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Palestine - 15 mai 2006
Par Virginia Tilley
Virginia Tilley est professeur-adjoint en Sciences Politiques et Relations Internationales, Hobart and William Smith Colleges, et est l'auteur de The One-State Solution: A Breakthrough for Peace in the Israeli-Palestinian Deadlock. Elle est actuellement au Centre pour les Etudes Politiques, Johannesburg, Afrique du Sud et est joignable àl'adresse suivante : tilley@hws.edu
Personne ne conteste que les termes d'Oslo ont disparu comme la brume du matin.
Il devrait donc être évident même àl'Union Européenne, àla Norvège et au Canada qu'Israel a renié l'accord diplomatique qui a établi les termes de sa reconnaissance par les Palestiniens.
Donc, pourquoi feindre qu'Israel n'a pas jeté ouvertement àla poubelle de l'histoire l'accord de paix que ces pays demandent maintenant au Hamas d'approuver ?
À la grande consternation de la majeure partie du monde, l'Union Européenne, suivie maintenant de la Norvège et du Canada, a stoppé les financements au gouvernement dirigé par le Hamas de l'Autorité Palestinienne.
La raison invoquée est que le Hamas n'a pas reconnu le "Droit àExister" d'Israël ou "renoncé àla violence", mais l'action viole tout bon sens que sa logique demande un examen plus minutieux de notre part.
D'abord, soyons clairs : rien de bon ne peut sortir de cette politique.
Cela réduira la capacité de l'Autorité Palestinienne àgouverner une population anéantie et désespérée.
Cela détruira la capacité du Hamas ànégocier et àcontenir la tension entre les factions divisées.
Cela pourrait même démoraliser et détruire l'engagement de longue date des Palestiniens envers la démocratie, ruinant la stabilité politique palestinienne et donc toute possibilité de négociations de paix.
Donc, pourquoi imposer des sanctions qui ne peuvent qu'avoir comme conséquence la désintégration dangereuse de la situation politique ?
Une certaine logique diplomatique révolue est àla base de cette mesure. L'Autorité Palestinienne a elle-même été inventée en 1995 pour administrer la solution implicite de deux Etats d'Oslo.
Le refus du Hamas àreconnaître le "Droit àExister" d'Israël semblerait renier l'accord diplomatique qui a établi les termes de sa propre autorité. Jusqu'àce qu'il soit d'accord sur ces termes, la communauté internationale pourrait considérer que le Hamas a rendu incertaine la légitimité de l'Autorité Palestinienne.
Malheureusement pour ses partisans, ce raisonnement s'est brisé sur un piège éclatant : le principe qu'Israël lui-même soutient les termes d'Oslo ou de la Feuille de Route. Le Premier Ministre Olmert a déclaré ouvertement lettre morte la "Feuille de Route".
Sa politique déclarée de "rassembler" les colons dans les principaux blocs de colonies de Cisjordanie est acceptée par tous comme indication des intentions israéliennes d'annexer de façon permanente des parties majeures de la Cisjordanie .
La construction permanente du Mur et des colonies est une preuve matérielle suffisante que ce plan est le véritable programme d'Israël et que la moitié est déjàaccomplie.
Personne ne conteste que ces développements signifient le démembrement territorial permanent de tout "Etat palestinien".
Personne ne conteste que les termes d'Oslo ont disparu comme la brume du matin.
Il devrait donc être évident même àl'Union Européenne, àla Norvège et au Canada qu'Israël a renié l'accord diplomatique qui a établi les termes de sa reconnaissance par les Palestiniens.
Donc, pourquoi feindre qu'Israël n'a pas jeté ouvertement àla poubelle de l'histoire l'accord de paix que ces pays demandent maintenant au Hamas d'approuver ?
La première réponse est trop évidente pour être invectivée : une lâche capitulation àla pression des Etats-Unis.
L'ensemble de la communauté internationale a été cajolé ou menacé afin de continuer àservir du bout des lèvres les intérêts de la Feuille de Route en attendant passivement que les Etats-Unis et Israël la rendent désuète. Toutefois, le non-sens diplomatique exige toujours un certain palliatif politique ou moraliste.
Le principal argument est que la reconnaissance par le Hamas du "Droit àexister" d'Israël et l'abandon de la lutte armée reconstitueraient d'une façon ou d'une autre les conditions diplomatiques de la Feuille de Route, déclencheraient les retraits israéliens complets de Cisjordanie , et permettraient àla paix finalement d'apparaître.
Prenons point par point cet argument.
D'abord, il est tout simplement incroyable. Tous conviennent que le retrait israélien des principaux blocs de colonies en Cisjordanie (en particulier, les villes importantes de Ma'ale Adumim, d'Ariel, et de Gush Etzion) n'est pas envisageable.
Le gouvernement israélien lui-même les a déclarés permanents. Aucun acteur international ou combinaison d'acteurs n'a la volonté politique et/ou le courage de changer la politique israélienne.
Israël ne retirera les principaux blocs de colonies en aucune circonstance àmoins d'une urgence nationale.
Faire croire que soudainement le Hamas est devenu gentil ne constituera pas cette urgence.
En second lieu, l'argument adopte des affirmations israéliennes spécieuses au sujet des logiques arabes que seuls les partisans conservateurs d'Israël de moins en moins nombreux croient toujours.
La propagande israélienne soutient que la "haine" des Arabes envers Israël est irrationnelle, soutenue seulement par une Judéophobie, un fanatisme religieux, et un retard culturel, et que des mesures dures peuvent donc accroître la capitulation des Arabes àla réalité même si l'occupation se poursuit.
De ce point de vue, la mainmise d'Israël sur la Cisjordanie n'est pas vraiment une "occupation" servant un programme d'annexion de la terre, mais seulement une "administration bénigne" àlaquelle Israël est obligé suite àla réticence collective des Arabes et des Palestiniens àreconnaître le Droit àExister d'Israël.
L'arrêt des financements avalise ce fantasme en soutenant que le Hamas a rejeté la "promesse de paix" authentique d'Israël en raison de son dogme rejectioniste Islamique et non parce que le Hamas a la preuve graphique qu'Israël n'a aucune intention de laisser aux Palestiniens un Etat viable.
Dans ce point de vue tordu, couper les financements vitaux devrait faire réfléchir le Hamas àcette "irrationalité", abandonner son "extrémisme", reconnaître le "droit àexister" d'Israël, et mettre fin àtoutes les actions hostiles envers lui. Le Hamas et l'Autorité Palestinienne seront alors récompensés (on le laisse entendre) par un retour àla Feuille de Route.
Hormis sa bêtise transparente (sachant que les Etats-Unis et Israël éliminent aussi vite que possible les conditions pour la Feuille de Route), des problèmes plus profonds empoisonnent cette notion aussi mince. Si l'on regarde de près àce qui est demandé au Hamas, rien n'a de sens.
Que signifie exactement le "droit àexister" ? Il n'existe aucun "droit àexister" pour les Etats en vertu du droit international. La formule a surgi parmi la diplomatie internationale uniquement concernant Israël.
Cela ne signifie pas simplement une reconnaissance diplomatique, ce qui est le "fait" de l'existence.
Cela ne signifie pas reconnaître le "droit àl'autodétermination" d'Israël, ou, nous utiliserions ce terme célèbre.
Feignons pendant un moment de croire que le Hamas est invité àreconnaître Israël dans le sens diplomatique normal.
Dans ce cas-ci, pourtant, la position de l'Union Européenne est insupportable, parce que la reconnaissance diplomatique d'un état exige habituellement un peu d'information essentielle :
Le "Droit àexister" où ? Les frontières d'Israël ne sont pas déterminées. Même ses projets pour ces frontières ne sont pas connus ; avec une effronterie impressionnante, M. Olmert a annoncé que nous ne le saurions pas avant 2010.
Il est parfaitement légitime que le Hamas exige une ferme confirmation des frontières d'Israël avant de le reconnaitre.
La communauté internationale devrait également demander àIsraël de confirmer où seront ces frontières avant d'insister sur le fait que le Hamas reconnaisse le "droit" d'Israël. Autrement, reconnaître le "droit àexister" d'Israël pourrait être interprété comme signifiant qu'Israël a le 'droit d'exister" dans les frontières qu'il choisira dans les années àvenir.
Alors que les Palestiniens vont perdre la plupart de ce qui reste de leur patrie par ce manque de clarté, le Hamas refuse de l'approuver.
Est-ce que cette intransigeance extrémiste Islamique justifie un gel des financements ?
Tentons une petite pensée : Est-ce que les gouvernements Canadien, Norvégien, Anglais ou Français seraient mis au banc international parce qu'ils ne reconnaitraient pas le "droit àexister" d'un Etat voisin qui installerait, par la force militaire, sa propre population définie éthniquement dans des villes et des enclaves murées contiguës àl'intérieur ds territoires nationaux Canadien, Norvégien, Anglais ou Français, tout en promettant de découper ces nations en "cantons" ?
Sans frontières claires, reconnaître le "droit àexister" d'Israël doit signifier autre chose. Et bien sûr, ça l'est. Clairement implicite dans le terme, il y a le droit àexister d'Israël en tant qu'Etat Juif.
En d'autres termes, le 'droit" qu'on demande au Hamas d'approuver est qu'Israël peut légitimement se constituer en tant qu'Etat en Palestine peuplé et dirigé principalement par des Juifs, principalement pour des Juifs.
Un tel Etat serait ainsi autorisé par le Hamas àmaintenir certaines lois et politiques nécessaires pour préserver sa majorité juive, en rejetant même le retour des réfugiés palestiniens requis par le droit international.
Ou la construction d'un mur massif sur la terre palestinienne conçu pour protéger l'Etat Juif contre "la menace démographique" d'une masse de citoyens Non-Juifs, les Palestiniens.
Israël serait également légitimé pour des actions passées, tel que l'expulsion des Palestiniens de leurs maisons en 1948, et pour ses futurs projets, tels que le confinement de la population autochtone de Palestine dans des cantons.
Les dirigeants israéliens ont déclaré que toutes ces mesures étaient nécessaires pour préserver Israël en tant que "Etat Juif et démocratique", comme cela est exprimé dans la Loi Fondamentale d'Israël (et réitéré par M. Sharon, M. Olmert, et presque chaque parti israélien de la classe politique).
Pourtant ce n'est pas cette politique ouverte de nettoyage ethnique, mais le droit àIsraël de la poursuivre, qui est exprimé dans l'expression, "Droit àexister".
D'où l'hésitation amère de l'OLP, des états Arabes et d'une grande partie du monde Musulman àle faire depuis de nombreuses décennies.
Ils ont abandonné cette position en 1989-90, comme geste pragmatique contre une solution àdeux états.
Alors est-ce que l'Union Européenne ne peut pas insister sur le fait que le Hamas reconnaisse le "Droit àexister" d'Israël si l'OLP, l'Autorité Palestinienne et tous les autres gouvernements du monde l'ont reconnu ?
Le problème est que le quiproquo qui a soutenu cette reconnaissance, formalisé dans le processus d'Oslo, est maintenant clairement détruit par les annexions unilatérales de terre par Israël. Le découpage de la Cisjordanie en cantons a éliminé tout espoir d'un état palestinien viable. La solution de deux Etats ne fonctionne pas.
Dans ces conditions, le Hamas devrait-il reconnaître àIsraël le "Droit àexister" s'il est reconnu que la souveraineté palestinienne a été éliminée ?
Cependant, le problème le plus embarrassant est que l'Union Européenne n'a pas elle-même explicitement reconnu le "droit àexister" d'Israël dans ce sens. Ni le Canada, ou la Norvège. Les Nations Unies ne l'ont pas fait, non plus. Ils ne l'ont pas fait, parce qu'ils ne peuvent pas.
Cela peut surprendre certains, mais l'ONU n'a pas utilisé le terme "Etat Juif" depuis 1947. La résolution 181 demandait alors "un Etat Juif" et "un Etat Arabe", avec des frontières déterminées conçues pour des majorités Juives et Arabes dans chaque Etat.
Mais la tentative a été rendue désuète quand les forces sionistes ont établi "Israël" sur une bande de territoire bien plus large qui, au total, appartenait àune majorité Arabe substantielle, et ont expulsé la plupart des résidants Arabes.
En tant que réfugiés, selon les Conventions de Genève, ces résidants Arabes ont le droit de revenir dans leurs maisons, villages, villes et cité. Mais leur retour éliminerait la majorité Juive dans ce qui est devenu "Israël", donc Israël ne l'a pas autorisé.
Par conséquent, l'ONU ne peut pas confirmer Israël en tant qu'Etat Juif (c.-à-d., un Etat qui peut en toute légitimité maintenir une majorité juive) sans contredire le droit international concernant le droit aux réfugiés.
Quand l'ONU fait aujourd'hui référence à"Israël", il n'entend pas Israël en tant qu'"Etat Juif" dans les vieux termes de majorité ethnique de 1947, parce qu'on ne peut accorder àIsraël aucun "droit" àune démographie ethnique qui empêcherait le retour des réfugiés.
En outre, les temps ont simplement changé. En 1947, le nationalisme ethnique avait toujours un certain sens révolu, bien qu'il ait été déjàcritiqué par les abus redoutables assouvis par l'Allemagne et le Japon.
Aujourd'hui, la reconnaissance du "droit" de tout Etat àse composer légalement comme un état àmajorité ethnique se moquerait clairement des Conventions des Nations-Unies sur les Droits de l'Homme et la non-discrimination.
L'ONU et l'Union Européenne ne peuvent donc pas ouvertement approuver le droit àIsraël de se composer en tant que tel. Cela gacherait les efforts internationaux au Rwanda, au Soudan, au Cachemire, en Afghanistan, au Kosovo, et dans de nombreux endroits en crise.
Donc les Etats-Unis ont piégé l'Union Européenne, le Canada, et la Norvège.
S'ils soutiennent que le Hamas doit reconnaître Israël en tant qu'Etat Juif (avec un droit de préserver une majorité ethnique Juive), alors ils doivent énoncer clairement que cela approuve un gouvernement àmajorité ethnique.
Mais ils ne peuvent pas explicitement approuver eux-mêmes le droit àl'ethnocratie d'Israël, parce que cela contredirait le droit international tout comme leur propre diplomatie dans une foule d'autres zones de conflit, donc pour quelles raisons demandent-ils au Hamas de le faire ?
Pire pour eux, ils adhèrent aux normes internationales en insistant sur le fait que l'Etat de la Palestine doit comporter une démocratie stable qui garantit l'égalité des droits pour tous ses citoyens indépendamment de la religion ou de la race.
Mais s'ils demandent àla Palestine de respecter ces normes, alors pourquoi ne le demandent-ils pas àIsraël ?
Mais s'ils demandaient àIsraël de respecter ces normes, alors l'ensemble du raisonnement pour une solution de deux Etats s'évaporerait.
La Feuille de Route est basée sur la supposition que la seule solution pacifique en Palestine est d'établir un Etat pour les Juifs et un autre pour qui que ce soit d'autre.
Si le "droit àexister" d'Israël ne nécessite pas de mantenir une majorité juive (qui rend nécessaire une législation discriminatoire, le nettoyage ethnique, les saisies de terre, et une organisation sociale), alors la logique ethnique soutenant deux Etats disparaît.
Pourquoi accepter de composer deux Etats laics démocratiques cête àcête sur ce petit bout de terre ? Personne ne peut articuler une réponse, parce que la démographie ethnique est leur seul raisonnement.
Donc, qu'est-ce que l'Union Européenne, la Norvège et le Canada demandent au Hamas de faire ?
Reconnaître Israël en tant qu'Etat ethnique avec un "droit àexister" quoi qu'il décide pour déterminer ses frontières – même si en le faisant cela signifierait non seulement le suicide national palestinien mais cela violerait les principes qui régissent leur propre diplomatie ainsi que leurs propres lois et valeurs internes au sujet de la non-discrimination ?
Ou est-ce que le Hamas est censé éluder la question en reconnaissant le "droit àexister" d'Israël simplement en tant qu'Etat normal, bien que le statut "normal" (non-ethnique) oblige alors Israël àautoriser le retour des réfugiés palestiniens – impliquant donc que l'Union Européenne, la Norvège et le Canada ne soutiennent pas Israël dans la préservation d'une majorité juive ?
Avec cette énigme, les diplomates, les parlementaires, et les ministères des Affaires Etrangères devraient se cacher dans leurs arrière-salles pour essayer de faire le tri dans leurs propres positions, plutêt que d'essayer d'affamer les Palestiniens jusqu'àla capitulation du Hamas.
Pour lui, ce n'est pas seulement le gel des financements qui est devenu un non-sens démesuré. La logique entière de la Feuille de Route est devenue un non-sens, aussi.
Peut-être que ses partisans dévoués dans les capitales étrangères restent éveillés dans leurs lits àcontempler leur propre confusion et les conséquences terribles et sanglantes que cela pourrait entrainer.
Source : http://www.counterpunch.org/
Traduction : MG pour ISM
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