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France - 7 mai 2012
Par Youssef Girard
"L’intelligence, c’est de bien retenir les expériences" L’Imam Ali
Dimanche 20 heures, le « peuple de gauche » peut enfin exulter à l’annonce des résultats de l’élection présidentielle. Partout en France, les mêmes éclats de joie, le même enthousiasme et le même espoir de changement. Après cinq années de présidence de Nicolas Sarkozy et après dix ans de pouvoir de droite, la gauche reprend en main les destinées de la France. Vingt-quatre ans après la victoire de François Mitterrand, un socialiste accède de nouveau à la magistrature suprême. Le changement c’est maintenant…
La Marche des Beurs, 1983
Ce changement a pourtant un long passé et un lourd passif qui devrait refroidir plus d’un enthousiaste exalté. Dès 1903, Jean Jaurès, le grand leader socialiste, fondateur de L’Humanité et figure historique de la gauche française, justifiait les visées coloniales françaises sur le Maroc au nom des valeurs supérieures de la civilisation française (1). Quelques années plus tard, au moment du Congrès de Tours en 1920, Léon Blum défendit l’idée qu’il ne fallait pas « confondre le mouvement de révolte des peuples opprimés avec le travail de libération prolétarienne » car cette confusion avait tendance « à fausser la lutte des classes et à déclencher la guerre des races contraire à ses principes de fraternité et à sa volonté de paix. » (2)
Dans les années 1920, contre la résistance de l’Emir Abdelkrim dans le Rif marocain, la France menait une terrible guerre coloniale au cours de laquelle les populations civiles de la région furent victimes de bombardements chimiques. A ce moment là, celui qui reste une des grandes références des socialistes français, n’hésitait pas à défendre à la Chambre des députés le devoir des « races supérieures » « d’attirer à elles les races qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de civilisation. » (3) N’étant pas uniquement un défenseur de l’impérialisme français, Léon Blum fut également un fervent partisan du projet colonial sioniste. A la demande de Haïm Weizmann, Léon Blum s'est impliqué dans la colonisation sioniste de la Palestine durant le mandat britannique.
Arrivés au pouvoir en 1936 portés par les espoirs de changement du Front populaire, Blum et les socialistes purent mettre en œuvre leurs idées en matière coloniale. Le 26 janvier 1937, le gouvernement du Front populaire fit dissoudre l’Etoile Nord Africaine qui revendiquait la libération des trois pays du Maghreb. Dans les mois qui suivirent, Messali Hadj et nombre de cadres du mouvement nationaliste algérien furent arrêtés et emprisonnés. Certains militants nationalistes, comme Areski Kehal, ne sont jamais ressortis de ces prisons coloniales.
Au sortir de la guerre 1939-1945, les socialistes poursuivirent leur politique coloniale. Au moment des massacres du 8 mai 1945 dans le Nord-Constantinois, la SFIO comptait plusieurs ministres socialistes dans le gouvernement dirigé par le général de Gaulle. Justifiant la répression impitoyable, dans les colonnes de Fraternité du 17 mai 1945, les socialistes blâmèrent les Algériens qui « avaient sali la grande heure de la Victoire des démocraties. » (4) Durant la présidence du socialiste Vincent Auriol, la Quatrième République mena une terrible guerre coloniale en Indochine et un massacre de masse à Madagascar avec la bénédiction des socialistes qui participaient au gouvernement. En Algérie, le socialiste Edmond Naegelen mena la répression, notamment par le trucage systématique des élections.
En dehors de l’Empire français, les socialistes se manifestèrent par le soutien total qu’ils accordèrent au projet colonial sioniste. Le 29 novembre 1947, la France vota en faveur du partage de la Palestine et de la création de l'entité sioniste aux Nations Unies. Après la proclamation de la création de l’Etat d’« Israël », le 15 mai 1948, l'organe de la SFIO, Le Populaire, saluait le gouvernement sioniste dirigé par leurs camarades de l’Internationale Socialiste : « Ce nouvel Etat, nous lui souhaitons bonne chance. Car nous savons qu'il est essentiellement démocratique et que le socialisme y a implanté des racines solides. » (5)
Reprenant les rênes du pouvoir le 1ier févier 1956, le gouvernement dirigé par le socialiste Guy Mollet fit voter les « pouvoirs spéciaux », c'est-à-dire la torture généralisée, le 12 mars 1956, pour mater la Révolution algérienne. Le garde des Sceaux du gouvernement Mollet, François Mitterrand avait opté en faveur de la répression dès novembre 1954 alors qu’il était, à l’époque, ministre de l’Intérieur de Pierre Mendès France. A la tête du ministère de la justice, Mitterrand se montra favorable à la décapitation des militants du FLN condamnés à mort.
A la même période, le gouvernement dirigé par les socialistes fomenta, avec ses alliés sionistes et britanniques, l'agression tripartite lancée contre l’Egypte nassérienne en octobre-novembre 1956 pour prendre le contrôle du canal de Suez. C'était l'occasion pour les socialistes français de renverser un gouvernement arabe indépendant qui soutenait activement le FLN. Cette politique, qui concordait avec celle de l'entité sioniste, consistait à abattre le seul Etat arabe menaçant l’hégémonie occidentale dans le monde arabe.
Après un long intermède, les socialistes revinrent au pouvoir en 1981 suite à la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle. Parmi ses « 110 propositions pour la France », Mitterrand affirmait vouloir supprimer « les discriminations frappant les travailleurs immigrés », assurer « l’égalité des droits des travailleurs immigrés avec les nationaux », donner le « droit de vote aux élections municipales après cinq ans de présence sur le territoire français. » (6) Plus de trente ans après, nous savons parfaitement ce qu’il en est de ces promesses n’engageant que ceux qui y croient.
En opposition à toutes ces belles déclarations ornementales, contre les travailleurs immigrés luttant pour faire valoir leurs droits, le Premier ministre socialiste Pierre Mauroy agita des arguments racistes et islamophobes. Lors d'une grève chez Renault en 1983, il déclara : « Les principales difficultés qui demeurent sont posées par des travailleurs immigrés […] agités par des groupes religieux et politiques qui se déterminent en fonction de critères ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises. » Contre les héritiers de l’immigration postcoloniale qui revendiquèrent une égalité réelle au cours de la marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983, les socialistes créèrent SOS Racisme. Avec le soutien des réseaux trotskistes (LCR) et sionistes (UEJF) de Julien Dray, l’association à la « petite main jaune » eut pour mission essentielle de noyer dans un antiracisme folklorique les velléités autonomistes des marcheurs.
Sur la scène internationale, les socialistes poursuivirent leur politique impérialiste et pro-sioniste. En 1991, la France gouvernée par les socialistes entra en guerre contre l'Irak pour démanteler ce pays arabe, mettre la main sur ses richesses et ainsi protéger l'entité sioniste.
Cette politique colonialiste des socialistes français, Amar Imache l’avait comprise dès les années 1930. Dans L’Algérie au carrefour, opuscule paru en 1937, le militant nationaliste algérien écrivait que la politique coloniale du Front populaire était « dans l’ordre et la logique, car c’est toujours la bourgeoisie impérialiste qui gouverne, elle s’appelle la gauche ou la droite. » (7) Contre tous les enthousiastes exaltés par l’arrivée du « changement maintenant », les propos d’Amar Imache nous ramènent à la réalité séculaire du socialisme colonial français.
(1) Jean Jaurès, Chambre des députés, 20 novembre 1903.
(2) Girardet Raoul, L’idée coloniale en France de 1871-1962, Paris, Ed. Hachette, 2005, page 214.
(3) Léon Blum, Chambre des députés, 9 juillet 1925.
(4) Kaddache Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, Tome II, 1939-1951, Paris, Ed. Paris-méditerranée, 2003, page 667
(5) Dalloz Jacques, La création de l'Etat d'Israël, Paris, La Documentation française, 1993
(6) Voir les propositions 79 à 81 in. « 110 propositions pour la France », URL : http://www.lours.org/default.asp?pid=307
(7) Kaddache Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, Tome II, 1919-1939, op.cit., page 449
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