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Palestine - 24 mars 2013
Par Muhammad Abu Nasr
Du 10 au 12 mai 2013, un groupe d'activistes et écrivains arabes, occidentaux et juifs se réuniront à Stuttgart, Allemagne, sous les auspices du "Camp anti-impérialiste" pour une conférence sur "Un Etat démocratique pour tous ses citoyens en Palestine historique", selon l'intitulé de l'invitation (1). Non contente de dénaturer et de métamorphoser une lutte de libération nationale en une campagne mondialiste de type libéral pour la "démocratie" et les "droits de l'homme" en contournant la question centrale du conflit, à savoir l'identité arabe de la Palestine de la mer au Jourdain, et pas satisfaite de violer les principaux préceptes et fondements de la Charte nationale palestinienne (non modifiée), cette conférence illustre par son message un exercice de normalisation "soft" avec les envahisseurs colonialistes, tant d'un point de vue politique qu'intellectuel.
"Libérez-nous d'Israël", Al-Khalil/Hébron, 22 février 2013
Toutefois, l'aspect le plus dérangeant de cette Conférence de Stuttgart, qui prône "Un Etat démocratique", reste le sentiment d'obséquiosité et d'infériorité qui caractérise la mentalité des participants arabes, notamment des arabes de gauche, envers leurs collègues juifs, lorsqu'il est question de la Palestine.
Oublions un instant la Palestine et imaginons l’application de cette attitude à tout autre mouvement national de libération, ou en faveur des droits civiques. Aux Etats-Unis, par exemple, quiconque suggérerait, ou même laisserait entendre, que les militants noirs doivent être représentés par des blancs, pour que "la symétrie" soit respectée, serait dénoncé comme un raciste pur et dur : "Qui dit que les noirs ne peuvent pas parler pour eux-mêmes, ou qu'ils ont besoin qu'un blanc vienne nuancer leurs propos ?". Vous pouvez imaginer l'indignation que tout le monde, à la gauche du Ku Klux Klan, exprimerait. Nous sommes là limités à la question blanc/noir aux Etats-Unis - une question limitée à la sphère réformiste libérale depuis un demi siècle ! Tout activiste noir(e) qui suggèrerait d'impliquer des blancs, serait dénoncé/e comme une sorte d'Oncle Tom (à moins qu'il ne s'agisse d'une tactique intentionnelle, et même dans ce cas elle ferait l'objet d'un sacré débat !).
Si une publication de gauche cherchait à sortir un article sur un sujet latino-américain comme le Cinco de Mayo [5 mai 1862] par exemple, elle se tournerait forcément vers des auteurs Latinos, et non pas vers des Gringos modérés. L'inverse serait juste insensé car contraire au principe fondamental d'auto-détermination.
Mais lorsqu'il s'agit de la Palestine, le même magazine de gauche trouvera quelqu’un avec un nom juif pour écrire son article. Ou il fera en sorte que les Palestiniens soient pondérés par quelques juifs - juste pour prouver qu'ils ne sont pas "antisémites". Et ceci dans le contexte d'une occupation qui dure depuis 1948 - et même avant, en réalité, si vous remontez au temps où a commencé le processus de colonisation sous l'égide des puissances coloniales étrangères.
Par ailleurs, le fait que les gauchistes en question estiment que "Israël" est un Etat légitime n’apporterait rien de nouveau. La plupart des colonialismes ont historiquement été installés par des Etats qui étaient légalement "légitimes". Le Viet-Nam et l'Algérie ont été colonisés par les Français, et la France est un Etat reconnu par tous. Mais est-ce que cela signifie qu'il faut un gauchiste français pour légitimer un article sur la lutte nationale de libération vietnamienne ou algérienne ?! Les règles du discours anti-impérialiste montrent, et c'est logique, que ce sont les Vietnamiens et les Algériens qui ont donné le ton de la discussion, et pas les Français, et encore moins les Français progressistes.
Mais lorsqu'il s'agit des Sionistes, c'est le monde à l'envers. La gauche requiert l'autorisation des Juifs pour s’exprimer contre "Israël" et le sionisme. On se trouve dans la situation culpabilisante où il faut obligatoirement associer la lutte pour la Palestine à la lutte contre l’antisémitisme. Mais que vient faire ici l’"anti-sémistisme" ? Qu’a-t-il à voir, même de loin, avec une lutte contre un cas avéré de colonialisme de peuplement ? Personne n'insiste pour qu’on ajoute obligatoirement l’appel contre le "racisme inversé" à chaque appel pour les droits des Noirs. Comment se fait-il alors que des radicaux soient tout d'un coup si terrifiés de s’affirmer anti-colonialistes, pour la seule raison que leurs colonisateurs sont juifs ?
En conséquence de cette situation, le discours est non seulement refoulé mais les nationalistes juifs - appelons-les les sionistes ou les sionistes-qui ne veulent pas se l’avouer, ou les quasi-sionistes ou ce que vous voudrez – finissent par exercer un droit de veto sur la lutte arabe. Ils fixent le plafond de la lutte. Et si on examine où en est la lutte arabe aujourd'hui, par rapport à sa situation il y a 30 ou 50 ans, on ne peut pas s'empêcher de constater que cette manoeuvre nationaliste juive a grandement contribué à détruire (pour l'instant) la lutte nationale arabo-palestinienne.
En fait, il est horrifiant de constater que certains activistes et écrivains palestiniens et arabes ne peuvent se contenter d'affirmer les droits palestino-arabes sans s'allier aux colonisateurs. Dans quels autres cas cette situation est-elle observable ? Certes, il est arrivé que des individus de la nationalité colonisatrice se coupent de leur société et rejoignent le mouvement de libération nationale de l'opprimé. Mais il s’agissait du mouvement de libération nationale de l'opprimé, et non pas d’un mouvement de "libération" commun servant les communautés de l'oppresseur et de l'opprimé sur une base d'égalité ! Si des gens de la nationalité de l'oppresseur ont rejoint la lutte, c'était aux conditions établies par le mouvement de libération nationale du peuple opprimé. Comme il y eut des Portugais blancs impliqués dans la lutte de libération angolaise des années 1970. Mais ce ralliement n'a jamais impliqué de définir en commun le programme de libération angolaise pour garantir que les colonialistes ne soient pas perdants après la "libération".
Partout ailleurs le colonialisme a été compris comme une raison suffisante pour l'émergence d'un mouvement de libération nationale, mais pas lorsque les Juifs sont impliqués. Lorsque les colonisateurs sont des Juifs, alors soudain les gauchistes deviennent nerveux, hésitants et soupçonneux sur tout mouvement de libération nationale. La gauche reconnaît le principe de l'autodétermination pour tous les peuples opprimés – sauf pour le peuple dont les oppresseurs sont des Juifs. Dans ce cas précis, le mouvement de libération nationale est obligé de faire marche arrière, d'adopter un langage "diplomatique", de "prouver" qu'il est "pur", de s'allier aux Juifs et de s'assurer que le programme de libération nationale est approuvé par les activistes juifs. Et c'est ainsi que la lutte de libération nationale est sapée et réduite à moins qu'un mouvement de droits civiques qui doit toujours rappeler à son public qu'il n'est pas opposé aux colonialistes en tant que tels, mais seulement à leurs représentants les plus extrémistes. Et c'est ainsi que le plafond de la lutte est abaissé et que le "programme maximum" cesse d'être celuin d'une libération nationale et devient une campagne commune avec des juifs progressistes pour un régime colonial plus libéral.
(1) http://www.antiimperialista.org/one_democratic_state_conference_II_stuttgart
Source : Free Arab Voice
Traduction : MR pour ISM
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