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15 février 2009
Par Ass'ad Abou Khalil
Barenboïm est un adepte de la logique impérialiste classique selon laquelle l’homme blanc se charge, par le biais de l’occupation, d’éduquer, d’élever et de civiliser le peuple occupé. Barenboïm pourrait réunir des pianistes palestiniens et israéliens, mais seulement après la libération de la Palestine, pas pendant l’occupation ni au lendemain des massacres de Gaza.
Toutes les initiatives qui se déroulent à l’ombre de l’occupation et qui ne s’opposent pas directement à cette occupation, visent directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment (peu importe), à légitimer l’occupation et à en détourner les regards, comme si le peuple occupé pouvait oublier une seule seconde qu’il est occupé.
Les projets de Barenboïm se rapprochent de la conception de Anwar Sadate, pour lequel le conflit arabo-israélien résultait d’un "blocage psychologique" qu’il avait réussi à dépasser par sa visite de sinistre et misérable mémoire, sauf que le peuple égyptien a choisi de ne pas dépasser le blocage car la guerre pour lui est politique, nationale et idéologique (et, malheureusement, religieuse pour les Frères Musulmans) et non pas psychologique.
Les discours sur le blocage psychologique et les concerts rassemblant les deux peuples, en ce moment précis, visent une chose : faire accepter le fait accompli et prouver l’inutilité de toute lutte pour le changement.
En fait, les concerts et les danses réunissant des troupes palestinienne et israélienne cherchent à diffuser le mensonge selon lequel la douleur et l’oppression sont les mêmes des deux côtés, la preuve étant cette rencontre des intellectuels et des artistes.
Cette idée n’est pas nouvelle, on a déjà eu la comparaison de la situation des réfugiés palestiniens et des "refugiés" juifs des pays arabes, et plus récemment les traumatismes de la population de Sderot aussi sinon plus graves que ceux des Gazaouis, etc.
1) Que signifie le timing de la pétition de Barenboïm ? Rappelons qu’elle est rédigée en anglais et publiée dans le New York Review of Books, revue non lue dans le monde arabe et média privilégié des sionistes de gauche, qui étaient aussi enthousiastes pour la guerre contre Gaza que les sionistes de droite.
Pourquoi donc cette pétition justement après les massacres de Gaza ? Ses signataires auraient-ils vu dans l’agression contre Gaza une initiative de paix invisible à l’œil nu du commun des mortels ? Y auraient-ils pressenti une "chance pour la paix" tandis que les appels au transfert des Palestiniens de 48 et au nettoyage ethnique se multiplient ouvertement et tandis que le "camp de la paix" israélien est porté disparu, lui qui ne remplissait les rues que pour sauvegarder les intérêts d’Israël et du sionisme et jamais ceux de la Palestine ?
Les signataires de cette pétition ont donc choisi de décerner à Israël une récompense pour sa guerre contre Gaza, dans le même esprit que Yasser Abed Rabbo qui a déclaré que le danger provenait du Hamas et non de l’agression israélienne.
Le timing choisi par Barenboïm sert les intérêts d’Israël dans le sens qu’il protège sa réputation et qu’il enterre définitivement la résistance ; en vérité Barenboïm aimerait qu’on efface de notre mémoire les crimes d’Israël, à eux le souvenir, la mémoire et le rappel du passé, à nous l’oubli et l’enterrement de nos victimes en silence.
2) Comment Barenboïm et ses amis ont-ils réduit l’histoire du conflit à "quarante ans" seulement ? Sur quelle base Barenboïm et ses adeptes intellectuels arabes se sont-ils fondés ? Que se passait-il sur la terre de Palestine avant ces quarante ans ? Et qu’en est-il des guerres arabo-israéliennes d’avant cette période ? Avons-nous imaginé des choses ou étions-nous dans un long cauchemar dont nous ne sommes sortis qu’au moment où Daniel Barenboïm a commencé à jouer au piano dans notre région ?
On croyait que les adeptes de la réconciliation avec le sionisme voulaient qu'on oublie ce que nous avait fait Israël avant la guerre de 1967, et on découvre que les signataires de l’appel Barenboïm ont décidé que le conflit a commencé en 1969 !
Sommes-nous devant une nouvelle réécriture de l’histoire de notre lutte contre Israël après qu’Arafat ait décidé à Oslo que le conflit avait commence en 1967 ?
3) Pourquoi ce texte falsificateur de l’histoire parle-t-il de "conflit israélo-palestinien" ? Peut-on connaître la raison de cette qualification réductrice ? Est-ce une tentative de faire oublier l’aspect arabe du conflit et d’effacer les méfaits, occupations et agressions israéliens hors du territoire palestinien ? Est-ce ainsi que d’un coup de crayon, ou en l’occurrence d’une touche de piano, on fait disparaitre le conflit existant entre les Arabes et Israël ?
Quoi qu’il en soit, la substance de cette pétition réside bien dans la phrase "le conflit ne se résoudra pas par la force".
4) Quels sont les critères et les preuves des signataires de cette pétition ? Y a-t-il un seul argument pour étayer leurs prétentions ? Pourtant, à la lecture de l’histoire du conflit arabo-israélien sur plus d’un siècle, une seule conclusion indubitable s’impose : c’est par la seule force qu’Israël s’est incrustée (temporairement) dans notre région et c’est par la seule force qu’il a occupé les terres de Palestine et d’autres terres arabes et en contrepartie, c’est la force inverse qui seule a imposé la légitimité de la cause palestinienne dans le monde, le monde qui avait décidé (avec la connivence arabe évidente, aussi bien nassérienne, saoudienne, jordanienne que syrienne) d’ignorer le droit palestinien et de réduire la cause du peuple palestinien à un problème de "réfugiés" dans la résolution 242.
Mais c’est le déclenchement de la révolution palestinienne (et ce n’était pas une révolution de bougies et de chansonnettes) qui a tué jusqu’à ce jour toute tentative de zapper le caractère essentiellement politique de la cause palestinienne.
5) La fausse égalité entre les souffrances et le droit à la sécurité des deux peuples est une manœuvre sioniste néolibérale qui ne trompe personne et qui vise à mépriser les souffrances du peuple palestinien, comment est-il possible de répéter le refrain de la propagande sioniste sur "le droit des deux peuples à vivre en sécurité" après les massacres à Gaza ? Le refrain sur la sécurité a toujours été le moyen de transformer l’agresseur (qui accumule les armes de destructions massives) en victime.
6) Mais l’aspect le plus dangereux de cette pétition est l’appel à transcender le passé pendant que le présent de l’occupation, de l’agression et de l’injustice se perpétue, cet appel est un service rendu à l’occupation israélienne.
Transcender le passé ? Comment ? Les massacres de Gaza font-ils partie de ce passé qu’il faut transcender en vitesse ? Les intellectuels et les artistes signataires vont-ils nous appeler à transcender le passe après chaque agression israélienne contre un peuple ou une terre arabe ? L’un d’entre eux osera-t-il appeler à l’oubli du passé après une opération de la résistance en Israël ? Ou l’oubli du passé ne concerne-t-il que les agressions d’Israël ?
L' "oubli du passé" ne pourra être demandé qu’après la libération de la Palestine, pas avant.
Dans sa Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Marx parle des fleurs imaginaires qui enveloppent les chaines ; Barenboïm et les signataires de sa pétition aimeraient envelopper les chaines de l’occupation avec des airs de piano et des concerts symphoniques. De leur côté, les intellectuels de l’opposition et de la reddition essaient de faire croire à l’opinion publique arabe que la musique et l’art sont antinomiques avec la résistance.
Barenboïm devrait composer une symphonie intitulée "Musique sur les cadavres des enfants de Gaza" et nous autres, les Arabes, on devrait jouer de la musique, danser, chanter, peindre et dessiner, faire l’amour et les fous, contester et résister loin de la supervision et de la bénédiction du sionisme.
Article d'Ass'ad Abou Khalil : "A Daniel Baremboim : Prends ton piano et tire-toi", la pétition de D. Baremboïm et la liste des signataires.
Le texte de la pétition :
"Au cours des quarante dernières années, l’histoire a prouvé que le conflit israélo-palestinien ne pouvait pas être résolu par la force. Chaque effort, chaque moyen possible et ressource de l’imagination et de la réflexion doivent maintenant entrer en jeu pour aller de l’avant. Une nouvelle initiative qui dissipe la crainte et la souffrance, reconnaisse l’injustice faite, et conduise à la sécurité pour les Israéliens et les Palestiniens de la même manière. Une initiative qui demande la responsabilité commune à tous les côtés : garantir les droits et la dignité aux deux peuples, et garantir le droit de chaque personne à transcender le passé et aspirer au futur."
Texte initial et liste signataires sur la New York Review of Books.
Blog de As'ad Abou Khalil : Angry Arab.
Source : Al Akhbar
Traduction : Nadine Acoury
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Ass'ad Abou Khalil
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