Israël - 6 mai 2008

Israël submersible

Par Ayman El-Amir

L'auteur a été correspondant Al-Ahram à Washington, DC. Il a également été directeur de la radiotélévision des Nations Unies à New York.

La semaine prochaine, Israël célèbrera le 60ème anniversaire de sa déclaration d'Indépendance, en présence d'un nombre enviable de dignitaires et de chefs d'états. Une semaine plus tard, le 15 mai, les Palestiniens se recueilleront sur leur Nakba – le jour où ils ont été chassés de leur terre natale par les colons paramilitaires juifs qui ont créé l'Etat d'Israël.
Alors qu'Israël sera arrosé de paroles d'admiration et de congratulation, principalement par les pays qui ont aidé à le créer, les Palestiniens se serreront les uns contre les autres, en exil ou sous occupation militaire, encerclés par le mur israélien de la honte qui a probablement été inspiré par le mur nazi qui a ceinturé le ghetto juif de Varsovie en 1940.

Les seules déclarations qui leur feront référence seront les paroles vides des dirigeants arabes appelant à la paix et à la création d'un Etat palestinien, et probablement vilipendant le Hamas.

Les vainqueurs continueront à écrire l'histoire, du moins aussi longtemps qu'ils demeureront puissants.

A 60 ans, Israël apparaît solide, concentré, en expansion constante et se délectant de l'adulation de ses partisans puissants et de la résignation de ses voisins intimidés. Par contraste, les Palestiniens, évincés de leur patrie, semblent faibles, divisés, affamés, vulnérables et méprisés par la plupart des dirigeants arabes.

Pour les grandes puissances, Israël, Etat guerrier armé jusqu'aux dents d'engins conventionnels et atomiques, est une réussite, et à plus d'un titre. La plus importante est de s'être débarrassé de la "question juive", vieille de plusieurs siècles, sur les Arabes.

Depuis lors, Israël a prouvé qu'il était un Etat belliqueux porté à l'agression et à l'expansion, et également très utile aux puissances qui l'ont nourri. Toutefois, les atrocités d'Israël contre les Palestiniens et autres Arabes, et sa colonisation extensive sous occupation de leur terre, le font apparaître plus comme un géant sur des échasses que comme une nation pacifique régie par les normes des lois internationales.


En dépit des feux du succès, deux facteurs historiques corrodent l'étayage d'Israël en tant qu'Etat. D'abord, Israël a été créé selon la doctrine du 17ème siècle du colonialisme de peuplement – le modèle de migration du Nouveau Monde dont les Etats-Unis sont l'unique exemple survivant.

Lorsque les colons européens sont arrivés en masse au Nouveau Monde que Christophe Colomb avait découvert en 1492, la terre fut ethniquement nettoyée de sa population indigène, en particulier les Indiens nord-américains. Des centaines de tribus et de communautés ethniques furent systématiquement dévastées et chassées à l'ouest du fleuve Mississippi, pour faire de la place aux colonialistes européens.

En 1778, avant même de devenir une nation, les nouveaux Américains ont signé un traité avec les Indiens Delaware – le premier de ce qui deviendrait un ensemble de plus de 380 traités qui n'ont jamais dit clairement exprimé la volonté expansionniste.

Grâce à ces traités, les USA naissant se sont emparés de plus d'un milliard d'acres de terre indienne en Amérique du Nord, la plupart du temps par la force, la coercition et la guerre totale, et certaines terres achetées au prix dérisoire de 10 cents l'acre. (1)

Consciemment ou non, ce fut le modèle adopté par le mouvement sioniste pour s'emparer de la Palestine selon le mensonge d' "une terre sans peuple pour un peuple sans terre", avec le soutien des Britanniques via la Déclaration Balfour. Ce modèle partagé de nettoyage ethnique et d'expropriation de terres est le lien le plus fort qui unit Israël et les USA.

Durant la soi-disant "guerre de libération", Israël a commis 70 massacres et atrocités contre le peuple palestinien, lors d'une campagne méthodique de nettoyage ethnique. Il a terrorisé et expulsé 85% de la population de 747 villes et villages.
La plupart d'entre eux ont été soit rayés de la carte pour empêcher le retour des habitants palestiniens ou donnés à des colons immigrants juifs.
A l'époque, cela a créé une population de 900.000 réfugiés qui ont été "provisoirement" réimplantés dans des pays arabes voisins.

Les réfugiés palestiniens sont maintenant estimés à 4,5 millions, la moitié dans des pays arabes d'accueil. Selon Salman Abu Setta, coordinateur général du Congrès pour le Droit au Retour, 80% de la population juive d'Israël vit sur environ 10% de la terre historique de la Palestine sous mandat britannique.

La majorité des territoires s'étendant de Beersheba, au sud, à la bande de terre de la Haute Galilée, au nord, est peu peuplée. La densité de population palestinienne à Gaza est de 6.000 individus au km² - un total de 1,5 million de Palestiniens entassés dans des conditions de blocus inhumain.

Israël refuse le droit au retour des Palestiniens même dans ces zones vides, justifié ce refus par ce qui revient à une politique raciste de maintien de la nature "juive" de l'Etat – un autre écho de l'Allemagne nazie sous Hitler.


L'immigration vers Israël est devenue une question d'opportunité économique, et non l'idéologie pseudo-religieuse sioniste proclamée du "retour à la Terre Promise". La population d'Israël est de 5,2 millions d'habitants, sur une population juive mondiale de 13 millions d'individus, avec environ 5 millions qui vivent aux Etats-Unis.

L'immigration en Israël décline ; le taux de fertilité parmi la population juive est de 0,5%, très en deçà de la valeur de remplacement de la population, alors que le taux de fertilité palestinienne est de près de 3%. Pour les hommes politiques israéliens, c'est une bombe à retardement.

Les inquiétudes israéliennes ont poussé aux appels à déclarer Israël Etat exclusivement juif, où seul les Juifs peuvent prétendre à la citoyenneté. Les autres, c'est-à-dire les Palestiniens qui vivent sur cette terre depuis le temps des Cananéens, sont considérés comme une nuisance à expulser lorsque les circonstances seront favorables.


Le principal problème d'Israël, cependant, est que contrairement aux Indiens américains ou aux populations indigènes d'autres terres colonisées, les Palestiniens refusent de disparaître ou de s'évanouir.

En dépit de l'occupation brutale, du génocide, des détentions de masse, de checkpoints sans nombre, du blocus économique, des humiliations quotidiennes et de la famine, et en dépit du soutien puissant offert à Israël par l'administration US, les Palestiniens refusent d'être entassés dans une réserve qui aurait pour nom Etat palestinien.

Les vieux palestiniens gardent les clés de leurs maisons d'origine, les titres de leurs propriétés, et enseignent à leurs enfants les horreurs qu'ils ont endurées par la main de ceux qu'ils ont, il y a longtemps, embrassé comme leurs voisins en terre historique de Palestine.

Soixante ans après son "indépendance", Israël a perdu sa boussole morale. L'agression, l'occupation et l'expansion sont devenues ses pratiques les plus vantées. En conséquence, il n'a aucun sens de la sécurité. Il cherche une reconnaissance et une coopération régionales mais met en vigueur un système d'apartheid contre les Palestiniens.

Il oblige tout dignitaire en visite à faire un arrêt à Yad Vashim, mais tue des hommes, des femmes et des enfants palestiniens, passe au bulldozer leurs maisons et leurs vergers, confisque leurs terres, pompe leur eau, arrête et détient des milliers d'entre eux indéfiniment, viole toute dignité humaine et nie à la nation qu'il englobe ses droits légitimes. Israël n'envisage pas de règlement juste et durable avec les Palestiniens.


Comme son maître, les USA, il ne croit qu'à la force des armes – la capacité de soumettre par la destruction. C'est ce qu'ont fait les nazis aux Juifs et aux autres minorités d'Europe ; et c'est ce que font les Juifs d'Israël aux Palestiniens. Ce qu'Israël et l'alliance occidentale appellent "des actes de terrorisme" par des fondamentalistes sont les actes même qu'ils ont acclamés comme héroïques par la résistance à l'occupation nazi de l'Europe.


Lorsque la White Star Line a lancé le paquebot Titanic pour son voyage inaugural, de Southampton à New York, en février 1912, toute sa promotion a été centrée sur le fait qu'il était "conçu pour être insubmersible".

Il fut équipé de la technologie la plus sophistiquée disponible et du meilleur équipage de l'époque. Alors qu'il faisait route pour New York, le Titanic a heurté un iceberg le 14 février et a sombré dans les fonds de l'Atlantique, devant un monde et une industrie maritime choqués.

Combien de temps encore Israël peut-il se permettre de se conduire comme le paquebot insubmersible du Moyen Orient ?

(1) Lire à ce sujet : Une histoire populaire des Etats-Unis, de 1492 à nos jours, par Howard Zinn (Ed. Agone) (ndt).

Source : Al-Ahram

Traduction : MR pour ISM