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Palestine - 10 juillet 2012
Par Abbad Yehya
La version en anglais de cet article est une traduction de l'édition originale en arabe.
Très loin du réseau de vieilles routes antérieures au mandat britannique - et loin des routes sinueuses réservées aux colons qui couvrent près de 2 pour cent de la superficie de la Cisjordanie - là, dans les vallées et montagnes de Palestine, l'USAID construit des routes alternatives qui deviendront le principal réseau de transport des Palestiniens. Le Premier ministre Salam Fayyad a fait la promotion des nouvelles routes en arguant qu'elles faisaient partie de son projet d'établissement d'un Etat palestinien. Il s'est enorgueilli que les routes entrecroiseraient les zones B et J, qui représentent 80 pour cent de la Cisjordanie et il les a faites valoir comme projet de développement "palestinien".
Routes "réservées aux Israéliens" dans le gouvernorat de Bethléem occupée (Photo Tal Adler)
Toutefois, des critiques comme Ingrid Jaradat Gassner, directrice du Centre de ressources Badil pour les réfugiés palestiniens à Bethléem, a dit qu'à travers ce projet, l'Autorité palestinienne (AP) contribuait à la ghettoïsation de son propre peuple.
Le projet routier est la dernière étape d'une série de tentatives visant à disjoindre les Palestiniens de leur géographie historique et à les séparer des communautés de colons en croissance permanente en Cisjordanie . Les murs, routes et ghettos sont la représentation du fantasme colonial sioniste d'éliminer du paysage toute trace de la vie palestinienne, après avoir échoué à éliminer les Palestiniens eux-mêmes.
Les nouvelles routes, qui fournissent des moyens de transport séparés pour les Palestiniens, sont conformes au projet colonial plus large tout en servant l'intérêt de l'AP de créer son propre espace en Cisjordanie . Elles éliminent aussi commodément les Palestiniens de la vue des colonisateurs sionistes en renforçant les divisions raciales d'une société déjà ségréguée et inégale.
En établissant des connexions entre des espaces en Palestine, les routes rompent également les vieilles connexions, à savoir le lien entre la mémoire collective et la géographie en Palestine. Se déplacer et agir dans un espace partagé défini comme la Palestine a engendré des expériences, des sentiments et des souvenirs qui se sont fixés et liés à la terre et à la nation.
Des années de barrages routiers et de checkpoints, dont le but est d'empêcher les Palestiniens de se déplacer librement sur leur terre, ont érodé le sentiment national en parasitant les souvenirs liés aux lieux et en créant un vide conceptuel entre les Palestiniens des différentes cités et régions.
Au cours des dernières décennies, cette mémoire s'est affaiblie, elle est devenue plus localisée et plus étroite, de telle sorte qu'il reste peu de souvenirs liés à la géographie, la mémoire en garde quelques petits fragments qui s'estompent avec le temps.
Aujourd'hui, il est normal de trouver, à Ramallah, de nombreux Palestiniens qui ont visité plusieurs capitales européennes mais qui n'ont jamais mis les pieds à Hébron, à à peine 50km. Beaucoup se souviennent avec nostalgie de la période d'avant la signature des accords d'Oslo, lorsque Haifa et Jaffa n'étaient qu'à un jet de pierre et que l'occupation unissait les Palestiniens en Cisjordanie , à Gaza, à Jérusalem et sur le territoire occupé en 1948. Se déplacer et agir dans cet espace maintenait une mémoire vivante, fourmillante des détails de la résistance palestinienne.
Aujourd'hui, les colons ont repris les routes de Cisjordanie , les partageant avec les Palestiniens dans une illustration de la paix relative et de la stabilité qui prévalent actuellement. Dans de nombreux cas, ils se déplacent sans gardes et sans supervision, et ils ne sont pas obligés de s'arrêter derrière les tas de pierre présents à chaque arrêt de peur d'être caillassés par des Palestiniens.
Pourtant, il est clair que cette situation ne durera pas, car toute tension mettrait tous ces colons en danger. Ainsi, ce partage des routes coloniales est provisoire et ne perdurera pas. En ce sens, les routes américaines sont inévitables.
Ce nouveau réseau routier fait partie de la "Feuille de route pour la paix au Moyen-Orient" prônée par George W. Bush, plus spécifiquement l'aspect qui souligne la "continuité territoriale" dans toute discussion sur l'Etat palestinien. Ces autres routes et réseaux de tunnels exclusivement pour les Palestiniens (plus de 48 tunnels et 34 barrières et checkpoints) garantissent une continuité géographique confortable pour Israël et les colons.
Les taxis collectifs interdits de rouler sur l'autoroute 60 pour transporter les Palestiniens qui vont à ou quittent Battir, Cisjordanie occupée, passent par un tunnel, pendant que les véhicules israéliens roulent librement au-dessus. (Photo Edo Medicks)
Avec l'appel à une continuité territoriale dans l'Etat palestinien, la Rand Corporation a conçu en 2007 un plan de construction de trains rapides, de la forme d'un arc, qui relieraient les principales concentrations de populations palestiniennes entre Rafah et Jenin.
Ce projet a été promu comme un nouvel exemple pour la paix. Tout en créant une continuité géographique, l'expérience de se déplacer dans un train rapide (90mn entre le premier et le dernier arrêt) donnerait le sentiment que le passager est en Palestine. Des deux côtés de la voie ferrée, les Palestiniens bâtiraient de nouvelles communautés.
Dans toute cette discussion, l'accent est mis sur le sens d'un "Etat palestinien", par opposition à l'idée de "Palestine" telle que définie par les Palestiniens. Que le projet soit ou non mis en œuvre ou retardé, il exprime de façon évidente la conception américaine de l'espace palestinien et la tentative coloniale d'imposer cette conception aux Palestiniens. Cette conception reste liée à l'engagement de placer Israël et sa sécurité au-dessus de tout.
Ces projets ont également été empoisonnés par une logique consumériste - même la construction de routes - puisqu'elles devraient être rénovées tous les cinq ans. En d'autres termes, un véritable développement continu loin du champ des activités occidentales de développement en Cisjordanie , et une infrastructure qui réponde aux besoins des Palestiniens ne sera jamais installée.
Un autre objectif de ces projets est de désorganiser la mémoire et la conscience collective palestiniennes. Ils sont conçus pour encourager une nouvelle conception de la Palestine en Cisjordanie approuvée par l'AP et ses bailleurs de fonds, où la Palestine est réduite à des zones contrôlées par l'AP par le biais des programmes scolaires et du discours officiel.
Avec l'argent des bailleurs occidentaux, l'AP installe des postes de police sur ce qui reste des quartiers généraux de l'administration militaire sous l'occupation israélienne et le mandat britannique, au mépris absolu de la signification symbolique de ces lieux dans les consciences palestiniennes.
La souveraineté de l'AP signifie d'établir la sécurité dans les villes et d'empêcher toute opération militaire contre l'occupation israélienne. En même temps, les attaques des colons contre les Palestiniens ne constituent pas en quelque sorte une violation de souveraineté.
Les ministres et les services sécuritaires de l'AP se développent au sein de discussions sur un Etat palestinien comme s'il n'y avait pas d'occupation. Dans ce cadre, les nouveaux routes sont vendues comme routes palestiniennes, elles sont vides et propices à l'élaboration d'une mémoire compatible avec les projets de l'AP.
Voyager sur la route entre Naplouse et Jenin soulève de nombreuses questions sur cette création de distance entre les centres urbains et les villes et villages. Il y a des différences importantes de tracé entre les routes toute droites qui desservent les colonies et qui ressemblent à de larges autoroutes et les nouvelles routes étroites pour les Palestiniens qui serpentent à travers les vallées de la Cisjordanie et le long des pentes des montagnes.
On peut douter du sérieux du discours qui prétend que ces routes sont pour un futur Etat palestinien, sans parler du fait évident qu'elles ne sont pas du tout adaptées à un trafic commercial lourd. Israël réalise fort bien que ces routes sont incapables de jouer un rôle dans l'édification de l'économie palestinienne, qui, si elle existe, doit s'arrêter à chaque checkpoint militaire et est soumis à une multitude de permis.
Pendant les années de l'intifada, les Palestiniens ont pris l'habitude d'interroger chaque visiteur venant d'un village ou d'une ville donnés sur l'état des routes. Ils demandaient, "y-a-t-il quelque chose sur les routes ?" ou "comment sont les routes ?", en référence aux nombreux checkpoints et barrages routiers qui les obstruent et menacent tous ceux qui veulent passer.
Aujourd'hui, il est possible de réponde à ces questions en disant que les "routes américaines" en Cisjordanie sont sans vie. Aucun sang de martyr ne les a éclaboussées, aucun combattant partant ou revenant d'opérations commandos ne les a traversées. Elles n'ont pas été embrasées par des protestations, ni remplies des cris de la nation qui va de la rivière à la mer.
Elles ne portent pas témoignages des épisodes des soulèvements contre l'occupation ni des révoltes contre l'impérialisme britannique. Elles ne contiennent rien qui ressemble à la vie palestinienne comme les fermiers marchant vers leurs champs ou les enfants revenant de l'école, un jour de grève, en entonnant des chants patriotiques.
Sur ces routes, la mémoire est coupée. Les souvenirs collectifs disparaissent pour céder la place à ces grands panneaux qui bordent les nouvelles routes avec cette expression néfaste qui sert de signature aux projets USAID : "Un cadeau du peuple américain".
Source : Al Akhbar
Traduction : MR pour ISM
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