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Israël - 31 janvier 2007
Par Yakov M. Rabkin
L’auteur est professeur d’histoire à l’Université de Montréal. Son dernier ouvrage a pour titre ‘Une menace venue de l’intérieur : un siècle d’opposition juive au sionisme’.
Benny Morris est un homme honnête. Il fut un des premiers à révéler l’histoire de la dépossession des Palestiniens et de leur expulsion par les sionistes.
Par la suite, il a regretté ouvertement que cette épuration ethnique n’ait pas été suffisamment radicale : les Etats-Unis avaient bien mieux fait le travail, en éradiquant totalement les indigènes qui peuplaient leur territoire.
Dernièrement, il a publié une prophétie cataclysmique à faire froid dans le dos : l’ensemble de l’entreprise sioniste en Terre d’Israël serait condamnée à un anéantissement causé par une frappe nucléaire iranienne.
Son article "Le prochain Holocauste sera différent" (This Holocaust will be different), publié par le Jerusalem Post du 18 courant, n’est pas d’une lecture plaisante ; il contient, en effet, une violence palpable. Mais il faut le lire.
Benny Morris, professeur d’histoire à l’Université Ben-Gurion, compare à l’Holocauste la situation actuelle d’Israël.
La description qu’il fait de la tragédie des juifs d’Europe glace le sang. Eliminant du revers de la main l’arsenal nucléaire supposé – mais ô combien réel – d’Israël, au motif qu’il serait "inutilisable", c’est avec un désespoir authentique qu’il envisage des frappes de missiles sur les centres urbains israéliens, estimant que les victimes pourraient être aussi nombreuses que celles du génocide perpétré par les nazis.
Morris semble perpétuer la tradition prophétique qui inspire pas mal de juifs, ces jours-ci. Certains d’entre eux dénoncent les mauvais traitements infligés par Israël aux Palestiniens ; d’autres s’interrogent sur la nature sioniste de l’Etat d’Israël ; tous sont convaincus de dire au pouvoir ses quatre vérités. Tous proposent des solutions, expriment des positions et défendent des opinions.
Mais Morris, lui, ne fait rien de tout ça : il pleure le pays dans lequel il a choisi de vivre, et dans lequel il a fondé une famille. Il ne dit pas de quelle manière sauver les habitants de l’Etat d’Israël.
En ce sens, il est sans doute plus près des auteurs des tragédies grecques que des prophètes de la Bible, qui indiquent invariablement une issue.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Livre de Jonas, dans lequel la repentance permet d’éviter la catastrophe, est lu pour la fête de Yom Kippour, la Fête du Pardon, durant laquelle les juifs redoutent le jugement divin.
Le fatalisme de Morris s’explique. Le sionisme fut une rébellion contre le judaïsme diasporique et son culte de la soumission, de l’humilité et de la conciliation. Le sionisme fut une tentative valeureuse de transformer l’humble juif s’en remettant à la providence divine en un Hébreu intrépide, ne comptant que sur sa propre force.
Cette transformation a connu un succès impressionnant : Israël s’est doté de l’armée la plus puissante de la région. Mais cela ne lui a apporté ni la paix, ni la tranquillité.
Morris aurait pu conclure son article en citant un prophète de la Bible : "Car ce n’est pas par la force, que l’homme est justifié" [Samuel I 2:9].
Intimement familiarisé comme il l’est avec la création de l’Israël moderne, il aurait pu proposer des moyens de reconnaître l’injustice faite aux Palestiniens aux seuls fins de créer et d’étendre l’Etat sioniste.
Il aurait pu exhorter ses compatriotes à rechercher des moyens de corriger l’injustice et, partant, d’atténuer les griefs des Palestiniens, qui n’ont cessé d’être une plaie, pour Israël, depuis sa création.
Après quoi, Morris nous aurait indiqué une manière de sortir de l’impasse violente actuelle. En l’état actuel des choses, sa prophétie ne peut que légitimer des frappes militaires contre l’Iran et par voie de conséquence, la poursuite de l’escalade de la violence au Moyen-Orient.
Cette fois-ci, encore une fois, Israël peut sortir victorieux. Mais les Israéliens n’en continueront pas moins à vivre dans la crainte du prochain ennemi.
Plusieurs penseurs juifs ont mis en garde contre cette situation. L’un d’entre eux prophétisait, durant la Guerre d’Indépendance [d’Israël, ndt], en 1948 : "Et même si les juifs devaient remporter cette guerre, ces juifs "victorieux" vivraient entourés par une population arabe totalement hostile, enfermés à l’intérieur de frontières sans cesse menacées, entièrement absorbés par la nécessité de se défendre physiquement.
Et cela serait la fin d’une nation qui – et peu importe le nombre d’immigrants qu’elle serait capable d’absorber et l’éloignement de ses frontières – demeurerait un très petit peuple, largement dépassé numériquement par des voisins hostiles."
Cet avertissement fut formulé par Hannah Arendt, qui comprit les dangers qu’il y avait à établir un Etat contre la volonté des habitants locaux et de toutes les nations avoisinantes.
Des penseurs, aussi bien laïcs que juifs orthodoxes, redoutèrent, de la même façon, que la représentation que Ben-Gurion se faisait du sionisme ne mette en danger la survie, tant spirituelle que physique, des juifs.
Aujourd’hui, alors qu’aucun pays arabe ne représente de menace militaire pour Israël, c’est l’Iran que redoutent de nombreux Israéliens.
Juste à côté de l’Iran, qui est encore loin d’acquérir un potentiel nucléaire, se trouve le Pakistan – un régime instable, avec une présence islamiste importante et un arsenal nucléaire nullement imaginaire, celui-là, mais bien réel.
Comme l’a prophétisé Hannah Arendt, des menaces existentielles risquent fort de continuer à peser sur Israël, si ce pays ne change pas de comportement.
Benny Morris a peut-être, quant à lui, écrit une tragédie grecque – un enchaînement d’événements fatal que ni les hommes, ni les dieux, ne sauraient modifier.
Mais à l’instar du polythéisme, le fatalisme est totalement étranger au judaïsme. Une référence juive à la haine éternelle des nations est la citation talmudique : "Esaü hait Jacob". Pourtant, certains rabbins, dont Rabbi Naphtali Zvi Berlin [dont le nom abrégé est le Netziv], soulignent qu’à l’avenir, ces deux-là s’aimeront mutuellement profondément, comme ce fut le cas pour le Rabbin Judas le Prince et l’Empereur Romain Antonin.
A la lumière de cette interprétation, on comprend mieux la raison pour laquelle beaucoup de dirigeants de la communauté [juive] se sont inspirés de l’histoire d’Esaü et Jacob avant de négocier avec des autorités hostiles : ce faisant, ils s’efforçaient de faire d’un ennemi – un ami.
C’est ce que les rabbins antisionistes, de nos jours, entendent faire en se rendant en Iran pour aller y embrasser le Président Ahmadinejad.
Contrairement à Benny Morris, ils s’efforcent de trouver un moyen permettant d’éviter qu’une tragédie ne devienne réalité.
Leur succès n’est pas garanti. Mais on ne saurait les condamner pour avoir essayé.
Source : http://www.jpost.com
Traduction : Marcel Charbonnier
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