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France - 30 août 2020
Par Youssef Girard
« Le colonialisme intervient sur scène en fait pour rétablir la quiétude laquelle constitue une question qui le préoccupe beaucoup. Son souci majeur est d’assurer de beaux rêves pour de paisibles dormeurs. » Malek Bennabi, La lutte idéologique.
Au cours de son allocution célébrant la libération de Bormes-les-Mimosas en août 1945, lundi 17 août 2020, Emmanuel Macron est, une nouvelle fois, revenu sur la question de la mémoire de l’esclavage et de la colonisation pour rappeler la nécessité de préserver l’héritage esclavagiste et colonialiste de la « patrie des droits de l’homme » blanc.
Visiblement la préservation de la suprématie blanche, donc de la mémoire esclavagiste et colonialiste qui en sont des piliers, semble une question fondamentale pour un Président ayant décidé de se présenter comme le premier défenseur de cette suprématie.
Alors même si bien d’autres pays occidentaux ont commencé à déboulonner certaines statues et à mener des réflexions sur la question de la mémoire de l’esclavage et de la colonisation dans l’espace public (1), la France, arque-boutée sur l’apologie de son passé impérial, refuse catégoriquement toute remise en cause de ses idoles de la suprématie blanche car les hiérarchies raciales doivent être maintenues « quoi qu’il en coûte ».
Emmanuel Macron a donc préféré se répandre en sentences toutes faites n'ayant pas grand chose à voir avec l'histoire même s’il se plaît à parler d’historiographie pour se donner un contenu intellectuel qu’il n’a manifestement pas. Ces crétines sentences – « notre histoire est un bloc » ; « il n’y a pas une histoire à revoir » – ne sont qu’un rappel à l'ordre colonial qui hiérarchise les êtres humains en fonction de leur race, à destination des personnes potentiellement sensibles aux arguments des militants décoloniaux qui appellent à étudier et à revoir l’histoire de la colonisation à l’aune, notamment, de ses conséquences pour les peuples colonisés.
Les propos du Président français sont également destinés à un public blanc apeuré par l'affirmation d'une parole non-blanche dans un espace public français. Pour Emmanuel Macron, il est nécessaire de montrer à ce public durablement imbibé de colonialisme qu’il est le premier défenseur de l’ordre racial qui les place au somment d’une pyramide mise en place depuis cinq siècles. Il s'agit donc uniquement d'un nouveau rappel à l'ordre faisant suite à celui du 14 juin 2020.
L’engagement des militants décoloniaux a finalement stimulé les « réflexes de défense (2) » d’Emmanuel Macron et de tous les suprémacistes blancs.
Dans son réflexe défensif de justification de la suprématie blanche, Emmanuel Macron ne recule aucunement devant le ridicule amalgame consistant à associer déboulonnement de statues, ou débaptisation de rues, et le fait d’« effacer » des noms de l’histoire.
Premièrement, les militants décoloniaux qui réclament le déboulonnement de statues ou la débaptisation de rues, n’ont jamais demandé d’« effacer » des noms de l’histoire car, en plus du ridicule d’une telle démarche, ils sont porteurs d’une demande d’histoire et non d’un effacement de celle-ci.
Deuxièmement, les statues, comme les noms de rues, ne relèvent pas de l'histoire mais de l'hommage rendu par une célébration, nécessairement positive, dans l'espace public. Il s’agit d’exprimer une reconnaissance collective à un homme, à une femme, à un symbole ou à un évènement. Faire tomber cet hommage car l’homme, la femme, le symbole ou l’évènement serait à un moment reconsidéré négativement, n'est en rien « effacer » l'histoire. C’est simplement refuser la célébration collective d'hommes, de femmes, de symboles ou d’événements en raison de ce qu’ils représentent ; ici l’oppression esclavagiste et coloniale qui a hiérarchisé les êtres humains en fonction de leur race durant plusieurs siècles.
Mais cela ne veut évidemment pas dire qu’ils doivent être « effacés » de l’histoire ; ce qui serait de toute manière impossible. Ces hommes, ces femmes, ces symboles et ces événements peuvent, et doivent être étudiés sans qu'il leur soit rendu hommage, sans qu’ils soient célébrés, sans qu’il leur soit tressé des couronnes de lauriers pour avoir asservi des millions d’hommes et de femmes, sans que le crime de masse soit érigé au rang d’acte héroïque.
Nous pouvons, et nous devons, étudier l’esclavage et la colonisation, et leurs crimes de masse, sans que l’histoire ne devienne un instrument de légitimation historique des régimes esclavagistes ou coloniaux, au nom, notamment, de la lutte contre toute forme « d’anachronisme ». L’histoire ne doit nullement être « un instrument de propagande pour une vérité officielle (3) » énoncée par un Président afin de préserver la suprématie blanche.
Car contrairement aux affirmations d’Emmanuel Macron, aujourd'hui l'espace public français est saturé d'hommages aux esclavagistes et aux colonisateurs alors que l’esclavage et la colonisation restent sous-étudiés dans les programmes scolaires français.
Par exemple, des statues et des rues rendent hommage à Thomas-Robert Bugeaud qui fut l’un des principaux responsables de la conquête génocidaire de l’Algérie ayant provoqué la disparition d’entre 30% et 58% de la population algérienne entre 1830 et 1872. Si les hommages publics rendus à Thomas-Robert Bugeaud existent dans de nombreuses villes de France, les crimes de masse qu’il a commis sont totalement absents des manuels scolaires français.
Car, pour le moment, c'est bien l'histoire de l’esclavage et de la colonisation qui sont presque totalement effacés des programmes scolaires au profit de célébrations mémorielles – statues, noms de rues, de bâtiments officiels ou de stations de métro – dans l’espace public ayant bien peu à voir avec la réalité des crimes de l’esclavage et de la colonisation.
Finalement cette nouvelle sortie d’Emmanuel Macron sur les questions de la mémoire de l’esclavage et de la colonisation n’est qu’une manière de perpétuer l'idéologie coloniale afin qu’elle reste hégémonique et que les hiérarchies raciales soient préservées en France.
Mais, comme nous l’écrivions après son discours du 14 juillet 2020, « la réaction blanche », dont Emmanuel Macron est un éminent représentant, « peut bâtir toutes les digues et construire tous les murs d’Hadrien qu’elle veut, elle ne pourra pas éternellement résister à la vague décoloniale déferlant sur elle avec ses rugissements, ses courants et ses remous. Elle ne résistera pas éternellement à ce grand mouvement de décolonisation de l’histoire ».
Alors n’en déplaise à Emmanuel Macron et à tous les suprémacistes blancs, nous continuerons à « revoir » et à décoloniser l’histoire car, comme l’écrivait Mohamed-Chérif Sahli, « c’est par la connaissance du passé que l’homme se libère du passé (4) ».
Notes de lecture :
(1) Dernièrement, par exemple, la ville de Berlin a décidé de débaptiser la rue « des nègres » pour lui donner le nom d’Anton Wilhelm Amo, le premier chercheur d’origine africaine dans une université prussienne. Cf. Patrick Carl, « Berlin – Les activistes allemands font débaptiser la rue « des nègres »», 21/082020
(2) Cf. Mohamed-Chérif Sahli, Décoloniser l’histoire, Alger, ANEP, 2007, page 12
(3) Ibid., page 9
(4) Ibid., page 134
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