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Palestine -

Tomgram : "Sandy Tolan, Un air de Déjà Vu à Gaza : La Nakba"

Par

D'une part, il y a la folie en Irak où les corps des morts et le bain de sang sectaire font maintenant partie du quotidien; d'autre part, il y a l'éternelle folie de la situation entre les Israéliens et les Palestiniens.
Là-bas, la semaine dernière, le gouvernement israélien au pouvoir a déclaré la politique unilatérale de retrait de Gaza sans négociations d'Ariel Sharon comme étant un échec et s'en est écarté, en lançant son dernier regain de violence.

Ce regain s'est ajouté à une punition collective massive contre la population de Gaza, la dégradation supplémentaire de ses conditions de vie déjà désespérément appauvries, une tentative pour faire tomber toute version du gouvernement palestinien, et l'emprisonnement des ministres et des politiciens élus.

Cette large opération a été expliquée comme une réponse mesurée au kidnapping d'un simple soldat israélien et à quelques attaques ineptes de roquettes Qassam -- ou comme l'a écrit récemment le chroniqueur de Haaretz, Gideon Levy : "Israël effectue des coupures totales d'électricité, impose des sièges, bombarde et pilonne, assassine et en emprisonne, tue et blesse des civils, y compris des enfants et des bébés, en des nombres horrifiants, mais "Ils ont commencé".

Ils "violent également les règles" établies par Israël : Nous sommes autorisés à bombarder tout ce que nous voulons et ils ne sont pas autorisés à lancer des Qassams". (Selon le Jérusalem Post, le père du soldat capturé, Noam Shalit, a critiqué le gouvernement pour sa réponse, en disant que "Il était 'illusoire" que l'Etat d'Israël tente de rétablir sa dissuasion aux dépens de son fils.")

Une telle stratégie israélienne est, à ce jour, visiblement un sorte de folie pour toute personne qui y fait attention. Comme en Irak, ceux des deux cêtés qui veulent pousser la situation à un niveau supérieur encouragent seulement les extrémistes, créant une situation désespérée pour les autres et plantent de nombreuses nouvelles graines d'amertume.

Le gouvernement du premier ministre israélien Ehud Olmert, précise Jonathan Steele du Guardian, veut (tout comme Ariel Sharon) "affaiblir tout Palestinien modéré en montrant qu'ils sont impuissants".

Comme Juan Cole a récemment résumé la situation dans un article dans "Salon" :
"Les actions d'…Olmert semblent avoir pour but de créer une situation d'échec à Gaza et en Cisjordanie , rendant ainsi l'affirmation israélienne de "Nous n'avons personne à qui parler" une prophétie auto-remplie et permettant à Israël de poursuivre sa politique unilatérale et annexionniste, sans avoir même besoin de feindre de négocier. Cette "stratégie" à court terme, dans laquelle se sont inscrits les Etats-Unis et, à un légèrement moindre degré, les Européens étrangement dociles, sont une recette pour la haine, l'extrémisme, le bain de sang, l'injustice et les différends envenimés."

Parfois quand les événements se précipitent, il est important de regarder en arrière, d'étudier l'histoire.

Comme le 11 septembre fut une date importance pour les Chiliens -- ce jour-là en 1973, un coup d'Etat des militaires soutenus par l'Administration de Nixon a renversé le gouvernement de Salvador Allende -- mais sans signification pour les Américains (jusqu'en 2001, naturellement), le 11 juillet est donc un jour sans importance pour nous, mais un anniversaire d'importance pour beaucoup de Palestiniens -- et sur lequel nous devrions en savoir plus.

Le journaliste Sandy Tolan a passé les dernières années à écrire "Le citronnier, un Arabe, un Juif, et le Coeur du Moyen-Orient -- un livre dont l'objet est une smaison en pierres à Ramla, une ville qui était, par le passé, une communauté Arabe et qui est maintenant Juive.

Il s'est intéressé aux deux familles, une Arabe et une Juif, qui ont successivement habité la maison -- et à l'amitié complexe et difficile qui s'est créée entre un membre de chacune des deux familles.

C'est un livre émouvant que l'historien israélien Tom Segev a qualifié, "de témoignage fort de Palestiniens et d'Israéliens qui essayent de briser la chaîne apparemment sans fin de la haine et de la violence. En capturant la dimension humaine du conflit d'une manière aussi vivante… Tolan offre quelque chose aux Israéliens et aux Palestiniens qui ont tous trop souvent tendance à ignorer : un rayon d'espoir."

Maintenant, quand nous trouvons des Israéliens et des Palestiniens dans un endroit bien plus désespéré sur cette "chaîne sans fin", Tolan prend un moment pour nous rappeler à quel point l'abîme de souffrance et de ressentiment est profond en se focalisant sur la version de l'histoire que nous n'entendons presque jamais – la version palestinienne -- et un anniversaire que peu d'entre nous ont étudié.

Tom


La catastrophe palestinienne, à l'époque et maintenant
Sandy Tolan

Sous prétexte de forcer la libération d'un simple soldat "enlevé par des terroristes" (ou, si vous préférez, "capturé par la résistance"), Israël a fait ce qui suit :
• Il a pris des membres d'un gouvernement démocratiquement élu ;
• a bombardé son ministère de l'Intérieur, les bureaux du Premier Ministre, et une école ;
• a menacé un autre Etat souverain (la Syrie) par un survol menaçant ;
• a largué des tracts depuis le ciel,
• a menacé la population civile si elle "ne suivait pas tous les ordres de l'IDF" (Forces de Défense Israéliennes) ;
• a déversé des "bombes assourdissantes" la nuit sur l'ordre du Premier Ministre israélien pour "s'assurer que personne ne dorme la nuit à Gaza";
• a tiré des missiles sur des secteurs résidentiels, tuant des enfants ;
• et a démoli une centrale électrique qui était le seul générateur d'électricité et d'eau courante pour des centaines de milliers de Gazéens.

Les familles palestiniennes assiégées, emprisonnées dans Gaza totalement bouclé, sont dans de nombreux cas limitées à un repas par jour, mangé à la lueur d'une chandelle.

Pourtant leurs situations désespérées sont en grande partie ignorées par un monde accoutumé aux mesures israéliennes extrêmes au nom de la sécurité :
• près de 10.000 Palestiniens sont enfermés dans des prisons israéliennes, dont beaucoup sans charges ;
• 4.000 maisons de Gaza et de Cisjordanie ont été démolies depuis 2000 et des centaines d'hectares d'oliveraies ont été rasés ;
• trois fois plus de civils ont été tués qu'en Israël, beaucoup en raison "des dommages collatéraux" dans des opérations d'assassinats de militants suspectés.

"Réveillez-vous !" hurlait à la radio "Arab Talk" de San Francisco le jeune journaliste palestinien Mohamed Omer de Gaza en juin dernier. "La population de Gaza est affamée. Il y a une véritable crise humanitaire. Nos enfants naissent pour vivre. Ces gens n'ont-ils pas de coeur ? Aucun sentiment du tout ? Le monde est silencieux !"

Pour les Palestiniens, le cri d'Omer évoque une conviction collective: Que le monde estime la vie d'un Arabe comme ayant infiniment moins de valeur que celle d'un Israélien ; que quelque soit la souffrance des Palestiniens innocents, cela ne suffit pas pour justifier la restitution d'un seul soldat juif.

Cette conviction, et la fureur et l'humiliation qu'elle alimente, a imprégné à plusieurs reprises les esprits suite à des décennies de bombardements, de guerres, et des soulèvements passés.

En effet, les paroles d'Omer forment un mantra, faisant en permanence écho à la première guerre entre les Arabes et les Juifs, et en particulier aux 5 journées étouffantes de la mi-Juillet, il y a 58 ans.



"La Catastrophe"

La guerre Israëlo-Arabe de 1948, connue en Israël comme la Guerre d'Indépendance, s'appelle Al-Nakba ou la Catastrophe pour les Palestiniens.

Pour des générations d'Américains élevés avec l'histoire héroïque de la Naissance d'Israël, en particulier comme l'a écrit Leon Uris dans Exodus, il n'y a pas de place pour Al-Nakba. Pourtant cette blessure fondamentale palestinienne, et la puissance de son souvenir aujourd'hui, ne peut tout simplement pas être écartée.

L' obscur anniversaire en question, du 11 au 15 juillet, est peu connu en dehors de la mémoire palestinienne. Pourtant, cela a aidé à forger la colère, le militantisme, et le désir de terre pour les Palestiniens en exil ce qui a mené au conflit d'aujourd'hui.

En fait, il n'est pas possible de comprendre les échanges de tirs d'aujourd'hui sans une première connaissance de la Nakba, et en particulier de ce qui s'est passé sous le violent soleil juste à l'est de Tel Aviv au milieu de l'été 1948.

Le 11 juillet 1948, un convoi de blindés et de jeeps du bataillon-commando israélien 89 s'est approché de la ville Arabe de Lydda sur la plaine cêtière de la Palestine.

Les 150 soldats faisaient partie d'une importante force de combat composée de survivants de l'Holocauste, qui sortaient littéralement des bateaux et eux-mêmes dépossédés d'une catastrophe européenne, ainsi que des Juifs nés en Palestine qui avaient acéré leur habileté au combat au cours de la Seconde Guerre Mondiale avec l'armée Britannique.

Leurs jeeps étaient équipées de mitrailleuses Tchèques et Allemandes, capables de tirer au moins 800 coups à la minute.
Le chef du bataillon, un jeune colonel appelé Moshe Dayan, a outrepassé les ordres pour affectuer un attaque éclair basée sur la puissance de feu et la surprise totale.

La guerre avait officiellement commencé en mai, après des mois des hostilités entre les Arabes et les Juifs.

En novembre 1947, les Nations Unies avaient voté pour diviser la Palestine en deux Etats, l'un pour les Arabes et l'autre pour les Juifs. Pour le mouvement Sioniste, comme pour beaucoup de gens dans le monde, cela représentait une garantie d'un asile sûr pour les Juifs à la suite de l'Holocauste.

Cependant, la majorité Arabe en Palestine se demandait pourquoi ils devraient être la solution à la tragédie Juive en Europe.

Ils possédaient la grande majorité de la terre, y compris 80% des plantations de citron et des champs de blé, et la population Arabe qui se retrouvait du cêté Juif de la partition n'avait aucune envie de devenir une minorité sur leur propre terre.

Ils voulaient un Etat à majorité Arabe pour toute la population de la Palestine, et ils ont lancé un appel à l'aide aux Etats Arabes voisins pour empêcher les Juifs d'établir l'Etat d'Israël.

Les combats se sont intensifiés dans les premiers mois de 1948.
En avril, un massacre pepétré par la milice juive, l'Irgun, dans le village Arabe de Deir Yassin a entrainé une vague de peur en Palestine Arabe ; et cela a provoqué des représailles de la part des Arabes qui ont tué des médecins et des infirmières Juifs sur la route menant à l'hêpital Hadassah près de Jérusalem.

Pendant ce temps, à la suite de Deir Yassin, des milliers de villageois Arabes se sont enfuis pour un asile sûr, avec l'intetion de revenir une fois que les hostilités auraient cessé.

Le 13 mai, la ville cêtière arabe de Jaffa est tombée, et les réfugiés ont commencé à remplir les rues de Lydda et de la ville voisine, Al-Ramla.

Le jour suivant, dans un discours devant le Conseil Provisoire Juif, David Ben-Gurion déclarait l'indépendance d'Israël, et le 15 mai, les armées Arabes franchissaient les frontières pour lancer des attaques contre le nouvel Etat Juif.

Les forces de combat Arabes et Juives sur le terrain, contrairement aux récits ultérieurs souvent répétés en Occident, étaient relativement égaux lorsque la guerre a commencé.

Pendant un certain temps, les Arabes ont semblé avoir un léger avantage, mais lors d'une trêve de quatre semaines qui a commencé le 11 juin, Israël a pû rompre un embargo sur les armes des nations Unies, et lorsque la guerre a repris début juillet, Israël avait un avantage décisif.

Vers la fin de l'après-midi du 11 juillet, le convoi du bataillon 89 a tourné à gauche sur un chemin de terre et a foncé sur Lydda.

A l'entrée de la ville, ils ont commencé à tirer avec les mitrailleuses du convoi – des dizaines de milliers de balles en quelques minutes. "Tout sur leur chemin est mort", écrivait le correspondant du Chicago Sun Times, dans une article intitulé "La stratégie de l'attaque éclair a permis de gagner Lydda".

Les commandos ont été suivis par l'armée régulière d'Israël, qui a occupé Lydda et a brutalement mis fin à un bref soulèvement local : 250 personnes sont mortes, dont tout au plus quatre soldats israéliens ainsi que plus de 80 civils non armés dans une mosquée locale.

Pendant ce temps, les avions israéliens mitraillaient les deux villes et larguaient des tracts demandant aux Palestiniens de partir pour l'Est, vers le royaume de Transjordanie.

Les médecins palestiniens locaux ont travaillé fiévreusement, sans électricité, en utilisant des bandes des draps pour les bandages alors qu'ils luttaient pour sauver les blessés.

Le lendemain, le Major Yitzhak Rabin a ordonné l'expulsion de la population civile Arabe de Lydda et de la ville voisine d'Al-Ramla.



Trébucher sur l'Histoire

Ces expulsions ont longtemps été un sujet de controverse pour ceux qui voient Israël seulement par l'objectif de son apparition triomphante après l'Holocauste.

Le roman méga-bestseller de Leon Uris, Exodus, avec lequel beaucoup d'Américains ont été élevés, raconte avec force une seule version de l'histoire, celle de la naissance d'Israël à la suite de l'Holocauste.

Pourtant, nous ne connaissons rien de la perspective Arabe : leur histoire, leur culture, leurs espoirs, et leur tragédie en 1948.

J'ai passé une grande partie des huit dernières années à essayer de comprendre les racines du conflit Israëlo-Arabe des deux cêtés pour mon livre, "Le Citronnier : Un Arabe, un Juif, et le Coeur du Moyen-Orient".

J'ai fini par comprendre que la Nakba est aussi fondamentale au récit palestinien que l'Holocauste l'est au récit israélien. Il n'est pas possible de saisir l'intensité de la tragédie actuelle, pour ne pas dire la fureur et le désespoir des Arabes, sans connaissance des racines de la catastrophe palestinienne.

Les expulsions de Ramla et de Lydda comme celles d'autres villes et villages palestiniens en 1948 sont documentées dans les archives de l'Etat, de l'armée et des kibbutz israéliens, et par de nombreux historiens israéliens, comme Benny Morris (La naissance du Problème des Réfugiés Palestiniens; 1948 et Après) ; Tom Segev (1949 : Les Premiers Israéliens), et Alon Kadish (La Conquête de Lydda, publié par l'IDF).

D'autres confirmations des expulsions de Lydda et Ramla proviennent des écrits de Yigal Allon, le chef de l'époque de Palmach (armée israélienne); de ceux d'un chef de kibbutz local, Israël Galili B ; de Rabin lui-même dans ses mémoires ; et par des dizaines d'interviews que j'ai faites pour le Citronnier dans les camps de réfugiés en Cisjordanie , à Gaza, et au Liban depuis 1998.

Les expulsions massives des Palestiniens de Lydda et de Ramla ont commencé le 13 juillet et ont continué pendant trois jours. Les Arabes d'Al-Ramla, qui s'étaient rendus sans incident, ont été mis dans des autobus et conduits jusqu'aux lignes de front des combats, où (comme les Arabes de Lydda) ils ont reçu l'ordre de sortir et de marcher devant eux.

De Lydda, les Palestiniens ont marché hors de la ville et vers les collines en direction de la ville de la Colline Chrétienne de Ramallah, à plus de 30 km.

Les soldats Juifs se souviendront plus tard d'un désir de punir les Arabes de Lydda pour leur soulèvement avorté ; certains soldats ont confiqué l'or des réfugiés, et tiré en l'air derrière eux pour accélérer leur départ. (Le même mois lors d'une réunion du cabinet israélien, comme l'a documenté l'historien Benny Morris, le ministre Aharon Cohen a déclaré que les troupes israéliennes à Lydda "avaient reçu l'ordre" de "prendre aux Arabes expulsés leurs montres, bijoux ou argent… de sorte qu'en arrivant complètement indigent, ils deviennent un fardeau pour la légion Arabe", l'armée du Roi Abdullah de la Transjordanie voisine.)

Les Palestiniens avaient prévu de faire un court voyage, en kilomètres et en jours ; beaucoup n'avaient pas eu le temps de rassembler de provisions suffisantes pour le voyage pénible qui les attendaient.

Ils ont laissé derrière eux presque toutes leurs affaires : les plats et les vases, le cuir et les savons, les fours et les pots en cuivre, les cadres des photos de famille, les épices pour le makloubeh, et la farine pour la pâte à pâtisseries.
Ils ont laissé leurs champs de pois sauvages et de jasmin, leur passiflore et leurs anémones séchées, leurs lis de montagne qui poussaient entre l'orge et le blé.
Ils ont laissé leurs olives et leur oranges, leurs citrons et abricots, leurs épinards, les poivres et les gombos; leur sumac ; leur indigo.

La chose que les Arabes avaient emmené avec eux par sécurité était l'or qu'ils avaient amassé; cela deviendrait leur épargne pour le voyage, leur moyen d'éviter la famine au cours des prochains jours. Ils avaient pendu à leurs cous les chaînes, les pièces de monnaie, ou les barres en or qui sembleraient peser de plus en plus lourds au fur à mesure de leur avancée.

Au moins 30.000 Palestiniens, et probablement 50.000, sont partis à travers les collines en direction de Ramallah dès le lendemain de leur expulsion de Ramla et de Lydda. John Bagot Glubb, le commandant Britannique de la Légion Arabe, se souvient "d'une journée sous un soeil de plomb dans la plaine cêtière, la température s'élevait à près de cent degrés à l'ombre."

De Lydda et d'Al-Ramla, les gens sont partis sur les chemins de terre, les pistes de chameaux, et à travers la campagne.

La terre était dure et brûlante sur le "chemin des ânes." Si un âne pouvait le faire, se souvient un Arabe de Ramla dans une interview qu'il m'a donnée, peut-être que nous le pouvions aussi.
Les réfugiés ont rapidement jeté leurs valises, et puis certains de leurs vêtements.
L'eau s'est rapidement épuisée.

Quand ils sont arrivés dans un champ de maïs, certains ont sucé l'humidité des grains de maïs.

Plusieurs femmes de réfugiés m'ont dit qu'à leur arrivée à un puits, elles ont enlevé leurs robes et avec une corde cassée elles les ont plongées dans l'eau stagnante du fond pour que les enfants puissent boire l'eau du tissu.

Une femme âgée – adolescente à l'époque – se souvient avoir vu un garçon faire pipi dans un bidon pour que sa grand-mère puisse le boire.

"Nous avons divagué comme une bête gigantesque, gauche, maladroite" se souvient Reja-e Busailah, un réfugié de Lydda,dans un essai écrit 40 ans plus tard avec une vivacité qui montre à quel point l'événement a été inscrit au fer rouge dans sa mémoire.

"J'ai commencé à entendre parler de nouvelles choses. J'ai rencontré des gens allongés qui restaient sous la chaleur sans ombre. Je les entendais parler du père âgé ou du grand-père qui avaient été laissés derrière eux."

Il y avait des histoires de mères qui se sont mises à délirer et qui ont abandonné leurs bébés ; des mères qui sont mortes en allaitant ; d'un jeune homme fort qui portait son grand-père sur son dos comme un sac de patates ; d'un homme qui a pris l'or de son épouse âgée et l'a laissée mourir.

"Certains jettaient une couverture sur le corps d'une femme." écrit Busaileh.
"Nous dépassions des bébés morts et des bébés vivants, tous abandonnés sur le cêté ou dans les fossés… Quelqu'un a raconté plus tard qu'il avait vu un bébé encore vivant sur la poitrine d'une femme morte… Ce fût seulement à ce moment-là que je me suis dit que si le l'avais su, je l'aurais porté au lieu de porter l'or. »

Pour les personnes âgées, et les très jeunes, c'était souvent trop. Busaileh lui-même a failli d'abandonner. "Si seulement le soleil disparaissait, si seulement la soif, si seulement l'or… je descendrais encore. Cette fois, je m'étends sur le dos. Une femme est passée et a prononcé des paroles de pitié comme si quelqu'un était déjà mort. Je me suis levé honteux et effrayé… »

De toutes les histoires de la Nakba palestinienne, aucune n'est pire que cette marche à travers les collines d'Al-Ramla et de Lydda il y a 58 ans ce mois-ci. "Personne ne saura jamais combien d'enfants sont morts" rappelle Glubb dans son mémoire, "Un soldat avec les Arabes".

La Marche de la Mort, comme l'appellent les Palestiniens, avec le massacre de Deir Yassin, représentent les deux principaux traumatismes que représente la catastrophe palestinienne.

Des milliers de personnes ont fui leurs villages, beaucoup en raison des "campagnes de rumeurs" des agents des renseignements militaires israéliens, qui, après Deir Yassine, ont été désignés de provoquer les craintes d'un autre massacre parmi les Arabes.

Des dizaines de milliers d'autres ont été expulsés de force de leurs maisons.


La Nakba est tellement peu connue en Occident, et son récit central tellement contraire à la familière "histoire d'Uris", que j'ai été extraordinairement très loin dans mon livre pour la documenter.

Rien que mes notes de base représentent 30.000 mots. Mes sources les plus implacables sur les expulsions pour les lecteurs occidentaux sont Israéliennes.

Rabin, dans ses mémoires, a décrit comment pendant ces jours critiques de mi juillet 1948, il a demandé à Ben-Gurion quoi faire avec la population civile de Ramla et de Lydda, et que le premier ministre avait eu "un gest de la main qui voulait dire 'Expulsez-les' "

Yigal Allon décrit, dans le journal de Palmach en juillet 1948, les avantages militaires des expulsions de masse : La chasse des citoyens de Ramla et de Lydda diminuera la pression d'une population armée et hostile, tout en obstruant les routes en direction du front de la Légion Arabe, entravant sérieusement tout effort pour reprendre les villes.
Allon a également décrit en détail les opérations psychologiques par lequel les chefs locaux des kibbutz "chuchotaient aux oreilles de certains Arabes, qu'un important renfort Juif était arrivé", et que "ils devraient suggérer à ces Arabes, comme à leurs amis, de s'échapper pendant qu'il était encore temps… La stratégie a atteint complètement son objectif."

Les réfugiés de Ramla et de Lydda sont arrivés en exil, transformant la ville de la colline chrétienne de Ramallah en dépêtoire de misère et de traumatisme.

Cent mille réfugiés se sont entassés dans des cours d'école, des gymnases, des couvents, des casernes de l'armée, ou ont dormi dans les oliveraies, les cavernes, les corrals, les basses-cours, et au hasard le long des bords de route.

A la fin, ils rejoindront plus de 600.000 autres réfugiés et formeront une Diaspora palestinienne toujours croissante et toujours plus désespérée.

Dans les années suivantes, la colère, l'humiliation, les pertes, et le désir ardent des réfugiés exilés de rentrer chez eux fusionneront autour d'un concept simple : le Retour.

Cela, à son tour, a aidé à la construction de ce que les Palestiniens appellent leur mouvement de libération, dont la stratégie depuis est considérée comme des actes héroïques des combattants de la liberté par certains, et du terrorisme par d'autres.

Le traumatisme de la Nakba a façonné l'identité des Palestiniens, a acéré leur colère, et a construit un album de mémoire autour des voûtes en pierre, des clefs rouillées, des champs d'or, et des arbres qui n'existent plus maintenant, et dont les fruits mythique poussent bien plus abondamment dans l'imagination avec chaque année qui passe.



Un cas de "Devenu de plus en plus fou

Dans les dernières attaques Israéliennes sur Gaza, comme dans les innombrables explosions des batailles passées, le traumatisme est seulement ré-enclenché.

58 étés après la Nabka – alors que les femmes palestiniennes liquident encore leur or pour acheter des olives et du pain ; que les avions israélient larguent encore des tracts avec d'affreuses mises en garde pour les civils Arabes ; que les médecins qui manquent de médicaments ou d'électricité luttent encore pour sauver les blessés -- un air de déjà vu s'empare des hommes et des femmes âgés des camps de réfugiés, et au-delà parmi la vaste Diaspora, leur rappelant encore une autre année amère d'anniversaire.

Les dernières attaques israéliennes sur Gaza, en apparence au nom d'un simple soldat, rappellent les commentaires de l'extrémiste Rabbin Yaacov Perrin, dans son éloge pour le colon Juif Américain Baruch Goldstein, qui, en 1994 a abattu 27 Palestiniens qui priaient dans le Tombeau des Patriarches, une partie de la mosquée Ibrahimi à Hébron.
"Un million d'Arabes", avouait Perrin, "n'a pas plus de valeur que l'ongle d'un Juif".

Les Israéliens, aussi, sont un peuple traumatisé, et les actions actuelles d'Israël sont menées en partie par une détermination dure, née de l'holocauste, pour "ne plus jamais être des moutons que l'on mène à l'abattoir."

Mais si le "plus jamais" conduit la politique de représailles, peu de personnes semblent noter que les représailles elles-mêmes sont complètement disproportionnées face à la provocation : pour chaque roquette Qassam qui tombe habituellement sans danger et loin de sa cible, des dizaines, parfois des centaines de bombes pleuvent avec une puissance bien plus destructice sur les Palestiniens.

Pour un soldat disparu, un million et demi de Gazéens souffrent. Aujourd'hui, la politique d'Israël est un cas de "Plus que jamais" devenu fou.

L'ironie est que, au lieu d'aider à construire un havre sûr qu'ils ont cherché depuis tellement longtemps, le gouvernement israélien, tout comme les États-Unis en Irak, sème seulement les graines pour plus de haine et de colère.


NOTES :

Sandy Tolan est l'auteur de "The Lemon Tree: An Arab, a Jew, and the Heart of the Middle East" ("Le Citronnier : Un Arabe, un Juif, et le Coeur du Moyen-Orient") (Bloomsbury, 2006).
Il dirige le projet sur le Reportage International à l'Ecole Supérieure du Journalisme à l'université de Californie-Berkeley. Il a réalisé des dizaines de documentaires pour la Radio Publique Nationale, a effectué des reportages au Moyen-Orient depuis 1994, et dans une vingtaine de pays au cours des 25 dernières années.
Il a également servi de consultant en matière d'histoire orale au Musée du Mémorial de l'Holocauste aux États-Unis.


Source : http://www.tomdispatch.com/

Traduction : MG pour ISM

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