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Europe - 10 août 2007
Par Saifedean Ammous
Saifedean Ammous, qui est originaire de Ramallah, Palestine, est en doctorat de Développement Durable à l'Université de Colombia, New York. Son blog : http://thesaifhouse.wordpress.com/ Première parution de cet article sur le site : "Rootless Cosmopolitan" : http://tonykaron.com/
La politique de l'Europe vis-à-vis de la Palestine/Israël est tellement raciste, myope, contre-productive et hypocrite qu'elle pourrait presque passer pour de la politique américaine.
Rencontre entre Mahmoud Abbas, Président de l'Autorité Palestinienne, et Javier Solana, Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union Européenne, à Bruxelles, en Belgique le 23.2.2007 (MaanImages/PPO/POOL)
J'étais à Paris il y a quelques semaines et chaque fois que j'ai discuté des politiques du Moyen-Orient, j'ai été submergé par les refrains traditionnels de l'anti-américanisme classique :
"Ils n'ont aucune culture et traitent les autres comme s'ils n'avaient aucune culture", "Ils n'ont aucune morale dans leur politique étrangère", "Ils font la guerre pour le pétrole et l'argent", ainsi de suite, avec des stéréotypes ultra-simplistes stupides.
Aussitôt après, arrivait le caquetage de l'orgueil vertueux : "Nous les Européens sommes différents", "Nous voulons que notre politique étrangère soit basée sur le concept de moralité", "Nous essayons de promouvoir la justice dans le monde et de réparer le merdier laissé par les Américains".
Et on me parlait ensuite de toute l'aide que les Européens apportent aux Palestiniens comme preuve de la moralité des Européens, opposée aux sionistes américains enragés qui donnent des billions pour subventionner l'armée meurtrière d'Israël.
Si tout ceci pouvait être vrai.
La politique de l'Europe vis-à-vis de la Palestine/Israël est tellement raciste, myope, contre-productive et hypocrite qu'elle pourrait presque passer pour de la politique américaine.
Regardant la situation actuelle en Palestine, un observateur verra une occupation israélienne illégale de 40 ans, combinée avec des colonies illégales exclusivement ethniques, bâties sur la terre palestinienne volée et le seul réseau au monde de routes ethniquement séparées, où beaucoup de ces voies sont réservées aux Juifs. Une barrière d'apartheid illégale d'un point de vue international encercle les villes et les villages palestiniens, ne les coupant pas seulement les uns des autres, mais séparant également les fermiers de leurs terres, les enfants de leurs écoles, des malades de leurs hôpitaux et les ouvriers de leur travail. Israël contrôle toutes les ouvertures des Palestiniens sur le monde extérieur, étranglant non seulement leur liberté de mouvement mais aussi leur économie et leur commerce.
L'armée israélienne, l'une des plus puissantes au monde, est régulièrement lâchée sur les populations civiles de Palestine, assassinant et blessant des milliers d'enfants innocents dans la plus parfaite impunité. Le gouvernement israélien a pour vice-premier ministre un fasciste fier de l'être qui appelle ouvertement et régulièrement au nettoyage ethnique et au meurtre de masse des Arabes comme solution au conflit. Israël continue à nier à des millions de Palestiniens leur droit légal au retour dans les maisons dont ils ont été chassés, lors du nettoyage ethnique de 1948, limite la propriété de la terre aux Juifs et a mis en oeuvre des lois racistes discriminatoires dans des domaines qui vont du mariage à l'immigration.
Face à ce travesti de justice, quelle est la seule chose que font les Européens ? Ils demandent aux opprimés, les Palestiniens, de n'élire que des partis politiques qui "reconnaissent à Israël le droit d'exister" comme présupposé pour s'asseoir à une table et discuter de ce qu'il faut faire sur toutes ces mascarades.
Commençons par garder en mémoire que demander au Hamas – ou à tout parti politique palestinien en la matière – la reconnaissance du "droit à exister" d'Israël est une idée manifestement absurde qui a autant de sens que si on demandait au Manchester United Football Club de reconnaître "le droit à exister" de la Tanzanie.
Nulle part n'est écrit que les Etats nations ont "le droit d'exister" eux-mêmes. Ce que veut dire la "reconnaissance", dans le cadre international, est ce qui se produit lorsque des pays échangent des ambassades et établissent des relations diplomatiques. Il n'y a qu'en Palestine que l'idée d'une entité non-Etat reconnaissant un Etat a jamais été sérieusement discutée. De plus, les imbéciles qui répètent cette connerie ignorent à loisir qu'Israël ne se contente pas simplement "de ne pas reconnaître à la Palestine le droit d'exister", mais qu'il détruit activement, délibérément et totalement toute chance qu'un Etat palestinien existe un jour.
Pour les Européens moralement supérieurs, la "reconnaissance" d'Israël par le Hamas est la chose qui les tracasse le plus aujourd'hui au sujet de Palestine/Israël, mais pas la liste des crimes cités plus haut.
Ce n'est pas seulement une position moralement et logiquement absurde, mais elle évite de dire que ce sont les actions d'Israël qui sont la racine du conflit, et pas que le Hamas reconnaisse ou non Israël. Cette reconnaissance ne changera d'ailleurs rien sur le terrain et n'affectera les vies de personne en aucune façon, mais les murs, les colonies, les crimes, les checkpoints et les politiques racistes d'Israël, si. Ce n'est que lorsqu'il y sera mis un terme qu'il pourra y avoir la paix, sans lien avec ce que le Hamas "reconnaît" ou "refuse de reconnaître".
Tous les crimes mentionnés plus haut, commis par Israël, constituent des violations claires des termes des Politiques de Voisinage des Nations Unies selon lesquelles les voisins de l'Union Européenne ont un accès préférentiel aux marchés européens et des tas d'autres avantages. L'Union Européenne utilise régulièrement son influence économique et diplomatique pour essayer d'amener des pays à se départir de leurs politiques racistes : elle fait dépendre les accords commerciaux d'améliorations sur les droits de l'homme, le travail et les minorités ; elle a fait dépendre l'accession de la Turquie à l'Union Européenne des résultats en matière de Droits de l'Homme, et a empêché l'Autriche de faire entrer Jorg Haider dans le gouvernement.
Loin de prendre une quelconque action pour essayer de forcer Israël à arrêter ses crimes en Palestine, l'Union Européenne a lâchement choisi une politique de récompense de ses transgressions avec de nombreuses carottes, et Israël continue de jouir de bénéfices extrêmement généreux dans ses relations avec les pays européens, y compris la vente d'armes de la part de nombre d'entre eux.
Cet aspect tragique de la politique européenne vis-à-vis de la Palestine aujourd'hui n'est pas qu'il est pratiquement impossible de la distinguer de celle des USA, mais qu'elle se pare d'une formidable auto-suffisance et de la foi inamovible que ce n'est pas seulement la politique correcte, mais aussi qu'elle est hautement supérieure, moralement, à tout ce que les autres font. L'aide financière fournit par l'Europe est le fondement de cette auto-complaisance.
Alors que les Européens continuent de ne rien faire pour arrêter la destruction par Israël des conditions de vie du peuple palestinien, ils sortent leurs carnets de chèque et soulagent leur conscience en donnant de l'argent aux Palestiniens. Avant l'élection du Hamas, cet argent est allé soutenir l'Autorité Palestinienne à l'impopularité grandissante pour garantir sa survie et la continuation d'un statu quo douloureux. Après l'élection du Hamas, ils ont essayé de contourner l'Autorité Palestinienne en envoyant l'argent par des mécanismes toujours plus complexes, inefficaces et souvent contre-productifs.
Voici un petit résumé de comment marche cette folie :
une ville palestinienne est encerclée de tous les côtés par le mur, rendant impossible aux fermiers auparavant prospères d'accéder à leurs terres, aux malades d'aller chez le médecin et aux enfants d'aller à l'école. Evidemment, la ville est anéantie.
C'est à ce moment que les Européens envoient, pour soulager leur conscience, l'aide d' "experts" en soutien complaisant pour "sauver" la ville, processus qui évite à Israël d'avoir à gérer les conséquences de ses crimes.
Ils fournissent aux fermiers la nourriture pour remplacer celle qu'ils auraient produit eux-mêmes, et continuent avec des projets pour enseigner aux Palestiniens "des industries alternatives", "des nouveaux modèles de business", "une bonne gouvernance locale", "un développement participatif", "des techniques éducatives créatives" et nombre d'autres gadgets absurdes que les Palestiniens abandonneraient avec joie pour voir le mur tomber, un Etat indépendant et un brin de normalité dans leurs vies quotidiennes.
Naturellement, ces projets ont une durée de vie très courte ; bientôt les subventions tarissent, les "experts" s'en vont, mais le mur d'apartheid reste, les conditions de vie de la ville toute entière sont détruites, et le mirage de l'indépendance palestinienne est de plus en plus lointain. Et, pire que tout : la prochaine fois qu'un malheureux palestinien comme moi visitera Paris, il sera bombardé de récits auto-complaisants sur un nombre incalculable de micro-projets, et on attendra de lui qu'il s'incline avec déférence devant la puissante supériorité de la moralité européenne.
Ils sont nombreux, les citoyens européens qui ont une bonne compréhension du conflit et souhaitent voir une meilleure politique et une solution juste. Des milliers d'entre eux dépensent leur temps et leur l'argent pour aider les Palestiniens, beaucoup sont volontaires pour faire le voyage en Palestine, protéger les Palestiniens et témoigner sur l'occupation. Ces âmes courageuses font partie de mes héros personnels. Il y a beaucoup de politiciens européens honnêtes qui sont contre ces politiques. Je ne mets pas en doute la sincérité de la plupart de ceux qui veulent vraiment une amélioration des vies des Palestiniens, et je leur en suis personnellement très reconnaissant. Mais la combinaison de l'indifférence de beaucoup, et la malveillance des dirigeants qui font des courbettes aux USA produit cette politique criminelle, et gaspille beaucoup d'aide pour tenter d'apaiser ceux qui se se sentent concernés.
Les Européens doivent reconnaître que la seule chose à faire pour que les choses s'améliorent, ce n'est pas la charité, mais une action politique adéquate, morale et soutenue.
C'est vrai que l'Europe a fait preuve de morale et d'humanité dans sa politique étrangère envers beaucoup de pays. Ils donnent plus d'aide, envoient plus d'observateurs et signent plus d'accords de paix que les Américains, et ils ont certainement bien amélioré la manière dont ils traitent avec le monde au cours des dernières décennies. Mais quoique fasse l'Europe, sa complicité dans l'horrible oppression des Palestiniens est là pour assombrir toute revendication d'autorité morale.
Après tout, c'est toujours votre action la moins morale qui indique votre niveau de moralité.
Source : Electronic Intifada
Traduction : MR pour ISM
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Saifedean Ammous
10 août 2007