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USA - 4 avril 2006
Par James Petras
La longue histoire du déni par Chomsky du pouvoir et du rôle joué par le lobby pro-israélien dans la formation décisive de la politique moyen-orientale des Etats-Unis a atteint un point culminant, récemment, lorsqu’il a joint sa voix à la machine à propagande sioniste des Etats-Unis, en attaquant une étude faisant la critique du lobby israélien.
Je fais ici référence à l’essai publié par la London Review of Books, intitulé "Le Lobby israélien et la politique étrangère des Etats-Unis" co-rédigé par le Professeur John Mearsheimer et le Professeur Stephan Walt.
“… Des réactions réflexes qui, ordinairement, volent automatiquement au secours d’un débat ouvert et de la liberté d’investiguer sont supprimés – tout du moins dans la majorité de l’élite politique américaine – dès lors qu’il est question d’Israël et, par-dessus tout, du rôle joué par le lobby pro-israélien dans la détermination de la politique étrangère des Etats-Unis…
Le chantage moral – la peur que toute remise en question de la politique israélienne et du soutien que lui apportent les Etats-Unis n’entraîne des accusations d’antisémitisme – représente une puissante dissuasion de publier des opinions iconoclastes. Cela conduit aussi à la réduction au silence du débat politique sur les campus des universités américaines, en partie en raison de campagnes ciblées contre les rares fortes têtes…
Rien, de surcroît, ne porte plus atteinte aux intérêts des Etats-Unis que l’incapacité à avoir un débat correct au sujet du conflit israélo-palestinien…
Contraindre les Américains à un consensus au sujet de la politique israélienne est mauvais pour Israël, et empêche les Américains de formuler leurs propres intérêts nationaux… “ [Editorial du Financial Times, samedi 1er avril 2006]
Introduction
Noam Chomsky a été qualifié d’intellectuel phare des Etats-Unis par la plupart des mandarins universitaires et même certains secteurs des mass media.
Il bénéficie d’une large audience dans le monde entier, en particulier dans les milieux universitaires, en grande partie en raison de ses critiques acerbes et fortes contre la politique étrangère américaine et beaucoup des injustices qui en découlent.
Chomsky a néanmoins été traîné dans la boue par toutes les grandes organisations et tous les grands médias juifs et pro-israéliens, en raison de ses critiques de la politique israélienne envers les Palestiniens.
Et le fait qu’il défende le droit à l’existence de l’Etat sioniste d’Israël ne fait rien à l’affaire.
En dépit de sa réputation respectable, que lui doivent son instruction, sa dissection par le menu et sa dénonciation de l’hypocrisie des régimes américain et européens, ainsi que la finesse de son analyse des tromperies intellectuelles des apologues de l’impérialisme, ces vertus analytiques disparaissent totalement lorsqu’il s’agit de discuter de la genèse de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient, et tout particulièrement du rôle que joue le groupe ethnique auquel il appartient, à savoir le lobby juif pro-israélien et ses soutiens sionistes au sein du gouvernement.
Cette cécité politique n’est ni sans précédent, ni rare.
En effet, l’histoire regorge de ces intellectuels extrêmement critiques envers tous les impérialismes – sauf le leur propre – et impitoyables pour tous les abus de pouvoir commis par d’autres – mais pas pour ceux perpétrés par leurs congénères.
La longue histoire du déni par Chomsky du pouvoir et du rôle joué par le lobby pro-israélien dans la formation décisive de la politique moyen-orientale des Etats-Unis a atteint un point culminant, récemment, lorsqu’il a joint sa voix à la machine à propagande sioniste des Etats-Unis, en attaquant une étude faisant la critique du lobby israélien.
Je fais ici référence à l’essai publié par la London Review of Books, intitulé "Le Lobby israélien et la politique étrangère des Etats-Unis" [The Israël Lobby and US Foreign Policy], co-rédigé par le Professeur John Mearsheimer, de l’Université de Chicago et le Professeur Stephan Walt, le doyen évincé de la Kennedy School of Government de l’Université d’Harvard [Une version complète de cette étude a été publiée par la Kennedy School of Government en mars 2006].
Les discours et les écrits de Chomsky consacrés au Lobby affirment plusieurs propositions éminemment douteuses :
1) Le lobby pro-israélien ne se différencierait en rien des autres lobbies ; il n’aurait ni influence particulière, ni place indue dans la politique des Etats-Unis ;
2) Le pouvoir des groupes qui soutiennent le lobby israélien ne serait pas plus important que celui d’autres groupes de pression influents ;
3) Si le programme du Lobby connaît le succès, c’est parce qu’il coïnciderait avec les intérêts des puissants du moment et avec ceux de l’Etat américain ;
4) La faiblesse du Lobby serait démontrée par le fait qu’Israël ne serait qu’un "simple outil" pour la construction de l’empire américain, utilisé quand on en a besoin, et marginalisé quand ce n’est pas le cas ;
5) Les principales forces qui modèleraient la politique moyen-orientale des Etats-Unis seraient les "gros intérêts pétroliers" [‘Big Oil’] et le "complexe militaro-industriel", ni l’un ni l’autre n’étant connecté au Lobby pro-israélien ;
6) Les intérêts des Etats-Unis coïncideraient, pour l’essentiel, avec ceux d’Israël ;
7) La guerre contre l’Irak, les menaces contre la Syrie et l’Iran… seraient essentiellement des produits des "intérêts pétroliers" et du "complexe militaro-industriel", et absolument pas le résultat du rôle joué par le lobby pro-israélien ou ses collaborateurs au sein du Pentagone et dans d’autres instances gouvernementales…
Bien qu’en général Chomsky s’abstienne délibérément de dénoncer spécifiquement le lobby pro-israélien dans ses discours, dans ses interviews et dans ses publications où il analyse la politique américaine vis-à-vis du Moyen-Orient, les très rares fois où il le fait, c’est en recourant au répertoire décliné ci-dessus.
Le problème de la guerre et de la paix au Moyen-Orient et le rôle du lobby israélien sont choses bien trop sérieuses pour être marginalisées comme s’il s’agissait d’arrière-pensées. M
ais il y a plus grave : la censure qui s’exerce de plus en plus à l’encontre de notre liberté d’expression et l’érosion de nos libertés civiques et de notre liberté académique par un lobby agressif bénéficiant de soutiens puissants tant dans le pouvoir législatif qu’à la Maison Blanche menacent notre démocratie, déjà sérieusement écornée.
Il nous incombe, par conséquent, d’examiner les quatorze thèses erronée de l’éminemment respecté Professeur Chomsky, afin d’aller de l’avant et d’affronter les menaces que représente le Lobby pour la paix, à l’extérieur, et nos libertés civiques, à l’intérieur des Etats-Unis.
Quatorze thèses à dormir debout
1) Chomsky affirme que le Lobby ne serait qu’un lobby parmi d’autres, comme il en existe beaucoup, à Washington.
Ce faisant, il ignore que le lobby s’est assuré des plus confortables majorités au Congrès en faveur de l’allocation à Israël du triple des aides internationales annuelles destinées à l’ensemble de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique latine (pour un montant de plus de 100 milliards de dollars sur les quarante années écoulées).
Le Lobby dispose de cent cinquante fonctionnaires à plein-temps qui travaillent à l’AIPAC (American-Israël Public Affairs Committee), secondés par une armée de lobbyistes de toutes les grandes organisations juives (Anti-Defamation League, American Jewish Committee, American Jewish Congress, etc.) et par les fédérations juives nationales, régionales et locales, qui suivent fidèlement la ligne des "grandes" et sont actives dans le monde politique et dans l’opinion locale au sujet d’Israël, assurant la promotion et le financement de candidats législateurs sur la base de leur adhésion à la ligne du parti définie par le Lobby.
Aucun autre lobby n’associe de cette manière la richesse, les réseaux d’influence jusqu’aux fondements de la société, l’accès aux médias, le levier législatif et l’objectif obsessionnel propre au lobby pro-israélien.
2) Chomsky n’analyse pas les majorités quasi unanimes au Congrès, qui soutiennent année après année tous les privilèges et les aides promus par le Lobby en faveur d’Israël, en matière militaire, économique et migratoire.
Il se garde bien d’étudier la liste des cent initiatives parlementaires couronnées de succès que publie pourtant chaque année l’Aipac, même durant les années marquées par la crise budgétaire, la désintégration des budgets intérieurs destinés à la santé et les pertes en hommes générées par la guerre.
3) L’attribution, relevant du cliché, des objectifs de la guerre aux "grossiums du pétrole", à laquelle procède Chomsky, est totalement infondée. En réalité, les guerres moyen-orientales des Etats-Unis obèrent leurs intérêts pétroliers à plusieurs titres, notamment stratégiques.
Les guerres génèrent une hostilité généralisée envers les compagnies pétrolières entretenant des relations sur le long terme avec des pays arabes. Les guerres (dites "américaines") ont pour résultat de saper la conclusion de nouveaux contrats dans des pays arabes, pour des investissements pétroliers américains.
Les compagnies pétrolières américaines sont bien plus favorables à une résolution pacifique des conflits que ne l’est Israël, et tout particulièrement ses Lobbyistes : toutes les revues spécialisées et tous les porte-parole de l’industrie pétrolière y insistent. Chomsky choisit d’ignorer totalement les activités et la propagande pro-guerre des organisations juives pro-israéliennes et l’absence de propos favorables à la guerre, en revanche, dans les médias de "Big Oil" [les magnats du pétrole, ndt].
Il ignore, de la même manière, la tentative déployée par ces médias de "Big Oil" afin de préserver des liens avec des régimes arabes opposés aux ambitions hégémoniques belliqueuses d’Israël.
Contrairement à ce qu’affirme Chomsky, en allant faire la guerre au Moyen-Orient, les Etats-Unis sacrifient les intérêts vitaux des compagnies pétrolières au profit de la quête israélienne d’hégémonie au Moyen-Orient, sur l’injonction et au profit du Lobby pro-israélien.
Dans la compétition des lobbies, il n’y a absolument pas photo entre le bloc de pouvoir pro-israélien et les compagnies pétrolières, quand il s’agit de favoriser les intérêts israéliens au détriment des intérêts pétroliers, qu’il s’agisse de guerre, ou de contrats pétroliers.
Chomsky n’examine jamais la force relative des deux lobbies en ce qui concerne la détermination de la politique moyen-orientale des Etats-Unis.
En général, ce chercheur habituellement actif à exhumer une documentation quasi introuvable, est particulièrement relax dès lors qu’il s’agirait de dévoiler des documents pourtant d’ores et déjà disponibles, qui anéantissent ses assertions au sujet de Big Oil et du Lobby israélien.
4) Chomsky refuse d’analyser les désavantages diplomatiques qu’encourent les Etats-Unis en opposant leur veto automatique aux résolutions du Conseil de sécurité qui condamnent les violations systématiques des droits de l’homme perpétrées par Israël. Ni le complexe militaro-industriel, ni Big Oil n’ont la moindre prise sur le comportement des Etats-Unis en matière de votes à l’ONU.
Les lobbies pro-israéliens sont les seuls lobbies à exercer des pressions en faveur de tels veto allant à l’encontre des alliés les plus proches des Etats-Unis, de l’opinion publique mondiale et, cela, au prix d’un rôle, quel que soit ce rôle, que les Etats-Unis seraient susceptibles de jouer, en tant que "médiateurs" entre le monde arabo-musulman et Israël.
5) Chomsky refuse d’analyser le rôle du Lobby dans l’élection des membres du Congrès, son financement de candidats pro-israéliens et les plus de cinquante millions de dollars qu’il dépense en dons aux partis, aux candidats et au financement des diverses campagnes électorales.
Avec, pour résultat, un vote à 90 % du Congrès sur les thèmes prioritaires mis en avant par le Lobby, avec le soutien des associations pro-israéliennes locales et régionales qui y sont affiliées.
6) Il n’entreprend pas plus d’analyser le cas de ces candidats battus électoralement par le Lobby, les excuses abjectes extorquées à des membres du Congrès qui ont osé remettre en question les politiques et les tactiques du Lobby, ni l’effet d’intimidation que ces "châtiments pour l’exemple" ont sur tous les autres membres du Congrès.
L’effet "boule de neige" des sanctions électorales et des pots de vin est une des explications de ces majorités sans précédent en faveur de toutes les initiatives de l’Aipac.
Les pitoyables tentatives déployées par Chomsky afin de mettre un signe d’égalité entre les initiatives pro-israéliennes de l’Aipac et des intérêts politiques américains plus larges est manifestement absurde, pour quiconque a étudié l’alignement des groupes politiques associés à l’élaboration, au soutien, aux pressions et au co-parrainage des mesures de l’Aipac : la puissance du lobby juif excède de très loin son électorat, comme le démontre le déversement de fric (un million de dollars) consacré à la défaite de Cynthia McKinney, une femme représentant la Géorgie au Congrès.
Le fait qu’elle ait été réélue, par la suite, essentiellement parce qu’elle a mis la sourdine à ses critiques envers Israël, montre l’ampleur de l’impact du Lobby, y compris sur des Démocrates dignes de ce nom.
7) Chomsky ignore le pouvoir sans égal qu’a le Lobby de rameuter l’élite. Son congrès annuel attire tous les principaux leaders du Congrès, les membres clés du Gouvernement, plus de la moitié des membres du Congrès, qui jurent soutien inconditionnel à Israël et vont jusqu’à identifier les intérêts d’Israël à ceux des Etats-Unis.
Aucun autre lobby n’est en mesure d’assurer une telle participation de l’élite politique, ni ce degré de servilité abjecte, depuis tant de temps, au sein des principaux partis politiques.
Particulièrement important est le fait que l’"électorat juif" représente moins de 5 % de l’électorat américain total, les juifs pratiquants ne représentant que moins de 2 % de la population, et encore, tous ne sont pas des partisans "d’Israël, avant tout", loin de là !
Aucun des principaux lobbies des Etats-Unis, ni la NRA, ni l’AARP, ni l’Association nationale des Industriels, ni la Chambre Nationale de Commerce ne peuvent convoquer une telle brochette de dirigeants politiques, ni encore moins s’assurer de leur soutien inconditionnel à des lois et des décrets exécutifs favorables à Israël.
C’est rien moins qu’une autorité en la matière, tel que le Premier ministre d’Israël, Ariel Sharon, qui a vanté la puissance du lobby pro-israélien en matière de politique moyen-orientale des Etats-Unis.
Néanmoins, impavide, Chomsky se contente d’affirmer que le lobby pro-israélien ne diffère en rien des autres lobbies, sans faire le moindre effort pour comparer leurs influences relatives, ni leur capacité de mobilisation et le caractère bi-partisan des soutiens dont ils bénéficient, ni leur efficacité en matière d’obtention de l’adoption en urgence de textes législatifs à leur convenance.
8) Dans son analyse de la montée en puissance de la guerre américaine contre l’Irak, le passage en revue par ailleurs méticuleux auquel procède Chomsky de documents relatifs à la politique étrangère, des analyses des liens politiques entre décideurs politiques et centres de pouvoir, est totalement abandonné, en faveur de commentaires impressionnistes totalement vides du moindre fondement empirique.
Les principaux architectes gouvernementaux de la guerre, ses promoteurs intellectuels, leur stratégie publiquement énoncée et publiée pour cette guerre, ont été, dans leur totalité, profondément liés au lobby israélien, et ont apporté de l’eau au moulin de l’Etat d’Israël.
Wolfowitz, le numéro 2 du Pentagone, Douglas Feith, le numéro 3, du Conseil National de Sécurité, et des dizaines d’autres décideurs clés au sein du gouvernement et d’idéologues dans les mass médias étaient des activistes en faveur d’Israël depuis toujours, certains d’entre eux ayant même perdu leur accréditation auprès d’Administrations américaines précédentes, au motif d’avoir communiqué des documents au gouvernement israélien.
Chomsky ignore les documents stratégiques fondamentaux rédigés par Perle, Feith et d’autres Sionocons, dès 1996, afin de réclamer une action belliqueuse contre l’Irak, l’Iran et la Syrie, qu’ils ont mise en application plus tard, après avoir pris le pouvoir grâce à l’élection de Bush.
Chomsky ignore totalement le bureau de désinformation créé au sein du Pentagone par l’ultrasioniste Douglas Feith – l’ainsi dit "Bureau des Plans Spéciaux" - géré par son collègue sionocon Abram Shumsky, afin d’aiguiller des « données » bidonnées vers la Maison Blanche, en court-circuitant et en discréditant la CIA et les services du renseignement militaire qui contredisaient cette désinformation.
Un spécialiste non-sioniste du bureau "Moyen-Orient" du Pentagone, la colonelle Karen Kwiatkowski, a décrit avec force détails le flot constant et très à l’aise d’officiers du Mossad et de l’armée israélienne, entrant dans le bureau de Feith et en sortant, alors qu’au même moment des experts américains de très haut niveau s’en voyaient interdire l’accès.
Aucun de ces décideurs politiques clés, qui ont prôné et obtenu la guerre, n’ont eu le moindre contact direct, ni avec le complexe militaro-industriel, ni avec Big Oil, mais tous étaient profondément et activement liés à l’Etat d’Israël et soutenus par le Lobby.
Etonnamment, Chomsky, qui est connu pour sa critique des intellectuels entichés de pouvoir impérial et des universitaires obéissants, suit une voie similaire dès lors qu’il s’agit d’intellectuels pro-israéliens au pouvoir et de leurs collègues universitaires sionistes.
Le problème, ce n’est pas seulement le «lobby» exerçant des pressions depuis l’extérieur, mais bien, en revanche, les comparses dudit lobby à l’intérieur de l’Etat.
9) Fréquemment, Chomsky se moque des critiques formulées du bout des lèvres par les libéraux au sujet de la politique étrangère des Etats-Unis. Néanmoins, il ne soulève pas la moindre objection au sujet du silence absolu des progressistes juifs en ce qui concerne le rôle majeur joué par le Lobby dans la promotion de l’invasion de l’Irak.
A aucun moment il n’engage le débat, ni ne formule de critiques, sur les dizaines de partisans universitaires israéliens de premier plan soutenant la guerre contre l’Irak, l’Iran ou la Syrie.
En lieu et place, sa critique de la guerre se contente de tourner autour des leaders de partis, de l’administration Bush, etc… sans jamais tenter de comprendre quelle était la base organisée et les mentors idéologiques des militaristes va-t-en-guerre.
10) Chomsky n’analyse pas l’impact de la campagne concertée et ininterrompue de tous les principaux lobbies et personnalités pro-israéliens américains afin de réduire au silence les critiques d’Israël et le soutien apporté à la guerre par le Lobby.
Le refus de Chomsky de critiquer l’abus fait par le Lobby de l’accusation d’antisémitisme (allégué) afin de détruire nos libertés civiles, de chasser des universitaires de leurs universités et d’autres positions sociales au motif qu’ils ont osé critiqué Israël et le Lobby est particulièrement évident dans le cas de la récente campagne de diffamation à l’encontre des Professeurs Walt et Mearsheimer.
Alors que le Lobby a exercé – on sait avec quel succès – des pressions énormes sur l’Université Harvard, afin qu’elle révoque le Professeur Walt et que, finalement, elle le contraigne à démissionner de son poste de Doyen de la Kennedy School d’Harvard, Chomsky, se joignant à la meute du Lobby, a condamné leur étude critique exhaustive et leur analyse méticuleuse.
A aucun moment Chomsky ne traite des faits centraux de leur analyse consacrée au pouvoir actuel du Lobby sur la politique moyen-orientale des Etats-Unis. L’ironie veut que Chomsky soit pourtant lui-même une victime occasionnelle des épurations académiques sionistes. Mais, cette fois-ci, il est du côté du manche.
11) Chomsky se refuse à évaluer la puissance du Lobby, par comparaison avec d’autres forces instituées. Ainsi, des hauts gradés de l’armée américaine se sont fréquemment plaints du fait que l’armée israélienne reçoive des équipements sophistiqués de dernière génération avant même qu’ils ne soient devenus opérationnels aux Etats-Unis.
Grâce au Lobby, leurs plaintes sont rarement examinées.
Les industries américaines de la défense (dont certaines ont conclu des contrats de coopération avec des entreprises israéliennes de la défense) se sont plaintes amèrement de la concurrence déloyale d’Israël, ainsi que de la violation par ce pays des accords commerciaux et de la vente illégale par Israël de haute technologie militaire à la Chine.
Or, menacé de perdre toutes ses relations lucratives avec le Pentagone, Israël a bel et bien été contraint d’annuler ces ventes à la Chine, au grand dam du Lobby…
Durant la préparation de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, beaucoup de responsables militaires, d’active et en retraite, ainsi que beaucoup d’analystes de la CIA se sont opposés à cette guerre, remettant en question les présupposés et les projections des idéologues pro-israéliens du Pentagone, comme Wolfowitz, Perle, et du Conseil de Sécurité Nationale, du Département d’Etat et du cabinet du Vice-président (comme le sionocon Libby).
Ils ont été mis en minorité, leur avis a été mis à la poubelle par les sionocons et ils ont été sous-estimés par leurs soutiens idéologiques, qui écrivent dans les principaux médias imprimés.
La position des sionocons dans le gouvernement leur permit de dépasser leurs critiques institutionnelles, dans une large mesure du fait que leur opinion et leurs politiques relatives à la guerre étaient acceptées sans aucune critique par les mass médias, en particulier le New York Times, dont la propagandiste de guerre Judith Miller entretient des relations serrées avec le Lobby.
Ce sont là des liens et des débats historiques bien connus, dont un lecteur attentif des mass médias comme l’est Chomsky, avait nécessairement conscience, mais qu’il a néanmoins choisi délibérément d’omettre et de dénier, en substituant une critique plus "sélective" de la guerre en Irak, basée sur l’omission de faits pourtant absolument essentiels.
12) Dans ce qui passe pour la « réfutation » chomskienne de la puissance du Lobby, mentionnons son passage en revue historique superficiel des relations américano-israéliennes, dans lequel il cite ces conflits d’intérêts occasionnels à propos desquels, encore plus rarement, le lobby pro-israélien n’a parfois pas eu gain de cause.
Les arguments historiques invoqués par Chomsky ressemblent à un rapport d’avocat beaucoup plus qu’à un inventaire exhaustif du pouvoir du Lobby.
Par exemple, alors qu’en 1956 les Etats-Unis refusèrent de se joindre à l’attaque tripartite franco-britannico-israélienne contre l’Egypte, tout au long des cinquante années suivantes, les Etats-Unis ont financé et livré à Israël une machine de guerre d’un ordre de 70 milliards de dollars, grâce, dans une très large mesure, aux pressions exercées par le Lobby.
En 1967, l’aviation israélienne a bombardé un navire espion recueillant du renseignement pour les Etats-Unis, l’USS Liberty, dans les eaux internationales, tuant ou blessant plus de deux cents marins et officiers américains.
L’administration Johnson – geste sans aucun précédent historique – refusa de sévir, et elle fit taire les survivants de cette agression non-provoquée en les menaçant de la "cour martiale".
Aucune des administrations suivantes n’a jamais soulevé cette question, quant à diligenter une investigation officielle du Congrès, n’en parlons même pas.
Tout au contraire, l’administration Johnson a considérablement augmenté l’aide américaine à Israël et s’est tenue prête à recourir à l’arme atomique pour défendre Israël en un moment critique où ce pays fut sur le point de perdre la guerre d’Octobre 1973.
Cette défense américaine d’Israël aboutit à un très coûteux boycott pétrolier arabe, qui entraîna une hausse massive du prix du pétrole et l’animosité d’anciens alliés arabes, qui menaça la stabilité monétaire mondiale.
Autrement dit, dans ce cas comme dans bien d’autres, le lobby pro-israélien fut plus influent que l’armée américaine dans la prise de décision d’une réplique à un acte d’agression délibérée d’Israël contre des hommes servant le drapeau américain dans des eaux internationales.
Au cours des dernières années, la puissance du Lobby a sérieusement inhibé la poursuite, par le FBI, de dizaines d’espions israéliens entrés aux Etats-Unis en 2001. Le plus qui ait été fait, à ce sujet, ce fut de les muter à un poste pépère.
L’arrestation récente de deux responsables de l’Aipac accusés d’avoir remis des documents gouvernementaux ultra secrets à des responsables de l’ambassade d’Israël à Washington a amené le lobby pro-israélien a mobiliser une campagne médiatique massive afin de tenter de se défendre, en faisant passer un acte d’espionnage à l’encontre des Etats-Unis pour l’exercice de sa liberté d’expression.
Les éditoriaux et tribunes favorables à l’abandon des poursuites ont fait leur apparition dans la plupart des grands journaux, au cours de ce qui fut sans doute une campagne sans précédent en faveur d’agents d’un gouvernement étranger, de toute l’histoire des Etats-Unis.
La puissance et la portée de la propagande du Lobby excèdent de très loin tout pouvoir susceptible de s’y opposer, même si les preuves qui accablent les responsables de l’Aipac sont très étayées, y compris le témoignage d’un responsable clé du Pentagone, dont il a été prouvé qu’il a remis les documents en question aux espions israéliens.
13) Chomsky, pourtant un critique hautement fiable en matière des partis pris des médias, attribue leurs informations anti-ouvrières à leurs liens avec le grand patronat.
Toutefois, dès qu’il s’agit du parti pris massif en faveur d’Israël, il n’analyse jamais l’influence du Lobby israélien, ni le lien entre l’élite médiatique pro-israélienne et le parti pris pro-israélien des médias.
S’agit-il d’un simple problème de point aveugle, ou bien d’une amnésie intellectuelle d’origine idéologique ? Nul ne le sait…
14) Chomsky invoque l’importance d’Israël, pour la stratégie impérialiste des Etats-Unis en matière d’affaiblissement du nationalisme arabe, ainsi que son rôle dans la fourniture d’aide et de conseillers militaires à des régimes totalitaires terroristes (Guatemala, Argentine, Colombie, Chili, Salvador, etc.), dans les cas où le Congrès impose des restrictions à un engagement militaire direct des Etats-Unis dans ces pays.
Nul doute qu’Israël soit au service des objectifs impériaux des Etats-Unis, en particulier dans des situations où des politiques sanglantes sont impliquées.
Mais Israël l’a fait parce qu’il en tirait bénéfice – ses revenus militaires accrus, la conquête de nombreux partisans de la politique coloniale d’Israël, des marchés assurés pour les marchands d’armes israéliennes, etc. T
outefois, une analyse plus complète des intérêts américains démontre que les coûts générés par le soutien à Israël excède de très loin les bénéfices occasionnels, que l’on prenne en considération les avantages pour les objectifs impériaux des Etats-Unis, ou – a fortiori – l’avantage notable que constituerait une politique étrangère américaine qui soit démocratique.
En prenant en considération les guerres coûteuses et destructrices faites à l’Irak sous la houlette d’Israël et de ses lobbies, la politique pro-israélienne des Etats-Unis a gravement sapé leur capacité militaire de défendre l’empire.
Elle a entraîné une perte de prestige et elle a discrédité les prétentions des Etats-Unis à être les champions de la liberté et de la démocratie.
Du point de vue d’une politique extérieure démocratique, cette politique a renforcé l’aile militariste du gouvernement, elle a sapé les libertés démocratiques aux Etats-Unis mêmes. C’est Israël qui, seul, en bénéficie, bien entendu, parce que la guerre a détruit un de ses principaux ennemis laïcs, tout en permettant à Israël de resserrer son emprise sur les Territoires palestiniens occupés.
L’alignement inconditionnel sur l’Etat colonial israélien a érodé les relations des Etats-Unis avec les pays les plus riches et les plus peuplés du monde arabo-musulman.
En termes de marché, la différence se situe entre des centaines de milliards de dollars d’exportations américaines et la défense inconditionnelle et particulièrement mal avisée d’un récipiendaire d’aides financières massives des Etats-Unis. Les pays arabes sont des acheteurs nets de matériel militaire américain. Au contraire, l’industrie israélienne de l’armement représente, pour les Etats-Unis, un impitoyable concurrent.
Les compagnies américaines du pétrole et du gaz sont des perdants nets en matière d’investissements, de profits et de marchés, à cause des liens entre les Etats-Unis et Israël qui, en raison du marché très limité de ce pays, a très peu à offrir dans chacune des catégories mentionnées ici.
Enfin, le nettoyage ethnique des Palestiniens par Israël et la campagne efficace du Lobby visant à assurer le veto des Etats-Unis à l’encontre de toute résolution internationale placent les Etats-Unis dans le camp d’une torture à grande échelle et légalisée, d’exécutions extrajudiciaires légalisées et de déplacements massifs de populations, totalement illégaux.
Le résultat final, c’est l’affaiblissement du droit international, et une volatilité accrue dans une région de grande importance stratégique. Chomsky ne tient aucun compte des coûts géostratégique et énergétiques, ni des pertes de nos propres libertés, qui résultent directement des guerres au Moyen-Orient au nom et pour Israël, et encore moins de l’ascension d’une forme virulente de néo-maccarthysme sioniste, qui se répand dans l’ensemble de nos institutions universitaires, artistiques et autres, aussi bien publiques que privées.
S’il y a une chose qui démontre éloquemment la croissance du pouvoir des sionistes et l’étendue de leur autoritarisme, c’est bien la campagne brutale et particulièrement efficace contre les Professeurs Mearsheimer et Walt, qui les confirme de manière éclatante.
Conclusion
Dans des circonstances normales, on n’apporterait à juste titre qu’une attention limitée à des polémiques académiques, à moins qu’elles n’aient d’importantes conséquences politiques. Dans le cas qui nous occupe, toutefois, Noam Chomsky est une icône des mouvements anti-guerre américains, et pour tout ce qui passe pour de la dissidence intellectuelle.
Le fait qu’il ait choisi d’absoudre le lobby pro-israélien et les groupes qui lui sont liges, ainsi que leurs supplétifs médiatiques, est un événement politique considérable, en particulier quand les questions de la guerre ou de la paix sont sur la balance, et quand la majorité des Américains est opposée à la guerre.
Laisser "la bride sur le cou" aux principaux auteurs, architectes et lobbyistes favorables à la guerre, voilà qui représente un obstacle indéniable devant la volonté de faire la lumière sur ceux contre qui nous nous battons, et pour quelles raisons. Ignorer le lobby pro-israélien, cela revient à lui laisser les mains libres pour pousser à l’intervention contre l’Iran et la Syrie.
Pire, détourner l’opinion des responsabilités de ce lobby, en pointant du doigt des ennemis imaginaires, cela revient à affaiblir notre compréhension, non seulement de la guerre, mais aussi de qui sont les ennemis de la liberté dans notre pays.
Par-dessus tout, cela permet à un gouvernement étranger de jouir d’une position privilégiée, d’où il nous dicte notre politique au Moyen-Orient, tout en proposant des méthodes de police d’Etat et des législations afin de prohiber le débat et d’inhiber le désaccord chez nous, aux Etats-Unis.
Permettez-moi de conclure en disant que les mouvements pour la paix et la justice, tant aux Etats-Unis qu’à l’étranger, sont plus puissants que n’importe quel individu ou que n’importe quel intellectuel – quels que soient leurs états de service passés.
Hier, les principales organisations sionistes nous ont dicté qui nous pouvions ou ne pouvions pas critiquer, au Moyen-Orient. Aujourd’hui, elles nous disent qui nous pouvons critiquer, aux Etats-Unis. Demain, elles nous intimeront l’ordre de baisser la tête et de nous soumettre à leurs mensonges et à leurs tromperies, afin de nous engager dans de nouvelles guerres de conquête, au service d’un régime colonial moralement répugnant.
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Sionisme
James Petras
4 avril 2006