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ISM France - Archives 2001-2021

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Palestine -

De la solution à un seul Etat et d’une illusion dangereuse et ne débouchant sur rien : Une réponse à Uri Avnery

Par

Uri Avnery accuse les partisans de LA solution à un seul Etat de forcer les faits objectifs à entrer dans le "lit de Sodome" (1).
Il semble considérer qu’il s’agirait, en l’occurrence, dans le meilleur des cas, de rêveurs en plein jour ne comprenant pas la réalité politique qui les entoure, englués dans un état permanent de douces illusions.

De la solution à un seul Etat et d’une illusion dangereuse et ne débouchant sur rien : Une réponse à Uri Avnery

Nous sommes tous des camarades vétérans de la gauche israélienne, et il est donc tout à fait possible que, dans nos moments de désespoir, nous tombions dans le piège de l’hallucination et même que nous délirions, en ignorant la réalité déplaisante autour de nous.

Par conséquent, la métaphore du Lit de Sodome peut même parfaitement être balancée contre ceux qui sont inspirés par le modèle sud-africain dans leur recherche d’une solution en Palestine.

Mais, dans ce cas, il s’agirait, à l’extrême rigueur, d’un minuscule berceau de Sodome, comparé au lit de taille royale dans lequel Gush Shalom et d’autres membres apparentés de la gauche sioniste persistent à vouloir faire entrer leur "solution" à deux Etats.

Le modèle sud-africain est récent – de fait, à peine une année s’est écoulée depuis qu’il a été sérieusement pris en considération – tandis que la formule à deux Etats a soixante piges : cette illusion dangereuse et ne débouchant sur rien a permis à Israël de perpétuer son occupation sans avoir à essuyer de critique conséquente émanant de la communauté internationale.

Le paradigme sud-africain est un bon sujet d’étude – pour une étude comparative, s’entend, et non en tant qu’objet d’une émulation / vénération.

De fait, certains chapitres de l’histoire de la colonisation, en Afrique du Sud, et de la sionisation de la Palestine, sont quasiment identiques.

La méthodologie de gouvernement des colons blancs en Afrique du Sud ressemble très fortement à celle mise en œuvre par le mouvement sioniste, puis par Israël, à l’encontre de la population indigène de la Palestine, dès la fin du dix-neuvième siècle.

Depuis 1948, et jusqu’à nos jours, la politique israélienne officielle à l’encontre de certains Palestiniens est plus humaine que celle du régime de l’Apartheid ; mais à l’encontre d’autres Palestiniens, elle est encore bien pire.

Mais, par-dessus tout, le paradigme sud-africain inspire les personnes qui se préoccupent de la Palestine, de deux manières fondamentales : il offre une nouvelle orientation à une future solution, au lieu de la formule des deux Etats, qui a échoué – en introduisant l’unique Etat démocratique – et elle dynamise une nouvelle réflexion sur la manière dont l’occupation israélienne est susceptible d’être vaincue (au moyen de sanctions, du boycott et de désinvestissements) (c’est l’option BDS : Boycott, Désinvestissement, Sanctions).

Les faits, sur le terrain, sont clairs comme de l’eau de roche : la "solution" à deux Etats a lamentablement échoué, et nous n’avons plus de temps à perdre en anticipations futiles d’un énième round d’efforts diplomatiques, qui ne mèneraient nulle part.

Comme le reconnaît Avnery, le camp de la paix israélien a échoué, jusqu’ici, à persuader la société juive israélienne d’essayer la voie de la paix.

Une évaluation raisonnable et critique de l’importance numérique et de la force de ce camp-là amène à la conclusion inéluctable qu’il n’a aucune chance que ce soit contre les tendances prédominantes dans la société juive israélienne.

Parviendra-t-il seulement à conserver sa présence extrêmement marginale sur le terrain ? C’est fort douteux ; le risque qu’il disparaisse corps et biens est grand.

Avnery décide d’ignorer ces données de fait, et il allègue que la solution à Un Seul Etat serait une panacée bien dangereuse à administrer à un patient en phase terminale. Très bien, alors : prescrivons-la graduellement !

Mais, pour l’amour du Ciel, épargnons-lui, à notre patient, ce remède extrêmement toxique que nous le forçons à ingurgiter depuis soixante ans, et qui est sur le point de l’achever !

Dans l’intérêt de la paix, il est primordial d’élargir nos recherches sur le paradigme sud-africain, ainsi que sur d’autres précédents historiques. A cause de notre échec, nous devons étudier attentivement toute autre lutte couronnée de succès contre l’oppression.

Toutes ces études historiques de cas montrent que la lutte à partir de l’intérieur du système et la lutte provenant de l’extérieur dudit système se sont renforcées mutuellement, et qu’elles n’ont jamais été mutuellement exclusives l’une de l’autre.

Même après que des sanctions eussent été imposées à l’Afrique du Sud, l’ANC a poursuivi son combat, et les Sud-Africains n’ont jamais cessé leurs tentatives visant à convaincre leurs compatriotes de renoncer au régime d’apartheid.

Néanmoins, aucune voix ne s’est élevée pour répondre à l’article d’Avnery, qui prétend qu’une stratégie de pressions extérieures serait erronée parce qu’elle affaiblirait les possibilités d’un changement interne [en Israël].
C’est d’autant plus choquant que l’échec du combat intérieur est absolument manifeste.

Même à l’époque où le gouvernement De Klerk était engagé dans des négociations avec l’ANC, le régime des sanctions à l’encontre de l’Afrique du Sud resta en vigueur.

De même, on peine à comprendre la raison pour laquelle Avnery minimise l’importance de l’opinion publique mondiale. Sans le soutien que cette même opinion publique mondiale accorda au mouvement sioniste, la Nakbah n’aurait pas eu lieu.

Si la communauté internationale avait rejeté l’idée du partage, un Etat unifié aurait succédé à la Palestine du Mandat, ce qui était, de fait, le souhait de la plupart des membres des Nations unies.

Toutefois, ces pays membres cédèrent devant une violente pression émanant des Etats-Unis et du lobby sioniste ; ils retirèrent leur soutien initial à une telle solution.

Et aujourd’hui, si la communauté internationale changeait à nouveau de position et reconsidérait son attitude envers Israël, les chances qu’un terme soit mis à l’occupation augmenteraient considérablement, ce qui pourrait aussi contribuer à éviter un bain de sang colossal qui menace d’engloutir non seulement les Palestiniens, mais aussi les juifs eux-mêmes.

L’appel à une solution à Un seul Etat, et l’exigence de sanctions, de boycott et de désinvestissements à l’encontre d’Israël, doivent être compris comme une réaction à l’échec de la stratégie précédente – une stratégie tenue à bout de bras par les élites politiques, mais que les peuples concernés n’ont jamais faite totalement leur.

Par conséquent, quiconque rejette la nouvelle manière de pensée, d’un revers de la main et d’une manière aussi catégorique est sans doute bien moins préoccupé par ce que cette nouvelle option pourrait avoir d’erroné qu’essentiellement inquiet au sujet de sa propre place dans l’Histoire.

Il est certes aussi difficile de reconnaître un échec personnel que de reconnaître un échec collectif ; mais dans l’intérêt de la paix, il est parfois nécessaire de mettre son propre ego de côté. Je tends à penser cela, quand je lis la narration fallacieuse concoctée par Avnery au sujet des "victoires" engrangées jusqu’ici par les diverses mouvances pacifistes israéliennes…

Il nous annonce que «la reconnaissance de l’existence du peuple palestinien est aujourd’hui générale, ainsi que la disposition de la plupart des Israéliens à accepter l’idée d’un Etat palestinien, Jérusalem devenant la capitale des deux pays». C’est là un cas manifeste d’amputation à la fois d’un bras et d’une jambe du patient afin qu’il puisse entrer dans le Lit de Sodome.

Plus tirée par les cheveux encore, sa déclaration selon laquelle "nous avons forcé notre gouvernement à reconnaître l’OLP, et nous le forcerons à reconnaître le Hamas" - dès lors que le reste des membres du patient ont été foutus à la poubelle (désolé pour cette métaphore macabre, mais c’est le langage choisi d’Avnery qui m’y contraint…)

Ces assertions ont peu à voir avec la position de l’opinion publique juive en Israël en matière de paix, de 1948 à nos jours. Mais certains faits peuvent, parfois, rendre le problème confus.

Toutefois, afin d’étouffer dans l’œuf tout débat sur la Solution à Un seul Etat, ou sur l’option BDS, Avnery tire de son chapeau de magicien la carte gagnante : "… mais, sous la surface des choses, dans les profondeurs de notre conscience nationale, nous marquons des points..."

Fournissons tout de même aux Palestiniens des détecteurs de métaux et des appareils à rayons X – cela leur permettra peut-être de découvrir non seulement le tunnel, mais même la petite lumière qu’il y aurait, au bout…

La vérité, c’est que ce qui se trouve dans les couches les plus profondes de la conscience nationale israélienne est encore bien pire que ce qui en émerge. Et espérons que cela restera immergé à jamais, et ne viendra jamais faire des bulles à la surface. Ce sont là des dépôts d’un racisme sombre et primitif qui, si on les laissait émerger, nous noieraient tous dans un océan de haine et de sectarisme.

Avnery, en revanche, a raison quand il affirme qu’ « il n’est pas douteux que 99,99 % des Israéliens veulent qu’Israël soit un Etat doté d’une robuste majorité juive, quelles qu’en soient les frontières ».

Une campagne de boycottage particulièrement bien faite ne changerait pas cette position du jour au lendemain, mais elle enverrait un message non équivoque à cette opinion publique-là, à savoir que ses positions sont racistes et inacceptables au vingt-et-unième siècle.

Sans les perfusions culturelles et économiques administrées à Israël par l’Occident, il serait bien difficile, pour la majorité silencieuse de ce pays, de persister à croire possible d’être à la fois un Etat raciste et un Etat légitime, aux yeux du monde entier.

Ils devraient choisir, et on peut espérer qu’à l’instar d’un De Klerk, ils prendraient la bonne décision.

Avnery est également convaincu qu’Adam Keller aurait dézingué avec grand succès l’argument plaidant en faveur d’un boycott en faisant observer que les Palestiniens des territoires occupés n’en sont pas partisans et ne s’y sont pas livrés.

C’est là, de fait, une comparaison ô combien subtile : un prisonnier politique est cloué au sol, et il ose résister ; comme punition, on lui refuse y compris la maigre pitance qu’on lui accordait jusqu’ici.

Sa situation est comparée à celle de celui qui a occupé illégalement sa maison du prisonnier et qui serait confrontée, pour la toute première fois, à la possibilité de se voir traîné en justice pour y répondre de ses crimes.

Qui a davantage à perdre ? Dans quel cas la menace est-elle la plus cruelle, et quand a-t-on déjà vu qu’il puisse s’agir d’un moyen acceptable de corriger une injustice passée ?

Il n’y aura jamais de boycott, affirme Avnery. Il devrait parler avec les vétérans du mouvement anti-apartheid en Europe.

Vingt ans se sont écoulés avait qu’ils soient parvenus à convaincre la communauté internationale de faire quelque chose. Et on leur avait dit, quand ils avaient entamé leur long périple : cela ne marchera pas, il y a trop d’intérêts économiques et stratégiques impliqués investis en Afrique du Sud.

De plus, ajoute Avnery, dans des pays comme l’Allemagne, l’idée de boycotter les victimes des nazis serait rejetée immédiatement. C’est tout à fait faux. L’action qui a déjà commencé en ce sens en Europe a mis fin à la longue période de manipulation de la mémoire de l’Holocauste.

Israël ne peut plus justifier ses crimes à l’encontre des Palestiniens au nom de l’Holocauste. De plus en plus de gens, en Europe, prennent conscience du fait que les politiques criminelles d’Israël bafouent la mémoire de l’Holocauste ; c’est la raison pour laquelle les juifs sont si nombreux dans le mouvement pour le boycott.

C’est aussi pour cette raison que la tentative d’Israël de lancer l’accusation d’antisémitisme contre les partisans du boycott n’a suscité que mépris et résilience. Les membres du nouveau mouvement savent que leurs motivations sont humanistes et démocratiques.

Pour beaucoup d’entre eux, leur action n’est pas seulement motivée par des valeurs universelles, mais aussi par leur respect pour l’héritage judéo-chrétien de leur histoire.

Il aurait mieux valu, pour Uri Avnery, mettre à profit son immense popularité en Allemagne afin de demander à la société allemande de reconnaître sa part de responsabilité non seulement dans l’Holocauste, mais aussi dans la catastrophe palestinienne et qu’au nom de cette reconnaissance, il ait demandé aux Allemands de mettre un terme à leur silence honteux devant les atrocités israéliennes dans les territoires occupés.

Un peu avant de conclure son article, Avnery esquisse les délinéaments de la solution à un seul Etat, mais totalement déconnectée de la réalité actuelle : il n’y inclut pas le retour des réfugiés, ni un changement de régime, composantes pourtant indispensables de cette solution, faisant de la réalité intenable d’aujourd’hui une « vision d’avenir ».

La réalité actuelle est à tout le moins une réalité pour laquelle il ne vaut vraiment pas la peine de se battre, et personne de mes connaissances, d’ailleurs, ne le fait.

Mais la vision d’une Solution à Un Seul Etat doit être l’exact opposé de l’état d’Apartheid qu’est actuellement Israël, à l’instar de l’Etat post-apartheid en Afrique du Sud ; et c’est la raison pour laquelle l’étude de ce précédent historique est tellement éclairante pour nous.

Il faut nous réveiller !

Depuis le premier jour où Ariel Sharon et George W. Bush ont proclamé leur soutien loyal à la « solution » à deux Etats, cette formule est devenue un moyen cynique grâce auquel Israël perpétue son régime discriminatoire à l’intérieur de ses frontières de 1967, son occupation de la Cisjordanie et la ghettoïsation de la bande de Gaza.

Quiconque empêche que s’instaure un débat sur des modèles politiques alternatifs ne fait que permettre au discours à base des deux Etats de couvrir les politiques criminelles d’Israël dans les territoires palestiniens.

De plus, non seulement il ne reste plus un seul moellon avec lequel bâtir un Etat dans les territoires occupés – Israël y ayant totalement détruit l’infrastructure, au cours des six années écoulées –, mais tout partage raisonnable n’offre aux Palestiniens qu’à peine 20 % de leur patrie.

La base d’un partage devrait être, au minimum, la moitié de leur patrie, en se fondant sur la carte de la résolution 181, ou sur une idée approchante.

C’est là, également, une piste utile à explorer, au lieu de s’empêtrer encore et toujours dans le salmigondis digne de Sodome et Gomorrhe résultant de la "solution" à deux Etats, jusqu’à ce jour, sur le terrain.

Pour conclure, rappelons que ce conflit ne saurait trouver de fin sans règlement du problème des réfugiés palestiniens.

Ces réfugiés ne peuvent retourner chez eux pour les mêmes raisons qui font que leurs frères et sœurs sont en train d’être expulsés du Grand Jérusalem et des régions affectées par le mur, et que leurs cousins sont discriminés en Israël.

Ils ne peuvent retourner chez eux pour la même raison qui fait que tout Palestinien est potentiellement menacé du danger d’être occupé et expulsé, tant que le projet sioniste n’aura pas été jugé achevé par ses champions.

Ils sont fondés à opter pour le retour chez eux, car c’est là leur droit humain et politique le plus absolu. Ils peuvent retourner chez eux parce que la communauté internationale leur a d’ores et déjà promis qu’ils le pourraient.

Nous, en tant que juifs, nous devons désirer leur retour car, sinon, nous continuerions à vivre dans un pays où la "valeur" de la supériorité ethnique et de la suprématie supplanterait toute autre valeur humaine et civique.

Et nous ne pouvons promettre une solution équitable et juste de cette nature dans le cadre de la formule à deux Etats.

Ni à nous-mêmes, ni aux réfugiés palestiniens.

(1) Lire l'article d'Uri Avnery "Le lit de Sodome", du 22 avril 2007
et certaines des réactions à cet article


Source : Hagada Hasmalit

Traduction : Marcel Charbonnier

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