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Gaza - 4 décembre 2008
Par Safa Joudeh
Le siège israélien de Gaza, maintenant dans son 19ème mois, a fait d'énormes ravages sur tous les aspects de la vie et une attention importante a été portée, en particulier sur les conséquences économiques de la fermeture des frontières et du blocus. Cependant, une épidémie négligée menace les liens sociaux et familiaux qui relient entre eux les 1,5 millions de Palestiniens à Gaza. Vivant sous un constant état de crise dans lequel leurs moyens d'existence ont été niés, la résistance exemplaire des gens de Gaza et leur détermination sont en train de s'effondrer pour une insondable mer de dépression et de maladies psychologiques.
Selon le Bureau Central palestinien de la Statistique, en résultat direct du siège, 65% des ménages à Gaza luttent pour obtenir les fournitures de base telles que la nourriture, les vêtements et les médicaments.
Parmi ceux qui luttent, il y a Fouzan Salah, un père de quatre enfants âgé de 35 ans. Fouzan, qui possédait un atelier de tailleur avec son frère, a commencé par vendre ses machines à coudre en janvier de cette année pour nourrir sa famille. Depuis qu'Israël a commencé à restreindre l'entrée des marchandises et des pièces détachées dans Gaza, on estime que 55% des établissements du secteur privé ont fermé et que 97% des établissements industriels ont cessé leur activité. Tel a été le sort de l'atelier de Fouzan, qui recevait tous ses tissus depuis Israël. La famille maintenant n'a plus de revenus et est en danger de perdre sa maison. Les Salah comptent actuellement sur la charité et l'assistance des autres, survivant avec un, parfois deux petits repas par jour.
A cause de cela, Fouzan souffre d'une sévère dépression. Désespoir, absence de valeur, incapacité et castration, voilà comment Fouzan décrit les sentiments qui sont les siens d'un jour sur l'autre. « Je n'étais pas inquiet quand le siège a commencé », dit-il. « J'étais seulement comme tout le monde et il était absurde de penser qu'Israël continuerait à faire subir le siège sur la population toute entière. Il était inimaginable de même concevoir qu'ils confisqueraient les moyens de subsistance de nous tous, les civils. Mais je me suis trompé, nous nous sommes tous trompés. Et maintenant je suis encore comme tout le monde, je vis un cauchemar. Cela ne m'a pris longtemps pour arriver à réaliser ça, et c'est là que la dépression m'a frappé durement. »
Alors que les officiels israéliens prétendent que la fermeture de Gaza est destiné à dissuader le tir de roquettes sur Israël, le blocus est mieux compris comme une sorte de punition collective faite pour retourner la population de Gaza contre le gouvernement du Hamas. Cette tactique a des implications qui auront une portée beaucoup plus durable que l'impact direct sur l'économie et les infrastructures de Gaza.
« L'état de mon mari le rend en colère et enragé presque tout le temps, » explique Ghada, la femme de Fouzan. « Nous marchons sur des œufs. Il a essayé de trouver du travail mais il n'y a pas de travail disponible. Les usines ont laissé partir leurs travailleurs, les commerces ont fermé, le marché est vide. Nous prions pour une fin, n'importe quelle fin. Comment pensez-vous vous sentir un homme adulte avec une famille et vous sentir comme un invalide, sans un sou en poche, à regarder vos enfants avoir faim et les pieds nus et prétendre que vous êtes responsable de leur protection ? Les enfants les plus jeunes deviennent agressifs, instables et moins attentifs à leur travail scolaire. Randa, ma fille aînée, est en train de montrer les signes d'une profonde dépression. »
La plupart des enfants de Gaza ont fait l'expérience de traumatismes, et le siège a eu un effet multiple par-dessus. Selon le Programme de santé Mentale de la Communauté de Gaza (GCMHP), 15% des élèves palestiniens à Gaza sont intellectuellement diminués à cause de la malnutrition. Les familles telles que celle de Fouzan n'ont pas les moyens d'acheter des légumes et de la viande ; leur régime consiste en lentilles, pâtes, pain, riz et pommes de terre, des aliments hautement carbo-hydratés déficitaires dans les autres nutriments.
Les enfants sont aussi psychologiquement affectés par l'impact du siège sur leurs familles. Les statistiques du GCMHP montrent que 47% des enfants palestiniens à Gaza souffrent de chocs psychologiques sans que leurs parents, qui sont incapables de faire face à la situation, le réalisent même.
A 15 ans, Randa est grande, svelte, belle et timide de façon charmante. Elle sourit tout le temps alors qu'elle attend mes questions en privé, fière d'être considérée assez importante pour avoir quelque chose à dire. Quand les sujets de la dépression de son père, de sa mère mourant d'inquiétude et de la pauvreté à laquelle ils ont été réduits, la lèvre inférieure de Randa a tremblé et elle a effleuré ces questions avec quelques rires et en baissant les yeux. Quand elle a été interrogée au sujet de ses amis, son visage s'est éclairé. « J'aime tellement mes amis », dit -elle.
Les larmes sont montées aux yeux de Randa et d'une voix hésitante, elle a ajouté : « J'aime me réveiller le matin juste pour quitter ma maison. Mon père crie comme un fou si nous faisons le moindre bruit. Je ne lui en veux pas, je sais que ma grand-mère le met en colère quand elle lui demande de l'argent qu'il n'a pas quand elle a besoin d'acheter des médicaments, et je sais que lui et ma mère sont toujours tristes parce qu'ils ne peuvent pas nous acheter les choses dont nous avons besoin, comme de la nourriture. » Un sanglot s'échappe, qu'elle ne peut pas le retenir plus longtemps. « Je suis triste tout le temps mais je ne peux pas parler avec ma mère, parce qu'elle pleure toute la journée, et cela la ferait pleurer encore plus. Je ne dis pas tout à mes amis, mais j'aime mes amis, ils m'aiment aussi, nous nous amusons ensemble. » Elle se force à sourire et essuie son visage avec un mouchoir.
C'est une chose d'évaluer numériquement les pertes résultant du siège israélien de Gaza, mais que dire des effets à plus long terme qui seront endurés par la génération de Randa ?
L'impact de l'isolement de la population de Gaza du reste du monde sera ressenti longtemps après que le blocus physique soit levé. Il est prouvé que les effets mentaux du stress post-traumatique et la dépression parmi les enfants persistent à l'âge adulte. A moins que le siège ne se termine immédiatement et soit suivi par des programmes intensifs d'aide urgente, le futur n'est pas brillant pour les enfants de Gaza.
Source : Electronic Intifada
Traduction : MM pour ISM
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