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Monde Arabe - 11 mai 2011
Par Ashraf Ezzat
Le docteur Ashraf Ezzat est médecin, auteur d'articles sur l'histoire de l’Égypte ancienne, l'histoire du Proche Orient, la religion comparée et la politique, en particulier le conflit arabo-israélien. On peut lire ses articles sur Dissident Voice, ou sur son site, Pyramidion
"Le monde arabe connaît un tremblement de terre," a commenté Benjamin Netanyahu, le Premier ministre d'Israël, au sujet de la puissance des soulèvements populaires qui balaient le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. En prononçant ce jugement rapide, Netanyahu a négligé le fait que cet énorme tremblement de terre avait effectivement lieu juste à sa porte et qu'Israël en ressentirait forcément les contre-coups, tôt ou tard. Il est vrai que ce printemps arabe, avec des révolutions qui éclatent presque partout dans le monde arabe, n'a rien à voir avec Israël pour ce qui est de sa motivation, mais cela ne signifie pas qu'Israël soit à l'abri d'un effet d'entraînement.
1er mai 2011, place Tahrir (photo Arabawy)
Les Arabes ont organisé des rassemblements sans précédent pour protester contre des décennies d'injustices politiques et économiques, mais les Arabes ne partagent pas seulement des griefs sur le manque de démocratie et de liberté d'expression, ils partagent aussi une chose perdue digne de leur solidarité et de leur lutte collective, la terre de Palestine.
Si les peuples arabes décidaient de lister 60 ans d'exigences socio-politiques non satisfaites, alors la question palestinienne viendrait sans aucun doute en premier.
Manifestation du 6 mai place Tahrir :
بيت المقدس في العيون
إرحل عنّا يا صهيون
"Al Qods est la prunelle de nos yeux
Sionistes dehors"
Intifada est le mot arabe pour "soulèvement", et chaque fois qu'il est mentionné, c'est l'image de la lutte des Palestiniens et leur appel légitime à la fin de l'occupation israélienne et au retour dans leur patrie qui viennent immédiatement à l'esprit.
Les Intifadas arrivent dans des périodes de désespoir, dans des périodes où prévalent la tromperie et la corruption ; les gens descendent dans les rues pour crier leurs frustrations et leurs aspirations. Ils aspirent à un avenir meilleur et ils essaient de trouver la lumière au bout du tunnel.
Les Palestiniens ont lancé deux Intifadas populaires en 1987 et en 2000, qui ont été provoquées par le déni persistant d'Israël de leurs exigences légitimes et par la politique sioniste d'évitement qui a manipulé d'une manière ou d'une autre tous les accords fragiles atteints tout un long d'un soi-disant processus de paix encore plus fragile.
Des accords de Camp David et de Madrid aux accords d'Oslo, et Dieu sait combien d'autres accords non déclarés, on a récompensé Israël avec la plus grosse et la plus délicieuse part du gâteau, et on a laissé les Palestiniens s'entasser dans les 20% restants de leur patrie, contre les 60% qu'ils avaient en 1948.
Après 62 ans de lutte et d'escroquerie politique internationale, les Palestiniens se sont retrouvés à vivre comme des prisonniers dans des taudis ghettoïsés assiégés par un blocus impitoyable à Gaza, et par un mur-barrière historiquement dépassé qui encercle les villages palestiniens en Cisjordanie .
Voilà le déplorable statu quo des Palestiniens ; voilà la triste histoire d'un peuple qui vit en exil dans sa propre patrie.
Si les Arabes en Égypte, en Tunisie, en Libye, au Bahreïn, au Yémen et en Syrie montrent très clairement qu'ils ne peuvent plus tolérer d'être opprimés et marginalisés, que dire de leurs frères palestiniens qui ont été systématiquement chassés de leur terre par le processus de nettoyage ethnique le plus abominable de l'histoire moderne ?
De la Place Tahrir à la Palestine
Les Palestiniens n'ont pas été exclus de la prise de conscience arabe qui s'est levée dans la région ; ils sont sortis, en rassemblements énormes, pour demander l'unité de la direction palestinienne et dénoncer les divisions qui ont paralysé leurs capacités politiques à traiter le dossier palestinien de façon compétente.
En mars dernier, un groupe de cyber-activistes arabes et palestiniens a créé une page Facebook qui appelait à une troisième Intifada palestinienne le 15 mai. La page a été fermée quelques semaines après sa création car l'appel avait attiré des milliers d'Arabes et plus les visiteurs cliquaient sur le site (plus de 340.000 "fans" en 2 semaines, NdT) pour exprimer leur soutien à l'Intifada, plus Israël s'agitait et s'énervait.
Début avril, un ministre israélien, lobbyeur sioniste acharné aux États-Unis, et la Ligue anti-diffamation ont réussi à impressionner Mark Zuckerberg, co-fondateur de Facebook, et l'ont obligé à retirer du célèbre réseau social cette page au succès déferlant.
Réalisant le rôle incroyable que les réseaux sociaux du web ont joué dans la communication et la mobilisation des gens dans les soulèvements arabes en cours, Israël, après avoir fait fermer la page Facebook de la Troisième intifada, a créé sa propre page, en arabe, grâce à laquelle il essaie de nettoyer toute trace mémorable de l'appel à Intifada et en profite pour faire la promotion du programme sioniste et de sa propre définition du conflit palestino-israélien.
Après tout un mois de contre-attaque israélienne agressive sur l'appel à la troisième Intifada sur le web, Israël a été pris par surprise par l'annonce de l'accord de réconciliation au Caire entre le Hamas, le Fatah et les autres factions palestiniennes et leur décision de former un gouvernement d'unité nationale.
Pour Israël, ce fut non seulement une surprise mais aussi un mauvais présage car c'était justement cette unité nationale que réclamaient les protestataires palestiniens dans leurs rassemblements qui ont coïncidé avec le début du printemps arabe. C'était comme une prophétie qui se réalisait.
Le vendredi 6 mai, pour exprimer leur solidarité avec cet appel à une troisième Intifada, ou ce qu'ils ont appelé le soulèvement al-Aqsa, des milliers de manifestants égyptiens ont marché vers l'ambassade israélienne au Caire et ont exprimé leur révolte contre l'occupation israélienne continue des terres arabes en Palestine.
Pendant le rassemblement, les protestataires ont demandé que l'ambassadeur israélien soit expulsé d’Égypte et exigé un gel de l'exportation de gaz naturel égyptien à Israël. Le nombre de manifestants rassemblés en face de l'ambassade israélienne n'a cessé de grossir toute le journée, tandis qu'ils scandaient des slogans anti-Israël et juraient de s'engager dans l'Intifada pour libérer les parties occupées en Palestine et Jérusalem. Ils ont aussi exigé qu'Israël mette un terme aux creusements sous la mosquée al-Aqsa qui menacent le saint monument islamique, et ainsi qu'à son siège illégal sur Gaza.
Les manifestants sont restés sur place jusqu'à la fin de la journée, lorsqu'ils ont finalement participé à des prières de masse dédiées à la cause et aux victimes palestiniennes dont les vies ont été sacrifiées tout au long des 62 années de lutte contre la brutale occupation sioniste.
Prières dédiées à la cause palestinienne
A la nuit tombée, la foule est partie, promettant de revenir le vendredi suivant par milliers, rassemblement massif prévu place Tahrir qu'ils appellent le Vendredi de l'Intifada al-Aqsa.
Nul doute que M. Netanyahu s'est avéré être un véritable visionnaire lorsqu'il a vu les changements en cours dans le monde arabe comme un tremblement de terre, sauf pour les répliques qui vont se répercuter dans sa propre cour, qu'il n'a pas vues venir.
Photos de la manifestation du vendredi 6 mai devant l'ambassade d'Israël au Caire sur Demotix.
Source : Dissident Voice
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