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Palestine 48 - 6 février 2014
Par Fadwa Nassar
Les Européens l’appellent « Jaffa », mais son vrai nom est Yafa. Il y a quelques jours, Livni, ministre sioniste, s’est plainte que les Palestiniens continuent à appeler leurs villes par leurs noms d’origine. Yafa donc, dont les racines plongent loin dans l’histoire de l’humanité, est en train d’être massacrée, mais l’UNESCO et la « communauté internationale » dominée par l’argent et les armes ont décidé de laisser faire. L’occupation sioniste de la ville, qui se poursuit depuis 1948, n’est rien d’autre qu’un massacre civilisationnel par des colons venus d’ailleurs.
Le premier assassinat de la « mariée de la mer », surnom donné à Yafa, date de la Nakba palestinienne, en 1948, lorsque les bandes armées sionistes sèment la terreur dans la ville, tuant et massacrant, pour obliger ses habitants à fuir. Avant 1948, la ville-port de Yafa abritait près de 100.000 Palestiniens. Après les massacres et l’expulsion, ils n’étaient plus que 3.500. Cette épuration ethnique de la ville arabo-musulmane n’aurait pu s’accomplir sans la participation active de l’occupant britannique, qui considérait d’ailleurs la population autochtone du pays, les Palestiniens, comme étant les « non-juifs » dont il fallait régler la situation. Si l’occupant britannique a offert le cadre juridique, étatique et militaire de la Nakba, celle-ci fut commise par l’institution sioniste et ses multiples bandes armées.
Moheeba Khorshid, combattante palestinienne pour la liberté, leader du groupe de résistance "Daisy Flower" à Yafa, Palestine
Avant même l’occupation britannique en 1920, Yafa était une grande ville portuaire ouverte sur le monde méditerranéen. Malgré le massacre commis par l’armée napoléonienne en 1799, où périrent 4.000 de ses habitants, la ville parvint à surmonter cet épisode grâce à la stabilité politique relative qui y régna au XIXème siècle, après le départ de l’armée française. De petite ville côtière, la ville de Yafa devint une métropole marchande, reliant la ville d’al-Quds et l’intérieur palestinien à la mer. Son expansion économique (de nombreuses industries) attira de nombreux émigrés égyptiens et ses quartiers se multiplièrent, brisant l’enceinte antique qui la protégeait. Les orangers qui l’entouraient contribuèrent à sa renommée, et les oranges de « Jaffa » étaient transportés par ses chalutiers, d’abord, puis par les grandes compagnies maritimes de l’époque. Cette expansion contribua à l’essor d’une vie socio-culturelle, sportive, politique et artistique à Yafa, où mosquées et églises rassemblaient les fidèles, et où hôpitaux, écoles, cinémas, théâtres et cafés côtoyaient les maisons d’édition et les imprimeries, les clubs de jeunesse et les équipes sportives. C’est de Yafa que s’élancèrent les premières manifestations contre l’occupation britannique, et ce sont les clubs islamo-chrétiens de Yafa qui dénoncèrent en premier le danger sioniste visant la Palestine.
Puis ce fut l’invasion et la Nakba, c’est-à-dire les massacres et les expulsions, mais aussi les bombardements et les attentats terroristes. Les colons juifs qui débarquèrent, des pays du Maghreb ou des Balkans, furent installés dans les maisons palestiniennes, alors que les survivants de la Nakba étaient parqués dans quelques quartiers et soumis au régime militaire pendant un an : nul ne pouvait se déplacer, sans autorisation spéciale militaire dans ces quartiers assiégés séparés du reste de la ville et du pays. Beaucoup de familles palestiniennes avaient cependant leurs propres maisons dans d’autres quartiers. Celles-ci furent confisquées avec tous les biens, terrains ou maisons, des Palestiniens réfugiés ou jugés absents, bien qu’ils fussent présents dans le pays.
Une photo de la Fondation al-Aqsa montre des squelettes de Palestiniens enterrés dans une fosse commune pendant la Nakba, à Yafa
(source : Al-Akhbar
Le second assassinat consista à réduire la ville prestigieuse de Yafa à un faubourg pauvre de la colonie Tel Aviv, devenue la capitale de l’Etat colonial. Jusqu’aux années 90, la ville de Yafa, asphyxiée par les colonies environnantes, fut abandonnée non par les Palestiniens, mais par l’administration coloniale qui a préféré développer la colonie Tel Aviv, entièrement juive, au dépend de ce faubourg où vivent des Palestiniens. Il fut interdit aux Palestiniens de rénover leurs maisons, dans l’attente qu’elles tombent en ruine, pour les déloger. C’est le même principe appliqué dans tout le territoire occupé en 1948, puis plus tard dans la partie Est de la ville d’al-Quds, le but étant de regrouper les Palestiniens dans des espaces de plus en plus réduits, en fonction de l’appétit colonial.
Les sionistes appellent les villes qu’ils ont épurées à 90 ou 95%, des « villes mixtes » alors qu’en fait, ce sont des villes arabo-palestiniennes épurées ethniquement et colonisées, et où les colons vivent dans des quartiers séparés des Palestiniens : l’apartheid « israélien » a fonctionné avant 1967. Même encerclée, la population palestinienne a subi l’assaut de la judaïsation. Les noms des rues et des quartiers furent changés, tentative pour masquer et détruire le caractère arabo-musulman de la ville.
Le troisième assassinat de Yafa, qui se poursuit jusqu’à présent, consiste à envahir et judaïser les quelques quartiers encore arabes, en chassant sa population, pour les transformer en « vitrine maritime de Tel Aviv ». La libéralisation économique va de pair, dans l’entité coloniale, avec la montée de l’extrémisme juif et raciste, qui s’invente un passé à Yafa et en Palestine plus généralement, pour confirmer la conquête territoriale. Depuis les années 90, les bras de la judaïsation s’acharnent à déloger les Palestiniens, par des moyens directs ou indirects, pour rénover les quartiers restés palestiniens et y bâtir des immeubles de luxe, donnant sur la mer, au moment où les groupes d’extrémistes juifs lancent des bombes, profanent les cimetières musulmans et chrétiens, les mosquées et les églises, menacent les Palestiniens de Yafa dans des parades racistes en plein centre de la ville.
Les pêcheurs de Yafa luttent contre les yachts touristiques et les navires détenus par les riches négociants de la colonie Tel Aviv, voulant maintenir à tout prix leurs moyens de subsistance. Ils ont résisté aux pressions, seuls et sans appui, et ont gardé leur espace maritime, pourtant réduit aux trois-quart. Les jeunes de Yafa, ainsi que les divers partis politiques arabes, relèvent la tête et refusent de livrer leur ville aux projets concoctés par la municipalité « Tel-Aviv-Jaffa ». Ils se réapproprient leur espace, toute la ville, avec l’aide des historiens et autres académiciens, qui ont mis leur savoir au service de leur cause. Depuis plusieurs années déjà, les visites guidées ont remis en avant le passé arabo-musulman de la ville et les initiatives des jeunes, organisés ou pas dans les mouvements politiques, prolifèrent. Comme dans d’autres villes « mixtes », la jeunesse palestinienne s’est radicalisée dans la lutte contre l’entreprise sioniste et manifeste son appartenance et sa soif de liberté.
Dans l’exil, les réfugiés de Yafa affirment, non seulement leur attachement encore vif à leur ville, mais leur volonté d’y retourner, comme l’a fait Hassan Higazi, originaire de Yafa, le 15 mai 2011, lors de la « marche du retour ». Qu’ils soient dans les camps de réfugiés ou dans les pays de l’exil, les réfugiés de Yafa ont décidé que leur retour au pays libéré est inévitable. L’état colonial et ses colons qui n’ont aucune racine dans le pays ne peuvent s’opposer à la marche de l’histoire et la justice.
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