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ISM France - Archives 2001-2021

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Israël -

La naissance de l’Israël moderne : Un morceau de papelard qui a changé le cours de l’Histoire

Par

Quelques lignes griffonnées sur une feuille de papier à lettres d’un grand hôtel par un jeune fonctionnaire britannique, un jour de juillet 1917, va être mise aux enchères le mois prochain par la charge de commissaires priseurs Sotheby’s pour plusieurs centaines de milliers de dollars.
Mais la valeur de ce document est inestimable, comme l’explique Donald Macintyre.

L’expression "histoire vivante" est un cliché qui vient très aisément sur la langue des conservateurs de musée, ou encore sur celle des réalisateurs de documentaires historiques.

Mais elle a l’avantage insigne d’aider à comprendre pourquoi un simple paragraphe griffonné d’une écriture sommairement abrégée sur une feuille de papier à lettre de l’Hôtel Bloomsbury par un jeune fonctionnaire britannique, un beau jour de l’été 1917, captive l’attention comme il le fait, en étant évalué à un tel prix de départ.

Il s’agit vraisemblablement de la pièce la plus précieuse, dans un lot de documents papiers estimé par Sotheby’s entre 500 000 et 800 000 dollars, lorsqu’il sera mis aux enchères en sa salle des ventes de New York, le mois prochain.

Reste qu’on trouverait difficilement un simple document qui ait changé le cours de l’histoire mondiale d’une manière aussi décisive que la Déclaration Balfour.

Quelle que soit leur idéologie, les juifs et les Arabes tomberaient au moins d’accord sur l’importance fondamentale du document publié par le gouvernement de ce qui était alors la première superpuissance mondiale.

La Déclaration Balfour est, pour reprendre l’expression de Norman Rose, un professeur de l’Université Hébraïque de Jérusalem, d’origine britannique, et principal historien de cette période, "généralement considérée comme le premier pas décisif vers la création d’un Etat juif indépendant".
Pour les sionistes, par conséquent, sa publication représente un moment de triomphe.

De même, quiconque se présente comme British en Cisjordanie ou à Gaza ne discutera pas très longtemps avec un groupe de papis palestiniens sans que l’un d’entre eux se mette – toujours avec théâtralité et généralement avec humour – à blâmer le Royaume Uni et Arthur James Balfour, en particulier, d’être à l’origine des problèmes de son peuple.

Etant donné que son nom même continue à résonner, dans l’ensemble du Moyen-Orient, avec quasiment la même puissance qu’il le faisait voici près de quatre-vingt-dix ans, il n’est sans doute pas très étonnant qu’un simple – et relativement anticipé – brouillon de la lettre que Balfour, Secrétaire d’Etat de sa Majesté aux Affaires Etrangères, finit par envoyer à Lord Rothschild afin de soutenir "l’établissement, en Palestine, d’un foyer national pour le peuple juif" soit vendu à un tel prix…


Le lot de papiers privés qui sera mis en vente le mois prochain provient de la collection de Leon Simon, personnage important, même s’il est relativement peu connu, parmi les sionistes britanniques du début du vingtième siècle.

Bien plus que Chaim Weizmann, personnage central parmi ceux qui persuadèrent le gouvernement britannique de publier la déclaration durant plus d’une année d’intenses négociations, Simon était un juif totalement assimilé, et un membre tout ce qu’il y a de plus reconnu de l’establishment britannique.

Né à Southampton, il poursuivit ses études au Lycée (Grammar School) de Manchester – cette ville où la famille de Weizmann avait immigré, en provenance de ce qui allait devenir par la suite la Biélorussie – après quoi il fit ses humanités à Oxford, entra dans la haute administration et monta en grade dans l’administration des Postes, dont il prit la direction, qu’il assura jusqu’à son départ à la retraite, en 1944.


Mais Simon est connu également pour avoir écrit une biographie de son mentor, Ahad Ha’am, un "sioniste spirituel" éminent, mais relativement apolitique, qui exerça une influence significative sur une jeune génération de juifs britanniques qui n’allaient pas tarder à devenir importants, et qui incluaient non seulement Simon, mais aussi des hommes de Manchester tels Simon Marks et Israël Sieff, qui jouèrent un rôle déterminant dans le développement futur des grands magasins Marks & Spencer.

Par ailleurs, nous apprenons, grâce à une note de bas de page, dans l’histoire classique de la Déclaration Balfour, par Leonard Stein, que Simon a assisté à la réunion historique de sionistes, rassemblés par Naum Sokolow, le bras droit de Weizman, au cours de laquelle le texte de la déclaration fut mis au point.


Ce n’est peut-être pas pousser l’imagination trop loin que penser que Simon, qui sans aucun doute alliait un sens aigu de la langue – il traduisait les œuvres tant de John Stuart Mill que de Platon (depuis le grec classique) en hébreu – à sa capacité de bureaucrate british à écrire des minutes, fut un des atouts signalés dans ce processus de rédaction.

Ce furent des temps exaltants pour les jeunes sionistes britanniques ; les négociations avec le gouvernement de guerre du Premier ministre Lloyd George battaient leur plein, et Weizmann commençait à apercevoir la réalisation du rêve de sa vie.


Theodor Herzl avait le premier à avoir lancé l’idée d’une nation juive, en faisant observer ce que l’historien Martin Gilbert appelle "la nature précaire de l’acceptation des juifs au sein de sociétés – ceci mis à part – civilisées". Ces craintes avaient été brusquement intensifiées, depuis peu, par les pogromes en Russie, à la fin du dix-neuvième siècle.

Mais Herzl, comme l’a fait remarquer Norman Rose, que nous avons rencontré chez lui, à Jérusalem, hier, n’a jamais mené à bien ce que Weizmann était sur le point d’obtenir lorsque Simon griffonna sa note : une déclaration, par un gouvernement occidental majeur, en faveur d’un foyer national juif en Palestine.


Parmi les juifs britanniques, les efforts visant à garantir la création d’un foyer national en Palestine faisaient l’objet d’une âpre controverse.

De fait, l’un des adversaires les plus éminents de ce projet était le ministre juif Edwin Montagu, un juif assimilé, comme Simon, mais contrairement à lui, un juif qui pensait que l’idée d’un foyer national juif représentait une menace directe pour la sécurité et l’intégration des juifs tant en Grande-Bretagne que dans les autres pays d’Europe.


Lors d’une réunion du gouvernement, en octobre 1917, Montagu, mettant en scène sa dernière diatribe contre la Déclaration, demanda, caustique, comme il pourrait toujours négocier en sa qualité de ministre, en Inde, au cas où ses propres collègues auraient décidé que sa patrie se situait quelque part "en territoire turc", comme l’était à l’époque la Palestine ? ! ?


Montagu entrevoyait une menace pour son statut personnel ; mais sa prise de position trouvait également un fondement dans les motivations de certains de ceux qui étaient, pour reprendre une expression ciselée par le professeur Rose, les "sionistes gentils" de cette époque.

D’un côté, il y avait ceux qui éprouvaient une sympathie instinctive et un sentiment amical envers les juifs – c’était notablement le cas de Lloyd George, de Winston Churchill et de l’un des premiers hommes de la gauche britannique à s’être identifiés à la cause sioniste, le rédacteur en chef du Manchester Guardian, C.P. Scott, qui présenta Weizmann à Lloyd George.

Le professeur Rose dit qu’une explication possible de la sympathie éprouvée par Lloyd George à l’égard du sionisme était le fait que "lui-même était originaire d’une petite minorité opprimée".

Mais il ajoute qu’imbibé d’une éducation galloise non-conformiste dont l’Ancien Testament faisait partie intégrante, "Lloyd George, à qui on avait demandé un jour quelles frontières il envisageait pour une Palestine juive, avait immédiatement répondu : "De Dan à Bersheva !"".


Mais il y avait aussi d’autres grands personnages dont l’attitude était bien plus complexe – dont Balfour, qui avait introduit, plus avant dans le dix-neuvième siècle, les Aliens Acts, spécifiquement afin de restreindre l’immigration des juifs qui fuyaient les persécutions en Europe orientale, et qui avait qualifié les juifs de "gens à part", dans un discours largement dénoncé comme antisémite.


Il y avait des conservateurs britanniques, aussi, qui pensaient que les juifs avaient parti lié avec la "révolution bolchevique" - dans "certains cas", comme le rappelle cyniquement le professeur Rose, "à juste titre", étant donné qu’une majorité des membres du premier politburo soviétique étaient juifs.

La coïncidence entre la rédaction de la Déclaration Balfour et la Révolution russe a dû encourager, chez ces gens, l’idée qu’il valait mieux se tirer les juifs du pas.

Et puis il y avait ceux qui pensaient simplement qu’expédier les juifs en Palestine permettrait d’apaiser les tensions interethniques.


D’après le professeur Rose, Harold Nicolson, épistolier et parlementaire Tory (conservateur), qui était un "sioniste gentil" enthousiaste, disait qu’il voyait dans le foyer national juif "un moyen de confiner les juifs dans un super camp de vacances Butlins, manière comme une autre de traiter un problème de minorité".

Au même moment, beaucoup de ces groupes avaient une foi quasi mystique dans la capacité des juifs de contrôler les institutions financières et autres.

En tant que tels, ils étaient considérés les meilleurs, explique le professeur Rose, pour servir de chiens de garde pro-britanniques au service de la Grande-Bretagne, ne serait-ce que pour contribuer à protéger le canal de Suez et à contrebalancer l’influence française au Moyen-Orient.


Il en alla différemment. Mais la combinaison de ces forces disparates, sous la direction de Lloyd George, qui était un authentique pro-sioniste, contribua à assurer la prise de la Déclaration.
L’écriture manuscrite de Simon est aussi un témoignage du caractère ardu des négociations de détail.

Ce sont les sionistes, après avoir obtenu la promesse générale du texte, qui proposaient tous les brouillons, à ce stade ; mais tout ne marchait pas comme sur des roulettes.

Le texte du 17 juillet était lui-même un condensé et une édulcoration d’une version produite par les rédacteurs sionistes quatre jours auparavant, qui appelait à l’autonomie interne de la nationalité juive en Palestine, plaidait pour la liberté d’immigration des juifs, et la création d’une "Compagnie Nationale Juive de Colonisation afin d’assurer leur réinstallation et le développement économique du pays".


Lord Rothschild, figure emblématique de la juiverie anglaise pro-sioniste, désormais en association étroite avec Balfour et d’autres membres éminents du gouvernement, décida que les choses étaient allées trop loin.

Comme l’a expliqué Sokolow à ses jeunes collègues, le premier projet avait été jugé contenir "des détails qu’il n’aurait pas été souhaitable de soulever en ce moment".

Mais après le 17 juillet, le texte subit de nombreuses modifications et resucées, les ministres du cabinet Lloyd George y prenant un intérêt croissant.

Avec Edwin Montagu et Lord Curzon menant la charge contre la déclaration – en partie en raison de l’impact qu’elle ne manquerait pas d’avoir sur le monde arabe, ainsi que sur la très importante population musulmane de l’Inde britannique, elle fut (oh, un tout petit peu) édulcorée à nouveau.


Stein note que, lorsque le cabinet de guerre se réunit, le 4 octobre (1917) afin d’examiner formellement la Déclaration, il était conscient qu’il faudrait tout au moins verbalement rassurer l’opinion arabe. Lord Milner donna instruction au Secrétaire du Gouvernement d’alors, Leo Amery, de présenter un projet de loi qui "irait raisonnablement loin afin de satisfaire aux objections tant des juifs que des pro-Arabes, sans obérer la teneur de la … Déclaration".

Le texte Milner-Amery, comme on allait l’appeler par la suite au sein du gouvernement, représentait l’essentiel de la version finale. Le nouveau texte engageait le gouvernement britannique à seulement "faciliter", et non, comme dans le texte de Simon, "à garantir" cet objectif.

Et il insistait, en des termes que la plupart des Palestiniens diraient qu’ils n’ont toujours pas été respectés, sur le fait qu’il devait "être bien compris que rien ne serait fait qui soit de nature à porter préjudice aux droits civils et religieux des communautés non-juives en Palestine, ni aux droits ou au statut politique dont jouissaient les juifs dans tout autre pays."


Par conséquent, la Déclaration ne promit jamais un Etat juif.

De fait, il s’agissait, par certains côtés, comme le dit le professeur Rose, "d’un document particulièrement ambigu".
Mais le professeur ajoute aussitôt : "Nous savons que Llloyd George, Balfour et Churchill ont bien envisagé un tel Etat juif, mais cet Etat dépendait des juifs eux-mêmes."
Le professeur Rose fait observer que le résultat final était loin de certain.

L’immigration fluctua anarchiquement ; en 1927, après les premières – ce ne sera pas les dernières – émeutes arabes anti-juives, il y eut plus de juifs qui quittèrent la Palestine que de juifs qui y immigrèrent.

Ce n’est qu’après l’accession d’Hitler au pouvoir, en 1933, que l’immigration juive se mit à augmenter considérablement, et de manière continue, durant trois années successives.


Plus important : la Déclaration Balfour s’avéra, au moins au cours des deux premières décennies, à peu près, du mandat britannique, très fragile.

Le professeur Rose dit que Weizmann "prétendit que les Britanniques avaient essayé de la renier, presque dès le lendemain de sa proclamation."


Le Livre Blanc de 1939 qui fit tout afin de restreindre l’immigration juive et d’envisager un Etat de Palestine sous dix ans fut l’exemple le plus frappant, mais en aucun cas unique, d’une tentative de retraite.

Mais son message central s’avéra durable ; à la fin, la création de l’Etat d’Israël, en 1948, fut, aussi longue, sanglante et tortueuse fut la voie qui y conduisit, le fruit du document que Simon avait contribué à rédiger, ce jour de juillet 1917, à l’Hôtel Impérial, et la raison pour laquelle c e document demeure un symbole tellement puissant – et tellement différent – tant pour les juifs que pour les Arabes, de nos jours.

Source : http://news.independent.co.uk/

Traduction : Marcel Charbonnier

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