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1 février 2021
Par Youssef Girard
En cette période de lutte contre le « séparatisme » islamique, « l’injonction à l’intégration »[1] s’exerce plus que jamais contre les musulmanes et les musulmans qui doivent « prouver » qu’ils sont bien « intégrés » à la communauté nationale, c’est-à-dire qu’ils se sont « blanchis ». Pour cela, ils doivent montrer leur patriotisme, en brandissant des drapeaux tricolores ou en chantant La Marseillaise, et leur attachement à la République, en clamant leur citoyenneté et leur attachement aux valeurs républicaines. Ils doivent également se renier par un processus de lactification car seule une définition négative de leur spiritualité, de leur culture ou de leur histoire est tolérée.
Malcom X et Muhammad Ali devant le Trans-Lux Newsreel Theater à New York en 1964. (AP)
Évidemment, nombre de musulmanes et de musulmans se prêtent « docilement » à des démonstrations de patriotisme tricolore et de républicanisme ou à des cérémonies publiques d’auto-dénigrement. Ils mangent leur personne avec une fourchette et un couteau si nécessaire, pour paraphraser l’écrivain soudanais Tayeb Saleh. Malgré les « bonnes intentions affichées », les pourfendeurs de « l’hydre islamiste » ne voient dans ces démonstrations de bonne intégration qu’un obscur stratagème – la taqiya certainement – visant à saper les fondements de la civilisation occidentale menacée par les « hordes mahométanes ».
Néanmoins, quoi que les musulmanes et les musulmans fassent, le débat s’organise autour du concept négatif de « séparatisme » ou de « communautarisme » auquel il est opposé celui nécessairement positif d’« intégration », voire celui d’« assimilation ». Mais qu’est-ce que l’« intégration » ou l’« assimilation » ?
Nous ne répondrons pas directement à cette question complexe car la définition de ces concepts peut singulièrement varier selon les différents contextes où ils furent employés et selon les différents acteurs qui les ont employés. Dans le contexte français, il semble assez clair que ces concepts renvoient en premier lieu à l’histoire coloniale de la France notamment à la colonisation de l’Algérie où ils furent successivement employés contre le peuple algérien. Au cours de cet article nous n’aborderons pas directement la question de l’emploi de ces concepts durant la colonisation mais nous nous contenterons seulement de rappeler sommairement comment Malcolm X (1925-1965) analysait le concept d’intégration dans son autobiographie parue après sa tragique mort en 1965.
Malcolm X introduisait son analyse en rappelant qu’elle était celle d’un Afro-américain du Nord des États-Unis où il n’existait pas de lois ségrégationnistes mais une autre forme de racisme systémique frappant la communauté afro-américaine. Ainsi, Malcolm X se définissait comme « un produit du Blanc du Nord et de son hypocrisie à l’égard des Noirs »[2]. Le leader afro-américain ajoutait que « le Blanc du nord, sourire aux lèvres, n’a que mensonges à la bouche. « Égalité » ! « Intégration » ». Sourire aux lèvres et mensonges à la bouche car, face aux revendications d’égalité réelle des Afro-américains, « le libéral du Nord a reculé avec la même horreur que le raciste du Sud »[3].
Partant de là, Malcolm X donnait sa définition de l’intégration : « Le mot « intégration » est une invention des libéraux du Nord. Il n’a vraiment aucun sens. L’« intégration », c’est un leurre, un écran de fumée dressé par les renards libéraux du Nord pour entretenir la confusion sur les véritables aspirations du Noir américain »[4].
Pour Malcolm X, les Afro-américains n’aspiraient aucunement à l’intégration mais à faire respecter « leurs droits humains » et « leur dignité humaine ». Selon Malcolm X, « les masses noires » voulaient « marcher la tête haute comme des hommes et des femmes véritables dans une société libre »[5] car « les Noirs en ont assez d’être des esclaves mal affranchis, des citoyens de deuxième classe »[6]. Cette volonté des Afro-américains d’être des êtres humains à part entière, et non entièrement à part, ne signifiait nullement qu’ils souhaitaient s’intégrer à la société blanche promue par les libéraux états-uniens.
Cette opposition des Afro-américains à l’intégration était pleinement légitime aux yeux de Malcolm X car celle-ci n’était aucunement profitable aux Afro-américains, bien au contraire. Selon le leader afro-américain, l’intégration était synonyme d’affaiblissement et de submersion pour le groupe dominé qui se trouvait intégré au groupe dominant provoquant ainsi un processus de dissolution inévitable. Pour expliciter sa position, Malcolm X prenait des exemples en dehors de l’histoire spécifique de la communauté afro-américaine. Ainsi, il affirmait : « L’« intégration » s’appelle « assimilation » quand elle concerne les seuls groupes ethniques blancs. Ceux qui tiennent à leur héritage la combattent avec acharnement ». Puis, Malcolm X prenait l’exemple des Irlandais et des Québécois pour sa démonstration : « Regardez comme les Irlandais ont chassé les Anglais de chez eux. Ils savent bien que les Anglais voulaient les engloutir. Regardez les Canadiens français, ces fanatiques qui luttent pour préserver leur propre personnalité»[7].
Toutefois, c’est en prenant l’exemple « le plus tragique » des Juifs allemands que Malcolm X lançait sa critique la plus forte contre l’intégration, « donc de l’affaiblissement, de la dissolution ». Malcolm X rappelait l’apport considérable des Juifs à l’Allemagne dans des domaines aussi différents que la culture, la presse ou les sciences. Néanmoins, pour Malcolm X, les Juifs avaient « commis l’erreur fatale : ils ont voulu s’assimiler ». Le leader afro-américain ajoutait que « la religion, leurs racines ethniques et culturelles juives, ils les avaient anesthésiées, extirpées… si bien qu’ils ont fini par se prendre pour des Allemands ». Cette intégration désarma les Juifs lorsqu’ils furent confrontés au nazisme car ils étaient « plein d’illusions » et totalement affaiblis « par l’assimilation »[8].
L’« incapacité » des Juifs à se défendre efficacement contre le nazisme et ses projets génocidaires, Malcolm X l’expliquait par « leur « autolavage » de cerveau » qui « devait être très poussé pour qu’ils s’écrient encore : « Non ! ce n’est pas possible » en entrant dans la chambre à gaz »[9].
Pour Malcolm X, l’intégration des Juifs en Allemagne n’avait nullement été un élément de lutte contre l’antisémitisme. Bien au contraire, l’intégration avait désarmé les Juifs en leur faisant baisser leur garde face à la menace antisémite qui pesait sur eux en tant que minorité dominée car ils se pensaient pleinement intégrés au groupe dominant germanique, ce qui s’avéra tragiquement faux. L’intégration les avait également submergés en leur faisant oublier leur identité religieuse et culturelle qu’ils avaient abandonnée au profit d’une illusoire identité allemande de substitution. Finalement, en désarmant les Juifs et en leur « lavant le cerveau », l’intégration prépara le terrain à la mise en place du projet génocidaire des Nazis car les Juifs étaient déjà trop intégrés pour pouvoir s’y opposer efficacement.
Évidemment, l’analyse de Malcolm X devrait être nuancée par une étude plus précise de l’histoire de la communauté juive en Allemagne et du processus génocidaire mis en œuvre par les Nazis. Toutefois, ce qui nous intéresse principalement dans le cadre de cet article, c’est la critique de la notion d’intégration par Malcolm X et la logique de son argumentation. Dans cette argumentation, Malcolm X ne cherche nullement à faire une histoire de la communauté juive en Allemagne et du processus génocidaire mis en place par les nazis mais à montrer les dangers que l’intégration ou l’assimilation font courir à un groupe dominé en prenant un exemple dont l’issue fut particulièrement tragique[10].
L’objectif premier de Malcolm X était de mettre en garde les Afro-américains contre le danger de l’intégration notamment dans les mobilisations politiques propres à la communauté noire. Au niveau politique, l’intégration était, selon Malcolm X, un facteur visant à canaliser et à encadrer les mobilisations des Afro-américains en les dévitalisant. De ce fait, les mobilisations « intégrées » ne pouvaient aucunement faire aboutir les revendications des Afro-américains car elles n’exprimaient ni leur colère ni leurs revendications réelles. Elles n’incarnaient qu’un antiracisme « folklorique » et inefficace donnant « bonne conscience » aux libéraux blancs qui pouvaient ainsi se draper à peu de frais dans la bannière immaculée de l’antiracisme.
Afin de faire la critique des mobilisations « intégrées », Malcolm X prenait l’exemple de ce qu’il nommait ironiquement « la farce sur Washington », c’est-à-dire la « Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté » qui se déroula le 28 août 1963 à l’initiative de Asa Philip Randolph, fondateur du premier syndicat noir, de James L. Farmer, Jr., président du Congress of Racial Equality, de John Lewis, président du Student Nonviolent Coordinating Committee, de Martin Luther King, président du Southern Christian Leadership Conference, de Roy Wilkins, président de la NAACP, de Whitney Young, président de la National Urban League, de Bayard Rustin et de Anna Arnold Hedgeman.
Cette grande marche avait réuni entre 200.000 et 300.000 personnes dont environ 80% d’Afro-américains et 20% de Blancs ou de membres d’autres groupes ethniques. La marche débuta au Washington Monument et se termina au Lincoln Memorial. Elle se déroula avec un programme de discours et de musiques. Plusieurs chanteurs animèrent la manifestation, comme Mahalia Jackson, Marian Anderson, le trio Peter, Paul and Mary, le groupe Odetta, le groupe The Freedom Singers, Bob Dylan ou Joan Baez. Enfin, Martin Luther King y prononça son célèbre discours I have a dream, qui devint un symbole de la lutte pour les droits civiques.
Mais quelles critiques Malcolm X émettait-il contre cette marche qu’il dénonçait férocement comme une « farce » ?
Malcolm X reprochait à la « Marche sur Washington » d’être une manifestation « intégrée » visant à encadrer les Afro-américains et rendant leur lutte contre le système racialement hiérarchisé inefficace. Ainsi, le leader afro-américain expliquait qu’« on injecta au Noir américain une nouvelle dose d’« intégrationnisme », avec toutes les conséquences en fait d’affaiblissement, d’avachissement, d’illusions »[11]. Malcolm X rappelait que l’idée d’une marche qui avait été lancée par A. Philip Randolph, était ancienne puisqu’elle remontait à une vingtaine d’années. Toutefois, cette idée connut une nouvelle vigueur au début des années 1960 en prenant un caractère spontané et populaire car les Afro-américains exigeaient « des actes concrets en matière de droits civiques, et de la part de la Maison Blanche et du Congrès »[12].
Le pouvoir blanc se méfiait de la mobilisation spontanée et populaire de la population afro-américaine et de la colère dont elle était porteuse. Malcolm X expliquait que « le Blanc avait toutes les raisons de s’inquiéter. La moindre étincelle aurait pu déclencher une insurrection noire. Le gouvernement savait que ces milliers de Noirs en colère, fourmillant dans tous les sens, étaient capables de faire irruption à Washington et de mettre la capitale sans dessus dessous »[13].
Dans ce contexte, « l’intégration » permit « d’affaiblir le mouvement noir »[14]. Concrètement, la Maison Blanche annonça qu’elle approuvait la marche et des organisations de lutte contre le racisme reçurent des subsides pour organiser la manifestation. « Six grands leaders » afro-américains furent désignés et quatre « personnalités » blanches (un catholique, un juif, un protestant et un syndicaliste) furent conviées à se joindre à la grande marche. Face à cette mutation organisée de la marche des Afro-américains, les Blancs libéraux firent volte-face selon Malcolm X : « Brusquement, les Blancs qui, la veille encore, appréhendaient tant la Marche, annoncèrent leur participation : ce serait un acte « démocratique » »[15].
Les élites afro-américaines qui avaient commencé par « déplorer cette initiative de la masse », suivirent le mouvement général suite au ralliement des Blancs libéraux : « Les « intégrationnistes » noirs se bousculèrent pour s’inscrire les premiers. La « marche des Noirs en colère » devenait chic »[16].
Cette évolution de la mobilisation fit que « ce qui devait être, à l’origine, un raz de marée de colère, devint un « fleuve paisible » »[17]. Décrivant l’encadrement de la marche, Malcolm X expliquait : « Noirs et Blancs se trouvaient « intégrés » […]. On précisa aux manifestants qu’il était inutile d’emporter des banderoles : on leur en fournirait. On leur dit de ne chanter qu’une chanson : Nous vaincrons[18]… On leur dit comment arriver, où, quand, où se rassembler, d’où se mettre en route, quel itinéraire emprunter. […] J’ai vu des insurgés en colère entonner harmonieusement Nous vaincrons un jour… en avançant bras-dessus, bras-dessous avec ceux-là mêmes qu’ils étaient censés combattre. […] Les révoltés en colère, aux pieds nus, et leurs oppresseurs marquaient la mesure ensemble au bord des bassins des jardins publics, dans des parterres de lys, chantaient des hymnes et grattaient leurs guitares en écoutant des discours de bons samaritains »[19].
Face à ce qu’il considérait comme une mauvaise « farce » faite aux Afro-américains en colère, Malcolm X s’interrogeait amèrement : « Peut-on imaginer pareil spectacle, alors que les masses noires d’Amérique vivaient – vivent encore – un cauchemar éveillé ? »[20].
Surtout Malcolm X dressait le constat accablant de l’absence de résultats concrets de cette marche qui était restée uniquement symbolique. Les lois ségrégationnistes restaient toujours en vigueur et ceux qui les défendaient, n’avaient nullement changé d’avis. Pour Malcolm X, l’inefficacité de cette marche résultait de son caractère « intégré » qui, en défendant un antiracisme folklorique et festif, ne pouvait aucunement être à même de faire aboutir les revendications réelles des Afro-américains opprimés par le système raciste depuis plusieurs centaines d’années. Ainsi, Malcolm X s’interrogeait : « Comment un simple pique-nique « intégré » aurait-il pu convertir en un jour les représentants élus d’une population profondément raciste depuis quatre cents ans ? »[21].
Néanmoins, Malcolm X expliquait que la Marche sur Washington n’était aucunement parvenue à mettre durablement un terme à la colère des Afro-américains car ceux-ci s’opposaient au système raciste qui les opprimait : « La marche sur Washington a eu un mérite : elle a calmé les Noirs pendant un temps. Mais ils devaient bientôt découvrir qu’une fois de plus le Blanc les avait « eus ». Alors leur colère éclata à nouveau, plus terrible que jamais »[22].
Par la suite la critique de Malcolm X des mobilisations intégrées fut poursuivie par le mouvement afro-américain révolutionnaire. Ainsi, Stokely Carmichael intitula un chapitre de son ouvrage sur le Black power « Les mythes de la coalition »[23]. L’auteur du Black Power s’interrogeait sur l’injonction qui était faite aux Afro-américains de former des coalitions avec les libéraux, les ouvriers, les Églises et l’aile gauche du Parti Démocrate afin d’éliminer le racisme alors que ces mêmes groupes condamnaient le « séparatisme » du Black Power. Stokely Carmichael ne condamnait pas toute forme de coalition mais il refusait l’instrumentalisation d’une coalition au détriment des revendications des Afro-américains. Le problème restait que « la façon dont le libéral blanc voit le problème racial est forcément radicalement différente de celle du Noir »[24] car le premier ne faisait pas quotidiennement l’expérience du racisme. Les priorités politiques de ceux qui vivaient le racisme et de ceux qui ne le vivaient pas, ne pouvaient donc nullement être les mêmes.
Comme nous venons de le voir, Malcolm X nous enseigne trois choses essentielles sur la notion d’intégration.
Premièrement, cette notion du point de vue d’un groupe dominé ne saurait être définie comme positive car, comme l’expliquait Stokely Carmichael, « l’« intégration » n’est qu’un subterfuge pour maintenir en fait la suprématie blanche »[25]. Néanmoins, le discours dominant présente toujours l’intégration comme la solution à toutes les questions se rapportant à un groupe dominé mais pour ce groupe l’intégration est en soi un problème, comme nous l’explique Malcolm X pour deux raisons que nous allons voir.
Deuxièmement, l’intégration participe d’un processus de dissolution et de submersion du groupe dominé par le groupe dominant. Cette dissolution et cette submersion ne peuvent aboutir à terme qu’à la disparition du groupe dominé qui se retrouverait noyé au sein du groupe dominant. Nous comprenons dès lors pourquoi l’intégration est nécessairement négative pour le groupe dominé car elle signifie au final sa disparition en tant que groupe spécifique au profit d’une dissolution au sein du groupe dominant. Cette dissolution ne s’effectue que dans l’intérêt du groupe dominant qui peut ainsi perpétuer sa domination. Mais plus encore, l’intégration annihile les réflexes de défense du groupe dominé qui se retrouve totalement désarmé par l’intégration face au système raciste mis en place par le groupe dominant. Par l’illusion qu’elle crée, l’intégration peut ainsi faciliter les violences de masse d’un groupe dominant contre un groupe dominé qui ne se serait pas préparé à la possibilité de ces violences.
Troisièmement, dans les luttes politiques d’un groupe dominé, la perspective d’une mobilisation « intégrée », notamment dans laquelle des corps organisés du groupe dominant auraient un pouvoir décisionnel, participe nécessairement à la dévitalisation et à l’encadrement de cette lutte. Cette dévitalisation et cet encadrement feront que les revendications et les modalités d’organisation du groupe dominé ne seront plus déterminées en fonction des intérêts propres de ce groupe mais en fonction de ce qui est acceptable ou non pour le groupe dominant. Évidemment, cette perspective rendra la lutte du groupe dominé totalement inefficace et incapable de faire aboutir ses revendications. Les mobilisations intégrées sont donc par définition vouées à l’échec.
La critique « malcolmienne » de la notion d’intégration et des mobilisations intégrées devrait questionner la lutte contre le racisme en général et la lutte contre l’islamophobie en particulier. L’intégration qui est systématiquement présentée comme un concept positif par le discours dominant l’est-il véritablement pour la communauté musulmane ? Dans quelle mesure l’intégration participe-t-elle à la dissolution et la submersion de cette communauté ? De même, dans quelle mesure l’intégration participe-t-elle à annihiler les réflexes de défense de cette communauté face au racisme dont elle est victime ? En quoi les mobilisations intégrées participent-elles à la dévitalisation et à l’encadrement des luttes de la communauté musulmane ? Enfin, dans quelle mesure les mobilisations intégrées conduisent-elles, depuis plusieurs années, les luttes de la communauté musulmane contre l’islamophobie dans une impasse ?
Évidemment, poser et essayer de répondre collectivement à ces questions sur l’intégration nécessiterait un long et difficile débat intracommunautaire car la critique « malcolmienne » risque de heurter bien des sensibilités politiques, bien des intérêts stratégiques et, avouons-le, bien des plans de carrière. La critique « malcolmienne » de l’intégration n’est nullement une « critique intégrée » de celle-ci qui, en se référant, par exemple, uniquement à Marx ou Lénine, montrait « patte-blanche » et deviendrait acceptable pour les Blancs radicaux[26]. La critique « malcolmienne » de l’intégration est une critique ne fondant pas uniquement une rupture ponctuelle et stratégique avec la gauche blanche mais une rupture épistémologique fondamentale ouvrant la perspective d’une autre pensée fondée sur d’autres références et d’autres histoires. Cette critique ne s’adressait pas aux Blancs radicaux mais aux Afro-américains qui restaient inéluctablement le cœur de cible du message de Malcolm X. Alors peut-être que le temps est venu d’arrêter d’utiliser l’image de « l’homme révolté » par le racisme, Malcolm X, pour s’intéresser véritablement à ses idées et à ses combats ?
Respecter l’héritage de Malcolm X, ce n’est en tout cas pas se soumettre « docilement » à « l’injonction à l’intégration »[27] que le système raciste impose aux groupes dominés. Respecter l’héritage de Malcolm X, c’est faire la critique radicale et sans concession de l’intégration et des mobilisations intégrées comme seul horizon des possibles politiques pour un groupe dominé. Finalement, respecter l’héritage de Malcolm X, c’est « savoir compter sur ses propres forces » comme perspective de lutte politique autonome de ce groupe dominé.
Youssef Girard
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