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Palestine - 5 octobre 2006
Par Abdel Bari Atwan
Les affrontements sanglants dont les territoires palestiniens sont le théâtre ces jours-ci, et qui fauchent des âmes innocentes de manière totalement arbitraire, sont, à tout point de vue, une honte, un scandale politique et moral qui déshonore tous ceux qui y participent directement ou indirectement.
Ils discréditent une longue et honorable histoire faite de sacrifices et remontant à plus d’un siècle.
Qualifier ces affrontements de pure folie, c’est le moins qu’on puisse faire.
En effet, un peuple possédant à un tel degré le sens politique, et une si longue expérience de la résistance, ne peut pas – alors même que des martyrs continuent à tomber tous les jours – passer du summum de la raison et de la sagesse au summum de la folie, comme ça, en quelques heures…
Nous ne connaissons pas les sentiments des dirigeants, ni de ceux du Fatah, ni de ceux du Hamas, tandis qu’ils voient les ambulances emmener les blessés et les cadavres des tués, tombés au cours de ces affrontements absurdes entre milices s’entredéchirant, croisant en chemin les cadavres de leurs frères et sœurs victimes des assassinats ciblés israéliens… ?
Quand Benyamin Eliezer, le ministre israélien des Infrastructures, laisse éclater la joie qui le submerge à la nouvelle de l’éclatement des échauffourées entre les deux pôles de l’arène politique palestinienne, et qu’il forme des vœux pour la victoire de la camarilla du président Mahmoud Abbas, alors il nous faut savoir opérer le tri entre qui a tort et qui a raison !
Et dès lors que Mme Condoleezza Rice stipule que les Palestiniens mettent un terme à leur guerre intestine et forment un gouvernement d’union nationale, qui reconnaîtra Israël et les accords déjà conclu avec ce pays, nous devons marquer une pause et réfléchir posément à la nature du piège tendu au peuple palestinien, ainsi qu’aux objectifs qui en sont escomptés…
Nous avons déjà dit, nous continuons à affirmer, et nous le répétons encore une fois, ici même, à haute et intelligible voix, que cette guerre civile absurde n’a pas d’autre enjeu que le contrôle de ce "cadavre dans le placard" qu’est cette Autorité [qui, en fait d’autorité, n’en a que l’intitulé] palestinienne, et qui ne mérite pas qu’on verse pour elle la moindre goutte de sang. Même les animaux carnassiers – même affamés – se détournent des charognes et n’ont nulle envie de s’entretuer pour se les accaparer.
Les Palestiniens vivent une énorme mascarade, qui a pour nom l’"autonomie". Ils s’imaginent avoir des ministres et un conseil législatif, des institutions et une garde présidentielle. Mais la réalité est tout autre. Leur territoire est occupé et ce qui a été libéré, purement formellement – je veux parler de la bande de Gaza – est aujourd’hui le théâtre des pires affrontements.
C’est une immense prison à ciel ouvert [mais sillonné de drones et de bombardiers, ndt], dont les clés sont accrochées à la ceinture d’un sous-fifre quelconque du service de répression israélien, le Shin Bet.
Nous devons, par conséquent, reconnaître que ce qui est en train de se passer en ce moment même dans les territoires occupés, ce sont les prémisses d’une guerre civile sans précédent, planifiée par les Israéliens avec une minutie extrême. Ceux-ci ont – enfin [de leur point de vue] – réussi, en utilisant de manière machiavélique la crise des salaires non-versés aux fonctionnaires palestiniens, à faire tomber les Palestiniens dans leurs rets.
Cela n’est ni une guerre entre musulmans et chrétiens, ni une guerre entre sunnites et chiites, ni entre catholiques et protestants. Non : c’est une guerre entre fils et filles de la même communauté, de la même tribu, du même peuple, entre des affamés et d’autres affamés (les mêmes), entre des gens soumis à occupation militaire et des gens soumis à militaire occupation (les mêmes / la même). Et c’est bien là le drame.
Ce qui importe, en cet instant, ça n’est pas de déterminer à qui incombe la responsabilité de la chute dans cet immense puits sans fond. Non. L’important, c’est savoir de quelle manière en sortir avec le moins de dégâts que possible et au plus vite ; tout le monde est fautif, d’une quelconque façon.
Celui qui a (ou ceux qui ont) donné le feu vert aux hommes des forces de sécurité palestiniennes, leur permettant d’aller manifester en armes pour réclamer des traitements dont ils connaissaient pertinemment d’avance la cause du retard apporté à leur versement, celui-là (ceux-là) est (sont) responsable(s) de toutes les gouttes de sang, jusqu’à la dernière, qui sera répandue dans les rues de Gaza, de Naplouse et de Ramallah.
Celui qui a donné des ordres aux forces d’appui – les milices du Hamas, pour ne pas les nommer – de descendre dans les rues pour s’opposer aux premiers, tout en connaissant parfaitement, par avance, les résultats inexorables de cette initiative, endosse exactement la même responsabilité, et doit être sanctionné avec exactement la même sévérité.
Monsieur Abbas plonge dans une guerre civile sanglante non seulement le peuple palestinien, mais aussi un mouvement de libération nationale palestinien – le Fatah – détenteur d’un passé honorable, fait de sacrifices consentis, d’une lutte déterminée, d’attachement à des principes fondamentaux nationaux intangibles non démentis depuis plus de quarante années.
A ce qu’on sache, le gouvernement Hamas n’est en rien responsable ni de la crise des salaires, ni de la famine artificiellement imposée au peuple palestinien, que le président de l’Autorité et sa clientèle de conseillers excitent ainsi les manifestants à son encontre ?
Tout enfant palestinien, à quatre ans, sait déjà que ceux qui bloquent ces salaires, ce sont les Etats-Unis et Israël [ainsi que l’Union européenne et les cryptos (ils se reconnaîtront…) ndt].
Nous, qui affirmons ceci, nous avons donné tort, et c’est ce que nous continuons à faire aujourd’hui, au mouvement Hamas, qui n’aurait jamais dû participer aux dernières élections, tombant du fait qu’il l’ait fait dans une énorme contradiction.
Comment, en effet, concilier logiquement une Autorité instituée par des accords que le Hamas a [à juste titre] condamnés et combattus, avec une résistance armée refusant la reconnaissance [d’Israël] et insistant sur la libération de la totalité du territoire palestinien ?
De fait, le Hamas s’était acquis la confiance du peuple palestinien, précisément sur la base de ses positions irrédentistes, car ce peuple comprend très bien que les accords d’Oslo sont nuls et non advenus et que tout ce qui est construit sur du nul et non advenu est bâti sur du sable.
Nous ne savons pas ce qui a pris à cet individu ? Abbas ? Comment a-t-il pu se débarrasser de sa cautèle légendaire, pour prendre la décision de se lancer à corps perdu dans le complot actuel visant à renverser le gouvernement et à allumer la mèche de la guerre civile ?
Ce que nous savons, en revanche, et de source sûre, c’est que cet individu, Abbas, donc – et voici, de cela, seulement quelques semaines – a soufflé à l’oreille d’une poignée de ses conseillers en exil de mettre au point le texte d’un discours de démission qu’il avait projeté de prononcer devant les caméras de chaînes télévisées du monde entier – un discours de démission dans lequel il aurait imputé à Israël et aux Américains la responsabilité de la détérioration de la situation dans les territoires occupés, ainsi que celle d’avoir définitivement compromis le processus (dit) de paix dans la région du Moyen-Orient…
Les conseillers du président Abbas, qui ont fait leur nid dans le bureau présidentiel, et qui le poussent à la confrontation, et certainement pas dans le sens de l’apaisement, à seule fin de retrouver les lauriers désuets d’un pouvoir [imaginaire], évoquent désormais un certain nombre d’options qu’il a l’intention d’adopter, comme celle de recourir à ses prérogatives de dissoudre le gouvernement et de former un nouveau gouvernement de technocrates, ou encore celle de faire procéder à de nouvelles élections législatives.
Mais quelles prérogatives – et quelle constitution – dont ces gens-là nous rebattent les oreilles – peuvent bien être celles d’un peuple affamé comme l’est le peuple palestinien, d’un peuple exposé à mille morts et à l’état de siège ?
Quelles prérogatives – et quelle constitution – sont celles d’un président incapable de sortir de son bureau de Ramallah sans l’autorisation du dernier des gardes champêtres israéliens ?
Quelles prérogatives – et quelle constitution – peut bien avoir un conseil législatif dont la moitié des députés croupissent dans les geôles de l’occupant, après avoir été kidnappés à leur domicile, en plein jour ?
Et puis, qu’est-ce donc que ce "gouvernement", qui est incapable de verser leur salaire à ses fonctionnaires, ni de se rendre maître de ses propres forces de sécurité, qui met sur pied des gardes prétoriennes chargées de protéger ses seuls ministres, qui est incapable de nommer un ambassadeur, voire même un simple consul, dans ses ambassades, et qui ne contrôle pas le moindre agent de police de faction à l’un quelconque de nos points de passage ou de nos issues de secours ?
Quel est donc cet ordre public, dont les gardiens sont les premiers à l’enfreindre et à répandre l’anarchie, à fermer les rues et les places publiques aux passants et à se livrer au hooliganisme envers leurs concitoyens et à leur pourrir la vie, à entraver leur liberté de se mouvoir à leur guise et à paralyser ce qui leur reste en matière de petit commerce et autres gagne-pain et, ce, au beau milieu de ce mois béni, de ce mois de trêve et de générosité qu’est le mois de Ramadan ?
Une seule solution : que Messieurs Mahmoud Abbas et Ismaïl Haniyyéh viennent, ensemble, main dans la main, devant les caméras de télévision, tenir une conférence de presse d’audience mondiale, et qu’ils annoncent la dissolution de cette Autorité [de pacotille] et qu’ils appellent un chat, un chat.
Qu’ils appellent "peuple résistant" le peuple palestinien résistant et qu’ils appellent "forces d’occupation" [la soldatesque sioniste] !
Le peuple palestinien est actuellement aux prises avec un chantage sans précédent, qui a pour nom "salaires" : on exige désormais de lui qu’il fasse le sacrifice de tous les principes fondamentaux de son combat, de tous ses droits nationaux, et qu’il devienne un peuple de clochards et de mendiants attendant l’aumône des aides américaines et européennes, exactement comme à l’époque où la première balle n’avait pas encore été tirée, un beau jour de ce mois de janvier de l’an de grâce 1965, par les authentiques héros du Fatah…
Partant, toute nouvelle convocation d’élections, dont les résultats ne feraient que consacrer l’actuelle situation éminemment déplorable, et qui feraient fond de la situation présente de quasi famine pour faire passer le projet américano-israélien, ne peut être qualifiée autrement que de suggestion louche, qu’il convient de boycotter systématiquement.
A quoi bon, des élections dont les résultats ne pourraient en aucun cas être l’objet d’un quelconque respect, dès lors que celui qui commettrait la folie de les admettre et y participerait encourrait la sanction de mourir de faim, de mourir d’encerclement ou de mourir ciblé par les Robocops sionistes [en rétribution de son civisme] ?
Traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es). Cette traduction est en Copyleft : elle est libre de reproduction, à condition d'en respecter l'intégrité et d'en mentionner sources et auteurs.
Source : Al-Quds al-Arabiyy
Traduction : Marcel Charbonnier
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