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Libye - 28 décembre 2011
Par Badia Benjelloun
La tête éversée, il boit à l’eau tiède d’une lune généreuse en cette nuit de plus en plus froide.
D’un geste brusque, il rejette les pans du burnous dans lequel il se repliait pour méditer et entendre les sentinelles claquer des talons dans leur tour de garde.
Arpenter la citadelle lui réchaufferait les membres.
Penser la cité future quand l’Amérique, cette Rome affublée d’un Capitole caquetant et d’un empereur issu des confins, compte ses jours ne sachant pas qu’ils sont parmi les derniers.
Abdelhakim Belhaj, commandant militaire de Tripoli, Libye
Combien de colonnes fuyant le déluge de feu et les exactions des conquérants y sont venues chercher refuge cette semaine encore ? Mal protégées sur les pitons rocheux glabres de toute végétation, leurs tentes claquent au vent et soufflent une complainte qui déchire les ténèbres.
Le Fils du Pèlerin, c’est bien sous ce nom qu’il se fit connaître quand il combattait l’autocrate, ses abus et son népotisme sans congruence avec la foi des ancêtres. Son cœur bat dans ses paumes et ses oreilles quand refluent en lui les souvenirs de la terreur suscitée par ses propres hurlements sous les fausses noyades itératives. Simple brin d’alfa, il a dû son salut à l’abandon de lui-même au principe qu’en ce moment et au-delà de l’instant, Dieu est plus grand encore.
Le voici maintenant habile général servant sous la bannière de ses tortionnaires. Il est l’outil doublement contendant sorti d’une plicature du temps, simple exécutant en revers de l’empire aveuglé.
Penser la cité future qui englobe tentes et tribus hors la contrainte de l’unique loi qui prévaut presque continûment d’un Est superposé à son Occident, point par point, pixel par pixel, celle d’un Marché libre d’assujettir tout homme et de le subordonner à sa chosification.
Si se chante un jour le pèlerinage du Fils, ce sera le récit d’une odyssée d’un homme sans ruse que des courants contraires menèrent de la Tripolitaine à la Bactriane et d’un black site à un autre, dans des soutes secrètes.
Le silence frappe les pierres sourdes du campement.
En les soulevant du bout de sa botte coquée, plusieurs siècles qui s’y sont abrités réclament de s’en échapper et crient vengeance.
Le fils du Pèlerin, Belhaj s’accroupit, baise le sol, y imprime son front.
Il interroge le limon et ses poussières illustres.
Augustin le Numide, le fils de Thagaste plus encore que celui de Monique, le maître de rhétorique, avait quitté Rome pour revenir à sa terre africaine meurtrie et humiliée depuis la ruine de Carthage quand l‘empire criblé par sa propre arrogance subissait les assauts germains.
Il y avait urgence pour le Berbère romanisé de formuler sur les décombres d’un monde finissant les vœux d’une Cité déjà pressentie par son maître Platon, d’en dresser les traits constituants. L’érection des lois catégorisant l’orthodoxe, évacuant et frappant d’ostracisme l’hérétique, le manichéen, le donatique (1), le pélagien (2) a instillé un ordre qui a retenu le monde en écroulement sous un quadrillage nouveau et pour des siècles et des siècles.
Prosterné, indifférent aux épines qui se logent dans sa chair, Belhaj l’officier en pointe dans l’anéantissement prémédité de la Libye interroge le manichéisme assumé de ses maîtres du moment. Surgeon vivace d’un dualisme persan opposant Lumière et son Absence que les persécutions de l’Église et le mépris de doctrines ultérieures n’ont pas éradiqué, il réduit à peu, très peu leur univers mental. Le Bien c’est Eux et tout ce qui n’est pas colinéaire à leur prétention dominatrice constitue l’orthogonalité du Mal.
Abdelhakim Belhaj, agent de la CIA après en avoir été la victime, hésite à sourire devant ce tour de spirale de l’histoire qui ramène le point de la pensée à la verticale de l’endroit même de son ancrage par l’évêque berbère à la fin du 4ème siècle. Mani le chrétien, peintre, philosophe, médecin avait élaboré une religion qui devint nationale pour l’empire sassanide. Ses développements rhizomiques se sont retrouvés dans les programmes de Bush le deuxième.
Dans cet hiver qui tarde à venir, comment va survivre le peuple de Libye qui a vu près de cent mille de ses citoyens périr sous les assauts de l’empire ? Toutes les institutions qui pouvaient réaliser une redistribution sont anéanties. La rente de l’énergie est confisquée.
Le Fils du Pèlerin se relève de sa longue imploration, secoue sa barbe et se demande comment l’histoire interprétera sa geste de laps ?
Belhaj le musulman serait passé avec ses hommes sous commandement de l’empire agonisant pour remettre d’aplomb la loi de Dieu. On l’a cru sans ruse notre Ulysse de la confrérie des Talibans, aux traits aiguisés sur les cimes afghanes. Instruit par elle, il s’est incarné dans le cheval de proie introduit à Benghazi, Misrata et Syrte pour mieux se retourner contre ses employeurs une fois abattu le tyran, l’impudent qui substitua son livre vert aux préceptes coraniques.
Il a besoin de marcher vite, et de respirer goulûment les effluves du désert. Son corps à force de douleurs anciennes est devenu une abstraction. Dans son dialogue avec l’évêque d’Hippone, il repose la question de Donatien qui ne pardonnera pas aux prélats ayant renoncé à leur foi sous les persécutions de Rome. La sienne donc. Le détour par une collaboration avec l’occupant vaut-il une excommunication pour toute l’éternité ? Ou bien cet écart sur le chemin de l’accès à la société de Dieu s’effacera-t-il sous l’indulgence des pinceaux d’un Photoshop complaisant ?
La fin de Rome s’était signalée par son déséquilibre financier et sa dépendance grandissante vis-à-vis de ses provinces et colonies. Sa politique fut dictée par ses armées mercenaires qui imposaient ses chefs comme empereurs. De même, l’Amérique déclinante s’est conçue sous une pyramide de dettes. Elle vacille, mise en ébriété par l’usage de formations privées mercenaires pour ses guerres.
À notre Ulysse, il sera pardonné s’il parvient à mettre en œuvre les injonctions prescrites dans le Livre Sacré qu’il a mémorisé depuis son enfance. Ils sont un million sur cinq en Libye à l’avoir assimilé au point de le dire dans l’ordre canonique et le désordre.
Dès la sourate qui vient après l’introductive, la deuxième donc, en son deuxième verset, vivre en conformité avec la Loi divine implique la redistribution des richesses de chacun (3). Un musulman doit se vivre comme en étant le dépositaire transitoire.
La sourate de la Vache, la plus longue avec ses 286 versets, insiste par dix fois sur cette obligation.
La redistribution n’est pas de la catégorie de la charité optative. Elle est une obligation fonctionnelle qui fonde une harmonie sociale où chacun est pris en charge dans un réseau de solidarité et de réciprocité sur le champ de l’honneur.
Le prêt avec intérêt est assimilé à la destruction au point qu’il se dit dans la même racine trilittérale que le mot ruine.
Au même titre que l’usage du vin, les jeux de hasard et les paris sont à éviter car s’ils ont quelques avantages, ils présentent beaucoup plus d’inconvénients pour celui qui les pratique.
Voici trois règles explicites et intangibles de la Chariâa coranique qui interdisent le capitalisme et son involution sous sa forme actuelle.
Il doit maintenant rejoindre le quartier général. Il sait qu’il doit sa chance à l’extrême pauvreté du territoire de sa tribu. Le colon ne s’est pas avisé à la détruire pour l’en déposséder. Sa structure est presque intacte.
Une grande sérénité coule dans ses veines. Lui, le Berbère arabisé, le hacker d’un système devenu illisible à ses auteurs par sa complexité grandissante, devra apaiser ce monde en proie à une fièvre qui le consume. Appétit de pouvoir et d’argent.
Le soldat mercenaire qu’il est devra dire en termes simples et impératifs qu’une politique économique ne doit asservir personne. Il est assez de richesses dans le monde pour que nul ne doive se vendre pour simplement vivre.
Ces règles essentielles ont été omises pour ne laisser émerger comme fondamentales que celles, exotiques et d’une occurrence plutôt rare dans le Texte, qui recommandent la pudeur et l’humilité pour l’un et l’autre sexe. Pourquoi ?
Il n’a pas besoin de la voir, il entend sa rumeur et les ressacs, la mer n’est jamais loin. C’est une compagne rassurante en ces instants de grandes bifurcations.
Ses pas lourds de tant de nuits à veiller et prier le portent vers les lieux de discussion où il contrariera les visées, fort myopes, de l’OTAN.
(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Donatisme
(2) http://fr.wikipedia.org/wiki/Pélagianisme
(3) http://www.quranexplorer.com/Quran/Default.aspx
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Badia Benjelloun
28 décembre 2011