche particulièrement difficile. Dans le cas présent, non seulement parce que les problèmes de sécurité sont sensibles en soi, mais aussi en raison du degré élevé de frustration et de désespoir parmi les Palestiniens après les deux dernières décennies d'occupation israélienne, et à cause d'une Autorité de plus en plus répressive. En sortant du camp de Jénine le dernier jour de mon enquête de terrain, j’ai vu un certain nombre de personnes se rassembler autour d'un homme. « C’est tellement douloureux d’entendre son enfant dire qu’il veut mourir, » criait-il aux passants. « Comme je n'ai pas un shekel à lui donner, je préfère encore mieux me tuer. Lorsque les dirigeants palestiniens nous pendent à l'envers dans les airs, qu'est-ce qui reste de cette vie ? » Tenant une bouteille remplie d'essence et des allumettes d'une main, et sa fille dans l'autre, il n'a été dissuadé de s’immoler par le feu que par les cris terrorisés de son enfant. De tels incidents ne sont pas particulièrement exceptionnels lorsque la misère, la colère et l'injustice sont les caractéristiques dominantes de la vie quotidienne.



Notes

[37] Je suis redevable à Jan Selby pour le cadre conceptuel de cette section. Voir: Jan Selby, “Dressing Up Domination as ‘Cooperation’: The Case of Israëli-Palestinian Water Relations,” Review of International Studies 29, no. 1 (2003): pp. 121-38, doi:10.1017/S026021050300007X; and Jan Selby, “Cooperation, Domination and Colonisation: The Israëli-Palestinian Joint Water Committee,” Water Alternatives 6, no. 1 (2013): pp. 1–24,
http://www.water-alternatives.org/index.php/volume6/v6issue1/196-a6-1-1/file.
[38] Tariq Dana, “The Beginning of the End of Palestinian Security Coordination with Israël?,” Jadaliyya, 4
July 2014, http://www.jadaliyya.com/pages/index/18379/the-beginning-of-the-end-of-palestinian-security-c.
[39] Pour une analyse contextuelle de l'évolution du PASF au cours des deux dernières décennies, voir: Tartir, “The Evolution and Reform of Palestinian Security Forces.”
[40] Pour le point de vue israélien, voir le discours du président Shimon Peres au Parlement européen en 2013. Exprimant la satisfaction d'Israël de l'état de la sécurité palestinienne, Peres a déclaré : « Une force de sécurité palestinienne a été formée. Vous [les Européens] et les Américains l'avez formé. Et maintenant, nous travaillons ensemble pour prévenir la terreur et le crime. »
[41] Tartir, “Securitised Development.”
[42] Amrov and Tartir, “After Gaza,” 8 October 2014; also Amrov and Tartir, “Subcontracting Repression,” 26 November 2014.
[43] “President Mahmoud Abbas: Security Coordination is Sacred“ [in Arabic], YouTube video, 5:12, Mahmoud Abbas speech to an Israëli audience in Ramallah broadcast by Al Quds, posted by Talha M. A’abed, 29 May 2014, https://www.youtube.com/watch?v=UG5NcdkthQ0.
[44] Arab Center for Research and Policy Studies, Palestinian Public Opinion: Attitudes towards Peace Negotiations and National Reconciliation, Arab Public Opinion Project–Arab Index 2014 (Doha: Arab Center for Research and Policy Studies, 2014), http://english.dohainstitute.org/file/Get/8c85f60b-
1071-46de-8e64-ceb72c06cd71.
[45] Lt. Gen. Keith Dayton, “Peace through Security” (Michael Stein Address on U.S. Middle East Policy, Washington Institute for Near East Policy, Washington, DC, 7 May 2009), http://www.washingtoninstitute.org/html/pdf/DaytonKeynote.pdf.
[46] “The Palestine Papers“ est une collection de documents confidentiels relatifs au conflit israélo-palestinien qui ont été divulgués par Al Jazeera en janvier 2011. Le service d'information a publié près de 1700 dossiers et des milliers de pages de correspondance diplomatique sur le soi-disant processus de paix. Des informations supplémentaires peuvent être trouvées sur: Al Jazeera’s Palestine Papers page at http://www.aljazeera.com/
palestinepapers/
[47] Mark Perry, “Dayton’s Mission: A Reader’s Guide,” , 25 January 2011,http://www.aljazeera.com/palestinepapers/2011/01/2011125145732219555.html.
[48] Dans les deux camps, le sentiment prédominant exprimé par les gens ordinaires et les dirigeants locaux était que « l'Autorité palestinienne et ses forces de sécurité nous détestaient ». Pour tenter de fournir une explication, le chef du comité des services du camp de Jénine a déclaré : « L'AP A été isolée, marginalisée et absente au cours des huit dernières années lorsque les comités d'Intifada ont conduit la société palestinienne. Maintenant, l'AP est de retour, et elle est plus forte, et à cause de cela, ils veulent compenser toutes les années qui leur ont échappé et aussi se faire rétribuer. »


Cet article fait partie du Volume 46 – 2016/17 du « Journal of Palestine Studies ».
Traduction de l’anglais par Chronique de Palestine et ISM-France.


Source : Palestine Studies

Traduction : MR pour ISM

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3 mai 2017