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Turquie -

Homme fort de l’Europe, la Turquie a cette vigueur qui fait si terriblement défaut à l’Union européenne

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En cette fin de première décade de ce nouveau siècle, nous pouvons observer la manière dont le centre de la puissance s’est déplacé, dans la politique mondiale. Le G20 fait suite au G7 en tant que superviseur de l’économie globale. Le besoin de restructuration du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies afin de le rendre plus représentatif de l’ordre international est pressant. Et des puissances émergentes telles que le Brésil, l’Inde, la Turquie et d’autres jouent des rôles très affirmés dans l’activité économique mondiale.

Homme fort de l’Europe, la Turquie a cette vigueur qui fait si terriblement défaut à l’Union européenne

L’Union européenne ne saurait être la seule région restant à l’écart de ces changements intervenus dans l’équilibre des pouvoirs. La crise financière a mis à nu le besoin qu’a l’Europe d’un plus grand dynamisme et de changement : les marchés du travail et les systèmes de sécurité sociale européens sont dans un état comateux. Les économies européennes stagnent. Les sociétés européennes sont bien près d’être des sociétés gériatriques. Comment l’Europe pourrait- elle conserver sa puissance et sa crédibilité dans le nouvel ordre mondial sans apporter une solution à ces problèmes ?

Sur ces entrefaites, en tant que candidate à l’appartenance à l’Union européenne, la Turquie a marqué la scène mondiale de son empreinte grâce à son développement économique impressionnant et grâce à sa stabilité politique. L’économie turque est celle qui connaît la croissance la plus rapide en Europe, et cela continuera à être le cas en 2011. Selon les prévisions de l’Organisation pour la Coopération Economique et le Développement (OCDE), la Turquie sera la deuxième économie européenne aux environs de 2050. La Turquie représente un marché où l’investissement étranger direct peut obtenir des retours sur investissement dignes d’un marché émergent, pour un risque minime de pays développé. La Turquie rayonne de cette vigueur qui fait si cruellement défaut à l’Union européenne.

Et cela ne concerne pas seulement l’économie. La Turquie est en train de devenir un acteur mondial et régional grâce à sa politique soft. Elle est en train de redécouvrir son voisinage, un voisinage qui n’a été que trop négligé depuis des décennies. Elle est en train de suivre une politique étrangère proactive depuis les Balkans jusqu’au Moyen-Orient et jusqu’au Caucase. La politique « zéro problème, commerce sans entraves » qui est celle de la Turquie avec les pays de la région au sens large vise à créer un havre de stabilité non dogmatique pour nous tous. Nous avons supprimé les visas sur les déplacements de citoyens originaires de soixante-et-un pays. Il ne s’agit nullement de je ne sais quel trop néo-ottomanisme romantique. Non, c’est de la realpolitik, fondée sur une nouvelle vision de l’ordre mondial. Et je suis persuadé que cette vision aidera l’Union européenne, aussi, durant la décennie à venir.

Nos efforts diplomatiques intensifs ont porté leurs fruits en Irak et en Afghanistan, dans les Balkans et également en ce qui concerne le programme nucléaire iranien. La Turquie a été un acteur actif dans toutes les aires majeures de la politique mondiale et nous n’avons nullement l’intention de relâcher notre effort. Une fois devenue membre de l’Union européenne, la Turquie contribuera aux intérêts européens dans un très large éventail de considérations allant de la politique étrangère et de la politique économique à la sécurité régionale et à l’harmonie sociale.

Bien que le dossier d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne coule de source et ne requière qu’un minimum d’explications, le processus de son accession a été confronté à une résistance orchestrée par certains pays membres. Malheureusement, le processus de négociations ne se déroule pas, actuellement, comme il conviendrait. Dix-huit, sur vingt-deux chapitres de ces négociations demeurés pendants sont bloqués pour des motifs politiques. Cela est en train de prendre la tournure d’une sorte d’intrigue byzantine qu’aucun pays candidat à l’adhésion n’avait jamais connue par le passé. En cela, la Turquie est un cas unique.

Nos amis européens feraient bien de prendre conscience du fit que les relations entre la Turquie et l’Union européenne sont en train de se rapprocher très rapidement d’un tournant. Au cours des récentes vagues d’élargissement, l’Union européenne a peu à peu accueilli en son sein des pays relativement petits et des économies relativement faibles afin d’en booster la croissance, de consolider leur démocratie et de leur fournir une certaine protection. Ne pas les avoir admis serait revenu à laisser ces pays à la merci du maelström politique qui risque d’émerger dans la région. Aucune considération de ce type n’a jamais été offerte à la Turquie.

Contrairement à ces pays, la Turquie est un acteur régional et un acteur international disposant d’un éventail en expansion de puissance intellectuelle et d’une économie forte et résiliente. Et pourtant, le fait que la candidature turque puisse être repoussée sans que cela ne lui pose le moindre problème n’est pas une raison pour qu’elle soit exclue. Parfois, je me demande si ce ne serait pas la puissance de la Turquie qui serait le principal empêchement à son accession à l’Union européenne ? Si tel est bien le cas, l’on ne peut que s’interroger sur les calculs stratégiques que fait l’Europe ?

Cela fait désormais plus d’un demi-siècle que la Turquie a frappé, pour la première fois, à la porte de l’Europe. Par le passé, la vocation européenne de la Turquie était purement économique. La Turquie d’aujourd’hui est différente. Nous ne sommes plus un pays enclin à attendre devant la porte de l’Union européenne à la manière d’un mendiant docile.

D’aucuns prétendent que la Turquie n’a pas de réelle alternative à l’adhésion européenne. Cet argument tiendrait, à la rigueur, si l’on tient compte du niveau d’intégration entre la Turquie et l’Union européenne, et en particulier du fait qu’une Europe libérale et démocratique a toujours été une incitation aux réformes en Turquie. Toutefois, la réciproque vaut tout autant : l’Europe n’a pas de réelle alternative à la Turquie. En particulier dans un ordre mondial où l’équilibre des pouvoirs est en train de changer, l’Union européenne a besoin de la Turquie pour devenir une Union toujours plus forte, plus prospère, plus inclusive et plus sûre.

J’espère que nos amis européens s’en rendront compte tant qu’il en est encore temps.

[* M. Erdoğan est le Premier ministre de la Turquie.]

Source : Newsweek

Traduction : Marcel Charbonnier

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