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Palestine - 10 novembre 2002
Par Samah Jabr
Article paru dans The Washington Report on Middle East Affairs (mensuel américain)
Certains patrouillent les rues de nos villages et de nos villes en arborant des autocollants «Nés pour tuer» (« Born to Kill ») sur leurs casques et sur leurs épaules. D’autres, euphoriques, prennent la pose pour une photo souvenir de leur safari palestinien, posant le pied sur un cadavre de Palestinien abattu encore chaud, afin d’immortaliser un moment de « triomphe » sanglant
Il y a quelque temps, des gens, dans mon quartier, parlaient d’un «bon» soldat israélien en faction au checkpoint d’Al-Ram. Durant tout un mois, l’un ou l’autre de mes voisins allait à ce checkpoint pour vérifier si ce soldat était de service. Si c’était le cas, le voisin faisait circuler la «bonne nouvelle», et nous pouvions prendre alors la route normale passant par ce checkpoint pour aller au travail, au lieu de faire un long détour qui nous obligeait à passer par des routes secondaires en piteux état.
Bien que l’utilisation du qualificatif «bon» pour désigner un soldat israélien en uniforme et en armes sur notre pas-de-porte eût le don de me taper sur les nerfs, je ne saurais nier que cet officier-là, en particulier, s’efforçait de se montrer humain. Et il est vrai que ce checkpoint prenait un aspect bien différent en présence de ce soldat israélien un peu plus mûr et, surtout, moins agressif, que les autres.
Bien que les gens n’avaient aucun moyen de savoir quel était son grade ou de quel origine il était, ils étaient d’accord sur le constat que l’officier faisait passer les voitures et les piétons qui faisaient la queue plus rapidement, leur épargnant les conséquences fâcheuses d’un retard au travail tous les matins. Cet officier ne hurlait pas après les gens avant de leur demander leurs papiers, et il s’abstenait de la grossièreté des traitements dont les soldats israéliens font généralement preuve aux checkpoints.
Une fois, alors que nous attendions, ma mère et moi, de pouvoir traverser le checkpoint, ma mère remercia le soldat qui lui avait demandé ses papiers et les lui tendait, après les avoir vérifiés. C’était une marque inconsciente, mais non méritée, de courtoisie. Et cela m’irrita. Remarquant que je faisais la tronche, l’officier exigea de fouiller mon sac, que je lui remis. Il tomba sur ma blouse blanche et mon stéthoscope. A la manière typique d’un Moyen-oriental, il me demanda : «Vous êtes infirmier ?»
«Médecin», répondis-je sèchement.
« Où exercez-vous ? »
«Sur le Mont des Oliviers», répondis-je sur un ton montrant bien que je n’avais absolument aucune envie de bavarder gentiment avec un soldat d’occupation.
« e suis médecin moi aussi… Je suis psychiatre», expliqua le soldat.
J’étais à la fois surpris et un peu mal à l’aise. Ce n’est qu’à ce moment là que nos regards se croisèrent. Je dois préciser qu’ils ne véhiculaient aucun courant de sympathie. Réfrénant tout commentaire et toute question, je refermai mon sac et je pris le chemin de mon cabinet.
Cet homme aurait pu être un de mes professeurs, ou un collègue, et j’aurais pu reconnaître ses qualités, si je l’avais rencontré sans son fusil et son uniforme et si l’occupation n’avait pas fait de la majorité de son peuple des complices d’un crime.
A part de rares exemptions pour des motifs médicaux ou religieux, à l’âge de dix-huit ans, chaque Israélien juif, homme ou femme, doit incorporer l’armée et y effectuer un service de trois ans. Jusqu’à environ l’âge de quarante cinq ans, de nombreux citoyens israéliens – en grande majorité des hommes – doivent effectuer des périodes annuelles d’entraînement militaire en tant que réservistes. Cela, en plus d’un très grand nombre de militaires de carrière. C’est de là, sans doute, que découle la fameuse formule résumant la situation : « Israël n’est pas une nation dotée d’une armée ; c’est une armée dotée d’une nation. »
L’armée n’est pas seulement la poignée d’acier de l’Occupation ; c’est aussi la grande école de l’idéologie impérialo-colonialo-exclusivisté sur laquelle l’Etat d’Israël est fondé. Il n’est par conséquent nullement étonnant que la position de la plupart des diplômés de ce prytanée, en ce qui concerne la résolution du conflit israélo-palestinien, se résume au célèbre slogan lapidaire : «Laissez l’armée faire son boulot, et gagner !» (L’armée israélienne, s’entend).
Certains Palestiniens ont utilisé le fait que l’occupation israélienne a fait de l’immense majorité des citoyens d’Israël des combattants, afin de justifier les attentats qui menacent aussi des civils israéliens. «Les civils israéliens sont des réservistes et des officiers en disponibilité», arguent-ils. Même ces Palestiniens, dont je fais partie, qui ne sont pas d’accord avec ce raisonnement, ont été confrontés parfois à des relations difficiles avec des civils israéliens, étant donné qu’il est fort possible qu’à tout moment ces mêmes personnes fassent leur apparition près de nos habitations avec leurs instruments de mort.
La plupart des Palestiniens voient dans les soldats israéliens des jeunes gens aveuglés par le fanatisme religieux et pervertis par leur pouvoir absolu. Ils représentent un Etat sans constitution, mais muni en revanche d’une Cour Suprême toujours prête à légaliser l’illégal et à pondre les lois et les avis servant les intérêts de la puissance occupante. Récemment, cette Cour suprême a légalisé deux formes de rétorsion parmi les plus arbitraires et les plus illégales au plan international qui soient : la démolition du domicile familial des kamikazes et la déportation de leurs parentèle. Cela, en sus du « droit » au « militarisme free-lance » dont jouissent ses hommes, aboutit à rendre les Forces d’Occupation Israéliennes (FOI) [rectification des «Forces Israéliennes de Défense» - FID, ndt] capables de commettre les actes les plus racistes, les plus fascistes et les plus inhumains que possible à l’encontre des Palestiniens.
En octobre dernier, des colons protestant contre l’avant-poste de Gela’ad se sont affrontés aux soldats israéliens, en blessant quarante sept. Dix-sept colons ont été blessés au cours de cet incident, et la colonie n’a finalement pas été démantelée. Lorsque, par contre, en octobre 2000, d’ «autres citoyens» d’Israël, c’est-à-dire des Arabes israéliens, ont protesté contre les atrocités perpétrées par l’armée israélienne en Cisjordanie et à Gaza, les soldats israéliens tuèrent treize d’entre eux.
Tandis que le monde entier entend parler de Palestiniens se faisant sauter avec leur bombe au milieu de civils israéliens, peu de personnes ont la notion des tâches funestes accomplies jour après jour par les soldats israéliens : destruction des sources de revenus des Palestiniens, démolition de leurs maisons, de leurs vignobles et de leurs vergers, tirs à balles réelles contre des enfants lançant des pierres, chasse à l’homme et ratissages afin d’arrêter les plus grands de ces enfants, assassinats multiples et passage à tabac de civils à titre d’exercice.
Nous sommes tous exposés à la pornographie diffusée par les soldats israéliens lorsqu’ils occupent les stations d’émission de la télévision israélienne. Ces soldats n’ont jamais hésité à uriner et à déféquer partout afin de souiller les bureaux et les appartements qu’ils occupent.
Certains patrouillent les rues de nos villages et de nos villes en arborant des autocollants «Nés pour tuer» (« Born to Kill ») sur leurs casques et sur leurs épaules. D’autres, euphoriques, prennent la pose pour une photo souvenir de leur safari palestinien, posant le pied sur un cadavre de Palestinien abattu encore chaud, afin d’immortaliser un moment de « triomphe » sanglant. Certains soldats israéliens ont admis eux-mêmes avoir volé les pièces de monnaie et les paquets de cigarettes trouvées dans les poches des misérables travailleurs palestiniens qu’ils fouillaient aux checkpoints.
Ismaïl Habboush, un malade cardiaque âgé de 63 ans, devait être hospitalisé à l’hôpital Makassed de Jérusalem, pour un traitement qui ne pouvait pas lui être dispensé dans un autre établissement. En dépit de tous les certificats médicaux nécessaires et des lettres de soutien d’associations internationales de défense des droits de l’Homme, Ismaïl et son épouse Nawal, 59 ans, ont été retenus au checkpoint d’Erez dix heures durant. Les soldats ont finalement décidé de renvoyer Nawal à Gaza et d’autoriser Ismaïl à franchir à pied les 600 mètres jusqu’à l’autre côté du barrage routier pour atteindre la voiture qui allait l’emmener à l’hôpital. Peu de temps après que Nawal ait quitté le barrage, le corps de son mari décédé la suivait à Gaza.
Tout récemment, une soldate sur le checkpoint de Taqoumiya a confisqué les casse-croûte d’ouvriers palestiniens qui se rendaient au travail et elle les a jetés aux chiens errants. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle avait fait ça, elle a répondu qu’elle appliquait les ordres. Très rares sont les Israéliens qui se rendent compte que ce sont leurs agissements totalement inadmissibles qui incitent de nouveaux kamikazes à aller se sacrifier au cœur des quartiers où ils vivent.
En dépit de la passivité et du repli de la gauche israélienne, on compte aujourd’hui 491 refuzniks israéliens, qui refusent de faire leur service militaire en tant qu’objecteurs de conscience. Certains pensent que les agissements de leur armée violent les droits de l’Homme, d’autres considèrent illégale l’occupation des territoires palestiniens, tandis que d’autres encore se posent tout simplement des questions dérangeantes et doutent et refusent de faire leur service pour des raisons pragmatiques.
Quelle que soit leur motivation, j’aperçois une lueur d’espoir dans ce phénomène. Cela me dit qu’il pourrait éventuellement y avoir quelqu’un avec qui parler, finalement, du côté israélien. Ils sont probablement enfermés entre quatre murs, derrière des barreaux, ou en train de défiler dans les rues pour protester, mais ils ne sont certainement pas aux checkpoints. En tous les cas, on ne les y voit pas…
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