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Moyen Orient - 26 juin 2007
Par Galal Nassar
Galal Nassar est journaliste, et rédacteur en chef du Al-Ahram Weekly
La défaite de 1967 fut un épisode terrible de l'histoire arabe, non seulement parce que les Sionistes ont triplé l'étendue de la terre qu'ils avaient saisie en 1948, mais à cause de ses répercussions sur la scène arabe toute entière, sur notre vie intellectuelle et politique et nos espoirs de renaissance.
La défaite a souligné combien les Arabes avaient mal interprété la nature du projet sioniste et sous-estimé son potentiel d'initiative et de fourberie, et sa capacité à exploiter la fragmentation et la faiblesse de la nation arabe, processus qui se poursuit encore aujourd'hui (cf. le Fatah et le Hamas en Palestine, l'Irak, le Liban).
Nombreux sont ceux qui avaient imaginé, à tort, qu'il serait possible de neutraliser le conflit avec l'entité sioniste, ou du moins le retarder jusqu'à ce que nous soyons en possession des ressources nécessaires pour le combattre.
D'autres ont cru que nous devions nous centrer sur la construction et le développement plutôt que de se laisser distraire par un conflit avec l'ennemi, bien que la séparation entre développement et sécurité s'avère finalement arbitraire.
Et d'autres encore pensaient que nous, pas l'ennemi, devions décider du moment et de l'endroit de toute confrontation. Les événements ont montré qu'un tel choix était illusoire.
Nous vivions sous une menace permanente. Les dirigeants ennemis, racistes et arrogants, savaient qu'ils bénéficiaient du soutien des puissances internationales et n'ont pas fait secret de leurs intentions. Pour eux, nous étions des hordes ignares, inefficaces. Nous agirions en réaction plutôt que de prendre le taureau par les cornes. C'était l'impression gravée dans la mémoire collective des architectes du projet sioniste. "Les Arabes sont une nation qui ne lit pas", disait Moshe Dayan, Ministre israélien de la Guerre, pendant la Guerre de 1967.
Ce qui rend tout ceci particulièrement douloureux, c'est que c'était déjà écrit. Israël a commencé à planifier la Guerre de 1967 tout de suite après l'agression tripartite de 1956, qui s'est révélée être une défaite pour les Britanniques, les Français et les Israéliens. *
Le Premier Ministre israélien d'alors, Moshe Sharett, a écrit dans ses mémoires que la stratégie militaire des dirigeants israéliens était d'empêcher l'émergence de toute force militaire arabe véritable capable d'affronter le projet sioniste, notant que pour que ceci réussisse, Israël devait, au moins toutes les décennies, engager une guerre contre les Arabes. En d'autres termes, les Israéliens préparaient la Guerre de 1967 dix ans à l'avance, rassemblant l'appareil militaire et ralliant le soutien politique dont ils avaient besoin, pendant que les Arabes – les dirigeants et les nations – étaient occupés à chercher un projet, une identité, une place au soleil.
Entre temps, dans le monde arabe, des conflits tribaux et confessionnels acquéraient un vernis politique et social qui reflétait la fragilité de la nation et faisaient d'eux la proie de toutes sortes d'infiltration et d'invasion. En conséquence, nous nous sommes laissés entraîner dans une confrontation militaire inégale, pour laquelle nous n'étions pas prêts et que nos ennemis préparaient depuis longtemps. D'où la perte de ce qui restait de la Palestine, plus le Sinaï et les Hauts du Golan. Ayant échoué à choisir le moment et l'endroit, nous avons perdu la bataille.
La banalité de la défaite est une chose, le changement dans l'équation et ses répercussions sur le monde arabe tout entier en est une autre. Elle a fait des ravages sur les systèmes intellectuels et politiques arabes et sur les aspirations à la renaissance. Ces répercussions sont apparues d'abord en littérature et en art. Ce qui fut considéré comme une résurgence de la perspicacité, ou un "retour de la conscience", comme l'a nommée un important auteur dramatique, était réellement un acte d'auto-flagellation. Le poème "Notebook of the Setback", de feu le poète syrien Nazar Qabbani, le résume parfaitement. Il constitue un exemple criant de la nouvelle façon de penser, qui brocardait un discours perçu maintenant comme redondant et prononçait la mort des manières de penser qui n'avaient apporter que la défaite.
Ce poème était le premier de toute une série d'œuvres qui annonçaient la fin d'une ère et le début d'une autre. Les écrivains, les journalistes, les artistes et les dramaturges ont tous produit des épitaphes de la défaite et des hommes qu'ils tenaient pour responsables. Nos écrivains n'analysaient pas, ne déconstruisaient pas ni ne disséquaient. Ils ne stimulaient pas la mémoire arabe d'une manière qui aurait consolidé la résistance et étayé la renaissance. Leur attitude était masochiste car elle était antagonique à la nation arabe. Ils dénigraient la capacité de la nation à la résurgence, sa vitalité et sa capacité au réveil. Ils ont minimisé son inventivité et sa culture. Et ils ont oublié ses réussites dans la construction et le développement, dans la lutte contre l'illettrisme, dans la fourniture de soins médicaux, d'éducation, d'électricité et de logements. Ils n'ont rien dit sur les sacrifices du passé, sur la résistance de la nation contre les invasions étrangères, et sur son succès à vaincre l'impérialisme conventionnel.
L'histoire arabe moderne a été graduellement réduite à un seul événement, la défaite de 1967.
Il aurait été possible d'accepter la critique, même douloureuse – bien sûr, on aurait accueilli, et même demandé, une telle critique – si elle avait contenu un message vivifiant. La défaite aurait provoqué une impulsion pour le changement, elle aurait été décrite comme un point noir sur la glorieuse toile de fond de la lutte nationale. Il aurait mieux valu revisiter l'histoire arabe depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale dans une perspective impartiale et objective.
Au lieu de cela, la vision biaisée portée sur la défaite a continué à contrôler la scène arabe et à déterminer sa voie. Les intellectuels, qui étaient supposés être la conscience de la nation et les défenseurs de sa fierté et de son droit à vivre, ont opté pour le rôle de bourreaux. Entre leurs mains, l'histoire arabe a été réduite à une ruine sans valeur. On n'a jamais vu dans l'histoire, et peut-être ne le reverra-t-on jamais, un état plus affligeant que celui qui a saisi notre nation depuis 1967, où l'intellectuel devient le fouetteur de tout – de la nation, du passé et de lui-même.
Les Arabes ne sont pas les premiers à être confrontés aux défaites et aux replis. D'autres nations ont été envahies. Elles ont perdu leur liberté et leur indépendance, mais elles sont toujours revenues à la bataille, s'inspirant de leur passé, s'appuyant sur leur force intérieure, sur leurs réserves culturelles. Pensez à la résistance française sous Charles de Gaulle. Pensez aux discours de la période de la guerre de Winston Churchill, par lesquels il encourageait les Britanniques à se battre contre les Allemands dans les rues et sur les plages. L'histoire, la gloire et la civilisation étaient invoquées dans la lutte contre le nazisme.
Dans le monde arabe, la résistance a débuté immédiatement après la défaite. Les Palestiniens, aux côtés des membres de l'armée jordanienne, se sont remarquablement battus à Al-Karama, poussant Newsweek à mettre feu le Président Yasser Arafat en page de couverture, le reconnaissant comme chef révolutionnaire du monde. L'armée égyptienne combattait elle aussi, coulant le destroyer israélien Eilat, quelques mois seulement après la guerre. Ensuite, la guerre d'usure a commencé sérieusement, réécrivant l'histoire de l'armée égyptienne. Plus tard, la traversée du Canal de Suez en 1973 a entamé le mythe de l'invincibilité israélienne, montrant que ce qui avait été pris par la force pouvait être récupéré de la même manière.
La détermination du peuple palestinien est encore une autre preuve de l'héroïsme qui empreigne l'histoire arabe. L'Intifada a été suivie par la résistance en Irak et par le succès de la résistance libanaise qui a repoussé les Israéliens.
Nous ne sommes pas une nation en dehors de l'histoire. Les lois de l'histoire s'appliquent aussi à nous. Il y a des moments où nous battons en retraite et nous sommes renversés, et d'autres où nous avançons régulièrement. Au cours de ces dernières périodes, l'un des signes de notre renaissance est l'acquisition de la liberté d'expression. Nous laissons nos arts s'épanouir en même temps que la créativité, la construction et le développement prospèrent.
Lorsque nous reculons, le charlatanisme gagne, l'ignorance se développe et notre pensée s'engourdit. Lorsque nous battons en retraite, notre obsession à parvenir à une "paix stratégique" devient un exercice de futilité, de capitulation et d'humiliation, l'occasion de dilapider encore davantage des droits arabes.
Pourquoi tant de réseaux de télévision arabe par satellite ont-ils marqué le 40ème anniversaire de la défaite de 1967 en recevant des propagandistes de la culture de la défaite ?
Pourquoi ont-ils fait de 1967 l'occasion d'une telle distorsion de l'histoire arabe qu'elle aurait aussi bien pu annoncer sa fin ?
Pourquoi avoir transformé 1967 en un exercice d'auto-flagellation ?
Pourquoi n'avoir pas permis que ne serait-ce qu'une petite partie de notre glorieuse histoire soit mise en avant, au lieu d'alimenter sans arrêt les différences entre les factions de résistants et en prenant le partie de l'une contre l'autre ?
Est-ce une tentative délibérée de tuer la mémoire arabe ?
Les médias sont-ils utilisés pour promouvoir des concepts comme le "chaos créatif" de la Secrétaire d'Etat US Condoleezza Rice, ou "Les Arabes ne lisent pas", la thèse de Moshe Dayan ?
Est-ce la naissance d'une nouvelle réalité, dont nous n'avons pas apprécié les conséquences, et dans laquelle on laisse se mesurer les uns contre les autres les mouvements de résistance comme le Fatah et le Hamas en Palestine, ou les communautés shiites et sunnites en Irak, jusqu'à ce que tout espoir meure dans les décombres qui s'en suivront, des décombres qui enterreront définitivement nos aspirations à la fin de l'occupation ?
Source : Al-Ahram
Traduction : MR pour ISM
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