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Syrie - 10 septembre 2013
Par Georges Corm
Historien et économiste, spécialiste du monde arabe, Georges Corm (1) décrypte les risques d’une intervention armée en Syrie pour la région, le rôle des différentes puissances, comme l’Arabie saoudite, Israël, l’Iran, et le jeu des alliances.
Deux jeunes femmes, afghane et irakienne, pendant la mobilisation hostile à une intervention en Syrie devant le Capitole, à Washington le 7 septembre 2013.
Quel impact peut avoir une intervention en Syrie, même présentée comme rapide et courte ?
Georges Corm. On ne peut vraiment pas savoir car cela dépendra de l’ampleur de cette attaque. Si elle est courte, en principe elle peut passer sans qu’il y ait de riposte pouvant dégénérer en affrontements plus larges. En revanche, si elle est ravageuse en termes de vies humaines, comme cela est très possible à constater la concentration de forces militaires à haut pouvoir de destruction, on ne sait pas ce qui peut se passer. D’ailleurs, le régime pourrait en sortir renforcé, contrairement à l’objectif recherché.
Dix ans après l’Irak, et devant un tel échec, pourquoi les puissances du Nord (France, États-Unis, Grande-Bretagne, Canada...) sont-elles prêtes à prendre à nouveau le risque d’une nouvelle guerre dans la région ?
Georges Corm. L’Occident politique sous la conduite des États-Unis est pris d’une fièvre guerrière étonnante depuis la chute de l’URSS, qui le fait bombarder ou envahir ou dépecer des pays souverains avec un appétit insatiable et la farce d’arguments moraux ou de défense tellement sélective des droits de l’homme. C’est un phénomène très peu analysé.
Le côté va-t-en-guerre des dirigeants américains, français et britanniques peut-il s’expliquer par leur alliance avec les Émirats ?
Georges Corm. Non, le côté va-t-en-guerre n’est pas dû à une nouvelle alliance avec les monarchies et principautés de la péninsule arabique, exportatrices de pétrole. Celle-ci existe depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Mais le flux de pétrodollars influe depuis longtemps sur l’opinion et une partie des élites politiques européennes, ainsi que sur les médias. L’Arabie saoudite et Israël sont les deux États clients principaux des États-Unis. Ils sont eux-mêmes à la source des déstabilisations de la région : Israël du fait de la colonisation continue de ce qui reste de territoires palestiniens ; l’Arabie saoudite par la formation d’imams wahhabites qui exportent cette forme extrême de rigorisme islamique. L’Europe est totalement “atlantisée” sur le plan de sa politique extérieure dans le monde musulman. Les deux grands alliés des États-Unis fournissent ainsi le prétexte des interventions. On peut aussi y ajouter le Pakistan dont l’armée et les services secrets sont proches des talibans.
Le risque régional est-il encore plus grand pour des pays comme l’Irak et le Liban avec la reprise des attentats à Tripoli et à Beyrouth ?
Georges Corm. Pour l’Irak, les attentats meurtriers qui visent presque tous des quartiers urbains chiites ne font qu’augmenter sans que le gouvernement ait les moyens d’y mettre fin. Au Liban, le phénomène du « takfirisme » (2) est relativement récent et a pris beaucoup d’ampleur depuis la crise syrienne à laquelle il est lié. Dans les deux cas, l’impression donnée est celle d’une guerre entre sunnites et chiites qui cache, en réalité, la lutte entre deux axes géopolitiques : celui qui défend la prépondérance américano-israélienne, saoudienne et turque au Moyen-Orient, d’un côté, et celui qui conteste cette prépondérance et qui, aujourd’hui, regroupe l’Iran, la Russie, la Chine, le régime syrien et le Hezbollah libanais et ses alliés locaux qui se recrutent dans toutes les communautés libanaises, de l’autre côté. C’est une bataille titanesque qui se joue aujourd’hui principalement en Syrie, plus accessoirement en Irak et au Liban.
L’utilisation systématique de la guerre pousse-t-elle à de nouvelles guerres froides et à une stratégie de bloc contre bloc comme au temps de l’URSS ?
Georges Corm. Bien sûr, nous sommes revenus à l’équivalent d’une guerre froide avec de nombreux points ou abcès de fixation de plus en plus chauds et la question iranienne peut déraper à n’importe quel moment comme celle de la Syrie. À l’autre bout du monde, en Extrême-Orient, l’affirmation de la puissance chinoise raidit les positions japonaises. Mais en fait, c’est l’ardeur guerrière occidentale qu’il faut analyser et calmer. Que l’on se rappelle des millions d’Européens qui ont manifesté contre l’invasion de l’Irak sans que cela n’influe sur la décision américaine. L’Europe est donc totalement « atlantisée » ou « otanisée » sur le plan de sa politique extérieure, depuis la dernière opposition franco-allemande et belge à la décision américaine d’envahir l’Irak. Cela a été un bien éphémère sursaut d’indépendance vis-à-vis des États-Unis.
(1) Auteur de Pour une lecture profane des conflits, 2012, Editions La Découverte.
(2) Le takfirisme désigne des groupes salafistes armés particulièrement violents et cruels. La plupart sont armés et financés par l’Arabie saoudite, et les émirats du Golfe.
Source : L'Humanité.fr
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