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La France et la préservation de la suprématie blanche

Par

« L’internationalisme et l’universalisme qui les symbolisent n’ont jamais marqué leur action dans les colonies. […] Elles ne brûlent d’encens qu’aux pieds des statues blanches et nous, nous ne pouvons être classés par nos camarades européens parmi les pures idoles ». Ali El-Hammami

La France et la préservation de la suprématie blanche

La statue taguée de Faidherbe, place Richebé à Lille, sous surveillance de la police, le 20 juin. Thierry THOREL / LA VOIX DU NORD
Dans un précédent article, nous analysions la position prise par Emmanuel Macron face au vaste mouvement de remise en cause des symboles coloniaux dans l’espace public français : statues, noms de rues ou de stations de métro par exemple. Nous y expliquions que la position du Président de la République française exprimait un refus catégorique de remise en cause de la suprématie blanche ; et donc une défense du racisme systémique. Nous ajoutions que sa position formulait, au sommet de l’État, la position de la réaction blanche face à la contestation décoloniale.

La position d’Emmanuel Macron n’est aucunement sortie de nulle part. Elle faisait suite à la vidéo de Marion Maréchal datée du 10 juin 2020 dans laquelle celle-ci affirmait son refus de s’« excuser en tant que blanche et en tant que Française » car elle n’a « colonisé personne » et elle n’a réduit « personne en esclavage ». Dénonçant une « tentative de subversion des esprits », Marion Maréchal attaquait ceux qui demanderaient aux Blancs « de salir la mémoire de » leurs « ancêtres, de cracher sur » leur « histoire, de purger » leur « héritage d'abattre » leurs « statues ».

Les grandes lignes de l’opposition d’Emmanuel Macron à toute forme de remise en cause de la suprématie blanche n’étaient-elles pas déjà tracées par Marion Maréchal dans sa prise de parole ?

Emmanuel Macron entendait certainement chasser sur les terres électorales de l’extrême-droite en empruntant son discours sur la défense de l’histoire coloniale et en se présentant comme le premier défenseur de la suprématie blanche et de ses symboles.

De fait, lorsque le 20 juin 2020 à Lille les Identitaires ont organisé une contre-manifestation pour s’opposer aux militants décoloniaux qui demandaient le retrait de la statue du colonisateur du Sénégal, Louis Faidherbe (1818-1889), ils n’ont fait que mettre en pratique la politique énoncée par le Président de la République, et avant lui par Marion Maréchal. Et en scandant « On est chez nous », les militants identitaires énonçaient le même « nous » suprémaciste et colonialiste qu’Emmanuel Macron lors de son allocution du 14 juin 2020.

Cette concordance entre le chef de l’État et des groupuscules d’extrême-droite nous rappelle que le discours suprémaciste fondé par la colonisation n’est en rien marginal et contestataire en France. Bien au contraire, il est au cœur de l’État ethnocratique et de ses pratiques policières, judiciaires, carcérales mais aussi sociales ou scolaires. Véritable appareil idéologique d’État, l’extrême-droite n’est que la fraction la plus engagée de la société ethnocratique dans la défense et le renforcement de la suprématie blanche.

Les Identitaires ont d’ailleurs bénéficié de toute la mansuétude des forces de l’ordre lors de leur contre-manifestation à Lille, comme ils avaient bénéficié de cette même mansuétude lors du rassemblement à la mémoire d’Adama Traoré et contre les violences policières une semaine plus tôt – le 13 juin 2020 – à Paris.

Comment ne pas voir dans cette mansuétude le combat commun des Identitaires, des forces de l’ordre et de l’État en général pour préserver les hiérarchies raciales dans ce pays ?

Toutefois, ce consensus français, allant de l’extrême-droite à la gauche, pour préserver les symboles coloniaux – et donc la suprématie blanche qui l’accompagne – doit aussi être lu à l’aune des débats et des décisions prises ces derniers jours dans les pays occidentaux partageant avec la France un même passé colonial et raciste. Car il ne s’agit nullement d’un débat franco-français mais bien d’une question internationale se posant dans des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni ou la Belgique (1).

Dans ces pays, différentes structures officielles ont d’ores et déjà annoncé le retrait de statues d’esclavagistes et de colonialistes. Par exemple, la ville de New-York a annoncé le retrait de la statue de Theodore Roosevelt, 26e président des États-Unis, de son emplacement à Manhattan, en raison de ses opinions colonialistes et racistes. A Louisville la statue de John B. Castleman, soldat de l'armée confédérée, a été déboulonnée sur instruction de la mairie. A Dallas, la statue du Ranger Capt. Jay Banks a été retirée par la mairie du terminal principal de l'aéroport Love Field en raison des actes brutaux et racistes de l'agence pour laquelle il travaillait. A Londres, la statue de Robert Milligan, un planteur esclavagiste du XVIIIe siècle, a été déboulonnée sur ordre de la mairie. En Belgique, la mairie d’Anvers a déboulonné la statue de Léopold II pour son rôle dans la colonisation du Congo, avec les massacres de masse qui l’ont accompagnée. D’autres municipalités belges ont depuis suivi la décision de la mairie d’Anvers.

Expliquant le retrait de ces symboles coloniaux et esclavagistes de l’espace public, le maire travailliste de Londres, Sadiq Khan, a déclaré dans un communiqué : « nos statues, les noms de nos routes et de nos espaces publics reflètent une époque révolue [...], ça ne peut plus continuer ». Prenant acte du mouvement de décolonisation de l’espace public, le maire de Londres a annoncé la création d’une commission ayant pour but de trouver une solution à cette question.

Évidemment, les origines pakistanaises et la confession musulmane de Sadiq Khan invalideront a priori la position du maire de Londres aux yeux de tous les suprémacistes avoués ou inavoués. Mais peut-on prendre position plus éloignée de celle visant à préserver, « quoi qu’il en coûte », les symboles suprémacistes et colonialistes dans l’espace public, défendue par Emmanuel Macron et les autorités françaises ?

Finalement, le Président français se retrouve sur la même position que son homologue étasunien, Donald Trump, sur cette question. Ainsi, lors de son premier meeting de campagne tenu la 20 juin 2020 à Tulsa – ville où les Afro-américains furent victimes d’un terrible pogrom en 1921 – dans l’Oklahoma, Donald Trump a fustigé « la foule déchaînée de gauche » qui « essaie de vandaliser notre histoire, de profaner nos monuments, nos beaux monuments, de démolir nos statues et de punir, de faire taire et de persécuter quiconque ne se conforme pas à leurs exigences de contrôle absolu et total ».

Toutefois si Donald Trump peut fustiger une « foule déchaînée de gauche » c’est qu’il existe une gauche étasunienne prête à remettre en cause, au moins en partie, la suprématie blanche dans son pays en déboulonnant les statues et en faisant un retour critique sur l’histoire des États-Unis.

Évidemment, il faudrait regarder en détails jusqu’où cette gauche est-elle réellement prête à remettre en cause cette suprématie ? Cette gauche se contentera–t-elle peut-être d’accepter de déboulonner quelques statues ou de rebaptiser quelques noms de rues ou de stations de métro pour préserver le système ethnocratique ? De même, qu’en est-il de la position de cette gauche sur la question de l’impérialisme étasunien ?(2)

En France, la situation est totalement différente car en dehors des militants décoloniaux, il existe un véritable consensus ethnocratique pour préserver les symboles suprémacistes et colonialistes dans l’espace public. Par exemple, le 23 juin 2020, dans une interview donnée à BFM le secrétaire général du PCF (3), Fabien Roussel, expliquait qu’il n’était pas « pour déboulonner les statues » mais « pour qu’on ait une lecture d’aujourd’hui de notre histoire ».

Nous pourrions nous interroger sur ce qu’est « une lecture d’aujourd’hui de notre histoire » ? Une formule creuse pour éviter de se prononcer en faveur du déboulonnement des statues coloniales et au-delà pour ne pas remettre en cause le système ethnocratique ? Lorsque l’un des fondateurs de SOS Racisme, le socialiste Julien Dray, explique « que d’un certain point de vue le Code noir dans l’histoire de l’esclavage, c’est un progrès » (4), fait-il une « une lecture d’aujourd’hui de notre histoire » ?

Cependant au-delà de la prise de position de Fabien Roussel en faveur du maintien des statues des colonialistes et des suprémacistes, quelles personnalités politiques de gauche ayant une audience significative a pris clairement position en faveur du déboulonnement de ces statues ? Où sont les hommes et les femmes de gauche qui, en France, défendent les mêmes positions que le maire travailliste de Londres, Sadiq Khan ?

Aujourd’hui en France, la volonté de préserver la suprématie blanche sous couvert d’universalisme républicain et de laïcité est hégémonique. Affirmée clairement à la tête de l’État, à droite et à l’extrême-droite, cette volonté n’est pas véritablement contestée à gauche, sauf de manière circonstanciée sur ses marges. Par son consensus ethnocratique, la France fait figure d’exception en Occident par rapport à des pays comme le Royaume-Uni, la Belgique ou même les États-Unis.

Ainsi, par la fin de non-recevoir exprimée au plus haut sommet de l’État et par le consensus ethnocratique face à ceux qui contestent l’hommage rendu à des personnalités colonialistes et esclavagistes au travers de statues ou de noms de rues et de stations de métro, la France apparaît comme la première protectrice de la suprématie blanche dans le monde.

Face à l’hégémonie des idées suprémacistes, les organisations et les militants décoloniaux restent les seuls à pouvoir briser ce consensus ethnocratique.

Alors, encore une fois, déboulonnons, déboulonnons, déboulonnons !

Youssef Girard
____________

Notes de lecture :

(1) Cette question se pose également dans certains pays anciennement colonisés où il reste des statues et des symboles coloniaux dans l’espace public. Par exemple, les statues de Louis Faidherbe à Saint-Louis au Sénégal ou d’Hubert Lyautey à Casablanca au Maroc sont largement contestées depuis plusieurs années.
(2) Le philosophe afro-américain, Cornel West, a donné un début de réponse à ces questions dans une interview à Middle East Eye. Pour lui, la lutte contre les violences policières est indissociable de celle contre les politiques impérialistes des États-Unis. Cf. Azad Essa, « Cornel West : Black Lives Matter et la lutte contre l’impérialisme américain sont un seul et même combat », Middle East Eye, 23/06/2020.
(3) Au regard du passé du PCF, de la dissolution de l’Étoile Nord-Africaine en 1937, au vote des pouvoirs spéciaux à l’armée en 1956, nous ne sommes pas surpris de cette prise de position qui s’inscrit dans la continuité de l’histoire de ce parti emblématique de la gauche coloniale française.
(4) Évidemment, Julien Dray ne sera pas mis en cause au sein de son parti – le PS dont il est membre du Bureau national – pour cette déclaration et le reste de la gauche ne l’ostracisera pas non plus. SOS Racisme ne le critiquera pas plus. Ce type de déclaration négrophobe n’est pas la première de la part d’un membre fondateur de SOS Racisme. Le 30 mars 2016, la Ministre des droits des femmes et ancienne fondatrice de SOS Racisme, la socialiste Laurence Rossignol, compara les femmes musulmanes qui portent un foulard aux « nègres américains qui étaient pour l’esclavage ». Jean-Luc Mélenchon affirma que Laurence Rossignol était « exempte de tout racisme » même si, à l'évidence, ses propos venaient clairement prouver le contraire. Cette déclaration négrophobe et islamophobe n’eut aucune conséquence sur la carrière politique de Laurence Rossignol.


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