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ISM France - Archives 2001-2021

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Gaza -

La grande expérimentation

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Est-il possible de contraindre tout un peuple à se soumettre à une occupation étrangère en l’affamant ? Voilà certainement une question intéressante. Tellement intéressante, d’ailleurs, que les gouvernements d’Israël et des Etats-Unis, en étroite coopération avec l’Europe, se sont lancés dans une expérimentation scientifique afin de trouver une réponse définitive.

La grande expérimentation


Photo Rafahtoday : le résultat de cette grande expérimentation : des familles sans abris, une population affamée, un pays détruit, des milliers de morts et des dizaines de millers de blessés ....

Le laboratoire pour l’expérience est la Bande de Gaza, et les cobayes sont le million un quart de Palestiniens qui y vivent.
Afin de répondre aux normes scientifiques requises, il était tout d’abord nécessaire de préparer le laboratoire.

Ce qui a été fait de la façon suivante : d’abord, Ariel Sharon a déraciné les colonies israéliennes qui y étaient plantées. Après tout, vous ne pouvez pas procéder à une expérimentation correcte avec les animaux favoris traînant dans le laboratoire. Cela fut fait avec « détermination et sensibilité », les larmes coulaient à flots, les soldats embrassaient et prenaient dans leurs bras les colons expulsés, et on nous a encore montré que l’armée israélienne est le top du top mondial.

Une fois le laboratoire nettoyé, la phase suivante pouvait commencé : toutes les entrées et sorties furent hermétiquement fermées, de manière à éliminer toute influence perturbatrice du monde extérieur. Ce fut accompli sans difficulté. Les gouvernements israéliens successifs ont empêché la construction d’un port à Gaza, et la marine israélienne veille à ce qu’aucun navire n’approche la côte. Le splendide aéroport international, construit pendant la période Oslo, a été bombardé et fermé. La Bande toute entière a été fermée par une barrière hautement efficace, et seuls demeurent quelques passages, tous contrôlés par l’armée israélienne sauf un.

Là se tient l’unique lien avec le monde extérieur : le passage frontière de Rafah vers l’Egypte, qui ne pouvait pas être simplement bouclé, parce que cela aurait fait passer le régime égyptien pour un collaborateur d’Israël. Une solution sophistiquée a été trouvée : l’armée israélienne a fait semblant d’abandonner le passage et l’a remis entre les mains d’une équipe de surveillance internationale.

Ses membres sont de gentils garçons, pleins de bonnes intentions mais en pratique complètement dépendants de l’armée israélienne, qui surveille le passage depuis un poste de contrôle proche. Les surveillants internationaux vivent dans un kibboutz israélien et ne peuvent atteindre le passage qu’avec le consentement israélien.
Ainsi tout était prêt pour l’expérimentation.

Le signal de son démarrage a été donné après que les Palestiniens aient tenu des élections démocratiques impeccables, supervisées par l’ancien Président Jimmy Carter. Georges Bush était enthousiaste : son voeu d’apporter la démocratie au Moyen Orient devenait réalité.

Mais les Palestiniens ont fait rater le test. Au lieu d’élire de « bons arabes », dévoués aux Etats-Unis, ils ont voté pour de très mauvais arabes, dévoués à Allah. Bush s’est senti insulté. Mais le gouvernement israélien était fou de joie : après la victoire du Hamas, les Américains et les Européens étaient prêts à faire partie de l’expérience.

Elle pouvait démarrer :

Les Etats Unis et l’Union Européenne annoncèrent le gel de toutes donations à l’Autorité palestinienne, puisqu’elle était « contrôlée par des terroristes ». Le gouvernement israélien coupa en même temps les transferts de fonds.

Pour comprendre le sens de ceci : selon le “Protocole de Paris” (l’annexe économique des Accords d’Oslo), l’économie palestinienne fait partie du système douanier israélien. Ce qui signifie qu’Israël collecte les droits de douane de toutes les marchandises qui traversent Israël vers les Territoires palestiniens – en fait, il n’y a pas d’autre route. Après déduction d’une grasse commission, Israël a l’obligation de faire passer l’argent à l’Autorité palestinienne.

Quand le gouvernement israélien refuse d’envoyer l’argent qui appartient aux Palestiniens, c’est, disons-le simplement, du vol organisé. Mais lorsqu’on vole des « terroristes », qui va protester ?

L’Autorité palestinienne – en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza – a besoin d’argent comme d’air pour respirer. Ce fait requiert lui aussi quelques explications : pendant les 19 années au cours desquelles la Jordanie a occupé (1) la Cisjordanie et l’Egypte la Bande de Gaza, de 1948 à 1967, pas une seule usine importante n’y a été construite. Les Jordaniens voulaient que toute l’activité économique se concentre en Jordanie même, à l’Est de la rivière, et les Egyptiens ont négligé la Bande.

L’occupation israélienne est ensuite arrivée, et la situation a encore empiré. Les Territoires occupés devinrent un marché captif pour l’industrie israélienne, et le gouvernement militaire empêcha l’établissement de toute entreprise qui aurait pu faire de la concurrence avec celles d’Israël.

Les travailleurs palestiniens furent obligés d’aller travailler en Israël pour des salaires de famine sur lesquels le gouvernement israélien déduisit toutes les charges sociales perçues sur les travailleurs israéliens, sans les bénéfices sociaux qui en découlaient. De cette manière, le gouvernement vola ces travailleurs exploités de dizaines de billions de dollars, qui disparurent dans le tonneau sans fond du gouvernement.

Lorsque l’Intifada a éclaté, les capitaines de l’industrie et de l’agriculture israéliennes ont découvert qu’il était possible de se débrouiller sans les travailleurs palestiniens. Et cela s’avérait même plus profitable. Des ouvriers amenés de Thaïlande, de Roumanie et d’autres pays pauvres étaient prêts à travailler pour des salaires encore plus faibles et dans des conditions proches de l’esclavage. Les Palestiniens perdirent leur travail.

Voilà la situation au début de l’expérience : l’infrastructure palestinienne détruite, pratiquement aucun moyen de production, pas de travail pour les travailleurs. Un montage idéal pour la grande « expérimentation sur la faim ».

L’expérience a débuté, comme rappelé, avec le gel des paiements.
Le passage entre Gaza et l’Egypte fut en pratique fermé. Une fois tous les quelques jours ou semaines, il était ouvert pendant quelques heures, pour sauver les apparences, et quelques personnes malades ou mortes ou mourantes pouvaient rentrer chez elles ou aller dans les hôpitaux égyptiens.

Les passages entre la Bande et Israël furent fermés « pour des raisons sécuritaires urgentes ». Toujours, au bon moment, « des menaces d’attaque terroriste imminente » apparurent. Les produits agricoles palestiniens destinés à l’exportation pourrirent au passage. Les médicaments et la nourriture ne purent entrer sauf pendant des périodes courtes, de temps en temps, toujours pour sauver les apparences, chaque fois que quelqu’un d’important à l’étranger protestait. Ensuite une nouvelle « alerte sécuritaire urgente » arrivait et la situation revenait à la normale.

Pour achever le tableau, les forces aériennes israéliennes bombardèrent la seule centrale électrique de la Bande, de manière à ce qu’il n’y ait plus d’électricité une partie de la journée, et que la fourniture en eau (qui dépend de pompes électriques) s’interrompe elle aussi. Même pendant les jours les plus chauds, avec des températures de plus de 30° à l’ombre, il n’y a pas d’électricité pour les réfrigérateurs, l’air conditionné, l’eau et autres besoins.

En Cisjordanie , un territoire beaucoup plus grand que la Bande de Gaza (qui représente seulement 6% des Territoires palestiniens occupés mais contient 40% de ses habitants), la situation n’est pas aussi désespérée.

Mais dans la Bande, plus de la moitié de la population vit en dessous de la « ligne de pauvreté » palestinienne, qui se trouve bien sûr très très en dessous de la « ligne de pauvreté » israélienne. Beaucoup d’habitants de Gaza peuvent seulement rêver d’être considérés comme pauvres dans la ville voisine israélienne de Sderot.

Qu’est-ce que les gouvernements d’Israël et des Etats-Unis essayent de dire aux Palestiniens ? Le message est clair : vous serez à deux doigts de la famine, et même pire, si vous ne vous rendez pas. Vous devez renverser le gouvernement Hamas et élire des candidats approuvés par Israël et les Etats-Unis. Et, qui plus est, vous devez vous satisfaire d’un Etat palestinien constitué de plusieurs enclaves, et chacune d’elles dépendra étroitement du bon vouloir d’Israël.

A cette étape, les directeurs de l’expérimentation scientifique sont confrontés à une question bizarre : comment les Palestiniens arrivent-ils à tenir, malgré tout ? Selon toutes les règles, ils auraient dû être brisés depuis longtemps !

Bien sûr, il y a quelques signes encourageants. L’atmosphère générale de frustration et de désespoir crée des tensions entre le Hamas et le Fatah. Cà et là, des affrontements ont éclaté, des gens ont été tués et blessés, mais chaque fois, la détérioration a été stoppée avant qu’elle ne devienne une guerre civile. Les milliers de collaborateurs israéliens dissimulés aident aussi à faire bouger les choses. Mais contre toute attente, la résistance ne s’est pas évaporée. Et le soldat israélien capturé n’a même pas été libéré.

Une des explications est à rechercher dans la structure de la société palestinienne. La Hamulah (famille élargie) y joue un rôle central. Tant qu’une personne dans la famille travaille, les cousins, eux aussi, ne mourront pas de faim, même si la malnutrition s’étend. Chaque individu qui a le moindre revenu le partage avec tous ses frères et sœurs, parents, grands-parents, cousins et leurs enfants. C’est un système primitif (primitif, vraiment ? ndt), mais tout à fait efficace dans de telles circonstances. Il semble que les planificateurs de l’expérience ne l’aient pas pris en compte.

Pour accélérer le processus, la puissance de l’armée israélienne dans son ensemble est à nouveau sur la brèche. Pendant trois mois, l’armée a été occupée par la Seconde Guerre au Liban. On s’est rendu compte à cette occasion que l’armée, qui a surtout été utilisée pendant les 39 dernières années comme une force de police coloniale, ne fonctionne pas très bien lorsqu’elle est soudain confrontée avec un opposant entraîné et armé capable de riposter. Le Hizbullah s’est servi d’armes anti-chars contre les forces armées, et les roquettes ont plu sur le nord d’Israël. Il y a longtemps que l’armée a oublié comment s’y prendre avec un tel ennemi. Et la campagne s’est mal terminée (pas pour tout le monde, ndt).

Maintenant l’armée est revenue à la guerre qu’elle connaît. Les Palestiniens de la Bande ne disposent pas (encore) d’armes anti-chars efficaces, et les roquettes Qassam ne causent que des dégâts limités. La Force aérienne, qui avait peur, au Liban, d’envoyer les hélicoptères chercher les blessés, peut maintenant tirer à loisir des missiles sur les maisons des « personnes recherchées », leurs familles et leurs voisins.

Si au cours des trois derniers mois « seulement » 100 Palestiniens ont été tués chaque mois, nous sommes maintenant témoins d’une augmentation dramatique du nombre de Palestiniens tués ou blessés.

Comment une population frappée par la famine, le manque de médicaments et d’équipements dans ses hôpitaux rudimentaires et exposée aux attaques terrestres, maritimes et aériennes, peut-elle tenir ? Va-t-elle se briser ? Va-t-elle tomber à genoux et demander grâce ? Ou bien va-t-elle faire preuve d’une force surhumaine et supporter le test ?

En bref, que faut-il faire, et comment, pour obliger un peuple à se soumettre ?

Tous les scientifiques impliqués dans l’expérimentation – Ehud Omert et Condoleezza Rice, Amir Peretz et Angela Merkel, Dan Halutz et George Bush, sans oublier le Prix Nobel de la Paix Shimon Peres – sont penchés sur les microscopes et attendent une réponse, qui sera, n’en doutons pas, une importante contribution à la science politique.

J’espère que le Comité Nobel observe.

Ndt : La traduction "occupé" respecte le mot "occupied" utilisé par l'auteur. Mais ceci est une caractéristique de la lecture de l'histoire faite par le "camp de la paix" israélien. Durant la période évoquée, la Transjordanie a annexé la Cisjordanie et l'Egypte a contrôlé Gaza. Mais c'est bien le nouvel Etat israélien qui a occupé l'ensemble.

Source : ISM

Traduction : MR pour ISM

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