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Palestine - 2 décembre 2012
Par Gilles Devers
29.11.2012 - Quel Etat ? Quelles frontières ? Comment assurer le droit au retour des réfugiés ? Quel statut pour Jérusalem ? C’est aux Palestiniens, et à eux seuls de décider. Je peux, comme vous, avoir une opinion. Mais au regard de ce que souffre le peuple palestinien depuis un siècle, au regard des enjeux pour la vie quotidienne des Palestiniens, non, vraiment, je dois m’abstenir de tout ce qui peut conduire à penser à la place des autres. Le colonialisme commence par celui de la pensée. Ce n’est pas le genre de la maison. En revanche, tout n’est pas en débat. Il existe des points de droit certains, et l’importance du moment, comme la confusion entretenue, appellent à mettre les points sur quelques i.
Existence et reconnaissance
La clé est de distinguer existence et reconnaissance. Qui oserait dire qu’une personne vivante, bien vivante devant vous, n’existerait pas parce qu’elle n’est pas inscrite à l’état civil ?
L’existence est l’affaire du peuple palestinien ; la reconnaissance est celle de la communauté internationale. Ne pas confondre. Au milieu des plus extrêmes difficultés, depuis cent ans bientôt, malgré les guerres, le colonialisme, le sang versé, l’occupation et le morcellement de son territoire, malgré la cupidité des US et la traitrise des soi-disant soutiens, le peuple palestinien est debout, uni, gérant même les divisions de ses dirigeants. C’est un peuple, souverain, et la souveraineté est inaliénable.
La communauté internationale est celle des beaux discours et des sales politiques. Depuis un siècle, elle n’a jamais rien fait de sérieux pour le peuple palestinien, à part des trahisons en série, et de versements de subventions pour se faire pardonner. Qui peut soutenir que cette communauté internationale-là est qualifiée pour prendre de grandes options pour la Palestine ?
Alors, chères amies et chers amis, ne vous trompez pas. La Palestine existe, par son peuple souverain, par ses luttes, par sa dignité, par sa force de résistance. L’admission comme membre observateur sera un petit plus, mais cela n’a rien à voir avec l’existence d’un peuple souverain.
La Palestine a toujours existé
« Nous peuples du monde… » Ce n’est pas moi qui m’enflamme, ce sont les premiers mots de la Charte de l’ONU. Or, les Palestiniens forment un peuple. Peut-on soutenir le contraire ?
C’est l’un des peuples les plus anciens de notre planète, et il est assez curieux de voir les Etats-Unis s’opposer à la reconnaissance de la Palestine alors que les Etats-Unis étaient de l’herbe quand la Palestine était déjà un peuple.
Pour nous, peuples de la Méditerranée, la Palestine est une mère, comme l’a été la Grèce. De toute l’histoire, on a su placer la Palestine sur une carte de géographie. Alors, depuis quand les peuples souverains disparaitraient-ils ?
D’ailleurs, et on pourrait en rester à ce constat, ceux qui font le plus de tort à la Palestine en reconnaissent l’existence. Israël gère les territoires palestiniens par le ministère des Affaires étrangères, pas par le ministère de l’Intérieur. De même, ce bouillon de culture impérialiste qu’est le Conseil de Sécurité reconnaît à tous les territoires palestiniens le statut de territoires occupés, au sens de la IV° Convention de Genève. Le Conseil de sécurité a toujours dénié la moindre valeur aux déclarations d’Israël affirmant faire de Jérusalem sa capitale.
La Palestine est reconnue comme Etat depuis 1922
A la dissolution de l’Empire Ottoman, la Palestine était reconnue comme Etat, avec un peuple souverain et un territoire, et la carte figurait dans les traités de Sèvre et de Lausanne. Personne n’aurait envisagé de dessiner une Palestine qui n’aurait pas correspondu à la Palestine, terre façonnée par l'histoire.
Le régime des mandats est apparu, à la fin de la Première Guerre Mondiale, comme une manière de gérer le droit des peuples à l’autodétermination. Le droit à l’autodétermination du peuple palestinien se retrouve à l’article 22 du Pacte de la SDN.
L’article premier du mandat sur la Palestine donné par la SDN à la Grande-Bretagne prend acte de la souveraineté, inaliénable, du peuple palestinien, le mandataire n’ayant de pouvoir que pour la législation et l’administration : « Art. 1. - The Mandatory shall have full powers of legislation and of administration, save as they may be limited by the terms of this mandate ».
Le mandat n’était que d’administration, et ne pouvait modifier la substance de la souveraineté, en respectant les limites territoriales fixées par un mémorandum britannique du 16 septembre 1922, qui correspondaient aux limites de l’ancienne province de l’Empire Ottoman.
L’ordre juridique palestinien était déjà pleinement structuré à l’époque, et respecté par le mandataire.
De plus, et ce point est essentiel, la question de la souveraineté s’est posée à l’occasion du partage de la dette publique ottomane entre la Turquie et les « territoires détachés de l’Empire Ottoman ». Dans cet arbitrage rendu en 1925 par la SDN, la Turquie, la Bulgarie, la Grèce, l’Italie, l’Irak, la Transjordanie et la Palestine étaient placées sur un pied d’égalité. La Palestine était un Etat sous mandat, mais un Etat.
En 1947, l’ONU n’a rien donné… car elle n’avait rien à donner
Combien de fois faudra-t-il le rappeler… En 1947, l’ONU n’a rien donné à Israël. L’ONU n'était alors qu’un club de grandes puissances voulant se partager le monde, mais elle n’a rien pu faire devant l’évidence de la souveraineté palestinienne. Le document voté était une recommandation pour un plan de partage, tentant de donner un contenu à la déclaration du ministre des Affaires étrangères Lord Balfour de 1917, sur la création d’un « foyer national juif », destiné à devenir la place forte des intérêts occidentaux dans la région.
Cette recommandation a été un acte irresponsable, permettant aux groupes armés sionistes de se déclarer comme Etat au départ du mandataire, en mai 1948, et d’engager la première grande opération militaire, la Nakba, chassant les Palestiniens de leurs terres et de leurs maisons. C’est le début de l’histoire des réfugiés, dont le droit au retour est inaliénable, face à un Etat qui a conquis un territoire par la force des armes.
Et depuis ?
Aujourd’hui, 127 Etats ont reconnus la Palestine comme Etat : à peu près toute l’Afrique, tout le monde musulman, toute l’Amérique du Sud, tout l’ancien bloc de l’Est, toute l’Asie.
La Palestine. Etat sous mandat hier, Etat sous occupation militaire aujourd’hui, mais toujours Etat… La Palestine n’a jamais renoncé. Le fait d’être sous occupation ne remet pas en cause la qualité d’Etat, lorsqu’il existe un peuple, un territoire et une organisation des pouvoirs. La RFA, ancienne Allemagne de l’Ouest, a été créée et reconnue alors qu’elle était sous occupation des puissances alliées.
Malgré les mille difficultés qu’elle rencontre, la Palestine est d’ailleurs un Etat très organisé. Il existe un peuple palestinien, qui vit en fonction d’un ordre juridique interne. Elle a été le premier Etat arabe à procéder à des élections démocratiques… mais comme le résultat – victoire du Hamas – n’était pas celui prévu, les puissances occidentales ont puni le peuple palestinien.
Alors, ce vote à l’ONU ?
Ce soir ce vote sera acquis.
Juridiquement, il sera le signe d’une amélioration de l’état civil tenu par l’ONU, mais ne touchera rien d’essentiel.
Un Etat reconnu par 127 autres Etats, et dont les dirigeants sont reçus comme représentants légitimes par les opposants, à commencer par les US, devrait bien évidemment être membre à part entière de l’ONU. Les Etats-Unis bloquent tout, au motif qu’il faut d’abord négocier une paix globale. Ils n’avaient pas été aussi exigeants pour accueillir Israël en 1949.
Juridiquement, ce poste d’Etat observateur apportera quelques petits avantages fonctionnels marginaux au sein de l’ONU.
Mais Abbas passera toujours par le checkpoint pour rentrer chez lui à Jérusalem, et il devra toujours demander l’autorisation s’il veut se rendre à Gaza. Le scandaleux accord de Paris, qui place toute l’économie palestinienne sous le contrôle israélien, ne sera pas changé d’une virgule, et la population de Gaza vivra toujours le blocus. Les services israéliens viendront toujours sur le territoire palestinien de Cisjordanie , pour procéder aux arrestations de Palestiniens. Et de nouveaux permis de construire seront donnés par les autorités israéliennes à Jérusalem-Est.
Dans les difficultés que rencontrent les Palestiniens, ce plus n’est sans doute pas à négliger, s’il peut aider à l’unité. Encore une fois, c’est aux Palestiniens de choisir. Mais attention à ne pas donner à ce vote plus d’importance qu’il n’en a, car les désillusions seraient cruelles.
Et la Cour Pénale Internationale ?
On dit cette question centrale. En droit, elle est marginale.
Le 21 janvier 2009, l’Autorité Palestinienne a fait enregistrer par le greffe de la Cour Pénale Internationale une déclaration de compétence (Art. 12.3 du statut) pour tous les crimes de droit international relevant du statut de la Cour, depuis juillet 2002, date d’entrée en vigueur du traité.
Des actes ont été déposés, rappelant que :
- ce n’est pas au procureur mais à la chambre préliminaire de se prononcer sur le compétence de la cour et l’autorisation d’ouvrir une enquête ;
- la CPI n’a pas à dire si la Palestine est un Etat, mais seulement si elle est suffisamment un Etat au sens du statut.
Les plus respectés professeurs de droit public (Dugard, Quigley, Pellet) ont expliqué que le procureur devait transmettre l’affaire à la chambre préliminaire, pour avoir une décision sur l’ouverture ou non d’une procédure.
Après deux ans d’attente, le procureur a estimé que pour savoir si la CPI, juridiction indépendante, était compétente, il fallait l’avis de l’ONU… Une bonne grosse manip’ pour enterrer le dossier… qui peut juste le retarder.
Déjà, on voit apparaître un nouveau contre-feu, comme si la question était désormais la ratification du traité… Cette ratification interviendra peut-être un jour, mais pour le moment, la déclaration de compétence existe, et l’ANP n’a jamais envisagé de la retirer.
Or, cette déclaration est juridiquement très forte. La procédure a souffert d’un contexte politique défavorable, mais les arguments sont nombreux pour reconnaître la capacité du peuple palestinien à présenter sa cause devant la CPI. Comment pourrait-on priver un peuple de tout accès au juge ?
1/ Lisons la jurisprudence de la CPI : « Les mouvements de libération luttant notamment contre la domination coloniale et les mouvements de résistance représentant un sujet de droit international préexistant peuvent être des « Parties au conflit » au sens des Conventions. Mais l’autorité qui les représente doit avoir certaines caractéristiques d’un gouvernement, au moins à l’égard de ses forces armées » (CPI, Chambre Préliminaire, 29 janvier 2007, Thomas Lubanga Dyilo, par. 272). Ce critère d'application du droit international humanitaire montre que face à la demande de victimes de crimes de guerre, il faut une approche pragmatique, concrète, et non pas formelle.
2/ A partir du moment où la Palestine agit contre Israël, on ne peut pas lui opposer de ne pas être pleinement un Etat… alors que c’est Israël qui usurpe les attributs de souveraineté. Refuser la recevabilité au motif que la Palestine ne peut exercer toutes les fonctions de l’Etat revient à donner les clés à Israël.
3/ Après l’adoption du rapport Goldstone en novembre 2009, l’AG ONU a expliqué que la CPI était un système subsidiaire, et elle a demandé aux autorités locales d’essayer de juger l’affaire. Par cette résolution, l’AG ONU a reconnu la capacité des autorités de Gaza à exercer la fonction judiciaire. Gaza peut donc choisir entre juger lui-même les faits, ou demander à la CPI.
4/ Les Iles Cook, Etat non-membre de l’ONU, ont ratifié le traité de la CPI. Les Iles Cook sont un Etat, mais un Etat qui s’en remet pour sa politique étrangère et de défense à la Nouvelle Zélande. Alors, depuis quand faudrait-il être membre de l’ONU pour avoir droit de cité à la CPI ?
* * *
La politique a son rythme, qui n’est pas forcément celui du droit, et sur un tel sujet, tant d’opinions peuvent être admises. Mais, sauf à ne rien comprendre, ne confondez pas l’existence et la reconnaissance, ne confondez pas l’ONU et la CPI.
Source : Actualités du droit
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