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Israël - 24 février 2007
Par Hussein Abdel Aziz
Qualifier un régime politique de démocratique, ou proche de la démocratie, nécessite une réelle compréhension du sens du terme démocratie dans ses dimensions sociales, politiques et économiques.
La démocratie n’est pas un concept absolu avec une définition sur laquelle tout le monde est d’accord.
C’est bien plus un concept historique dont la définition et l’application changent en fonction des contextes et des nations ; ceci pose plusieurs interrogations au sein de tout système politique : comme le processus de décision, de représentation politique, de rapport entre majorité et minorité, de citoyenneté, de droits de l’homme et de société civile…
A ce propos, le système politique israélien basé sur le système parlementaire à la proportionnelle, répond aux plus hauts impératifs d’une démocratie apparente : c’est en effet la meilleure manière de représenter proportionnellement l’ensemble des partis, et donc le meilleur moyen de bâtir l’Etat-nation moderne au cas où les partis communautaires n’existent pas.
Néanmoins, les élections ne constituent plus la principale caractéristique d’un régime démocratique, comme ce fut le cas durant les 18ème et 19ème siècles.
Selon de récentes études portant sur la démocratie, l’importance du suffrage et de l’alternance au pouvoir comme critères a diminué au profit de sujets plus essentiels telles les questions des droits de l’homme ou la société civile.
Le premier obstacle auquel fait face le chercheur sur la question de la démocratie israélienne, c’est l’absence total d’une Constitution écrite.
Il est ainsi possible de considérer Israël comme le seul Etat au monde sans constitution, et qui n’est basé en effet que sur un certain nombre de tradition et de lois fondamentales, comme ce fut le cas au Moyen-âge.
L’absence de Constitution en Israël est due à deux raisons principales : tout d’abord, la constitution est censée préciser le rôle et les missions de l’Etat, ce qui entre en contradiction avec les réels objectifs de l’Etat israélien, à savoir « exproprier les terres de leurs propriétaires palestiniens et les attribuer aux immigrants juifs, expatrier les palestiniens, la « loi du retour », l’immigration juive, et l’application d’un modèle de citoyenneté qui entre en contradiction avec toute constitution démocratique possible ».
De plus, un des rôles principaux de l’Etat est de délimiter les frontières politiques et nationales, ce qui ne correspond pas à la mentalité coloniale discriminatoire israélienne, car les frontières sont un rejet complet de la pratique coloniale expansionniste adoptée par Israël.
De plus, une constitution est ce qui précise la nature même de l’Etat.
Or la naissance d’Israël fut marquée d’un vif débat entre laïques et religieux qui ne reconnaissent pas l’Etat laïque, car cet Etat nierait le caractère sacré de la terre d’ « Israël ».
Voilà pourquoi certains partis non sionistes considèrent le sionisme comme une hypocrisie et un mensonge : ainsi, selon des partis tels Gush Amunim ou Aghudet Israël, l’Etat sioniste ne constitue pas la salvation pour les juifs.
Cette absence de Constitution en « Israël » octroya à l’ensemble des institutions israéliennes, dont les institutions académiques, la liberté de mettre en application les concepts religieux sionistes à l’encontre des populations arabes palestiniennes ; des concepts qui entrent intrinsèquement en contradiction avec toute constitution démocratique.
Beaucoup d’israéliens prirent conscience de cela, et décidèrent alors de lier intrinsèquement les termes Israël et démocratie sans les définir, car toute définition constituerait une base légale à la communauté politique, et une constitution sera alors requise.
Ainsi, la contradiction reste le seul lien entre ces deux concepts. Néanmoins, face à l’incessante critique arabe, certains chercheurs israéliens cherchèrent à trouver une issue en affirmant que le racisme colonial ne contredit pas la démocratie de l’Etat, ils prennent alors comme exemple le modèle démocratique de l’Etat colonial européen.
Ils ont néanmoins oublié de préciser que cette conception était le fruit de son temps, et qu’elle constituait une règle générale en Europe, et non une exception, comme il en est le cas actuellement en « Israël ».
En effet, le développement du concept d’Etat-nation en Europe fut accompagné par l’expansion de la domination européenne sur le monde.
C’est la définition bourgeoise du concept de souveraineté nationale, mais seule la gauche radicale considérait la démocratie et la bourgeoisie comme la même expression de la volonté de domination d’une classe sur l’autre.
Ainsi, il n’est pas étonnant que ces Etats démocratiques soient coloniaux dans leurs politiques étrangères.
Dans une seconde tentative pour fournir un caractère démocratique à l’Etat israélien, certains chercheurs israéliens affirmèrent que l’octroi d’une égalité de droits dans un cadre constitutionnel aux populations arabes, tout en gardant le contrôle légal et législatif entre les mains de la majorité juive, permettait de qualifier « Israël » de démocratique.
Cette définition est adoptée par le professeur gauchiste Sami Samouha, de l’université de Haïfa, qui explique dans son article « La démocratie ethnique », que l’Etat peut être démocratique et ethnique, ce qui permet de considérer le modèle de régime israélien comme l’un des modèles démocratiques dans le monde.
En effet, même si Israël n’est pas un Etat démocratique au sens libéral du terme, il reste malgré tout une démocratie même s’il établit deux degrés de citoyenneté : les citoyens juifs, et les citoyens palestiniens qui ne jouissent pas des mêmes droits accordés aux citoyens juifs.
La démocratie raciale israélienne dont parle Samouha considère l’appartenance ethnique comme base principale d’appartenance à l’Etat-nation.
Or, cette appartenance ethnique n’est pas le fruit d’une majorité ethnique, le concept de majorité ici est un concept idéologique, « Israël » est un Etat juif non du fait de la majorité juive, mais du fait de sa définition en tant qu’Etat juif, cela implique la présence d’une majorité et d’une minorité perpétuelles.
Cette vision vient en complète contradiction avec la définition européenne, de tradition française, de la démocratie qui est le régime où la majorité reconnaît les droits de la minorité, et admet que la majorité d’aujourd’hui peut devenir la minorité de demain.
La majorité se plie aux dispositions légales qui défendent éventuellement des intérêts différents des siennes, tout en permettant à tous d’exercer leurs droits fondamentaux. Les rapports étroits qui existent entre l’Etat, la société, et la culture ethnique juive affaiblissent la démocratie, car ils nient les minorités au profit de la culture de la majorité, elle-même culture de l’Etat.
La tentative de Samouha intervient dans une prise de conscience profonde de la contradiction entre le judaïsme et la démocratie dans l’Etat d’ « Israël ».
Mais sa tentative de réconcilier Israël et démocratie ne tient pas, car reconnaître la légitimité du concept d’un « Etat juif démocratique » doit provenir de la minorité, en l’occurrence des arabes d’Israël ; or ceux-ci ne reconnaissent pas ce concept.
Les arabes peuvent être prêts à accepter un Etat démocratique juif, c'est-à-dire un Etat intrinsèquement démocratique, mais juif uniquement du fait de l’influence culturelle de la majorité juive.
Ainsi, les arabes d’Israël pourront reconnaître l’aspect juif de l’Etat, mais il refusent son caractère sioniste ; ce qui est différent de la vision israélienne qui s'appuie d’abord sur le caractère juif de l’Etat, puis sur son caractère démocratique.
En effet, insister d’abord sur la démocratie ne peut se faire qu’au dépend de la judaïté de l’Etat. Elargir le concept de démocratie conduirait à une égalité complète entre arabes et juifs dans le cadre de l’Etat-nation, ce qui est inacceptable pour l’identité juive.
Cette contradiction dans la vision de démocratie ethnique n’empêcha pourtant pas les théoriciens de la démocratie israélienne de considérer Israël comme un Etat-nation démocratique similaire à l’Etat-nation européen du 19ème siècle, caractérisé par son unité culturelle et linguistique.
L’intellectuel arabe Azmi Bchara s’oppose virulemment à cette vision en expliquant dans son livre « Du judaïsme d’Etat à Sharon : une étude dans les contradictions de la démocratie israélienne » : " qu’Israël ne sépare pas entre la communauté politique, la nation et la religion".
"Il est donc impossible de séparer la religion de l’Etat, les Etat-nations ne sont pas tous démocratiques, un Etat-nation le devient lorsque la citoyenneté devient l’appartenance à la communauté politique moderne, quelque soit les origines ethniques des citoyens".
En d’autres termes, la démocratie israélienne manque d’une caractéristique essentielle : la laïcité qui sépare la religion et l’Etat, pour enfin séparer la religion et la nation.
Cette séparation est la plus importante caractéristique des Etats modernes démocratiques, pour pouvoir jauger la modernité d’un régime politique.
En effet, la laïcité pousse vers la quête de principes basés non sur une assise métaphysique, mais sur une assise politique, ce qui permet d’établir la justice et l’égalité.
Ainsi, les Etat-nations ne sont pas tous démocratiques, l’état-nation est celui qui laïcise ses institutions et ses symboles religieux, en faisant de la citoyenneté le critère d’appartenance à l’Etat-nation, et de la nation le moyen d’acquérir la citoyenneté complète.
Or, c’est exactement le contraire qui intervient en Israël : les israéliens ne sont pas tous membres de la nation juive : seule la religion juive permet d’appartenir à la nation ; voilà pourquoi la mentalité sioniste ne comprend pas le concept de « nation israélienne », mais bien celui de « nation juive » : l’Etat d’ « Israël » est uniquement l’Etat des juifs.
La troisième tentative pour octroyer à Israël un caractère démocratique vient de la part du professeur en géopolitique de l’université de Bir Saba, Urn Yeftahil.
Celui-ci considère que la démocratie israélienne est une démocratie où un groupe ethnique domine majoritairement l’espace géographique et démographique et contrôle totalement l’espace politique.
Cette démocratie « ethnocratique », selon Yeftahil, cherche à accroître légalement la domination du groupe ethnique majoritaire sur les autres groupes, en transformant les droits religieux en droits politiques.
Il est intéressant de noter que le professeur reconnaît ici avec franchise que le régime établi en « Israël » ne constitue pas un Etat national juif démocratique, mais que c’est bien un appareil coercitif qui cherche à judaïser une région binationale et multiethnique.
Le sionisme, avec les opérations de judaïsation et d’expulsion qu’il entreprend, devient alors la base même de cette prétendue démocratie. Dans tous ces cas, le sionisme remplace la citoyenneté qui ne peut élaborer une identité juive laïque.
Cette culture imbibée de racisme est à l’origine du regain d’audience de la droite extrémiste dans la société israélienne.
Dans un rapport intitulé « Etude sur la démocratie en Israël », 62% des sondés espéraient que leur gouvernement adopterait une politique qui convaincra les 1,3 millions d’arabes israéliens de quitter le pays.
La question qui se pose ici est comment peut-on concilier la démocratie, qui suppose la reconnaissance de « l’autre » comme reflet de soi au sein de la même communauté politique, avec une démocratie où « l’autre » est perçu comme une négation totale de celle-ci. La démocratie israélienne n’en deviendrait-elle pas imaginaire ?
Mais les prêcheurs de la démocratie israélienne continuent de décrire leur Etat de « Juif et démocratique » comme s’il s’agissait là d’un fait accompli, ou alors d’un texte religieux qui refuse toute exégèse, interprétation ou réflexion, même si leur formule est contraire au raisonnement logique le plus objectif.
Source : Palestine Info
Traduction : Palestine Info
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