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Jérusalem - 17 avril 2004
Par Aviv Lavie
Cet article est paru dans Ha’aretz le 17 avril 2004
"Le message qu'Israël cherche à envoyer aux Palestiniens qui veulent manifester dans la non violence est celui-ci : nous ne voulons par de ces manifestations-là" dit un Israélien qui participe aux manifestations. "C'est que nous préférons la lutte violente et que nous ne voulons pas leur accorder la légitimité d'une autre forme de résistance.
Pendant des années nous leur avons demandé pourquoi ils ne voulaient pas suivre le chemin tracé par le Mhatma Gandhi, mais quand c’est exactement ce qu’ils font, nous répondons avec des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes. Ce que nous sommes en train de faire c'est tirer sur le camp de la paix palestinien."
Répression violente par l'armée israélienne de la manifestation contre le Mur de l'Apartheid à Biddu le 17 avril dernier
On l’appelle «l’ Intifada contre le mur de séparation » – une manifestation civile sans armes – mais des centaines de Palestiniens ont été blessés ainsi que leurs supporters israéliens.
C’est maintenant une routine presque quotidienne. Tous les matins, les habitants des villages situés sur le tracé prévu du mur de séparation - d’Elkana en Samarie jusqu’à la périphérie de Jérusalem – se réveillent au bruit fortement métallique des bulldozers.
Aux aurores, la lourde machine gronde dans la zone, qu’entourent les gardes de la sécurité, l’armée et la police des frontière. Les villageois se rendent en force sur leurs terres, hommes et femmes, jeunes et vieux.
Ils s’installent en face des soldats, agitent des drapeaux, chantent et essaient d’aller jusqu’aux énormes machines ou s’asseyent par terre pour essayer de les bloquer. Et puis quoi ? Dieu seul le sait.
Certains parlent du 26 décembre 2003 comme d’un tournant. Ce fut ce jour-là qu’un militant israélien qui manifestait contre le mur, Gil Na’aarmati, a été visé et blessé par des soldats israéliens à Mas’ha, en Samarie.
« Ce qui est arrivé à Mas’ha, et le bruit que ça a fait, a frappé les Palestiniens » dit un Israélien qui a participé à certaines manifestations. « Ils ont compris qu’ils devaient s’organiser pour lutter contre le mur et que la lutte pouvait avoir un impact ».
Certains appellent ce soulèvement qui inclut une population civile de tous âges « intifada du mur » et la distinguent de celle, mieux connue, des organisations terroristes, avec attaques et combattants armés
L’Autorité Palestinienne n’a joué qu’un très petit rôle dans les évènements de ces dernières semaines. Bien que ce soit l’Autorité Palestinienne qui ait encouragé les Palestiniens à manifester contre le mur au moment où la Cour internationale de la Haye discutait de sa légalité en février, le soulèvement actuel a démarré de la base.
A certaines occasions, les manifestants palestiniens sont appuyés par des israéliens, qui s’organisent en groupes de quelques individus,voire des dizaines, et viennent principalement du Groupe Anarchistes contre le Mur, et par des militants internationaux pour la paix. Quand ces derniers sont là, ils réalisent aussi des documents vidéo sur les évènements.
Il est clair, après avoir regardé pendant des heures ces prises de vue, que les Palestiniens peuvent revenir à la méthode de manifestation de la première Intifada, mais que les Forces israéliennes de défense continuent d’avancer..
Des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes partent souvent contre des groupes de femmes âgées ou de lycéennes, et il est courant de voir des civils se sauver sous des balles en métal recouvertes de caoutchouc.
A une occasion – l’exception, pour autant que je sache – des soldats ont utilisé des tirs réels contre les manifestants, et ont tué trois habitants de Biddu, près de Jérusalem, et l’une des victimes était un jeune garçon de onze ans.
« On a eu un pépin à Biddu, une perte de contrôle » admet un officier supérieur de l’IDF.
Pourtant, on n’a pas entendu dire que quiconque ait été poursuivi en justice pour le fait que trois personnes ont payé de leur vie cette « perte de contrôle ».
Lutte légitime
Ce qui est sous-jacent avec cette forme nouvelle et populaire de lutte menée sans armes. Selon Ayid Murar, de Budrus – un village proche de Ben Shemen, où le tracé a été déplacé vers la Ligne Verte de 1967, dans le sillage des protestations des habitants et sous la pression diplomatique – les Palestiniens ont de bonnes raisons de coller à une lutte civile.
«Nous ne luttons pas contre les Juifs et ni contre les Israéliens, et pas même contre les soldats – nous luttons contre l’occupation » dit-il "nous ne voulons pas tuer aucune des deux que les populations".
L’occupation est un énorme problème, et les Palestiniens ne peuvent se colleter avec tout seuls. Ils ont besoin de l’appui des Etats arabes, des gouvernements mondiaux, et pour l’obtenir ils doivent adopter une méthode de lutte légitime aux yeux du monde. Nous percevons déjà, de la part du monde, un soutien grandissant et un intérêt plus grand pour ce qui a lieu ici.
Nous étions un phénomène marginal même dans la presse arabe, mais maintenant nous sommes de retour dans les gros titres ».
Murar et son frère, Naim, un ancien employé du Ministère palestinien de l’intérieur, maintiennent depuis des années des liens étroits avec les militants pacifistes israéliens.
Ils sont l’exemple remarquable d’une nouvelle classe de chefs locaux qui prennent des positions clefs et en pointe dans la lutte actuelle..
Israël, cependant, voit avec méfiance cette action. Début de janvier, les deux frères ont été détenus quelques jours par le service de sécurité du Shin Bet, au motif que « les documents des Renseignements leur attribuent une activité de soutien au terrorisme ».
Pourtant le système de justice militaire lui-même a rejeté cette histoire. La Cour militaire d’Ofer Camp a relâché Ayid au bout de quelques jours, en déclarant « il est hors de question pour le commandement militaire d’utiliser de son autorité pour ordonner la détention administrative (arrestation sans procès) de quelqu’un, uniquement pour son activité contre le mur.
C’est une décision malheureuse qui n’a rien à voir avec des considérations de sécurité ».
Un mois plus tard, le tribunal militaire du camp de détention de Ketziot a relâché Naim, statuant que le ministère public et le Shin Bet avaient induit la Cour en erreur en déclarant qu’il était impliqué dans des activités terroristes et a même ajouté que militer contre le mur n’est pas constitutif d’un délit passible d’arrestation.
Même s’il n’y a qu’à Buddrus que les manifestations ont réussi à faire changer le tracé du mur, Ayid Murar est convaincu que c’est la bonne voie. « Nous devons faire entrer tout le peuple palestinien dans la lutte contre l’occupation – femmes, enfants, personnes âgées – et ils ne faut pas qu’ils participent à une lutte violente » dit-il ;
« Mais ils peuvent participer à cette sorte de lutte, qui contribue aussi à l’unité de notre nation. Nous savons aussi que la lutte non-violente pèse d’avantage sur les Israéliens. Quand on a des gens armés et qui tirent, une seule jeep avec des soldats peut s’en occuper. Quand l’armée doit s’occuper de civils, elle doit mobiliser un plus grand nombre de soldats. Après tout, ils ne peuvent pas facilement ouvrir le feu contre eux, du moins je l’espère ».
Ghassan Andoni de Beit Sahour, au sud de Jérusalem, est l ‘un des fondateur de l’Internatinal Solidarity Movement (ISM), l’organisation de volontaires qui prône les manifestations non violentes et cherche à internationaliser la lutte contre l’occupation. Son idée gagne en popularité.
« Je ne suis pas d’accord avec l’idée que les manifestations non-violentes sont récentes. Elles existent en fait depuis décembre 2000 et ont pris la forme, par exemple, de démantèlements manuels de barrages. Mais il est vrai qu’elles sont bien plus répandues
maintenant » dit-il
« Je suis heureux que ça arrive, mais c’est encore trop passif, trop basé sur les réactions (immédiates). Les villageois ne vont manifester que lorsque les bulldozers sont là et non parce qu’ils ont conscience d’appartenir à la lutte globale contre l’occupation. La lutte devrait être globale et être incessante jusqu’à ce que le mur tombe. Le vrai test ce sera quand chaque village continuera de participer à la lutte même après la construction du mur. Jusque là, je ne peux pas dire que c’est un succès. ».
Un des militants de premier plan, à Hirbat, est Aziz Armani, 34 ans, qui après des années de travail en Israël parle couramment l’hébreu.
En réaction contre l’assertion que la lutte actuelle n’a pas enregistré de résultats impressionnants, il dit qu’il y a eu « des succès ici et là, même si ce ne sont pas de grands succès dont nous pourrions nous vanter. Nous affrontons une force immense, alors que nous-mêmes sommes dépourvus d’ aide et n’avons rien. Si ! la seule chose, c’est que nous sentons que nous faisons quelques chose – sinon pour nous-mêmes du moins pour les générations à venir.
Même si nous parvenons à faire déplacer le mur de deux mètres et à sauver quelques mètres de notre terre, ce sera quelque chose. Je pense que cette lutte nous donne énormément de force. Elle n’appartient à aucune organisation, ni au Hamas ou au Fatah et pas non plus au leadership de l’Autorité Palestinienne, elle n’appartient qu’au peuple.
Chaque village a un conseil qui est responsable et soucieux de faire que les manifestations ne tournent pas à la violence. Nous ne luttons pas contre les citoyens qui vivent à Tel Aviv – nous luttons contre les bulldozers ».
Des Israéliens contre le mur
Une des principales caractéristiques de la nouvelle forme de cette lutte c’est la coopération entre Israéliens et Palestiniens. Les Palestiniens ne ratent aucune occasion de faire savoir qu’ils veulent élargir une telle coopération parce qu’ils ont le désir d’influencer l’opinion publique d’Israël et plus spécialement parce que la présence d’israéliens, espèrent-ils, modère les réactions des soldats.
L’un des militants israéliens explique que l’inverse est aussi vrai. La présence d’Israéliens modère le côté Palestinien.
« Notre présence est une contribution importante à la non violence » dit ce militant « Nous poussons dans cette direction pendant les préparations de coordination qui précèdent les manifestations. Il est vrai que si quelqu’un lance une pierre nous n’arrêtons pas pour autant d’essayer de le convaincre, et il y a toujours quelqu’un qui le fera pour nous. Immédiatement, ils lui diront d’arrêter. On a le sentiment qu’ils veulent tenir la promesse qu’ils nous ont faites et ne pas nous mettre en danger ».
L’IDF voit l’implication d’Israéliens sous un jour différent ; le bureau du porte-parole de l’IDF a déclaré au Haaretz Magazine : « malheureusement une poignée de militants israéliens et étrangers qui créent des provocations sont des agitateurs qui transforment les manifestations en altercations violentes ».
Un soir, au cours des jours intermédiaires de Pesah (Pâque), j’ai reçu un appel de Yonatan Pollak, qui était bouleversé. Pollak, 21 ans, le fils de l’acteur hautement respecté, Yossi Pollak, est considéré comme le leader israélien de la lutte contre le mur (bien qu’en tant qu’anarchiste, il réfute cette désignation).
Grand, charismatique, confiant dans ses choix en dépit de son jeune âge, il a participé à de nombreuses activités de protestation et fait l’effet sur les soldats qui le rencontrent presque quotidiennement – d’un chiffon rouge sur un taureau.
« J’ai appelé parce que ces quelques jours, il y a eu deux incidents au cours desquels des manifestants israéliens ont failli être tués, Itai Levinsky et moi » a dit Pollak
«J’ai appelé parce que s’il y a quelque chose qui puisse empêcher cette dégradation, c’est que les médias en parlent. Mettons de côté les aspects politiques pour le moment et parlons de ce qui se passe sur le terrain presque tous les jours. Il y a une escalade graduelle mais constante de la part d’une partie de l’armée face aux civils qui prennent part aux manifestations, lesquelles sont fondamentalement non violentes.
Je passe énormément de temps dans les territoires et j’ai vu comment des émeutes et des manifestations sont réprimées la plupart du temps, mais ce qui arrive ici est quelque chose de nouveau. Mon sentiment c’est qu’il n’y a pas de règles. Ils tirent des balles en caoutchouc, lancent des gaz lacrymogènes, et tirent à leur guise dans les pieds et à la tête".
« Trois Palestiniens ont déjà été tués à Biddu, et le jour n’est pas loin où un Israélien aussi sera tué.
Evidemment, ce n’est pas pire pour un Iisraélien de se faire tuer que pour un Ppalestinien, mais ça illustre l’escalade de l’utilisation de la force. A chaque manifestation je m’adresse aux soldats par mégaphone et je leur dis que c’est une manifestation calme de Palestiniens, d’Israéliens et d’internationaux – et les balles sifflent à mes oreilles.
Au début, nous avons pensé que la présence des cameras pourrait les dissuader mais maintenant il n’y a rien qui dissuade les soldats. Je vous le dis. Quelqu’un va finir par mourir là ».
Peut-être est-il temps de rester chez soi quelques temps ?
Pollak : « Je suis un politique et je vais manifester. Il est n’est pas concevable que la réponse de l’Etat soit que je doive rester tranquille à la maison. Même si l’armée est convaincue que ce que nous faisons est de la provocation - quoique de mon point de vue, la provocation, évidemment, c’est la construction du mur sur la terre palestinienne - dans une démocratie vous avez le droit de faire de la provocation sans devenir une cible pour l’armée »
As-tu peur ?
«Terriblement. C’est pourquoi je te parle. Mais ça ne veut pas dire que nous allons cesser les manifestations. Nous continuerons, mais je ne pense pas que ce soit une raison pour que nous mourrions ».
Le frère aîné de Yonathan, Shai Carmeli-Pollak, un réalisateur de télé, a filmé les manifestations contre le mur et certaines images montrent un événement dramatique dont Yonathan a été le principal protagoniste - l’événement auquel il faisait allusion quand il a dit qu’il courait un danger mortel.
L’événement a eu lieu le 29 mars, à Beitunia, qui jouxte Ramallah.
Des soldats et des manifestants se sont rencontrés sur une route boueuse à l’entrée du village. Une jeep militaire a avancé et un groupe de manifestants, parmi lesquels Pollak, a essayé de l’empêcher de passer . Le conducteur, pourtant, a accéléré et foncé. Deux manifestants ont réussi à sauter de côté, mais Pollak, qui était au centre, s’est retrouvé sur le capot de la jeep.
La présence de « l’auto-stoppeur » n’a pas ému les soldats. La jeep a continué et même accéléré. Pendant 50 interminables secondes – la vidéo montre tout ça – la jeep a continué avec Pollak cloué sur le capot, s’agrippant à ce qu’il pouvait, et s’accrochant de toutes ses forces. Une vue du film montre que le véhicule faisait entre 30 et 60 km à l’heure. Il a roulé sur une douzaine de kilomètres, fait une volte-face et est retourné à son point de départ, où il a ralenti, et Pollak a pu sauter.
Conduire une jeep avec un manifestant à cheval sur le capot – et un Israélien de surcroît – fait-il partie des méthodes de l’IDF pour disperser les manifestations ?
Un officier supérieur répond que « nous voyons cet événement comme un pépin, une sérieuse entorse. Cet événement a fait l’objet d’une enquête et le conducteur va devoir démêler ça avec le Commandement Central, et il fera l’objet d’un procès ».
Une balle dans l’œil
Itai Levinsky dit qu’il reviendra à la lutte dès qu’ il sera remis. C’est Levinsky qui, le 26 décembre dernier, a sauvé la vie de Gil Na’amati après que Na’amati ait été visé et blessé par un sniper de l’IDF près de Mas’ha.
Alors que les soldats ne s’occupaient pas des manifestants blessées, Levinsky organisait une rapide évacuation de Na’amati en sang avec une voiture palestinienne et au checkpoint une ambulance israélienne les a rattrapés..
Na’amati avait perdu beaucoup de sang et est arrivé à l’hôpital dans un état grave. Les médecins ont dit à son père, Uri, le directeur du Conseil Régional d’Eshkol, que si l’évacuation avait tardé, ils n’auraient probablement pas pu sauver la vie de son fils.
Presque trois mois après, le 12 mars, c’est Levinsky qui terminait à l’hôpital. « Je suis venu manifester à Hirbata » se rappelle-t-il « la réaction de l’armée a été violente à l’extrême cette fois. Ils ont tiré des balles en caoutchouc comme des fous, même si la plupart des gens se sont rapidement allongés sur le sol dans les pierres.
Evidemment quand on est allongé par terre, ils n’y a pas de différence, qu’ils vous tirent dans la tête ou dans les jambes, parce que tout est à la même hauteur. J’étais en face et je parlais aux soldats avec le mégaphone, pour leur faire comprendre qu’ils y avait, aussi, des Israéliens, ce qui parfois les calme un peu.
C’est angoissant, mais que peut-on faire ? »
Cette fois, cependant, le mégaphone et l’hébreu n’ont pas servi de police d’assurance.
Levinsky a pris une balle en caoutchouc entre le nez et l’œil gauche.
« Soudain j’ai senti une terrible douleur autour de l ‘œil et du nez »
dit-il, « j’ai été blessé à l’œil, mais heureusement mon œil n’a pas été détruit, et le côté de mon nez a été totalement fracassé. Je me suis allongé sur le sol mais j’étais en point de mire . Une ambulance du Croissant rouge m’a amené au checkpoint et de là je suis allé à Tel Hashomer (Sheba médical Center)
J’ai été hospitalisé pendant dix jours et j’ai été opéré du nez, et comme ma vue est encore sacrement amochée, je vais aussi avoir besoin d’une opération des yeux. La vérité c’est que j’ai eu une sacrée chance, parce qu’une balle en caoutchouc qui entre dans l’œil peut atteindre le cerveau.
C’est vraiment un miracle que je sois en vie. Pour moi et pour Gili c’est une vraie chance que nous n’ayons pas été tués."
Le film tourné à la manifestation d’Hirbata – même si l’instant précis où Levinsky a été blessé n’ait pas été filmé – corrobore sa version des évènements. Les soldats ont tiré massivement sur des dizaines de personnes allongées sur le sol et qui cherchaient à s’abriter au milieu des pierres.
« Vers 6h du matin, dès que les bulldozers ont commencé à travailler, les villageois ont démarré une manifestation » raconte Raz Avni, 23 ans, un ancien kibboutznik qui vit maintenant à Tel-Aviv « Nous étions environ six Israéliens ce jour-là. Les soldats s’étaient rangés en face des manifestants et il y a eu des tas de jurons, de bousculades et de coups de poings et soudain les soldats ont rapidement fait demi tour, et ont commencé à tirer des balles en caoutchouc.
J’étais à côté d’Itai. Il a parlé dans le mégaphone « Ceci n’est pas une manifestation violente. Ne tirez pas ».
Soudain il crié. Je l’ai regardé - il était allongé par terre et son œil saignait. J’ai appelé les médecins du Croissant Rouge qui viennent à chaque manifestation. Ils ont mis plusieurs minutes à nous atteindre, parce que les tirs continuaient. Ils lui ont mis un pansement sur l’œil et l’ont évacué vers une ambulance sur une civière.
Levinsky 20 ans, a grandi à Ramat Efal et Holon et il vit maintenant dans le quartier populaire de Hatikva au sud de Tel-Aviv. Il n’a pas fait son service militaire. Il y a peu encore, il travaillait dans le bâtiment. Il prévoit de retourner manifester dès que sa santé le lui permettra. Un jour pendant Pesah, Un et Gil Na’amati – dont le genou brisé est toujours en voie de cicatrisation - sont venus dans le sud du pays voir celui qui a sauvé Gil et qui ensuite a lui-même été blessé.
« Que reste-t-il à dire ? » a résumé Uri Na’amati « Ca fend le cœur ».
Provocateurs
Comme dans toute querelle, ici, aussi, la dispute tourne autour de la question de savoir qui a commencé. Comment se fait-il que des manifestations que les organisateurs décrivent comme non violentes évoluent vers des situations qui font des dizaines de blessés, principalement en raison de l’usage massif de balles en caoutchouc ?
Un officier supérieur de l’IDF trouve inacceptable d’accepter la description champêtre d’une Intifada non violente. « Je ne connais pas de manifestation calme où les gens seraient là pour chanter et qui se termineraient pas des balles en caoutchouc que nous tirerions » dit-il,
"Nous avons nous-mêmes établi une ligne claire qui fait la part entre une manifestation et une émeute. Dès lors qu’il y a tentative d’attaquer l’équipement ou les soldats c’est une émeute, et alors notre réponse augmente."
"La mission telle que définie pour nous par l’échelon politique c’est de permettre la construction du mur, et aussi vite que possible, et si tous les jours un bulldozer est brûlé, le mur ne sera pas construit. Les instructions données aux forces sur le terrain sont claires. Les premières armes qui leur sont autorisées sont les grenades paralysantes et les gaz lacrymogènes.
Si ça ne sert à rien, nous recommandons d’arrêter les instigateurs et de porter plainte contre eux parce que, souvent, ça désamorce les choses.
Seulement si nous sommes allés jusqu’à la procédure et que les soldats continuent de recevoir des pierres – et de notre point de vue les pierres sont un danger mortel – l’étape suivante,c’est le tir de (balles) en caoutchouc avec l’autorisation d’au moins un commandant et le tir doit avoir pour cible un individu prédis, un instigateur chef que nous ne sommes pas parvenus à arrêter ».
Les prises de vue, dans bien des manifestations, prouvent qu’il y a un fossé entre ces instructions et leur application sur le terrain.
Maintes fois, la camera enregistre les soldats tirant ensemble et massivement contre des manifestants qui sont souvent à des dizaines ou des centaines de mètres.
Une chose est sure : les tirs ne sont pas dirigés conte un seul "instigateur". Comme pour les jets de pierres, il est difficile de dire ce qui a commencé en premier : les pierres ou les balles en caoutchouc. L'impression c'est que c’est différent selon les villages et les évènements.
"Dans certains cas, deux ou trois mômes lancent des pierre à 100m de distance et d'évidence, c'est symbolique et ne peut blesser personne" dit le Dr. Kobi Snitz, qui enseigne les mathématiques à l'université Ben Gourion du Neguev, et qui a pris part à de nombreuses manifestations.
"Parfois, il y a trois heures d'affrontements sans un seul jet de pierres, et soudain les soldats perdent leur calme – ils sont là en plein soleil pendant des heures, vous savez, et ils commencent à tirer des grenades paralysantes et des gaz lacrymogènes, et c'est l'enfer qui se déchaîne. Dans certains villages, il y a un comité qui essaie de surveiller les enfants, mais c'est difficile".
Snitz dit que l'escalade est le fait délibéré d'une stratégie – sinon à l'échelon politique, du moins au niveau décisionnaire de l'armée :
"Il y a maintenant des manifestations de centaines et de milliers de gens tous les jours. Celui qui met dix soldats sur un terrain comme ça et leur dit : Peu importe ce qui arrive (les manifestants) ne doivent pas s'approcher des bulldozers, sait ce qui va arriver".
Vous vous attendez à ce que les soldats fassent quoi ? – laisser incendier les bulldozers ?
Snitz : "un Etat correctement administré comprend que quand il y a de la résistance à un certain niveau politique, soit il pousse la violence et écrase la résistance, soit il s'assied et écoute. Naturellement, je pense que les soldats devraient refuser de faire ce qu'ils font , mais derrière ça, chaque commandant sur le terrain peut (informer ses supérieurs) par radio, quand il est en face de tant de gens, que sa mission est devenue impossible à exécuter à moins de vouloir tout faire sauter. Le problème, c'est qu'alors il ruine toutes ses chances de promotion.
Je parle souvent aux soldats sur le terrain et nombreux sont ceux qui disent qu'ils sont là parce que "Je n'ai pas le choix" ou "Que voulez-vous que je fasse" ou "Je sais, il y a quelque chose qui ne va pas, mais que puis-je faire ?".
Quand les officiers supérieurs parlent d’évènements sérieux comme de "pépins" ils transfèrent effectivement leur responsabilité sur chaque soldat".
Batailles légales
Au cours des dernières semaines "l'intifada du mur" a aussi beaucoup occupé la Haute Cour de justice. S’efforçant de jouer le jeu selon les règles de la démocratie israélienne, un certain nombre de villages ont porté plainte contre le tracé du mur. La plupart des plaintes sont toujours pendantes. L'avocat de presque tous les plaignants est Mohmmed Dahla, un citoyen israélien qui a son bureau à Jérusalem-Est.
Dahla résume les résultats de cette bataille juridique jusqu'à aujourd’hui : "En gros je peux dire que dans plus de 70% des tracés qui ont donné lieu aux plaintes déposées auprès de la Haute Cour , des injections provisoires ont été rendues interdisant la poursuite des travaux. Dans 15% d'autres cas le tribunal a autorisé l'Etat à continuer la construction, tout en faisant remarquer que si la plainte était reçue, l'Etat devrait restaurer le statu quo ante et dédommager les habitants. Et dans les quinze derniers pour cent des cas, la cour a autorisé la poursuite de la construction, irréversiblement".
Dans certains cas Dahla a porté plainte avec les villages palestiniens et les juifs des communautés voisines qui soutiennent le déplacement du mur des terres agricoles des villageois vers l'intérieur de la Ligne Verte.
Dans un seul cas comme celui-là, une plainte commune a été déposée par les habitants de Beit Suriq, un village situé au carrefour d'une crête de de Mevasseret Zion, une banlieue de Jérusalem et par 30 habitants de la banlieue.
Un nombre encore plus grand d'habitants de Mevasseret Zion, plus de six cents, ont signé une pétition pour soutenir le déplacement du mur à l'intérieur de la ligne verte et 50 d'entre eux ont rejoint les habitants de Beit Suriq dans une manifestation.
Un développement intéressant de ce procès est intervenu quand des requérants ont ajouté les noms de plusieurs généraux de l’IDF à la retraite du Conseil de la Paix et de la Sécurité, parmi lesquels Assaf Hefetz, Avraham Adan, Shaul Tivoli, et d'autres, qui sont récemment allés examiner des segments du tracé du mur et ont repoussé les affirmations des institutions de la défense selon lesquelles ce tracé n’a été t décidé qu’en tenant compte de la sécurité. Ce lien entre un groupe de vétérans conscients des besoins de sécurité et les villageois palestiniens est quelque peu surréaliste avec l'intifada en toile de fond, mais il résulte de la lutte contre le tracé du mur.
La semaine dernière, en plein encerclement par l'armée d'une maison de Biddu, les habitants ont appelé Dahla, qui s'est précipité au tribunal et a pu obtenir une injonction provisoire contre la démolition de la maison.
"C'est un processus intéressant" dit-il.
"C'est vivifiant pour le soulèvement populaire. Bon gré malgré, les habitants se sont impliqués là dedans parce qu'ils sont en train de perdre tout ce qu'ils ont. Ils comprennent que s'ils ne font rien ils finiront par vivre dans un ghetto sans leurs terres ni aucune source de revenus. La décision concernant un soulèvement non armé est une décision stratégique.
On peut constater dans tous ces endroits qu'il n'y a pas usage d'armes à feu, ni contre les soldats, et pas d’avantage contre les colonies voisines ou les israéliens qui habitent la colline à proximité. Peut-être en raison de leur emplacement – ce sont des endroits (dont les habitants) ont beaucoup travaillé avec les Israéliens, ou peut-être en raison de leur collaboration avec les gens de gauche, ou peut-être parce qu'ils ont compris que la seule guerre importante est la guerre pour gagner l'opinion publique israélienne ».
Pourtant, cette bataille est loin d'avoir réussi.
Trois ans et demi d'intifada et quelques 37 années d'occupation ont rendu l'opinion publique israélienne et ses institutions aveugles aux développements de l'autre bord, incapables ou pas désireux de prendre en compte ces complexités.
En vérité, l'IDF ne voit pas les manifestants comme des bandes armées mais dispersent les manifestants avec une force qu'ils croient propre à les persuader que même les manifestations non violentes sont inutiles.
Les médias ignorent presque complètement ces manifestations et c'est pourquoi il y a tous les jours une lutte aussi dangereuse, à laquelle ne participent pas plus de quelques dizaines d'Israéliens, rejoints parfois par des manifestants de mouvements comme Ta'ayush (l'organisation populaire de partenariat arabes-juifs) et Gush Shalom.
"Le message qu'Israël cherche à envoyer aux Palestiniens qui veulent manifester dans la non violence est celui-ci : nous ne voulons par de ces manifestations-là" dit un Israélien qui participe aux manifestations. "C'est que nous préférons la lutte violente et que nous ne voulons pas leur accorder la légitimité d'une autre forme de résistance. Pendant des années nous leur avons demandé pourquoi ils ne voulaient pas suivre le chemin tracé par le Mhatma Gandhi, mais quand c’est exactement ce qu’ils font, nous répondons avec des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes. Ce que nous sommes en train de faire c'est tirer sur le camp de la paix palestinien".
Oliviers et balles en caoutchouc
"Une manifestation de Palestiniens contre la construction (du mur) est une affaire pleined 'émotions – la terre, le travail, les oliviers – et quand les Israéliens, les internationaux et les médias s’y rejoignent, ça devient encore plus compliqué" dit un officier supérieur de l'IDF responsable du secteur où se sont produits la plupart des évènements de ces derniers mois. "Cette complexité trouve son expression dans la manière dont nous pouvons nous permettre de répondre, moralement et en terme de valeurs, sans oublier de tenir compte de l'image qu'en reçoivent le monde et la société israélienne"
Le tournant, dit un officier, a été pris quand on a tiré sur Gil Na'amati".
Le chef d'Etat Major a enquêté sur l'événement et a ensuite des instructions claires ont été prises. Ce qu’il y a de plus significativement changé, quand des Israéliens sont sur le terrain, ce sont les principes (avant d’ ouvrir le feu). Nous essayons de faire beaucoup intervenir la police et d'envoyer le sujet devant les tribunaux.
J’entends dire que les Palestiniens appellent ça "manifestation pacifique" mais il me semble que nous avons là un vide conceptuel. Quand des Palestiniens jettent des pierres, ils voient ça comme une manifestation pacifique. Et je ne parle pas d'une seule pierre. C'est important de souligner que lors de la manifestation de Beit Lakiya, il y a eu aussi des tirs ; nous avons arrêtés le groupe qui avait tiré, même s'il est vrai que ça n'a été qu'un cas unique;
"Je ne dis pas qu'il n'y a pas de pépins; Un soldat est dehors pendant des heures et il se fait insulter. Tous ne sont pas de pierre et parfois même des commandants perdent leurs nerfs. Il y a des conflits, ce n'est pas neutre.
Dans les conflits verbaux, les gens aussi peuvent dire des choses qu'il ne devraient pas.
Certains d'entre eux traitent les soldats de "nazis" ou de "fils de pute" surtout s'ils sont Israéliens et les soldats perdent leur sang froid et les traitent de "collaborateurs". Les instructions sont qu'on doit essayer de mettre un terme à l'incident et faire aussi peu de victimes que possible, et dans bien des cas, la manière de mettre fin à un incident, c’est d'arrêter l'instigateur chef".
Comment définissez-vous un instigateur ?
L'officier : "C’est quelqu'un qui utilise un mégaphone, fait campagne, essaie d'atteindre l'équipement (de construction). Dans la plupart des cas, quand nous essayons d'arrêter ces gens, l'événement tourne à la violence, avec des pierres et autres.
Vous devez vous rappeler que l'intérêt des participants est que la manifestation ne se déroule pas dans le calme.
Ils veulent que l'on parle de l'événement, que les gens disent qu'il y a eu une manifestation au cours de laquelle ceci ou cela est arrivé
Nous essayons avec force de nous restreindre, mais vous devez vous rappeler que quand il y a un danger mortel, il y a aussi une question de perception subjective ; se trouver parmi des centaines de Palestiniens à Beitunia, sur les flancs de Ramallah, ce n'est pas comme marcher dans Tel-Aviv. On se sent menacé.
"Il ne fait aucun doute que la situation au cours de la période récente nous pose dilemme. Si on vous tire dessus, pas de dilemme, c'est noir et blanc, vous savez ce qui vous reste à faire. Dans les évènements dont nous sommes en train de parler, et qui arrivent presque tous les jours, il y a beaucoup de gris".
Source : www.palsolidarity.org
Traduction : CS pour ISM-France
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9 novembre 2021
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Interviews
17 avril 2004