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France -

La haine islamophobe a un long passé

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« Avant vous, certes, beaucoup d’événements se sont passés. » Coran 3 :137

Ces dernières semaines, la haine islamophobe s’est abattue sur la ville d'Argenteuil, en banlieue parisienne. Coup sur coup, le 20 mai et le 13 juin 2013, deux femmes musulmanes portant le hijab ont été agressées par des skinheads. Leïla O., enceinte au moment de son agression, a perdu par la suite l’enfant qu’elle portait. Toujours à Argenteuil, une musulmane portant le niqab a été violentée par la police le 11 juin 2013. Ces agressions et ces violences ont provoqué l’indignation de la communauté musulmane, qui s’est immédiatement mobilisée pour les dénoncer.

La haine islamophobe a un long passé

Au cours de cette mobilisation, l’islamophobie a fréquemment été présentée comme un racisme nouveau, lié exclusivement à une actualité récente. Par exemple, pour Omar Slaouti, ces agressions seraient uniquement liées au contexte politique immédiat, marqué par « la rencontre d’une droite décomplexée avec l’expérience de la rue contre le mariage pour tous, et d’une gauche institutionnelle avec l’expérience de la gestion libérale et des reculs sur l’égalité des droits. [1] »

De manière générale, un tel discours dé-historisant s’inscrit dans une perspective propre aux dominants. Une perspective qui nous est totalement étrangère. Selon elle, l’islamophobie serait née au cours des quinze dernières années, dans une séquence marquée par la « guerre contre le terrorisme » menée par les néoconservateurs états-uniens et leurs relais européens, et par la désignation des musulmans vivant en Occident comme le nouvel ennemi intérieur à combattre. Ce récit occidentalocentriste fait des attentats du 11 septembre 2001 un « évènement axial ». Une sorte d’« an zéro », posant d’un côté la « menace islamiste » et de l’autre « l’islamophobie nouvelle ».

Cette opposition entre « menace islamiste » et « islamophobie nouvelle » constitue bien les deux faces du même récit. D’un côté, la « menace islamiste » légitime les guerres impérialistes et le racisme structurel qui frappe les musulmans vivant en Occident. De l’autre côté, le discours sur l’« islamophobie nouvelle » justifie l’opposition occidentale à ces guerres impérialistes et au racisme structurel qui frappe des musulmans, réduits à un statut de victimes à protéger [2].

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Le problème de ces deux alternatives discursives – la « menace islamiste » et l’« islamophobie nouvelle » – c’est qu’elles ignorent totalement l’histoire spécifique des musulmans et de leurs résistances. Voilà pourquoi nous affirmons que le discours dé-historisant sur l’islamophobie s’inscrit dans une perspective propre aux dominants. Une perspective qui écarte une appréhension du phénomène islamophobe du point de vue des dominés, dont l’histoire possède une temporalité propre, marquée notamment par l’oppression et la résistance qu’elle engendre.

Hégémonique chez les dominants, ce récit tire une partie de sa force de sa capacité à s’imposer comme discours normatif auprès de certaines franges des dominés. Ceux-ci sont ainsi condamnés à « servir de courroie de transmission déculturée [3] » entre la gauche « antiraciste » et les musulmans. Cette position les contraint à construire leurs discours dans les contours de l’ombre du récit occidentalocentriste. Ces dominés restent souvent incapables de sortir de cette position d’ombre, même lorsqu’ils se veulent des critiques radicaux de l’islamophobie, et du racisme en général.

Par exemple, dans un texte paru sur le site du Parti des Indigènes de la République, Youssef Boussoumah considère les agressions d’Argenteuil comme « le résultat de 15 ans d’une politique islamophobe sans pareil, […] l’aboutissement de ces centaines d’heures de télévision haineuse, de ces milliers d’articles calomniateurs, de centaines de unes de magazines pousse-au-crime ». Les responsables politiques et les médias auraient ainsi joué un rôle déterminant dans le développement de cette islamophobie nouvelle. Nous serions face à une « convergence objective entre les hommes politiques, les hauts fonctionnaires, les journalistes qui jour après jour abreuvent ce pays de discours islamophobes. »

Dans cette perspective, les agressions et les violences récentes sont perçues comme les signes d’une montée en puissance de la haine islamophobe. Une « nouvelle et sinistre étape » aurait été « franchie ». L’islamophobie serait ainsi passée de la violence symbolique à la violence physique. Nous serions passés des mots aux morts [4].

Pourtant, la mémoire des dominés et de leurs résistances nous donne à voir une toute autre histoire. Une histoire écrite en dehors du discours balisé par le récit occidentalocentriste. Car les crimes islamophobes ne sont malheureusement pas nouveaux en France. Sans remonter à la période médiévale ou même à l’époque coloniale [5], qui déterminent encore en grande partie la weltanschauung de l’Occident dans ses rapports avec l’Islam et les musulmans, les cinquante dernières années ont été marquées par de nombreux crimes racistes et islamophobes. Même si nous n'utilisions pas encore le terme d'islamophobie. Les mots employés ont beau être différents, la haine reste bien la même.

Pas encore nommée, l’islamophobie demeurait en effet tapie dans l’ombre de la haine raciste. « Invisible », elle était pourtant bien présente dans la réalité des violences racistes qui frappaient déjà la communauté musulmane. Simplement, nous ne la percevions pas forcément comme un facteur déterminant de la haine raciste.

Le 23 octobre 1982, Abdennbi Guémiah, lycéen musulman de dix-neuf ans, était assassiné à Nanterre alors qu'il sortait de la mosquée. Décrit comme « profondément croyant et charitable », Abdennbi Guémiah « s'intéressait aux questions d'ordre philosophique et cultuel, particulièrement celles traitant des relations inter-religieuses. Sa foi en Dieu constituait l'essence de sa force et de sa sagesse. Gisant au sol et se rendant compte qu'il allait mourir, il chargea un de ses proches, resté à ses côtés en attendant l'intervention des premiers secours, d'aller demander pardon à tous ceux à qui il avait pu faire du mal. [6] » Nous étions déjà en présence d’un crime islamophobe même s’il ne fut jamais désigné comme tel à l’époque. Si la qualification du crime s’exprimait avec d’autres mots, la cruelle réalité assassine était la même.

L’assassinat d’Abdennbi Guémiah donna lieu à une mobilisation de sa famille, de ses proches, et des habitants de la cité Gutenberg à Nanterre, où il vivait. Cette mobilisation exemplaire reste toujours riche d’enseignements pour les combats d’aujourd’hui. [Voir la vidéo]

Le 9 juillet 1983, dans la cité des 4 000 à La Courneuve, Toufik Ouanès, neuf ans, est abattu par un raciste d'un coup de carabine tiré depuis la fenêtre de son appartement. En cette fin de mois de ramadan 1403 de l’ère hégirienne, l’homme se dit « excédé » par le bruit des enfants musulmans célébrant dans la joie le jeûne annuel. Ce crime directement lié à la célébration du jeûne du mois de ramadan était lui aussi un meurtre islamophobe, bien qu’il ne fut jamais qualifié ainsi.

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Nous pourrions multiplier les exemples car la liste des crimes et des violences racistes et islamophobes est terriblement longue [7]. Elle atteste de la persistance de la haine islamophobe, et vient contredire le récit dominant qui nous présente ce racisme comme un phénomène nouveau, né au cours des quinze dernières années.

Aussi, par respect pour la mémoire de ces martyrs du racisme et de l’islamophobie, et parce que les mobilisations ayant suivi leur mort tragique restent riches d’enseignements, nous ne pouvons pas faire comme si la haine islamophobe était totalement nouvelle dans ce pays.

La communauté musulmane vivant en France doit avoir conscience de son historicité et connaître son histoire. D’autant que le développement de cette conscience historique est un impératif islamique clairement établi par la tradition. Le Prophète (BSDL) a affirmé : « Le croyant ne peut être mordu deux fois à partir du même trou de serpent. [8] » Pour être mis en œuvre concrètement, l’enseignement de cette parabole doit impérativement s’appuyer sur une connaissance de l’histoire. Cette connaissance permettra à la communauté musulmane de faire face à ses ennemis déclarés, mais également à ses « soutiens » paternalistes, qui souhaitent la cantonner dans un statut de victime muette, privée de passé.

Sans connaissance de leur histoire, les musulmans seront en outre condamnés à revivre les mêmes épreuves et à reproduire les mêmes erreurs que leurs aînés, selon des modalités propres à chaque contexte. Ils ne tireront jamais les enseignements des défaites comme des victoires de ceux qui les ont précédés. Face à chaque évènement, la communauté musulmane aura le sentiment erroné de partir du néant.

Alors effectivement « aujourd'hui en France, l'islamophobie tue » comme l’affirmait avec justesse l’appel pour le rassemblement contre l’islamophobie du 22 juin 2013 à Argenteuil. Mais n’oublions jamais que l’islamophobie tuait déjà hier. Pour préserver cette mémoire, la communauté musulmane doit être capable de prendre ses distances avec le récit occidentalocentriste, hégémonique et dé-historicisant, que nous avons brièvement décrit.

Cela, afin de construire un récit spécifique, partant de son histoire singulière, préalable à une riposte efficace. « L’intelligence, affirmait l’Imam Ali, c’est de bien retenir les expériences. »

Youssef Girard, le 02 juillet 2013.



[1] Omar Slaouti, « La rencontre d’une droite décomplexée avec l’expérience de la rue contre le mariage pour tous, et d’une gauche institutionnelle avec l’expérience de la gestion libérale et des reculs sur l’égalité des droits », Tout est à nous !, 20/06/2013.
[2] Typique de ce discours compassionnel vis-à-vis d’une victime muette et incapable de se défendre elle-même, une récente affiche du NPA affirmait : « C’est pas les Roms, les musulmans, les sans-papiers qui sont de trop. C’est le racisme ». Ce slogan creux, au paternalisme manifeste – nous ne sommes pas très loin du célèbre « Touche pas à mon pote » des années 1980 – a été salué par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). Cf. « Quand l’anti-racisme s’affiche ».
[3] Abdelkader Djaghloul, préface, in. Amar Ouzegane, Le meilleur combat, Rouiba-Alger, Editions ANEP, 2006, page 7.
[4] Youssef Boussoumah, « Islamophobie : Après les mots, les morts », 19/06/2013.
[5] Cf. John Tolan, Les Sarrasins, Paris, Ed. Flammarion, 2003, et Edward W. Saïd, L’Orientalisme, L’Orient créé par l’Occident, Paris, Ed. Seuil, 1997.
[6] Mohamed Selmet, « Il y a trente ans était assassiné Abdennbi », 16/10/2012.
[7] Cf. Mogniss H. Abdallah, Rengainez, on arrive ! Chroniques des luttes contre les crimes racistes ou sécuritaires, contre la hagra policière et judiciaire (des années 1970 à aujourd’hui), Paris, éditions Libertalia, 2012.
[8] Rapporté par al-Boukhari.

Source : Etat d'exception

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