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Bethléem - 2 novembre 2003
Par Ida Audeh
Publié en anglais le 29 octobre 2002.
Il ne faut pas seulement penser à la Paix ou en parler. Si vous la voulez, alors bougez-vous. Venez protéger des civils en temps de guerre. Allez à l'église de la Nativité, Soutenez-les et portez leur de la nourriture. Et beaucoup l'ont fait. Allez à Jénine alors que les massacres ont lieu. Et venez aider les Palestiniens à démanteler les systemes de contrôle. Enlevez les barrages routiers.
C'est la saison de la cueillette des olives en Palestine et au moins 120 activistes d'environ une dizaine de pays comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, le Japon, la Suede, l'Autriche, la Suisse, la France et l'Italie ont répondu à l'appel de l'International Solidarity Movement (ISM) et sont venus aider les Palestiniens à ramasser leur récolte.
Mais la saison n'a pas pris un bon départ. Des informations de Jayyous (près de Qalqilia), Aqraba, Inbus, Awartha et Beit Furik (dans le secteur de Naplouse) parlent de colons israéliens battant et tirant sur des Palestiniens.
Au moins, une personne a été tuée, il s'agit de Hani Yousef, un Palestinien d'Aqraba agé de 22 ans.
Dans certains cas, les colons ramassent les olives alors que les Palestiniens regardent, impuissants. L'armée israélienne ne fait rien pour empêcher cela. Depuis octobre 2000, des soldats et des colons israéliens ont passé au bulldozer, arraché ou brûlé environ 200 000 oliviers, des dommages s'élevant à 10 millions d'euros pour les fermiers palestiniens.
L'ISM, fondé depuis 2 ans, s'est lancé dans une confrontation active, engagée et non-violente face à l'occupation israélienne. J'ai interviewé le co-fondateur de l'ISM, Ghassan Andoni, qui donnait une conférence à Boulder, Colorado, lors de sa tournée aux Etats-Unis.
Question : Pourquoi se concentrer sur la cueillette des olives ?
Andoni : Aujourd'hui, la majorité des villageois palestiniens n'ont pas accès à leurs oliveraies. Elles sont soit voisines des colonies israéliennes et les colons israéliens n'hésitent pas à tirer s'ils les voient, soit dans des secteurs militaires fermés ou, alors, les villes sont encerclées et toute personne qui s'aventure à en sortir prend le risque de se faire tirer dessus. En Palestine, nous ne voulons par perdre la cueillette des olives pour deux raisons : La vie dans les villes et les camps de réfugiés est détruite. Si les villages palestiniens deviennent des blocs de béton, sans terre, sans oliveraies, alors ils deviennent des camps de réfugiés. Cela, nous ne le voulons pas.
De plus, la cueillette des olives est un défi, parce que nous allons dans des secteurs proches des colonies ou dans des secteurs annoncés comme " zones militaires fermées ". Les soldats et les colons tentent de nous arrêter ou de nous attaquer. C'est un défi auquel de nombreux villages palestiniens désirent participer. Dans les villages, nous pouvons convaincre la population à participer à la désobéissance civile et à la non-violence.
Question: Expliquez-moi ce qui vous a amené à la désobéissance civile et à la non-violence. Quel modèle de résistance non-violente suivez-vous ? Quelle est votre inspiration ?
Andoni : L'idée de la résistance non-violente à l'occupation est née en grande partie lors de la première Intifada (1987). Le Centre de Rapprochement à Beit Sahour a mené un mouvement de désobeissance civile et l'expérience de la résistance fiscale a inspiré beaucoup de personnes dans la ville, qui ont constaté que la non-violence pouvait être aussi efficace.
Quand la deuxième Intifida a débuté, la population a de nouveau commencé à penser à évoluer vers la résistance non-violente. Nous pensons que la résistance non-violente peut pousser des personnes non engagées à le devenir. L'occupation tente de tuer l'esprit de la résistance. Nous n'avons pas voulu que cela arrive chez les Palestiniens, et nous n'avons pas voulu que cela devienne un combat entre quelques centaines d'idéalistes et l'armée d'occupation. Cela serait définitivement une cause perdue. Le problème est que nous ne sommes pas des centaines, nous ne sommes que quelques dizaines et nous pouvons facilement être abattus. Aussi la question de protection est immédiatement venue et c'est pourquoi les internationaux nous ont rejoints.
Les personnes qui ont éventuellement formé l' International Solidarity Movement (ISM) sont Huweida Arraf et Adam Shapiro à Ramallah, Neta Golan à Jerusalem et Hare, moi-même à Beit Sahour. Nous nous sommes rassemblés parce que nous étions engagés dans les mêmes types d'activité. Ce sont des efforts complètement individuels dictés par les événements sur le terrain. Nous n'essayons pas d'appliquer des choses que nous avons lues, nous apprenons seulement de nos propres expériences.
Question: Quelle est la priorité dans vos activités ?
Andoni : Notre priorité est la résistance active non-violente comme moyen de mettre en difficulté les outils du controle israélien et l'expansion de l'occupation : principalement les barrages routiers, les checkpoints et l'expropriation des terres. Sans ces éléments, il sera très difficile de maintenir l'occupation.
Vous ne pouvez pas défier le système de controle en tirant dessus. Mais si vous êtes capables d'enlever les barrages routiers ou de passer à travers sans tenir compte des ordres des soldats et si vous pouvez le faire collectivement et régulièrement, ils devront, soit faire venir encore plus de soldats pour les maintenir, soit ils devront abandonner. Cela rend l'occupation encore plus couteuse. Voici l'idée : au lieu que ce soient les Palestiniens qui s'adaptent à l'occupation, nous devons déplacer le fardeau imposé aux Palestiniens sur l'occupant en effectuant des actes de résistance. S'adapter à l'occupation tue la résistance. Notre approche est d'effectuer des actions qui sont considérées par l'occupant comme illégales et qui exposent aux punitions et aux risques. Vous devez décider de prendre un risque.
Si vous regardez avec attention, vous verrez que les personnes qui font la guerre sont fortement motivées, alors que les pacifistes sont timides, effrayés de prendre position parce qu'ils veulent apparaitre objectifs. Pourquoi ? Pourquoi les personnes qui font la guerre sont-elles aussi engagées et les personnes qui croient en la paix n'ont pas de tripes ?
L'ISM dit, il ne faut pas seulement penser à la Paix ou en parler. Si vous la voulez, alors bougez-vous. Venez protéger des civils en temps de guerre. Allez à l'église de la Nativité. Soutenez-les (ceux qui étaient assiégés dans l'Eglise) et portez leur de la nourriture. Et beaucoup l'ont fait. Allez à Jénine alors que les massacres ont lieu. Et venez aider les Palestiniens à démanteler les systemes de contrôle. Enlevez les barrages routiers.
Le barrage routier entre Birzeit et Ramallah est tenu par deux soldats, mais la route est utilisée par plus de 100 000 Palestiniens. A ce jour, personne ne l'avait affronté. Deux fois, des Palestiniens et des internationaux l'ont démantelé. Si cela est fait quotidiennement, ils devront faire venir des dizaines de soldats pour le conserver ou ils devront seulement l'oublier, parce qu'en fait le checkpoint est fait pour contrôler et non pas pour la sécurité. Les Israéliens augmentent leur contrôle sur nous et les Palestiniens doivent s'y soumettre.
Si les Palestiniens cessent de s'y soumettre et cassent le système de contrôle, alors Israël devra s'y soumettre. Israël ne peut pas obtenir la sécurité en enfermant et en affamant la population, en détruisant les communautés. La population doit bouger, doit vivre, doit travailler.
La première operation de l'ISM a eu lieu le 28 décembre 2000, environ 3 mois après le début de la deuxième Intifada. Plusieurs internationaux et des membres de Gush Shalom se sont rendu avec des Palestiniens au camp militaire situé aux abords de Beit Sahour. Ils sont entrés dans le camp militaire, demandèrent aux soldats de partir et installèrent un drapeau palestinien sur la tour. Les soldats ont été pris par surprise et dans l'esprit l'action était très bouleversante. A Gaza, 12 personnes ont été tuées lorsqu'elles ont tenté de mettre un drapeau palestinien sur la tour de Netzarim. A Beit Sahour, aucune vie n'a été perdue et les soldats sont restés impuissants, sans savoir quoi faire.
Question: Comment pourriez-vous décrire l'ISM ?
Andoni : Depuis le début, nous étions d'accord sur le fait de proposer des campagnes d'actions directes et que le mouvement serait international et palestinien. Ce doit être un mouvement dirigé par des Palestiniens et nous ne voulons pas que des internationaux viennent et décident à notre place. Nous avons également convenu que le mouvement serait décentralisé et que nous opérerions par consensus.
Une fois par mois, les principaux membres du groupe se rencontrent pour définir une stratégie, réfléchir au sujet des campagnes et décider où notre présence est indispensable. Les internationaux forment des groupes par affinités et travaillent ensemble. Nous ne leur disons pas exactement quoi faire. Nous devons leur donner les grandes lignes, telles que l'importance du déploiement sur Naplouse. Le principal objectif pour les internationaux est de s'installer dans les maisons des martyrs (ceux responsables des attaques-suicides) et d'empêcher leur démolition. Les membres du groupe s'asseoient, en discutent et la discussion s'achève lorsque tout le monde est d'accord.
En tant que mouvement, nous rejetons catégoriquement toute violence physique ou verbale et nous prenons des distances avec tout effort palestinien qui y a recours. Nous voulons nous conduire d'une certaine façon et nous ne violons pas nos règles fondamentales.
Question: : Quelle est votre capacité à impliquer les Palestiniens?
Andoni : Au début, les gens étaient sceptiques. Nous avons commençé un dialogue continu avec la population jusqu'à ce qu'ils acceptent que nous menions nos activités et qu'il n'y avait rien de suspect à ce sujet. Nous avons commençé à travailler en coordination avec différents groupes actifs dans différents secteurs pour organiser des campagnes, parce que nous ne voulions pas que l'ISM devienne une faction palestinienne de plus. Nous construisons un réseau d'activistes, aussi bien des personnes, des groupes et des organisations qui s'entendent pour travailler avec des groupes internationaux. Je pense que l'ISM est bien perçue. La population apprécie ce que font les volontaires internationaux. Notre but est que la population voit l'ISM non seulement comme quelque chose de positif mais surtout comme quelque chose à laquelle ils veulent participer.
Question: Défier une occupation militaire qui n'hésite pas à tirer comporte des risques substanciels. Comment pouvez-vous obtenir des personnes de surmonter leur peur?.
Andoni : Cela depend. Certains le peuvent, d'autres pas, et c'est pour cela que nous ne parlons pas d'un grand nombre. Nous pensons que cela se construit lentement, mais si vous vous souvenez de 1987, personne ne s'attendait à ce que les Palestiniens fassent quelque chose. Vous ne pouvez jamais prévoir quand des personnes prennent une décision collective, et nous espérons que cela arrivera rapidement. Nous espérons que cet exemple servira, que le travail effectué accélèrera le processus, que la population y participera et qu'il augmentera le nombre de personnes qui résisteront activement à l'occupation.
Question: Comment les incursions du printemps ont-elles changé votre travail ?
Andoni : Quand les incursions ont commence, nous aons essayé d'identifier qu'elles seraient les meilleures façons de mobiliser le mouvement en temps de guerre et nous avons réalisé que nous avions besoin de travailler sur le niveau de protection et de présence. Et c'est pourquoi nous avons commençé à déployer des internationaux dans les camps de réfugiés, dans les zones les plus dangereuses et que nous sommes entrés dans l'enceinte du palais présidentiel et de l'église de la Nativité pendant le siège. Les internationaux ont apporté de la nourriture, remonté le moral et étaient là pour témoigner, parce qu' il y avait de nombreux reportages médiatiques biaisés, des images qui arrivaient et faisaient état d'une prise d'otages. Je pense que ces deux incidents sont ceux qui ont rendu célèbre l'ISM.
Question: Combien d'internationaux pensez-vous avoir à tout moment ?
Andoni : Nous en avons beaucoup plus que ce qui était prévu. L'ISM s'est beaucoup développé sur une courte période. Le nombre dépend des campagnes. Quand nous avons une campagne, par exemple, lors de la campagne de liberté d'été, nous avons eu entre 70 et 100 personnes à tout moment sur la période de trois mois. Entre les campagnes, nous avons peut-être entre 20 et 40 personnes en permanence..
Question: Quelle est la relation entre l'ISM, les factions politiques palestiniennes et l'Autorité Palestinienne?
Andoni : L'ISM fait partie de la Campagne Civile Internationale pour la Protection du Peuple Palestinien ( GIPP ), mais en fait, les relations avec le GIPP n'ont jamais été claires. Nous avons un objectif différent : le GIPP fait beaucoup de choses sur la découverte de faits et de témoignages, alors que nous choisissons les actions directes. Vous devez être ouvert à tous, travailler avec différentes factions politiques. Mais nous avons nos propres règles. Nous ne travaillons avec aucun groupe en exclusivité et nous ne nous engageons jamais dans une quelconque action de violence. C'est un tabou.
L'ISM tient a garder ses distances avec l'Autorité Palestinienne. L'Autorité Palestinienne apprécie beaucoup l'ISM, spécialement depuis que nos membres sont allés dans l'enceinte du palais présidentiel et dans l'église de la Nativité lors des sièges. Mais nous avons toujours voulu garder nos distances. Nous n'avons jamais accepté leurs offres d'aide financière.
Question: Quelles sont les relations entre l'ISM et les groupes israéliens?
Andoni : L'ISM accepte les individus en tant que volontaires sans discrimination de couleur, de religion, de nationalité ou de quoique ce soit. Cela ne nous dérange pas de travailler avec des groupes radicaux israéliens, mais nous ne les invitons pas. Si nous avons une activité à Naplouss, c'est aux personnes de Naplouse d'inviter des groupes israéliens pour y participer. Nous agissons en invités, non en hôtes.
Question: Que pensez vous que le futur vous réserve?
Andoni : Les choses peuvent devenir pires. Nous pensions qu'un transfert massif forcé(nettoyage ethnique ) serait impossible, mais maintenant cela semble possible. Je pense que, dés que la guerre eclatera en Irak, Sharon ne cessera de penser à un pretexte pour réaliser un transfert massif. Parmi la population israélienne, les gens en parlent comme quelque chose étant inévitable, comme la seule solution. Quand vous sapez toute forme de coexistence, même celle de l'occupation, vous ouvrez la porte aux autres alternatives, y compris les alternatives fascistes.
Question: Avez-vous l'espoir que l'ISM pourra faire la différence.
Andoni : Chacun d'entre nous a une certaine foi dont il ne discute pas. Ce n'est pas nécessairement logique ou rationnel. J'ai une foi profonde dans les capacités de notre peuple. Je n'ai jamais cesser de croire dans sa capacité à se rétablir, même quand les choses vont vraiment très mal, quand le moral est au plus bas. Je crois que c'est ce que les Palestiniens ont fait en 1987. Si vous vous rappelez cette période, tout le monde était indifférent, nous ignorions même ce qui se passait autour de nous. Dans ma ville, les jeunes commençaient à faire la fête. Nous pensions que nous avions perdu cette génération, que l'OLP avait quitté le Liban, et que l'occupation semblait être là pour rester. Soudain, sans que personne ne s'y attende, l'Intifada est apparue. Vous ne pouvez pas forcer les gens à penser comme vous voulez qu'ils pensent, ça ne marche pas comme cela.
L'inconscient collectif des gens les pousse dans une direction. Vous devez avoir confiance dans le fait que cet inconscient collectif amènera la population à prendre la bonne décision au bon moment. Cela est arrivé si souvent et cela continuera d'arriver.
Les interviews d' Ida Audeh avec les survivants palestiniens de l'offensive du printemps 2002 lancée par Israël ont été publiés sous le nom : "Narratives of Siege: Eye-Witness Testimonies From Jenin, Bethlehem, and Nablus," Journal of Palestine Studies, Vol. 31, no. 4 (Eté 2002), 13-34.
Elle peut être contactée à : idaaudeh@yahoo.com.
Soutenir l'ISM : Nous avons besoin de votre aide par Ghassan Andoni
Source : www.counterpunch.com
Traduction : MG
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