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Palestine - 9 septembre 2003
Par Louis Farshee
Cette année, le 17 septembre tombe un mercredi. En 1948, c’était un vendredi. En fin de matinée de ce jour-là, il y aura bientôt cinquante-cinq ans, un DC-3 blanc, portant le symbole de la Croix Rouge Internationale, atterrissait sans encombre à Kalandia, un aéroport civil arabe, au nord de Jérusalem. A bord de cet avion avait pris place le Comte Folke Bernadotte, un Suédois. C’était le médiateur envoyé en Palestine par les Nations Unies.
Depuis le 19 novembre 1947 – jour où l’Assemblée générale des Nations Unies avaient adopté la Résolution 181 recommandant le partage de la Palestine entre deux Etats séparés (juif, et arabe) – la guerre civile faisait rage, en Terre sainte. Au début du printemps 1948, il était devenu évident pour tout le monde que les rêves illusoires d’une conformation à la résolution internationale historique s’étaient évaporés dans les fumées des canons de l’acrimonie. Tandis que la violence ne faisait qu’empirer, toutes sortes de propositions pour mettre un terme au conflit étaient mises en débat aux Nations Unies.
Le 14 mai 1948, dernier jour du Mandat britannique en Palestine et veille de la déclaration d’indépendance d’Israël, Folke Bernadotte fut nommé Médiateur pour la Palestine. Sa mission était herculéenne : faire cesser les combats et superviser la mise en application de la Résolution de partage.
Bernadotte s’était illustré par son action humanitaire à la direction de la Croix Rouge Internationale durant la Seconde guerre mondiale. Une de ses actions, en particulier, lui valut une immense popularité : dans les dernières semaines de la guerre, il facilita et organisa la libération de milliers de juifs, de chrétiens et de prisonniers de guerre alliés des camps allemands de concentration et de détention de prisonniers de guerre.
Neveu du Roi de Suède, parlant couramment six langues, il était mondialement respecté en tant que bienfaiteur humanitaire honorable et efficient, d’une totale neutralité politique. Sa candidature à la responsabilité de Médiateur avait été proposée par les Etats-Unis, et sa nomination avait été votée à l’unanimité.
Durant ses quatre mois de médiation, Bernadotte fit la navette entre les capitales arabes. Il se rendit sur les lieux d’affrontements et dans les camps de réfugiés palestiniens. Il rencontra des responsables de tous les camps antagonistes, réussit à obtenir deux accords de cessez-le-feu, soumit deux rapports aux Nations Unies, proposant des recommandations en vue de la résolution du conflit. Ce programme échevelé ne l’empêcha jamais de coucher ses observations quotidiennes dans son journal personnel, dans lequel on peut lire ses réflexions et aussi, de temps en temps, ses indignations acerbes devant la belligérance israélienne.
Après l’atterrissage à Kalandia, Bernadotte et ses accompagnateurs se rendirent en voiture à Jérusalem, où ils rencontrèrent les Observateurs de la Trêve, des Nations Unies, après quoi ils inspectèrent plusieurs sites proposés pour la construction d’un nouveau quartier général. Jusque-là, en effet, Bernadotte et son équipe opéraient depuis l’Hôtel des Roses, situé sur l’île grecque de Rhodes, laquelle était, à ses yeux, beaucoup trop loin de la zone de guerre.
Après avoir rencontré les observateurs de la trêve et visité quelques emplacements possibles pour le bâtiment du quartier général, le convoi de Bernadotte, composé de trois voitures, entra dans le quartier Katamon (de Jérusalem). Chaque voiture arborait les drapeaux des Nations Unies et de la Croix Rouge. Personne, dans ce convoi, n’était armé, et Bernadotte avait refusé, à plusieurs reprises, le gilet pare-balle qu’on lui proposait.
Le Katamon, sous contrôle de l’armée israélienne, était presque désert. Les habitants chrétiens de cette partie de Jérusalem naguère encore aisée avaient été expulsés à la pointe des baïonnettes par les forces armées sionistes, fin avril.
Peu après avoir franchi un checkpoint de l’armée israélienne, le convoi fut arrêté par une jeep qui lui interdisait le passage. Trois hommes armés, revêtus de l’uniforme de l’armée israélienne, surgirent de cette jeep, arrosant les trois voitures de leurs balles. Bernadotte fut abattu à bout portant. Six rafales (au minimum) d’une mitraillette Schmesseir l’atteignirent au bras gauche, à la gorge et à la poitrine. En quelques secondes, tout était terminé. Bernadotte venait de quitter ce monde.
Dans la voiture du Médiateur, sur la banquette arrière, avaient pris place : Bernadotte, à droite ; le colonel français André Sérot, chef des observateurs des Nations Unies à Jérusalem, au milieu, et le général suédois Aage Lundstrom à gauche. Lundstrom était chef de la supervision de la trêve en Palestine, et représentant personnel de Bernadotte.
Sérot avait insisté pour qu’on l’autorise à s’asseoir à côté de Bernadotte durant cette partie de leur parcours, afin de pouvoir le remercier personnellement d’avoir secouru sa femme, internée au camp de concentration de Dachau, en 1945. D’après Sérot, son épouse devait la vie à Bernadotte. Les assassins, prenant Sérot pour Lundstrom, qu’ils avaient planifié de liquider en même temps que Bernadotte, le tuèrent, lui aussi.
Dans leur déclaration dactylographiée, reconnaissant leur responsabilité dans le double assassinat, les tueurs demandent qu’on veuille bien les excuser d’avoir abattu Sérot « par erreur ». Quant à Lundstrom, sorti indemne de l’embuscade, il a laissé une déposition écrite qui est un document primordial. Il figure en Appendice I du journal personnel de Bernadotte, publié à titre posthume, sous le titre « Vers Jérusalem ».
A l’exception notable des assassins, de leurs complices et de leurs commanditaires, l’assassinat de Bernadotte suscita une condamnation universelle. Suspectant que le Lehi, connu également sous le nom de Groupe Stern, était à l’origine du double assassinat, le Premier ministre israélien David Ben-Gourion ordonna que ses membres fussent recherchés et leur organisation dissoute. Les quatre tueurs étaient bien, en effet, des hommes du Groupe Stern : trois tireurs et un chauffeur. Ils furent identifiés, et leurs noms figurent dans le livre de Kati Marton, « A Death in Jerusalem » [Mort à Jérusalem] . Les trois tireurs étaient Yitzhak Ben-Moshe, « Gingi » Zinger et Yehoshua Cohen. C’est ce Cohen qui a tué Bernadotte. Le quatrième larron était Meshulam Makover, le conducteur de la jeep.
Des trois dirigeants du groupe Stern – qui avait envoyé les tueurs en mission – Israël Eldad, Natan Yalin-Mor et Yitzhak Shamir, seul Yalon-Mor passa en jugement, en même temps qu’un autre membre du gang, Mattiyahu Shmulovitz. Ils furent condamnés non pas pour avoir assassiné Bernadotte, mais pour appartenance à une organisation terroriste. Après leur inculpation, Yalon-Mor et Shmulovitz bénéficièrent d’une amnistie générale décrétée par Ben-Gourion. Ils n’étaient en prison que depuis deux semaines. Dans son livre, Kati Marton note : « … aucun des membres du gang des tueurs de Bernadotte n’a passé ne serait-ce qu’une seule nuit en prison : ils n’ont même pas été assignés à comparaître devant un tribunal. »
La suite des événements en Israël, après l’assassinat de Bernadotte, allait démontrer que le fait pour un Israélien d’appartenir au groupe Stern ne représentait nullement une flétrissure à sa bonne réputation. Bien au contraire : c’était un atout pour l’avancement de sa carrière. Ainsi, Natan Yalin-Mor fut élu député à la Knesset (le parlement israélien). Le tireur, Yehoshua Cohen, devint le garde du corps personnel de Ben-Gourion. Quant à Yitzhak Shamir, il succéda à Menahem Begin au poste de Premier ministre en 1983.
La version définitive du Plan Bernadotte fut avalisée par les Etats-Unis qui présentèrent au vote la Résolution 194, laquelle fut adoptée par les Nations Unies le 11 décembre 1948. Entre autres choses, elle préconisait le rapatriement des réfugiés palestiniens, ou, à défaut, leur dédommagement. Dès ses premiers jours en Palestine, Bernadotte avait pu constater de visu le calvaire des réfugiés palestiniens et il ne cessait d’évoquer ce problème. Dans son rapport et ses recommandations finales, il écrivait que le sort incertain des réfugiés palestiniens représentait le plus grave obstacle à la paix.
Le gouvernement israélien rejeta la Résolution 194, qu’il déclara « obsolète » en 1965. Plus récemment, les Etats-Unis lui emboîtant le pas, ont cessé de la soutenir. De toute évidence, la Résolution 1964 a été avortée en raison de l’intransigeance israélienne, de l’indifférence américaine, de la mauvaise volonté des Nations Unies à en imposer la mise en application et, enfin, de l’assassinat de Bernadotte.
En déviant de la Première Feuille de Route pour le Moyen-Orient, les Etats-Unis venaient de créer un précédent fâcheux, qui allait entraîner le rejet de toutes les Feuilles de Routes suivantes, y compris l’initiative en cours et moribonde née de George Bush.
Article paru dans le Point d'information Palestine
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Source : http://yellowtimes.org/
Traduction : Marcel Charbonnier
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