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Monde Arabe -

La formation de l’identité arabe

Par

Né en 1935 à Figuig au Maroc et mort en 2010 à Casablanca, Mohammed Abed al-Jabri est un philosophe spécialiste de la pensée arabo-musulmane, depuis ses origines à nos jours. Il est l’auteur de nombreux ouvrages en langue arabe.

Lorsque nous parlons de la oumma arabe telle qu’elle est perçue dans la conscience des peuples du monde arabe, nous parlons de l’entité qui vit le jour et qui se développa avec l’Islam et son expansion. Cette entité commença à prendre une forme « constitutionnelle » avec la Constitution de Médine ou la Charte de Médine. Il s’agissait d’une sorte de pacte « national » conclu avec les habitants de Yathrib (1), Arabes et Juifs, par le Prophète Mohammed (BSDL) après son émigration dans cette ville. Ce pacte était effectivement « national » dans le sens où il affirmait dans l’un de ses articles que les Mouhâjiroûn (2), les Ansârs (3) et les Juifs formaient tous ensemble « une seule oumma » solidaire contre tout ennemi extérieur. Cela représentait une forme « d’unité nationale » entre tous les habitants de Médine : les Mouhâjiroûn originaires de la Mecque ; les Ansârs (les tribus des Aws et des Khazraj) ; et les Juifs.

La formation de l’identité arabe

Le Prophète (BDSL) pose la première pierre de la mosquée de l'Islam à Kouba près de Médine, miniature turque du XVIème siècle
Dans le contexte de cette « unité nationale » ou de cette « identité collective », le pacte protégea toutes les tribus médinoises, quelles fussent juives ou arabes, et les Mecquois immigrés. Le pacte veilla également à conserver les coutumes existantes notamment concernant les questions politiques qui prenaient en compte les habitudes de la société bédouine de l’époque ; par exemple sur la question des meurtres, qu’ils fussent prémédités ou non. Le pacte installa une sorte de trêve sociale dans l’opposition existante entre les « identités particulières » à chaque groupe. Il ouvrit la porte à une fraternité et à une entraide dans le contexte de constitution d’une identité plus large. Cela se constitua bien avant que la sharia mohammadienne ne soit totalement parachevée. Cette entité collective commença à s’élargir grâce aux expéditions du Prophète (BSDL). Elle englobait pratiquement l’ensemble de la péninsule arabique. Après la mort du Prophète (BSDL), les califes bien guidés (4) poursuivirent la formation de l’État islamique qui était en même temps l’État des Arabes. L’identité arabe était manifeste dans la structure de cet État à l’époque des Omeyyades (661-750). Cette identité arabe apparait clairement dans les livres d’histoire et de littérature arabes.

La dynastie omeyyade était une dynastie arabe. Le pouvoir politique était réparti entre les différentes tribus arabes qui étaient les seules à gouverner. Les peuples convertis à l’islam étaient plus ou moins éloignés de l’exercice du pouvoir politique. En réalité, l’accaparement du pouvoir par les Banoû Omeyya était le résultat inéluctable d’une série de développements dont furent témoins la société mecquoise avant l’arrivée de l’Islam et la société islamique à l’époque du Prophète (BSDL) et des califes bien guidés.

Avant l’apparition de l’Islam, les tribus des Banoû Omeyya et des Banoû Makhzoûm constituaient une force d’influence financière et militaire à la Mecque. Au début de sa prédication, les hommes les plus hostiles au Prophète (BSDL) furent les notables de Qoraysh et plus précisément les leaders des Banoû Omeyya et des Banoû Makhzoûm. Lorsque le Prophète (BSDL) émigra à Médine et qu’il entra en conflit avec les Qorayshites, la bataille de Badr fut un tournant historique dans ce conflit. Les Banoû Makhzoûm furent terrassés. La majeure partie de leurs leaders furent tués. L’alliance existante entre eux et les Banoû Omeyya fut dissous. Les Banoû Makhzoûm furent écartés du pouvoir. Habile négociateur, Aboû Sofiane prit la direction de Qoraysh afin de mettre fin au conflit opposant la tribu à la prédication mohammadienne. La Mecque fut ainsi conquise de manière pacifique : « Quiconque entre dans la mosquée [de la Mecque] est en sécurité et quiconque entre dans la maison d’Aboû Sofiane l’est aussi ».

En exposant ces détails, nous souhaitons mettre en avant le fait que l’entrée des Banoû Omeyya dans l’islam fut presque collective, dans un contexte de négociations. Afin de soutenir cet islam « négocié », le Prophète (BSDL) s’était comporté avec Aboû Sofiane et les siens de manière à « attendrir leurs cœurs ». Il (BSDL) fut plus généreux avec eux dans le partage des butins, ce qui irrita nombre d’Ansârs. Le Prophète (BSDL) avait alors expliqué aux Ansârs qu’il ne se comportait pas ainsi par préférence mais plutôt pour encourager l’islam de ces nouveaux musulmans. Ajoutons à cela que le Prophète (BSDL) avait épousé la fille d’Aboû Sofiane avant la conversion de ce dernier. De même, il (BSDL) choisit Mu’âwiya comme scribe et d’autres hommes parmi les personnalités des Banoû Omeyya pour exercer des responsabilités de premier plan. La position des Banoû Omeyya ne changea pas sous le califat d’Aboû Bakr as-Siddiq, d’Omar ibn al-Khattâb et d’Othmân ibn Affân. Bien au contraire, leur influence augmenta notamment dans le Bilâd as-Shâm (4) et en Égypte qu’ils gouvernaient. Cette influence résultait d’une situation politique particulière caractérisée par une hégémonie des Banoû Omeyya dans le Bilâd as-Shâm. L’impact de cette influence apparut clairement et de manière palpable dans le conflit opposant Alî ibn Abî Tâlib à Mu’âwiya ibn Aboû Sofiane. En réalité, la position sociale des Banoû Omeyya dans l’islam demeura la même que lors de la période préislamique. Comme l’avait affirmé al-Maqrizi dans son expression célèbre, les Banoû Omeyya « aiguisèrent leurs crocs », durant l’époque du Prophète (BSDL) et celle des califes bien guidés.

La dynastie omeyyade du point de vue de l’évolution sociale, politique et historique était une dynastie composée de peuples Arabes qui entrèrent dans l’islam et qui se conduisirent en héros au cours des conquêtes s’étant déroulées à leur époque. Sous la dynastie omeyyade, l’identité de l’État islamique prit un caractère étroitement  arabe ; c'est-à-dire une dynastie bâtie autour de la plus grande tribu arabe de l’époque.

La dynastie abbasside (750-1258) a essayé d’être une dynastie ouverte à « tous ». Elle partagea l’autorité politique entre les différents groupes composants la société : le calife était arabe ; les commandants des armées étaient arabes ou sous le commandement d’un vicaire arabe ; les soldats, les scribes et les autres membres de la cour étaient des mawâlî (6) d’abord perses ou originaires du Khorasan (7) puis turcs. Deux identités principales surgirent des frictions entre tous ces groupes représentant la dynastie abbasside. La première s’est exprimée anthropologiquement : il s’agissait du mouvement de la shu’ubiyya (8). La seconde était une expression religieuse : c’est ce que les orientalistes nommèrent « le retour au sunnisme » à l’époque du calife al-Moutawakkil (9).

Peu de temps après son installation, la dynastie abbasside – plus précisément à l’époque du calife Hâroun ar-Rashîd (786-809) – se transforma en ce qui ressemblait à une sorte d’Empire. Comme c’est généralement le cas dans tous les empires, l’identité collective, sur laquelle s’établit l’état national, laissa place aux identités particulières qui selon les circonstances, entrèrent en conflit ou vécurent en harmonie les unes avec les autres. Dans ce contexte, « le Moi arabo-islamique » commença à se déterminer en interaction avec « l’Autre, l’étranger », ennemi des Arabes et des musulmans, principalement l’Empire byzantin. Cet empire fut démantelé par les expéditions menées par la dynastie abbasside. Cela mit fin à la distinction entre « Arabes » et « musulmans ». Lors des controverses ayant eu lieu au cours des batailles littéraires et idéologiques contre la shu’ubiyya, le sentiment partagé par tous faisait ressortir que ce mouvement visait essentiellement au démantèlement de l’autorité des Arabes et à l’éradication de l’islam. En d’autres termes, ceux qui attaquèrent les Arabes et les musulmans attaquèrent les porteurs d’une religion qui permit la construction d’un Empire sur les décombres de l’Empire byzantin. L’offensive anti-arabo-islamique était menée par des Hommes se réclamant de l’héritage de cet Empire.

La situation demeura la même durant toute la période abbasside : l’Arabe était le musulman et le musulman était l’Arabe. L’identité ne se déterminait pas selon l’origine mais civilisationnellement par l’appartenance à une culture arabo-islamique ; politiquement, socialement et religieusement par l’appartenance à l’une des identités particulières quelle soit raciale, doctrinale, religieuse ou de classe.

Notes de lecture :
(1) Note de la traductrice : Ancien nom de Médine.
(2) NTD : Les Mouhâjiroun étaient les Mecquois musulmans qui avaient quitté leur cité pour s’installer à Médine afin d’éviter les persécutions des Qorayshites polythéistes.
(3) NTD : Les Ansârs étaient les Médinois partisans du Prophète Mohammed (BSDL).
(4) NTD : Dans la tradition sunnite, cette expression désigne les quatre premiers califes ayant succédé au Prophète (BSDL) : Aboû Bakr as-Siddiq (632-634) ; Omar ibn al-Khattâb (634-644) ; Othmân ibn Affân (644-656) ; Alî ibn Abî Tâlib (656-661).
(5) NTD : Territoire correspondant aux actuels Syrie, Liban, Palestine et Jordanie.
(6) NTD : Les mawâlî étaient les non arabes nouvellement convertis à l’islam.
(7) NTD : L’ancienne province perse du Khorasan englobait des territoires aujourd’hui situés en Iran, Afghanistan, Tadjikistan, Turkménistan et Ouzbékistan
(8) NTD : Le mouvement de la shu’ubiyya fut une réaction anti-arabe qui se développa à partir du VIIIème siècle de l’ère chrétienne et qui atteint son apogée au IXème siècle en Mésopotamie. Une nouvelle shu’ubiyya apparut en Andalousie au 11ème siècle.
(9) NTD : En 849 le calife al-Moutawakkil proclama son adhésion au dogme du Coran incréé. Ainsi, il mettait fin au règne du mou’tazilisme établi comme doctrine d’État par le calife a-Ma’mun en 827.



Suite de cet article : "Une identité culturelle collective… des identités nationales particulières", ISM-France, 29 mai 2012.

Source : http://www.aljabriabed.net/identite_arabeformation.ht

Traduction : Souad Khaldi

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