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Proche-Orient - 26 novembre 2012
Par Ibrahim al-Amin
Ibrahim al-Amin est rédacteur en chef d'Al-Akhbar. Article publié le vendredi 23 novembre 2012.
Les louanges qui ont salué la fermeté de la population et de la résistance à Gaza ne peuvent oblitérer quelques faits et questions liés aux derniers développements. Le cessez-le-feu annoncé hier - bien que nécessaire pour faire cesser la machine à tuer israélienne - n'a fait qu'ajouter à ces questions complexes.
L'air est obstrué d'une épaisse couche de fumée qui dissimule des signes préoccupants pour l'avenir de la cause palestinienne. Au mieux, ils invitent à la vigilance et soulèvent des questions sur la stratégie de la résistance au lendemain de cette victoire.
Le Premier ministre palestinien, Ismail Haniyeh, du mouvement Hamas, salue la foule à Gaza-ville lors d'un rassemblement de célébration du cessez-le-feu, le 21 novembre 2012 (Hatem Moussa / AP)
Dans l'édition d'hier [22 novembre] du Yedioth Ahronoth, le chroniqueur en chef Nahum Barnea a dit, s'exprimant sur le cessez-le-feu :
"L'administration US tente d'utiliser l'accord pour renforcer l'axe sunnite dans le monde arabe contre l'axe chiite. L'ennemi est l'Iran chiite, et le Hezbollah et la Syrie financés par l'Iran. L'alliance sunnite comprend l’Égypte et les Frères musulmans, l'Arabie saoudite, la Turquie, l'Autorité palestinienne et les Émirats du Golfe, avec la Jordanie à la marge. Le Hamas devra choisir entre l'Iran et l’Égypte. Si l'Iran peut fournir des missiles et de l'argent, l’Égypte offrira l'immunité contre les attaques israéliennes, la souveraineté sur Gaza et une porte ouverte sur le monde."
Les Israéliens parlent avec exaltation de leur confiance que l’Égypte peut être enrôlée dans un tel plan. Ils escomptent que l'aide financière du gouvernement égyptien sera liée à sa poursuite de politiques qui servent le camp pro-accord. Aux États-Unis, on se préoccupe aussi de convaincre ce qu'ils appellent les "modérés" dans les mouvements islamistes des pays à majorité sunnite.
Certains aux États-Unis et en Israël sont impatients de pousser les choses plus avant - obtenir que la résistance en Palestine brise ses relations avec l'Iran, et, par extension, avec la Syrie et le Hezbollah. L'objectif serait d'utiliser la légitimité populaire et la réputation de lutte du Hamas dans sa confrontation avec le camp adverse, étant donné que c'est l'implication de l'axe Iran-Syrie-Hezbollah de résistance aux Etats-Unis et à l'occupation israélienne qui lui donne de l'influence dans les mondes arabe et islamique au sens large.
De tels pronostic sont-ils fondés ?
La dure vérité, c'est que des indications croissantes montrent qu'il faut prendre ces perspectives au sérieux. Nous devons tenir compte du fait que les positions arabes envers la cause et la résistance palestinienne sont en train de changer. Le camp pro-résistance doit noter, par exemple, qu'aucune capitale arabe n'a vu de manifestation importante de solidarité avec la Bande de Gaza.
De plus, la couverture des organes médiatiques arabes les plus puissants et les plus influents n'ont pas été à la hauteur de l'ampleur de l'attaque israélienne, ni au niveau de leurs propres couvertures antérieures.
On a vu également des empoignades fielleuses entre les partisans des deux camps, l'axe Iran-Syrie-Hezbollah attendant que la résistance palestinienne exprime publiquement sa gratitude, et les dirigeants du Hamas évitant délibérément de le faire.
Tout ceci indique une impasse. Ceux qui croyaient que la bataille avec Israël unirait tout le monde se trompent - comme ceux qui pensaient que les guerres d'Israël pourraient ternir les affrontements en Syrie.
Il n'est pas simple de tirer des conclusions ici, car les calculs induits sont complexes.
Le courant de la résistance veut que l'accord du Hamas pour une trêve de longue durée signifie que le Hamas annonce la cessation des opérations de la résistance pour une période indéterminée, mais uniquement pour s'épargner tant les fléaux de l'adversaire que des amis supposés. Il œuvrerait pendant ce temps au renforcement de l'infrastructure de la résistance pour qu'elle soit prête à une future confrontation, dans le cadre de la stratégie de libération totale de l'occupation. Pour que cette stratégie réussisse, il faudrait un véritable accord entre tous, ou au moins avec les principales factions de la résistance palestinienne.
Répartition des Musulmans au Proche-Orient : en vert foncé, l'Islam chiite ; en vert clair, l'Islam sunnite
Il y a également d'autres options. Celles-ci ont été hélas proposées à toutes les parties intéressés, et elles comprennent :
Premièrement, que l'accord du Hamas au cessez-le-feu soit dans la ligne d'une politique régionale plus large. Ceci signifierait que le Hamas a accepté non seulement de faire partie de l'organisation mondiale des Frères musulmans, mais sous son propre nom, et aussi de faire sien ses théories et ses tactiques.
La priorité actuelle des Frères musulmans est de consolider sa mainmise sur le pouvoir, reportant tous les autres dossiers. Le discours de la résistance depuis la victoire s'est centré sur son engagement continu à la cause de la résistance à tous les égards, mais sa priorité n'est pas partagée par l’Égypte, la Turquie et l'Arabie saoudite, qui cherchent à consolider leurs propres pouvoirs.
Une deuxième option est que les membres de l'axe Turquie-Egypte-Golfe inondent rapidement le Hamas et la population de Gaza de leur amour et de leur affection sous la forme d'aides à la reconstruction. Le soutien serait cependant conditionné à des garanties qu'il n'y aurait pas d'autres destructions. On ne peut pas attendre du Hamas qu'il obtienne cette garantie d'Israël. Il lui serait plutôt demandé de s'engager dans une condition avec laquelle nous, au Liban, ne sommes que trop familier : éviter toute démarche qu'Israël pourrait utiliser pour lancer une nouvelle attaque.
Troisièmement, si le Hamas devait avancer dans ce sens, il serait confronté à un problème interne. Il lui faudrait travailler à couper les ailes du "courant jihadiste" en son sein, qui veut que la résistance soit la priorité absolue. Le Hamas se retrouverait aussi confronté au Jihad Islamique et aux autres factions de la résistance moins actives, dont les Brigades Al-Aqsa du Fatah, le Front Populaire de Libération de la Palestine, et d'autres.
Dans le cas d'une telle confrontation, le Hamas devrait recourir à des mesures sévères pour affirmer son contrôle et remplir ses obligations vis-à-vis des Frères Musulmans. Ceci nous met malheureusement au bord d'une nouvelle guerre civile palestinienne.
Quatrièmement, l'adhésion du Hamas à cet axe impliquerait un durcissement de sa position sur la crise syrienne. Au lieu de critiques de la politique du régime et d'appels au dialogue, on pourrait entendre de fortes dénonciations du régime syrien. On pourrait aussi entendre les dirigeants du Hamas gueuler contre l'Iran et le Hezbollah, comme l'ont fait certains de ses hauts fonctionnaires.
Le danger ici - qui doit être évité - est que c'est précisément le service que les USA attendent de cet axe. Ils feront pression sur l’Égypte, la Turquie et les États du golfe pour qu'ils fassent pression sur le Hamas pour assumer la tâche de délégitimer tout implication non palestinienne à la résistance, dans le but d'obliger l'axe Iran-Syrie-Hezbollah à reculer, le reléguant à une alliance confessionnelle étroite, "le front chiite".
Le problème ne réside pas seulement dans le fait que des gens soutiennent ces options. Mais que le problème s'amplifiera si l'on ne donne pas à l'opinion majoritaire en Palestine et en Égypte le soutien dont elle a besoin pour affirmer qu'une identité nationale indépendante nécessite qu'on ne rejoigne pas l'axe parrainé par les États-Unis.
Et par la même occasion, merci à Sami Shebab (1).
(1) "Hezbollah confirms its cell members escaped Egyptian jails", Sami Shebab, Yalibnan.com, 03.02.2011.
Source : Al Akhbar
Traduction : MR pour ISM
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Ibrahim al-Amin
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