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Palestine - 16 mai 2015
Par Joseph Massad
Joseph A. Massad est professeur associé à l'université Columbia, à New York, où il enseigne l'histoire politique et intellectuelle arabe moderne. Son ouvrage le plus récent est Islam in Liberalism.
14.05.2015 - Depuis le début des années 1990, la solidarité avec le peuple palestinien a reculé, au niveau international, en raison de l'effondrement de l'Union soviétique et de la collaboration qui s'est établie par la suite entre l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP), les Etats-Unis et Israël pour liquider la lutte palestinienne anti-coloniale grâce aux Accords d'Oslo. Ces dernières années, cependant, cette solidarité a fait son retour avec l'adhésion croissante à la campagne palestinienne de boycott, désinvestissement et sanctions d'Israël, ou BDS.
Des Palestiniens dans l'Israël actuel marchent sur les terres des villages détruits près de Tibériade, le 23 avril (Oren Ziv / ActiveStills)
Alors que le soutien international des Palestiniens a reflué après 1990 au niveau des Etats et des sociétés civiles, le vent a à nouveau tourné ces 10 dernières années, avec la prise de conscience de la part de nombreux parrains initiaux d'Oslo que les accords furent une ruse pour enraciner la colonisation israélienne. C'est particulièrement vrai dans les sociétés civiles d'Europe de l'Ouest et d'Amérique du Nord, mais aussi et de plus en plus au niveau de la politique gouvernementale européenne, avec les murmures récents dans l'administration Obama que sa politique pourrait aussi changer au vu de la récente victoire électorale du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et de la dernière déclaration catégorique de ce dernier qu'aucun Etat palestinien ne serait établi au cours de son mandat. Il est nécessaire de récapituler ce flux et ce reflux de la solidarité pro-palestinienne pour comprendre et analyser les stratégies les plus récentes de la solidarité et les contre-stratégies anti-palestiniennes élaborées par Israël et ses amis pour les faire échouer.
Le "processus de paix" post-1990, qui a débuté avec la Conférence de Madrid de 1991, a provoqué des transformations majeures à la solidarité mondiale avec les Palestiniens. Alors que le monde avait jusque là soutenu le droit au retour du peuple palestinien dans sa patrie par une résolution des Nations-Unies qui continue d'être réaffirmée tous les ans, une grande partie du monde semble maintenant soutenir une sorte d'indemnisation, si tant est qu'il y ait soutien. Alors qu'une grande partie du monde avait soutenu le démantèlement d'Israël en tant que colonie de peuplement raciste, comme en témoigne la résolution 3379 de l'ONU (1975) qui assimilait le sionisme à "une forme de racisme et de discrimination raciale," en 1991, une grande partie du monde l'a révoquée (Résolution 46/86). Alors qu'une majorité des pays du monde était alors décidée à isoler Israël diplomatiquement comme l'un des trois Etats parias (avec l'Afrique du Sud de l'Aparteid et Taiwan), aujourd'hui, la plupart d'entre eux ont établi des relations diplomatiques avec lui.
Le seul droit palestinien que la plupart des pays du monde semble toujours soutenir est le droit de quelques Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza (mais pas les Jérusalémites) à l'auto-détermination et à la fin de l'occupation israélienne dans certaines parties de la Cisjordanie et de Gaza (mais pas à Jérusalem-Est). Peu nombreux sont ceux qui soutiennent, après Oslo, le droit des Palestiniens à résister à l'occupation, un droit qui jouissait auparavant d'un maximum de soutien. Cette perte de soutien ne se limite pas aux Etats et aux gouvernements mais elle inclut des mouvements politiques, des militants et des individus.
Tout au long des années 1960 et 1970, l'OLP a exprimé une vision claire de ce que signifiait la libération du colonialisme sioniste. C'est ce qu'exprima Yasser Arafat aux Nations-Unies dans son célèbre discours de 1974 et dans d'autres déclarations de l'OLP. Le diagnostic sur le sionisme était clair : le sionisme est un mouvement colonial raciste qui discrimine contre les juifs eux-mêmes et est allié à l'impérialisme ; Israël est un Etat colonial raciste qui discrimine contre ses citoyens palestiniens et empêche les Palestiniens qu'il a chassés de revenir ; et Israël est une colonie de peuplement dont le fondement est l'expansion territoriale et l'occupation des terres des pays voisins.
La solution aussi était claire (même si elle avait besoin d'être peaufinée) : l'établissement d'un Etat démocratique et laïque sur toute la Palestine mandataire, où les arabes et les juifs auraient des droits égaux. C'est dans ce contexte que le soutien et la solidarité internationaux aux niveaux officiel et officieux ont déclaré que le sionisme était raciste, ont réaffirmé inlassablement le droit des Palestiniens expulsés à revenir dans leurs foyers et sur leurs terres et affirmé le droit légitime des Palestiniens sous occupation israélienne à résister à leur occupant.
La lutte palestinienne de guérilla a attiré un énorme soutien international et de nombreux volontaires ont rejoint les combattants fidayyin en Jordanie et au Liban à la fin des années 1960 et 1970. Ils sont venus des quatre coins de la planète, du Japon, d'Espagne, d'Italie, d'Allemagne, d'Argentine et de Colombie, du Nicaragua, d'Iran, d'Afrique du Sud et de Turquie et du monde arabe (1). Bien que la plupart des partisans venaient du Tiers Monde, de nombreux d'Européens de l'Ouest ont affiché d'autres formes de solidarité avec les Palestiniens, manifestant et écrivant en leur nom dans leurs pays d'origine et s'opposant au soutien d'Israël par leurs propres pays. La France a même été représentée par une personnalité comme Jean Genet, qui est venu à Amman pour documenter la lutte palestinienne.
La solidarité arabe avec les Palestiniens remonte bien avant à 1917 et suivant. Que Izz al-Din al-Qassam, le premier martyr palestinien dont la mort par les occupants britanniques est à l'origine de la Grande Révolte palestinienne de 1936-1939 contre les colonisations britannique et sioniste, vienne de ce qui est considéré aujourd'hui comme la Syrie n'était guère exceptionnel, tandis que des volontaires arabes rejoignaient la lutte palestinienne après l'attaque sioniste de décembre 1947 et l'invasion du pays qui a provoqué l'expulsion de la plupart des Palestiniens. Que les Etats arabes soient intervenus officiellement à la mi-mai 1948 pour mettre un coup d'arrêt à l'expulsion sioniste (au 14 mai 1948, l'armée d'invasion sioniste avait déjà expulsé environ 400.000 Palestiniens) et à l'établissement de la colonie juive de peuplement fut le résultat d'une pression populaire massive dans tout le monde arabe est assez vrai, même si les principales préoccupations des pays intervenant étaient les propres ambitions de leurs régimes pour l'hégémonie régionale.
Les concessions de l'OLP
Depuis que l'OLP a commencé à vaciller sur sa vision et sa mission et qu'elle s'est embarquée sur le chemin qui reconnaît le droit d'Israël à être un Etat juif raciste, et qu'elle a commencé à négocier, sous parrainage des Etats-Unis, à Madrid en 1991, les amis internationaux du peuple palestinien ont été précipités dans un état d'incertitude absolue. La première grande concession qu'a fait l'OLP dans le contexte d'Oslo fut de permettre l'abrogation du consensus international sur "sionisme = racisme" et sa substitution par le consensus US et israélien, à savoir qu'Israël, la seule démocratie au Moyen-Orient, était enfermé dans un litige foncier avec ses voisins.
Comme on l'a noté, l'une des premières réalisations de ce nouveau consensus fut l'abrogation états-unienne et israélienne de la résolution de 1975, qui a eu lieu en 1991. Les mêmes Etats qui avaient soutenu la résolution en 1975 ont soutenu son annulation en 1991. Alors qu'en 1975 la Résolution 3379 des Nations-Unies fut soutenue par 72 pays (35 ont voté contre et 32 se sont abstenus), l'annulation de 1991 obtint le soutien de 111 pays (25 contre, 13 abstentions). Il est évident que l'effondrement de l'Union soviétique et du bloc de l'Est fut une grande perte pour la cause palestinienne à l'ONU. Cependant, le changement d'opinion des amis et alliés du Tiers Monde, et des mouvements et des individus à travers le monde, fut davantage la conséquence des concessions et des transformations de l'OLP que de tout autre facteur.
Comme je l'ai argumenté il y a plus de 12 ans dans un article portant sur la solidarité post-Oslo, le sionisme avait gardé l'idéologie et les pratiques racistes qu'il avait toujours eues ; ce fut l'OLP qui n'a pas souhaité continuer à le condamner pour ce racisme. Les alliés des Palestiniens, ont dit certains, ne pouvaient être plus pro-Palestiniens que l'OLP. Depuis la conférence de Madrid, et surtout après Oslo, Arafat et ses copains ont commencé à faire circuler des propositions et des idées qui concédaient le droit au retour du peuple palestinien. C'est dans ce contexte que la majorité des pays et des gens qui soutenaient le droit au retour palestinien (dont les Etats-Unis jusqu'au milieu des années 1990) ont commencé à vaciller. Quant à la légitimité de la résistance à l'occupation et au racisme, Arafat l'avait assimilée, sur ordre états-unien, au "terrorisme" et y avait "renoncé" à la fin des années 1980 et comme condition à un dialogue avec les Etats-Unis qui ne s'est jamais matérialisé.
A la lumière d'Oslo, Arafat et l'Autorité palestinienne (créée par les Accords d'Oslo) mirent fin à la première Intifada et ont entrepris consciencieusement de supprimer la seconde. Les alliés et amis, en conséquence, se sont mis à hésiter dans leur soutien à la résistance palestinienne. En outre, lorsque Arafat a négocié l'accord d'Oslo et a transformé l'OLP d'un mouvement de libération en un outil de l'occupation israélienne baptisé Autorité palestinienne, tous les pays qui avaient institué des boycotts diplomatiques d'Israël se sont demandés pourquoi ils devraient les maintenir quand l'OLP et Arafat établissaient des contacts diplomatiques avec un Etat colonial qui pratiquait le racisme institutionnalisé et légalisé. L'isolement diplomatique international d'Israël a ainsi pris fin grâce à l'accord d'Arafat.
L'inversion de ces réalisations importantes qui avaient maintenu Israël, dans l'esprit de beaucoup de gens, comme un avant-poste colonial raciste, fut non seulement ressentie au niveau officiel mais aussi au niveau des mouvements politiques et des individus pour qui l'OLP et Arafat étaient les symboles de la lutte contre le colonialisme et le racisme. Ces mêmes personnes rejoignirent le chœur international de soutien à Oslo comme moyen de résoudre ce qui fut de plus en plus souvent appelé "le conflit palestino-israélien", plutôt que la fin du colonialisme sioniste et du racisme.
Capitulation palestinienne
Lorsque nous regardons l'histoire de la solidarité internationale avec les peuples opprimés, nous trouvons de nombreux exemples de directions nationales compromises. Comme je l'ai analysé dans mon article de 2003 (cité plus haut), le gouvernement collaborationniste sud-vietnamien de Nguyen Van Thieu, par exemple, n'a pas influencé, sur la scène internationale, ceux qui soutenaient la lutte de libération sud-vietnamienne. Le collaborateur Mangosuthu Buthelezi, ministre en chef du bantoustan KwaZulu sous l'apartheid, n'a pas non plus influencé ceux qui soutenaient la lutte sud-africaine. Ceux qui soutenaient la fin du colonialisme de peuplement en Rhodésie n'ont pas modifié leurs positions après le triomphe du ZANU de Robert Mugabe sur le ZAPU de Joshua Nkomo. De même ceux qui ont soutenu la révolution iranienne n'ont pas changé d'avis sur la nature du Shah ni sur la nécessité de le renverser quand Khomeini a pris le pouvoir, pas plus que ceux qui soutenaient la révolution contre Haile Selassie en Ethiopie n'ont changé les leurs lorsque le conseil militaire Derg dirigé par Mengistu Haile Mariam l'a renversé.
Pourtant, le fait que Arafat et l'OLP ont laissé tomber leur opposition à l'Israël raciste et se soient transformés, sous le couvert de l'Autorité palestinienne, en exécuteurs de l'occupation tout en se prélassant à l'ombre de leur histoire anti-coloniale antérieure a leurré jusqu'à leur faire soutenir cette transformation bon nombre de ceux qui constituaient la solidarité internationale. L'indécision permanente d'Israël sur la personne d'Arafat comme leader le plus approprié pour la reddition palestinienne était fondée sur son refus de coopérer pleinement avec toutes les exigences d'Israël, pas à cause de sa lutte contre le racisme et le colonialisme israélien. Ces pays, groupes et individus qui constituaient la solidarité internationale n'ont cependant pas, ou ont refusé de faire la distinction.
On a argué que cette confusion et cet échec de la part des supporters internationaux furent le résultat de l'absence d'un mouvement ou d'une direction palestinienne homogène qui aurait fourni une alternative à Arafat et à l'Autorité palestinienne, comme Nelson Mandela et le Congrès national africain l'avaient procurée à Buthelezi et le Viet Minh à Thieu.
Mais même si cette partie de l'analyse est importante, elle ne constitue pas un argument suffisant ou totalement convaincant car elle ne tient pas compte du fait que c'est à la suite de la politique d'Arafat et d'Israël que Arafat et ses successeurs sont restés les seuls dirigeants à la disposition des Palestiniens. Israël avait assassiné des leaders palestiniens dans le monde entier pendant les cinq premières décennies, et c'est la direction d'Arafat et son monopole du pouvoir qui avaient empêché d'autres dirigeants d'émerger.
Ré-émergence de la solidarité
Malgré la confusion et le désarroi dans lesquels les concessions d'Arafat avaient jeté les amis et alliés des Palestiniens, ces derniers continuent de disposer de beaucoup de soutien à travers le monde et d'inspirer partout des solidarités. Si les Etats qui ont soutenu les Palestiniens avant Oslo se sont laissés intimider par la puissance américaine et israélienne après Oslo, tous les mouvements politiques, les intellectuels et les militants ne se sont pas laissés réduire si facilement au silence.
Beaucoup de gens ont commencé à venir, du monde entier, en Cisjordanie et à Gaza après 2001 pour aider à combattre l'occupation et pour protéger la vie des Palestiniens. La création en 2001 du Mouvement de Solidarité Internationale (ISM) dirigé par des Palestiniens, au plus fort de la Seconde Intifada, a fait venir dans les territoires occupés un grand nombre d'Européens de l'Ouest blancs, d'Américains blancs et d'Australiens blancs qui se sont engagés dans un militantisme non-violent pour aider à défendre les Palestiniens contre les soldats israéliens - en particulier dans les cas d'expulsions, les démolitions de maisons, la confiscation des terres et autres formes de violence coloniale quotidienne de l'armée israélienne et des colons juifs. De plus, les militants d'ISM se fixèrent comme objectif de documenter l'oppression quotidienne des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza.
Le mouvement fut la cible des Israéliens et ses militants tués, blessés et harcelés. Les Israéliens les ont bien sûr accusés de collaborer avec "le terrorisme", a expulsé nombre d'entre eux et leur a interdit de revenir.
Le principe de base de l'ISM était que des bénévoles internationaux blancs pouvaient protéger les Palestiniens plus colorés sur qui la raciste armée israélienne avait et a moins de scrupules à tirer que sur des Européens et des Euro-américains blancs. L'ISM n'a pas réalisé alors que ce privilège blanc ne dure pas lorsqu'une personne blanche va à l'encontre du consensus européen et euro-américain blanc. ISM a appris la leçon à la dure lorsque l'armée a montré peu d'hésitation à viser et à tirer de sang froid sur ces bénévoles américains, européens et australiens, avec à peine un murmure de protestation de leurs propres gouvernements.
L'affaire de l'américaine Rachel Corrie est peut-être la plus célèbre, mais il y en a d'autres, comme celle du citoyen britannique Tom Hurndall, sans parler de ceux qui ont été grièvement blessés comme l'américain Tristan Anderson. L'attaque de l'armée israélienne en 2012 contre des dizaines de cyclistes ISM qui faisaient du vélo en solidarité avec des Palestiniens a provoqué de nombreux blessés et a montré la volonté d'Israël de venir à bout de la solidarité internationale à tout prix.
En plus d'ISM, beaucoup d'autres ont écrit et ont parlé au nom des Palestiniens dans des publications et des forums dans le monde entier. Et beaucoup d'autres encore ont arpenté les rues des capitales d'Europe et des villes d'Amérique du Nord pour protester contre la violence israélienne, sans parler des villes du monde arabe, tandis que d'autres militants faisaient campagne pour boycotter et désinvestir du pays et des compagnies US ou européennes qui vendent du matériel utilisé dans sa politique coloniale. Cette base importante de soutien cherchait une direction et l'a trouvée dans la Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d'Israël (PACBI), créée en Cisjordanie en 2004, et dans l'établissement du Comité National de Boycott (BNC) et l'appel de juillet 2005 de la société civile palestinienne pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions.
En plus de PACBI, Ali Abunimah et plusieurs collègues ont créé leur important site internet The Electronic Intifada en 2001 pour informer les alliés des Palestiniens de leur lutte quotidienne contre une occupation sauvage. The Electronic Intifada est une source essentielle d'information pour la solidarité internationale et Abunimah est devenu un moteur, un véritable lobby à lui tout seul, combattant inlassablement la désinformation sur les Palestiniens dans les médias occidentaux.
Entre temps, le siège qu'Israël a imposé à la Bande de Gaza depuis 2005 a généré un nouveau type de solidarité avec les Palestiniens assiégés sous la forme de flottilles et de convois ayant pour but de briser le siège israélien et le siège égyptien secondaire complice du premier. Prenant conscience du danger d'une telle violation du diktat israélien, l'armée israélienne a combattu les flottilles, les empêchant d'atteindre Gaza (2), au point d'arraisonner en mai 2010 tous les bateaux de la Flottille de la Liberté pour Gaza et de tuer neuf supporters turcs dans le plus gros des bateaux, le Mavi Marmara, un massacre perpétré dans les eaux internationales.
L'oppression israélienne des Palestiniens s'intensifiant sur tous les fronts, le soutien pour la campagne BDS a commencé à s'étendre dans les universités occidentales, les syndicats et parmi les artistes, les écrivains et les intellectuels. Certains ont décidé d'aller sur place pour témoigner en personne sur les effets de l'occupation israélienne, soulignant ainsi involontairement la lutte des Palestiniens de Cisjordanie , et à une moindre mesure celle des Palestiniens de Gaza, par rapport à celle des deux autres tiers du peuple palestinien en exil ou vivant sous le régime israélien colonial et raciste dans l'Israël d'aujourd'hui.
Même si beaucoup de ceux qui font ces visites sont sincères et authentiques dans leur soutien aux Palestiniens, on peut s'inquiéter que cela équivaille ni plus ni moins au tourisme de solidarité qui a rendu célèbres les bien-pensants occidentaux tout au long du 20ème siècle - de leurs visites en Union soviétique dans les années 1920 aux visites de récolte de la canne à sucre à Cuba dans les années 1960, et plus encore les récoltes du café et la construction de logements au Nicaragua dans les années 1980 - dont aucun n'a eu de réel et durable impact au-delà du symbole. Bien qu'il soit vrai qu'en témoignant des horreurs de l'occupation les visiteurs écrivent et mobilisent contre les politiques israéliennes avec plus de légitimité, c'est préoccupant lorsque cela constitue la limite maximale de leur solidarité.
Cette forme de tourisme solidaire est tout à fait différente de la forme de solidarité que beaucoup ont exprimé quand ils ont rejoint les Brigades internationales pour soutenir les Espagnols pendant leur guerre civile contre les forces du fascisme ou de ceux qui ont afflué pour rejoindre les combattants dans les années 1930 et de nouveau à la fin des années 1960, ou les flottilles qui cherchaient à briser le siège de Gaza. Bien sûr, il n'y avait pas ces sortes de visites de solidarité dans les cas de l'Afrique du Sud de l'Apartheid et de la Rhodésie raciste, pas plus qu'il n'y en avait dans l'Algérie coloniale avant la libération, bien que Frantz Fanon et d'autres soutiens internationaux aient rejoint la lutte anti-coloniale dans cette colonie française.
Contrairement aux visiteurs solidaires pro-palestiniens post 9/11, les soutiens au racisme et au colonialisme israéliens ont activement rejoint les unités de combats de l'armée israélienne depuis les conquêtes sionistes de 1947-1948 pour établir la colonisation de peuplement et expulser la population indigène. Alors qu'au fil du temps la vague de solidarité avec les Palestiniens s'est muée d'une participation à leurs unités de combat à un soutien diplomatique lointain, ou à écrire en leur nom et à organiser des manifestations de solidarité avec eux, à venir dans les territoires occupés pour les défendre de façon non violente contre une occupation violente et au large des côtes de Gaza dans des flottilles, pour finir dans une forme de tourisme solidaire, les partisans du racisme colonial israélien, eux, n'ont jamais modifié leurs formes de solidarité ou leurs tactiques.
Enfin, et plus récemment, nous avons vu certains groupes solidaires mettre l'accent sur la question du droit, en particulier la question du droit international et les Palestiniens. Cette question n'est pas seulement reprise, avec des résultats mitigés (surtout infructueux), par de courageux avocats palestiniens des libertés civiles, qui sont citoyens d'Israël, pour défendre les citoyens palestiniens de troisième classe de la colonie juive, mais est également en cours d'adoption comme l'un des thèmes de discussion les plus sûrs des facultés libérales dans les universités des Etats-Unis.
Le droit a toujours été l'institution la plus conservatrice, ainsi que ses références. Discuter des avantages et des inconvénients des violations israéliennes du droit international et des accords signés fut et devrait continuer d'être un outil important pour les Palestiniens et ceux qui les soutiennent [j'ai moi-même écrit sur les revendications juridiques qu'Israël met en avant pour se justifier] ("Rhe Rights of Israël", ici en français). Mais cette focalisation excessive sur la question du droit international a des relents d'approche libérale sécuritaire qui ne contrarieraient pas des auditoires, des administrateurs de faculté et d'université pro-Israël, et ce faisant, elle risque de réduire la lutte anti-coloniale palestinienne séculaire contre le sionisme à une question juridique, pour laquelle Israël aurait seulement besoin de mettre sa politique coloniale en accord avec le droit international au lieu qu'il soit en violation de celui-ci. Le fait de mettre un tel accent sur la question du droit, qui prolifère sur les campus universitaires, est une voie à risques car elle ignore l'histoire et la nature coloniale du droit international et vise à écorner un peu plus la compréhension et l'analyse importantes de la situation palestinienne en tant que situation coloniale, une compréhension qui est maintenant adoptée par la solidarité internationale pro-palestinienne à la lumière de son engagement dans le BDS.
Il est également vrai que PACBI et le BNC soulignent la question du droit et du droit international, qui, comme je l'ai déjà souligné, est un outil important pour la lutte palestinienne, mais contrairement à l'approche libérale sécuritaire et réductionniste, ils ne doivent pas et ne devraient pas considérer le droit international comme le seul outil pour la résistance palestinienne à l'exclusion des autres, mais plutôt comme une des nombreuses questions centrales qui peuvent aider la résistance palestinienne.
La lutte contre BDS
L'énorme succès du BDS dans les universités occidentales et de plus en plus dans les syndicats, les associations universitaires d'Europe et dans le domaine artistique est une telle réussite que les entremetteurs des puissances internationales tentent deux stratégies simultanées pour la briser, avec une troisième stratégie subsidiaire complémentaire aux deux premières :
(1) Combattre BDS de plein fouet en refusant d'embaucher des enseignants pro-palestiniens, en refusant la liberté d'expression à des enseignants en poste, des étudiants et des artistes, et en empêchant ou en sabotant l'organisation de conférences, d'expositions, de projections et autres événements connexes. Ces formes de répression dans les milieux universitaires et culturels sont parallèles à une série de mesures gouvernementales et d'initiatives législatives répressives visant à punir ou à dissuader d'autres formes de BDS, en particulier le boycott économique d'Israël ;
2) Co-opter BDS, comme ont tenté récemment de le faire de nombreux gouvernements européens, en affirmant que BDS ne doit exclusivement être adopté que pour conduire à une forme de solution à deux Etats, en accord avec les accords coloniaux signés par l'Autorité palestinienne et Israël et auxquels les Israéliens refusent de se conformer ;
3) Une stratégie subsidiaire cherche à réduire les questions fondamentales de la situation coloniale en Palestine à une question de droit, et à remplacer le militantisme palestinien par une forme universitaire anodine d'"études palestiniennes", ce qui pourrait être utile à l'une ou l'autre des deux stratégies, dans laquelle a) les enseignants et les étudiants peuvent maintenant être accusés de faire du "militantisme" pro-palestinien plutôt que des formes universitaires d' "études palestiniennes" et ils peuvent être empêchés de le faire au nom de ce qu'un universitaire au sens strict du terme peut faire, aidant ainsi la première stratégie, et b) en donnant des évaluations universitaires juridiques "objectives" du maximum que les Palestiniens pourraient obtenir en ligne avec la deuxième stratégie. Cette contre-stratégie subsidiaire a coopté de nombreux enseignants palestinien-américains et autres qui se trouvent maintenant en train de faire du marketing pour des études palestiniennes et des conférences sur la Palestine et le droit international.
Ceux qui sont solidaires des Palestiniens doivent être toujours très vigilants et se tenir éloignés de ces trois contre-stratégies. Avec un ennemi colonial des Palestiniens aussi puissant, le sort de la lutte palestinienne, y compris celui de la solidarité internationale, réside dans l'équilibre des forces. Voilà pourquoi ceux qui sont solidaires des Palestiniens doivent inlassablement mettre l'accent sur les principes fondamentaux de la lutte anti-coloniale palestinienne - à savoir la fin du racisme d'Etat israélien dans ce qui est aujourd'hui Israël de manière à parvenir à l'égalité entre les citoyens palestiniens d'Israël et leurs homologues juifs, le retour des réfugiés palestiniens et la fin de l'occupation coloniale d'Israël en Cisjordanie , dont Jérusalem-Est, et du siège de Gaza.
En ce 67ème anniversaire de la création de la colonie juive de peuplement sur les ruines de la Palestine, il convient de souligner encore une fois que ce n'est pas un ajustement pragmatique des différents aspects du racisme et du colonialisme israéliens qui apportera une justice et une paix durable aux Palestiniens, comme le prétendent les négociateurs des puissances internationales et leurs supporters libéraux palestiniens et non-palestiniens. Au contraire, c'est la fin de l'aventure coloniale sioniste, à commencer par l'élimination (et non la réforme) de toutes les structures juridiques et institutionnelles racistes et coloniales qu'elle a érigées qui est la condition préalable à une paix et une justice durable pour tous les habitants de la Palestine historique. Là dessus, ceux qui sont solidaires des Palestiniens ne devraient tolérer aucun compromis.
(1) Sans oublier la Française Françoise Kesteman. Lire "Mourir pour la Palestine" qu'elle a écrit avant de tomber en martyr, tuée par l'occupant israélien lors d'une mission militaire en pleine mer au large du Liban. (ndt)
(2) La première et la deuxième flottilles organisées par le Free Gaza Movement et ISM en août et octobre 2008, réussirent à atteindre Gaza. (ndt)
Source : Electronic Initifada
Traduction : MR pour ISM
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Joseph Massad
16 mai 2015