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Palestine -

La compulsion de partition

Par

Joseph Massad enseigne la politique moderne et l'histoire intellectuelle arabes à l'Université Columbia à New York.

On dit que la multiple répétition d’un acte du passé dans l’espoir d’aboutir à un résultat différent du résultat réellement vécu est le propre de la folie. Cette vision populaire de la folie n’est pas si éloignée de la notion freudienne de traumatisme originel et de son impact sur le comportement humain qui mène le plus souvent à la névrose de compulsion répétitive inconsciente. La stratégie de l’autorité palestinienne (AP) s’inscrit aujourd’hui parfaitement dans ce comportement pathologique.

La compulsion de partition

Le diagnostic de la compulsion de répétition du traumatisme originel s’applique ainsi à l’incessante quête de l’AP malgré les échecs successifs, en vue d’obtenir la reconnaissance d’un État sur la scène internationale et de consacrer ainsi la partition de la Palestine historique, dans le but d’aboutir à un État palestinien indépendant.

Et le projet de Mahmoud Abbas, soutenu par la Ligue arabe, de soumettre le mois prochain une requête officielle à l'Assemblée générale des Nations Unies pour obtenir l'admission de l’État de Palestine dans ses rangs (avec un statut d'observateur dépourvu de droit de vote), en est le dernier épisode stérile et dément.

Notons que la répétition ad nauseum du traumatisme originel de dépossession, au lieu d’aboutir à la libération de la Palestine, n’a fait qu’engendrer davantage de dépossession. Pour rappel, l’engagement de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) dans la voie du « pragmatisme », amorcé dans les années 70, s’est renouvelé en 1988 par la déclaration de l’établissement et de l'indépendance d'un État palestinien en Cisjordanie (Jérusalem-Est comprise) et Gaza. Cette décision a été fatale au mouvement national palestinien et a renforcé le camp international qui cherchait à l’assujettir depuis les années 40 du siècle dernier, en répétant inlassablement que la partition du pays était la "solution" au "conflit palestino-israélien".

Le premier plan de partition

Face aux révoltes palestiniennes les plus massives (1936-1939) organisées contre l’empire britannique au 20ème siècle, la Commission Peel avait déjà proposé en 1937 la partition de la Palestine entre la population indigène et les colons juifs.

Photo
Plan de Partage de la Commission Peel, 1937 (carte Palestine Remembered)


Ce projet s’est poursuivi sous la forme du plan de partage adopté par l'assemblée générale des Nations Unies en novembre 1947. Les Palestiniens l'ont rejeté de façon stratégique parce qu'ils le considéraient comme une concession au vol sioniste colonial de leurs terres, et les sionistes l'ont accepté de façon tactique, comme une étape vers la dépossession finale des Palestiniens et le vol de leur pays tout entier.

Photo
Plan de partage, Nations Unies, 29 novembre 1947 (carte)Palestine Remembered)


Depuis lors, la propagande coloniale sioniste soutient que si les Palestiniens sont privés de leurs droits, ce n'est pas à cause du colonialisme sioniste mais en raison de leur résistance au sionisme, qualifié de "rejet" du plan de partition. Alors que le mouvement national palestinien avait bien compris les tenants et aboutissants de l'argumentation sioniste et s’y était opposé dès le début, en expliquant que les Nations Unies ne pouvaient pas décider de partager ce qu'elles n'avaient pas autorité à partager, et encore moins de le faire sans consultation, sans parler du consentement, de la population de la Palestine. Le discours de Yasser Arafat à l'ONU le 13 novembre 1974 avait utilisé le même langage biblique abondamment exploité par les sionistes pour défaire leur propagande :
"L'Assemblée générale a partagé ce qu'elle n'avait pas le droit de partager : une patrie indivisible. Lorsque nous avons rejeté cette décision, notre attitude a été celle de la mère naturelle qui n’avait pas permis au roi Salomon de couper son fils en deux, tandis que la fausse mère, acceptait le démembrement de l’enfant."

Photo
Premier discours de Yasser Arafat à l'ONU le 13 novembre 1974


Pourtant, peu après et pendant les années 1980, de nombreux Palestiniens et Arabes néolibéraux "pragmatistes" se sont laissés convaincre par l'argumentation sioniste sous la pression des États-Unis et de leur levier financier, et ils ont inventé que le traumatisme originel de la Palestine était le rejet du plan de partition des Nations Unies et non pas l’invasion sioniste et la Nakba consécutive. Dans la même logique de Abba Eban, qui, d'une manière typiquement raciste et colonialiste, déclarait que les Palestiniens "ne rataient jamais une occasion de rater une occasion", un certain nombre de dirigeants palestiniens, traumatisés par le jugement occidental sur le soit-disant péché originel du refus du plan de partition, ou adeptes des stratégies "pragmatistes", dont ils espéraient qu'elles porteraient plus de fruits que la fermeté et la résistance anticolonialistes, ont décidé de déclarer l’existence d’un État palestinien indépendant en 1988.

Le rejet du plan de partage

Ce n’est pas le rejet du plan de 1947 qui constitue l’évènement traumatique des Palestiniens, mais bel et bien leur acceptation de sa version tronquée en 1988. Loin d’être une névrose, le rejet palestinien du plan de partition reflétait une position de principe anticolonialiste partagée par tous les peuples colonisés. Le traumatisme palestinien est le résultat de l’invasion coloniale sioniste et de leur expulsion de leurs terres.

D'un autre côté, de nombreux Palestiniens ont espéré que la déclaration de 1988 les conduirait dans une politique pragmatiste qui mettrait fin, ne serait-ce que partiellement, au colonialisme, véritable origine de leur traumatisme. Alors qu'ils s’étaient conformés aux injonctions préconisées par les États-Unis et l’Occident, dans le but de se faire accepter au sein du jeu des nations, ils se sont retrouvés rejetés à nouveau dans leur traumatisme.

C’est bien ce traumatisme, à savoir l’anéantissement de leurs aspirations et la poursuite de la colonisation juive, que les Palestiniens sont en train de répéter face au même rejet occidental dont ils croyaient pouvoir se défaire.

La déclaration de 1988 espérait montrer à l'Occident que les Palestiniens étaient des "accepteurs" et non des "refuseurs". N’ayant pas compris que les positions US, occidentales et israéliennes soutenaient en réalité le colonialisme plutôt que le "pragmatisme", de plus en plus de Palestiniens se sont mis à promouvoir le parrainage US des nouveaux plans de partage. Sous la bannière de la "solution de deux États", le projet US fut ensuite de repartager non pas la Palestine historique, mais 18% de celle-ci, à savoir la Cisjordanie (Jérusalem-Est incluse) entre les plus récents colonisateurs juifs et les indigènes palestiniens.

Les Palestiniens avaient été autorisés à négocier une fraction des terres concernées par les nouveaux partages. Mais Israël a rapidement refusé cette option et décidé que le partage se ferait dans le cadre de la géographie coloniale, proposant la bantoustanisation de la Cisjordanie fondée sur l’absence de souveraineté. Ce fut en substance le processus d'Oslo depuis 1993, qui a atteint sa conclusion logique avec l’arrêt des négociations.

La "libération" palestinienne

La névrose palestinienne a donc changé d’objet, son origine a été attribuée au rejet du plan de partition de 1947, que les Palestiniens pragmatistes se sont engagés à ne plus jamais répéter et donc à ne plus jamais refuser aucun autre plan de partage. En même temps, ils revivaient l'événement traumatique réel, à savoir l'acceptation de la partition par l'OLP en 1988 et les rejets occidentaux et israéliens de cette acceptation. Le résultat est qu’on a interdit aux Palestiniens le refus de la partition de 1947 et qu’on les a obligés à accepter toutes les nouvelles partitions et micro-partitions parrainées par les US(a).

L'Occident n'a pas pour autant accepté la participation des Palestiniens au jeu des nations. Le fiasco de la tentative de reconnaissance d’un État palestinien par les Nations Unies l'an dernier est significatif : la proposition tant vantée par le Premier ministre palestinien non élu Salam Fayyad et refusée par les États-Unis d'Obama, va maintenant se répéter à l'Assemblée Générale par le Président non élu de l'AP Mahmoud Abbas, première étape avant de la soumettre à nouveau au Conseil de Sécurité.

Au vu de ceci, l'addiction de l'AP aux refus US et israéliens de son projet d’État, et le fait que ses fonctionnaires se conforment au rôle de simples employés colonisés qui répètent encore une fois la scène du traumatisme et la compulsion de répétition qui s'en suit, deviennent préoccupants.

Historiquement, cependant, et comme nous le rappelle l'infatigable Ali Abunimah, les milliards de dollars dépensés, les centaines de projets élaborés et les milliers de sessions de négociations tenues pendant plus de six décennies n'ont pas réussi à rendre plus viable ce projet fou et névrotique, qui a accumulé échec sur échec et qui a fait l’impasse sur l’éventualité de toute autre stratégie ou perspective.

La plupart des observateurs du demi-siècle passé ont considéré - bon gré mal gré – que les projets européens de colonisation de peuplement en Asie et en Afrique étaient réversibles. Leur réversibilité est en effet la seule stratégie efficace pour mettre fin à la violence que ces projets ont constamment engendrée, d'autant que la colonisation de peuplement porte en elle-même son extinction, depuis son origine, et au bout d’un processus perpétuel de violence qui est inhérent à son existence.

Stratégies anticolonialistes

Les visions et les stratégies élaborées pour mettre fin à cette colonisation ont été formulées différemment, suivant les contextes, que ce soit la fin de la colonisation française et britannique en Algérie et au Zimbabwe, ou la fin de l'apartheid et des privilèges coloniaux et raciaux en Afrique du Sud et en Palestine.

La partition a constitué le critère à la base de ces projets dans tous ces contextes (le nom même de cette stratégie en Afrique du Sud fut "partition" ou "apartheid") et l’arrêt de la partition est considéré comme la seule voie vers la libération. Sauf en Palestine où la partition est présentée comme le moyen non pas de renforcer le projet sioniste de colonisation de peuplement, mais, étonnamment, comme une voie vers la "libération". Il faut ici catégoriquement dénoncer toutes les tentatives de comparer ou d'assimiler la partition de l'Inde entre ses propres populations indigènes - le résultat de la politique britannique coloniale - avec le projet de partager la Palestine entre les autochtones et les colons comme une simple manipulation pour "normaliser" Israël et le considérer comme un État-nation "normal", accablé de problèmes ethniques et religieux, plutôt que comme une colonie de peuplement pratiquant la dépossession coloniale de la population indigène.

On aimerait que les pragmatistes palestiniens ne souffrent que d’une compulsion de non répétition des stratégie anticolonialistes et d’une compulsion de répétition des stratégie colonialistes, car leur nouveau traumatisme sert essentiellement à augmenter les chances de succès de la stratégie anti-colonialiste et anti-pragmatiste qui défend l’établissement d’un seul État, la fin des privilèges raciaux et coloniaux juifs et l’égalité pour tous. Le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions est l'une des composantes clés de cette stratégie anticolonialiste, bien qu'il ne prenne pas explicitement position sur la forme de l’État qui en résultera.

La compulsion des pragmatistes à déclarer une fois de plus un État et à partager une fois de plus la Palestine n’est qu’une tentative supplémentaire pour faire échouer la lutte pour construire un État, soit la décolonisation de fait sous une forme ou une autre. Qu'un "État" palestinien soit admis ou non à l'Assemblée Générale, cette compulsion d'adopter à nouveau et de répéter le plan de partage est vouée au même sort que les précédentes, car elle ne conduira pas à la "solution de deux États". Son échec, en revanche servira à faire avancer l'objectif d'un État décolonisé et démocratique et la libération de la Palestine.


Version de cet article en arabe sur Al-Akhbar.

Source : Al Jazeera

Traduction : MR/NA pour ISM

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