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ISM France - Archives 2001-2021

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Hébron -

La guerre silencieuse

Par

“C’est comme s’ils savaient que ma fille unique est tout ce que j’ai au monde, et qu’ils essaient de l’achever” a dit Hana Abu Haykal, une habitante palestinienne de Tel Rumeda, Hébron, la voix moins assurée
que d’habitude, perdant pour la première fois de son calme provocateur.>>
La maison de Hana est celle de l’une des quatre familles palestiniennes restant à Tel Rumeda, une zone habitée par des colons juifs au cœur de la vieille ville d’Hébron. Selon Hana, les colons harcèlent sa fille de 14 ans, Wissam, presque chaque jour quand elle va à l’école et qu’elle en revient, lui lançant leurs chiens et lui jetant des pierres.

“Une fois en 1997, ils se sont même arrangés pour lui ouvrir la tête “ dit Hana. “Ils ont aussi cassé nos fenêtres et il arrive qu’ils entrent en force dans la maison et jettent tout par terre. Quand je vais me plaindre auprès de l’armée (israélienne), ils m’ignorent ou me disent d’aller voir la police ;



INTIMIDATION


Hébron connaît une situation difficile et unique : non seulement les colonies juives l’entourent, comme pour toutes les villes de Cisjordanie mais il y en a aussi à l’intérieur (de la ville). Bien qu’il y ait eu une petite présence juive à Hébron pendant des siècles – la ville étant traditionnellement le lieu où se situe la tombe d’Abraham, le patriarche biblique – en 1929, les hébronites arabes ont massacré des juifs, ce qui a fait partir cette population.

Après l’occupation israélienne de Cisjordanie en 1967, un groupe de Juifs aux profondes convictions idéologiques sur le maintien d’une présence juive dans la ville est arrivé à Hébron et a fondé la colonie de Kiryat Arba, juste aux porte de la vieille ville.

Aujourd’hui, il y a cinq enclaves juives à l’intérieur de la vieille ville : Tel Rumeda, Beit Hadasa, Beit Romano, Abrham Avino et le centre Gutnic, qui abritent quelques 400 colons et de 1500 à 2000 soldats de l’armée israélienne pour les protéger. La population palestinienne de la vieille ville est d’à peu près 4.800 personnes .


Dans le protocole d’accord d’Hébron signé en 1997 entre Israël et l’Autorité Palestinienne la vieille ville a été divisée en deux zones :
en gros 80% de la ville, la zone H1, est passée sous contrôle palestinien, et le reste, la zone H2, qui inclut la vieille ville et ses colonies de l’intérieur, est tombée sous contrôle israélien.


Pour les Palestiniens de la vieille ville, surtout ceux dont les maisons se sont retrouvées dans les enclaves juives, la vie est presque intolérable.


Hana’ décrit les restrictions qu’elle rencontre dans sa vie de chaque jour. Le couvre-feu est imposé à six heures du soir bien qu’il puisse être imposé arbitrairement à n’importe quelle heure de la journée.

« Justement vendredi dernier, j’ai dû quitter mon travail (au salon de coiffure qu’Hana tient) tôt parce que l’armée avait imposé le couvre-feu. Ca arrive continuellement et ma situation financière devient très difficile, je suis le seul soutien de la famille ». Hana et son mari se sont séparés il y des années est elle doit s’occuper de sa mère et de son père qui sont âgés ainsi que de sa sœur qui ne travaille pas.


Le couvre-feu est parfois imposé pendant des jours et des jours. Hana se rappelle qu’en 1994 il a duré 32 jours d’affilée. « Ma mère avait épuisé les médicaments qu’elle prend régulièrement. Nous avons appelé une ambulance de la Croix Rouge pour nous les apporter mais les soldats n’ont pas voulu la laisser passer. Nous ne pouvions pas non plus sortir et nous avons dû attendre quatre jours pour pouvoir obtenir les médicaments ».


De surcroît , personne de l’extérieur n’est autorisé à entrer dans Tel Rumeda et les familles sont maintenant complètement isolées sur le plan social.

« Nous n’avons pas vu chez nous un seul visiteur depuis des années et nous ne pouvons accepter aucune invitation à des mariages ou à des fêtes qui ont lieu le soir, après l’heure du couvre-feu » dit Hana. « Quelques fois pendant le couvre-feu, les soldats empêchent même mon frère, dans l’appartement en dessous du nôtre, de venir nous voir. Tout ça nous rend cafardeux ».

En janvier 2004, l’armée israélienne a installé six caméras-vidéo qui enregistrent les mouvements autour de la maison d’Hana’ 24 heures sur 24. La famille n’a même pas l’autorisation d’ouvrir ses fenêtres pour avoir de l’air frais.


De semblables restrictions frappent les habitants palestiniens de la Rue des Martyrs, une rue principale du centre de la vieille ville, qui la traverse d’est en ouest et relie Tel Rumeda avec les colonies juives voisines de Beit Hadas et Abraham Avino.

Abdul Aleem Al Buti Jabir, un habitant du quartier de Wadi Al Nasara, à l’est de la vieille ville et proche de la colonie de Kiryat Arba se plaint régulièrement à Abdul Hadi Hantash du Comité de défense de la terre d’Hébron de ces colons qui incendient ses oliviers et déversent des ordures dans son jardin.


Quand il y a trois mois, il a saisi l’Administration civile israélienne, les responsables de l’armée sont venus enquêter, mais ils ont conclu qu’ils n’avaient pas assez de preuves pour recevoir LA plainte en dépit du tas d’ordure et des restes d’arbres calcinés.

De plus, les Palestiniens qui vivent dans la vieille ville ont dû installer un filet au dessus des allées pour se protéger des ordures, des pierres et des sacs d’excréments que les colons qui ont pris possession de leurs maisons balancent sur les passants israéliens.



Séparation

Le plus gênant pourtant, ce sont les confiscations de terre et les démolitions de maisons qui n’ont qu’un but, relier ensemble les cinq enclaves juives de la vieille ville avec la grande colonie de Kiryat Arba

A l’est, pour créer un complexe de colonies qui devra inclure la région de la mosquée Ibgahimi où les Musulmans et les Juifs viennent prier.


Imad Hamdan, du comité de Réhabilitation d’Hébron, décrit comment quelques 1500 dunums (1 dunum = 1000 m2) de terres agricoles palestiniennes ont été confisqués, il y a trois mois, autour de Kiryat Arba et de la colonie de Harsina, à l’est de la ville, sans doute pour relier ces colonies entre elles et avec les colonies de l’intérieur de la vieille ville.


Une autre route de contournement a été construite en 2003 longeant Wadi Al-Nasar, allant de Kiryat Arba à la mosquée d’Ibhraimi. Hamdan a déposé un recours auprès de la Haute Cour israélienne de Justice en 2003 quand Israël a annoncé qu’il démolirait 22 bâtiments historiques pour construire cette route.

Nous avions combiné notre appel avec une campagne internationale pour la préservation de la culture. Cela a mis la pression sur le gouvernement israélien et ils n’ont démoli que deux maisons et demi » dit Hamdan « mais, continue-t-il, sur les onze plaintes que nous avions déposées auprès de la Haute cour à propos des destructions, cela a été le seul succès.


D’après Hantash, un certain nombre de cartes sont maintenant disponibles dans la presse israélienne indiquant le tracé du futur mur, qui devrait entourer le complexe des colons, et le séparer du reste de la ville d’Hébron. « Une carte, dit-il, qui indique qu’un mur qui longera la zone de Bal Al Zawiya, jusqu’au centre ville, à travers les quartiers de Al Sheik et de Beit‘Ayoun enveloppera aussi les colonies de Kiryat Arba et de Harsina, englobant ainsi de grands espaces de terre y compris la mosquée Ibrahimi ».


Evidemment, le mur qui entoure la colonie de Kiryat Arba a été récemment rallongé, confisquant des terres de Wadi Al Nasaara et coupant la zone de la route principale qui habituellement servait à accéder à la vieille ville d’Hébron


« L’armée israélienne prétend que le mur va protéger les colons de Kiryat Arba qui veulent prier dans la mosquée d’Ibrahimi (après que des Palestiniens aient tué douze israéliens dans la région en 2002). « Pourtant nous savons tous que leurs affirmations sont sans fondement dans la réalité » dit Hantash qui continue, « Sharon est le plus grand partisan de la construction du mur de séparation à l’intérieur d’Hébron. En échange du retrait de Gaza, il veut annexer les colonies de Cisjordanie , y compris celles de la vieille ville d’Hébron. »



Couvre-feux et bouclages

En plus de l’annexion des voies d’accès des colons, la vieille ville a subi des bouclages prolongés et des couvre-feux décidés par l’armée israélienne depuis le commencement de l’intifada en septembre 2000.

La vieille ville est maintenant une ville fantôme. Il n’y a plus ces foules animées et cette cacophonie qu’on rencontre dans les autres grands marchés palestiniens comme à Naplouse ou à Jérusalem.

Au marché d’Hébron, on ne voit que des rues désertes, des boutiques fermées, et de temps à autre, on croise un propriétaire de boutique qui paraît mécontent.

« Les couvre-feux et les bouclages sont le fait de la police de l’armée depuis le début de l’occupation en 1967 » explique Hamdan « mais depuis l’Intifada, ça a empiré. Jusqu’à maintenant, il y a eu au total 600 jours de couvre-feux, le plus récent c’était la semaine dernière ».

Hamadan continue « L’armée annonce parfois un couvre-feu en utilisant les hauts-parleurs de la mosquée Ibrahimi habituellement utilisés pour appeler à la prière ».

De plus, depuis 2002, la vieille ville est totalement fermée aux voitures. En marchant dans la vieille ville, Ahmad Jarradat, de l’Alternative Information Center, montre les blocs de béton que s’empilent en face de chaque rue de la vieille ville, pour empêcher l’entrée des voitures.

« C’est environ 35 accès de la vieille ville qui sont fermés par des blocs de ciment » explique Jarradat. Ca rend difficile le transport de grandes quantités de marchandises dans les marchés et signifie que beaucoup de gens préfèrent ne pas aller faire leurs courses dans la vieille ville parce qu’ils ne peuvent pas prendre leurs voitures pour rapporter les courses chez eux ». Selon Jarradat cela veut dire qu’en fait l’Est de la vieille ville d’Hébron est séparé de l’Ouest.

Jarradat explique que l’armée ferme aussi les boutiques de la vieille ville pendant des mois par période sur ordre militaire sous prétexte de sécurité ce qui décourage les gens de venir faire leurs courses.

« Jusqu’à présent 200 boutiques ont été fermées sur ordre militaire » dit Jarradat. Le propriétaire de la boutique reçoit l’ordre à la porte d’entrée et s’il résiste, il peut être emprisonné.

Hamadan explique aussi que « même quand le couvre-feu est levé, les boutiques restent fermées parce que beaucoup de leurs propriétaires sont allés s’installer ailleurs au cours des précédents couvre-feux parce qu’ils n’ont pas d’autres moyens de compléter leurs revenus De cette façon, l’économie de la vielle ville a été presque totalement détruite.

Ma’mun Al Natsheh, 30 ans, qui possède une boutique dans la vieille ville où il vend des accessoires ménagers décrit l’effet des fermetures sur son affaire.

« Nous ne venons plus ici pour faire des affaires » dit-il. Pour lui et ses voisins propriétaires de boutiques, « nous venons parler, boire du café et écouter les nouvelles à la radio ».
« 2004 a été une année désastreuse jusqu’à présent » continue-t-il. « Les gens ne font plus de courses ici par crainte des colons et parce qu’ils ne peuvent pas venir en voiture ».

« Vous voyez ces deux-là » et il désigne les propriétaires d’une boutique de matériel informatique de l’autre côté de la rue : « ils n’ont pas fait d’affaires correctes depuis quatre ans ».

De fait, l’un regarde dans le vide droit devant lui, pendant que la
tête de l’autre s’affaisse sur sa poitrine tandis qu’il s’assoupit à l’ombre.

Et comme si ça ne suffisait pas, l‘armée a aussi installé des portails en fer à toutes les entrées d’Hébron et le long des routes reliant les zones H1 et de H2 de la ville, qui peuvent être coupées à tout instant. La route qui conduit au quartier d’Halhoul au nord est fermée presque continuellement depuis le début de l’Intifada..

Hamadan décrit comment tout cela crée un sentiment d’insécurité chez les gens « On ne sait jamais si une entrée est fermée et si on sera ou non piégé quelque part. Cela crée un gros problème pour les principaux commerçants, surtout pour ceux qui exportent des produits laitiers. Leurs produits peuvent être stoppés parce qu’un accès est fermé ce qui signifie que leur date de péremption sera dépassée et qu’ils ne pourront plus être vendus. »

« Le marché de la vieille ville était un marché de gros pour tout le district d’Hébron » continue Hamdan « mais tout ça c’est fini maintenant parce que les bouclages de la ville ont empêché les commerçants des villages environnants d’entrer »



Epuration ethnique

Pour Jarradat, les bouclages, les couvre-feux, les confiscations de terre et la séparation qui ont lieu à Hébron ne sont pas autre chose que la volonté des colons israéliens, soutenus par le gouvernement israélien, pour faire émigrer les habitants palestiniens de la vieille ville d’Hébron.


Dans un article du 13 décembre 2003, écrit pour AIC (Alternative Information Center), Jarradat parle des bouclages et des confiscations : « l’armée prétend que ces mesures d’oppression coloniales contre les civils palestiniens sans défense d’Hébron sont (…) motivées par la sécurité … mais nous savons parfaitement bien (que c’est) pour nous forcer (nous, les Palestiniens) à quitter le centre de notre ville pour permettre l’expansion et la consolidation du projet de colonisation illégale. ».

De toute évidence, les colons ont tout l’air d’avoir obtenu un certain succès. Selon Hamadan, le nombre d’habitants palestiniens de la vieille ville d’Hébron a chuté d’environ 10 000 personnes en 1950 à seulement 400 en 1996, en raison de la difficulté à vivre avec les colons.

Pourtant, grâce aux recours contre la confiscation des terres et les boutiques fermées que le Comité de Réhabilitation a déposées auprès la Haute Cour israélienne, et à sa rénovation des maisons abandonnées pour encourager les habitants à revenir, le nombre d’habitants de la vieille ville d’Hébron a augmenté d’environs 3000 depuis 1996.

D’ailleurs, Hana, quand on lui a demandé si elle voudrait partir de Tel Rumeda pour avoir une vie plus facile a refusé. « Laisser ma maison aux colons ? « en aucun cas !» a-t-elle dit « En aucun cas !»

Si les colons ont pour objectif de faire partir les habitants de la vieille ville d’Hébron, avec des habitants aussi indomptables que Hana, ils risquent de ne pas être au bout de leur peine.

Source : Palestine Report

Traduction : CS pour ISM-France

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