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Ramallah - 30 mars 2004
Par Charmaine Seitz
Germaine Seitz, journaliste, écrit depuis Ramallah
L’assassinat du Sheikh Ahmad Yassine, leader spirituel du Hamas, est d’un type nouveau, même s’il intervient dans le contexte du conflit prolongé commencé en 2000, qui a coûté la vie à environ 2 800 Palestiniens et 900 Israéliens. Considéré par la plupart des Israéliens comme un parrain du terrorisme, Yassine, dès l’instant de sa mort, est devenu l’incarnation de tous les aspects du grief palestinien – même pour ceux des Palestiniens qui n’ont aucune sympathie particulière pour le Hamas et son programme à long terme d’islamisation de la société palestinienne.
La désarticulation finale de son corps perclus par les ans et très affaibli évoque tous les innocents palestiniens qui sont morts. Quant au silence définitif imposé à ses déclarations de résistance, il a fouetté à vif la fierté nationale palestinienne.
Beaucoup de Palestiniens, même laïques, appréciaient Sheikh Yassine, parce qu’il invoquait inlassablement les droits des Palestiniens à l’ensemble de la Palestine historique, et aussi parce qu’en lui, ils voyaient comme la colonne vertébrale idéologique de l’insurrection actuelle contre l’occupation israélienne. C’est plus, sans doute, en raison de son aura populaire, que du rôle qu’il a pu vraisemblablement jouer en donnant son feu vert à des attentats suicides, qu’Israël a décidé de signer son arrêt de mort.
On devait donc s’attendre, après que trois missiles israéliens aient abattu Yassine, ses deux fils et cinq autres personnes, au moment où ils sortaient d’une mosquée de Gaza où ils étaient allés faire la prière de l’aube, le 22 mars, à ce que le trop-plein de la colère palestinienne se déverse largement.
Des centaines de milliers de personnes ont participé, à Gaza, aux funérailles, ce jour-là, les participants se bousculant autour du cercueil de bois afin de le toucher, ou peut-être flairant l’air à la recherche de ce parfum suave dont il est dit qu’il s’élève des corps momifiés de ceux que l’on considère être morts en martyrs pour Dieu et leur pays.
Dans les villes de Cisjordanie , où la plupart des dirigeants du Hamas ont été soit arrêtés par Israël, soit contraints à la clandestinité, un chœur de versets coraniques s’échappait des minarets des mosquées et des pneus enflammés enveloppaient les rues d’un voile de fumée noire. Le Hezbollah libanais lui rendit hommage, à sa manière, sous la forme d’une volée de missiles envoyés sur le nord d’Israël.
Mais, une fois écoulés les trois jours de deuil officiel décrétés par l’Autorité palestinienne, la vie retourna à ce qu’il est convenu d’appeler la « normalité » », en Cisjordanie , à Jérusalem Est et à Gaza . Les entreprises et les commerces fermés rouvrirent leurs portes, et les rues s’emplirent à nouveau de passants. La reprise de la vie quotidienne semblait refléter un sentiment très largement répandu qu’en dépit des rodomontades du Premier ministre israélien Ariel Sharon et des philippiques vengeresses du Hamas, l’assassinat du sheikh paralysé n’avait changé que fort peu de choses au tableau stratégique général. Ce qu’Israël a sans doute fait, en assassinant Yassine, le responsable le plus populaire du Hamas, c’est avoir confirmé la dynamique qui caractérise la confrontation israélo-palestinienne depuis la fin septembre 2000. L’assassinat a marginalisé encore un peu plus l’Autorité palestinienne et sa quête improbable d’une solution négociée à deux Etats, tout en offrant gracieusement un escalator à la montée en puissance du Hamas et de sa politique de résistance armée. Il pourrait aussi mettre dans l’impasse une énième initiative proposant le très faible espoir d’un semblant d’autodétermination aux Palestiniens.
Se désengager du plan de désengagement
Depuis décembre 2003, et l’annonce par Sharon de son projet de « désengagement unilatéral » de la plus grande partie de la bande de Gaza, en démantelant vraisemblablement plus d’une douzaine de colonies dans la bande de Gaza et plusieurs autres en Cisjordanie , l’Autorité palestinienne ne sait comment accueillir cette proposition. D’un côté, elle ne peut s’opposer à un quelconque démantèlement de colonies ni à un quelconque retrait israélien des territoires occupés, puisque c’est là exactement ce qu’elle exige, en préalable à un accord de paix global. De l’autre, il était éminemment clair que le plan de Sharon était conçu de manière à humilier encore plus l’Autorité palestinienne (s’il était possible), Israël insistant sur le fait que, depuis l’éclatement de l’Intifada actuelle, il n’a pas de « partenaire » du côté palestinien.
Un sondage, effectué récemment par le Centre palestinien d’étude de l’opinion et de la vie politique, a mis en évidence des raisons supplémentaires, pour l’Autorité palestinienne, de rester dans l’ambiguïté quant au plan de « désengagement » israélien. 60 % des Palestiniens ont répondu qu’ils ne croient pas en la sincérité de Sharon lorsqu’il déclare son intention de se retirer de Gaza ; ils sont persuadés, en revanche, qu’il ne fait que s’efforcer d’aggraver les conditions des Palestiniens, de consolider le contrôle israélien sur la Cisjordanie , d’intimider l’Autorité palestinienne en mettant en exergue la puissance du Hamas, et, enfin, de calmer les craintes croissantes des juifs israéliens quant au risque de perdre la majorité juive à l’intérieur des frontières d’Israël. Les informations selon lesquelles Sharon ne soumettra aucune proposition de retrait total à l’approbation de son cabinet avant les élections présidentielles aux Etats-Unis (en novembre 2004), ne font qu’ajouter aux soupçons d’aucuns, selon lesquels le plan de retrait de Sharon ne serait pas autre chose qu’un expédient tacticien.
Si la principale explication proposée par la gauche israélienne de la conversion de Sharon, passé de la défense et illustration des colonies à un pragmatisme absolu, consiste à dire qu’il aurait subitement compris que la nécessité de maintenir une majorité juive à l’intérieur d’Israël impliquait qu’on renonçât aux territoires occupés, l’analyse historique suggère une interprétation beaucoup plus circonspectes. Les territoires que Sharon s’emploie, actuellement, à placer « du côté israélien » du son complexe mur-et-barrière, en Cisjordanie , correspondent presque exactement avec les tracés d’une carte de 1973 illustrant l’annexion projetée de ces territoires à Israël. L’idée de Sharon, disent certains analystes, est d’utiliser le Mur conçu par ses prédécesseurs travaillistes afin d’isoler les Palestiniens à l’intérieur de cantons disjoints, Gaza étant l’un d’eux et, par conséquent, de fragmenter la base géographique d’une entité palestinienne unifiée. Les soi-disant négociations entourant le projet de « désengagement » - négociations qui doivent encore être entamées, plus de trois mois après avoir été annoncées – donnent aux Palestiniens matière supplémentaire à conjectures.
Un air de Balfour
Pendant que les Etats-Unis recevaient la nouvelle d’un désengagement (israélien) unilatéral avec des grognements sourds de désapprobation, lorsque des responsables israéliens et américains se sont rencontrés afin d’en débattre, l’Autorité palestinienne était tenue totalement en-dehors du processus. Aux deux occasions où les envoyés américains ont daigné inclure le principal négociateur palestinien Sa’eb Ureïqât dans leur itinéraire, ils éludèrent ses demandes d’explication, en disant que les termes d’un retrait israélien de Gaza devaient être mis au point entre Israël et les Etats-Unis – exclusivement ;
L’ex-premier ministre palestinien Mahmoud Abbas (démissionnaire), parlant récemment à des journalistes, a fait état de l’amertume que la bienséance diplomatique interdit à ses anciens collègues d’exprimer. « Que se passera-t-il, à l’avenir, et quelles seront les garanties ? », s’est-il interrogé. « Tout cela nous rappelle la déclaration Balfour : une promesse faite par des gens qui ne sont pas les propriétaires légitimes (de la terre) à des gens à qui elle ne revient pas de droit. A quel titre les Etats-Unis négocient-ils avec les Israéliens, au nom des Palestiniens ? »
Des informations récentes indiquent que les négociations israélo-américaines sont basées sur des principes qui n’ont rien à voir avec les prescriptions des résolutions de l’ONU en vue de la résolution du conflit. Les représentants d’Israël sont en train, dit-on, de plaider le retrait de Gaza, à condition que les Etats-Unis acceptent que des blocs stratégiques de colonies, en Cisjordanie (Ma’ale Adumim, Gush Etzion et Ariel) soient annexés de facto à Israël. Une autre exigence est qu’Israël ne soit pas contraint à négocier avec l’Autorité palestinienne, tant que cette institution restera dirigée par Yasser Arafat. L’Egypte est appelée à la rescousse pour venir renforcer les services de sécurité palestiniens, en vue d’accomplir le sale boulot consistant à faire régner l’ordre à Gaza, au cas où Israël mettrait son projet de retrait à exécution. « Les seules négociations, entre Israël et l’Autorité palestinienne, se déroulent via l’intermédiaire des Etats-Unis et de l’Egypte », a indiqué un responsable palestinien, qui a ironisé, en conclusion : « C’est une filière particulièrement laborieuse ».
« Sous le feu »
C’est au milieu de ce maquignonnage que le Hamas a crié victoire. Non seulement Israël est en train de s’enfuir de Gaza, prétend cette formation, mais il est incapable de garantir leur sécurité physique à ses propres citoyens. Le 14 janvier, l’aile armée du Hamas, les Brigades Izz al-Din al-Qassâm, a envoyé sa première kamikaze femme au point de passage d’Erez. Simulant un handicap physique, elle a tué quatre Israéliens, dont trois militaires. Le 6 mars, les ailes armées du Hamas, du Jihad islamique et du Fath ont envoyé trois voitures à Erez, chargées de deux bombes, ne réussissant qu’à franchir les lignes de l’Autorité palestinienne et à tuer deux officiers palestiniens avant d’être sommairement abattus par des soldats israéliens. Huit jours après, deux jeunes Palestiniens du camp de réfugiés de Jabaliya, dans la bande de Gaza, se sont introduits en Israël, dissimulés à l’intérieur d’un container, et ils se sont fait exploser à l’intérieur des installations portuaires d’Ashdod, tuant dix ouvriers israéliens. Les responsables du Hamas ont indiqué que leur orientation vers des opérations conjointes et l’abandon de cibles purement civiles entendaient démontrer que la construction, par Israël, d’une barrière en Cisjordanie n’empêcherait en rien les attentats (Gaza est déjà entourée d’une barrière électrifiée), et qu’un retrait, partiel ou unilatéral ne mettrait pas un terme aux hostilités. (Au cours de la même période, 177 Palestiniens ont été tués par les troupes israéliennes).
L’une des principales critiques émanant des militaires israéliens quant à plan de retrait de Gaza consiste à dire qu’en quittant la bande de Gaza « sous le feu », Israël ne ferait que réitérer l’expérience de son retrait du sud Liban, en mai 2000 : le Hizbullah avait, on s’en souvient, déclaré qu’il avait réussi à chasser les troupes israéliennes par la force des armes. Par ailleurs, l’Autorité palestinienne, affaiblie comme elle l’est, parviendrait-elle à contenir le Hamas ? Comment, ont demandé les généraux Israéliens, Israël pourra-t-il conserver un contrôle stratégique sur le territoire (évacué) ?
Abd al-Aziz Rantisi, porte-parole du Hamas, adoubé (le 28 mars) en nouveau dirigeant « de l’intérieur » de la formation, a réagi vivement aux propos des généraux israéliens (et à leurs implications), dans une interview au journal Jerusalem Report. « Il est évident que ces critiques s’adressent à l’Autorité palestinienne, afin de l’inciter à sévir contre le Hamas, comme si celui-ci se préparait à faire un putsch contre l’Autorité palestinienne et à s’emparer des rênes du pouvoir. Il s’agit là d’un appel transparent à l’Autorité de sévir contre le Hamas. On dirait qu’ils veulent suggérer que le refus de l’Autorité palestinienne d’affronter le Hamas aboutira à la prise du contrôle de Gaza par celui-ci ». Mais les objections de Rantisi éludent les tensions – réelles – sous-jacentes aux relations palestiniennes internes. A chaque attentat suicide, le Hamas sape un peu plus la base politique de son « allié » proclamé.
Iyad Barghouti, auteur de deux ouvrages sur l’islam politique en Palestine, émet des doutes quant au présupposé qui voudrait que le Hamas cherchât effectivement à contrôler les zones palestiniennes. Il affirme que le mouvement des Frères musulmans, dont le Hamas dérive, pense qu’il ne doit pas assumer les responsabilités du pouvoir dans des Etats arabes dépendant de financements étrangers pour leur survie. « Ils savent que, dès le lendemain de leur prise du pouvoir, ils n’auraient plus un rond », explique-t-il. Selon l’évaluation de Barghouti, le Hamas se contente fort bien de contrôler la rue palestinienne. Pour les Israéliens, quoi qu’il en soit, le spectre de 1,2 millions de Gazans exécutant les ordres de l’archi-ennemi d’Israël représente un outil de relations publiques très efficace.
L’après-Yassine
Procédant à une estimation de l’apport de Yassine à la communauté palestinienne de Gaza, Barghouti en arrive à le qualifier d’« Arafat du Hamas ». Les gens venaient demander au sheikh d’aplanir leurs différends ; il était proche des gens simples, indique Barghouti. Ghazi Hamad, éditeur du quotidien islamiste Al-Risâla [La Mission, et non simplement : La Lettre, comme on l’entend à la radio, ces jours-ci ! NdT], souligne l’envergure panislamique de Yassine. « Sheikh Yassine était un symbole de résistance et de dignité, de force et de foi en l’islam, il n’était jusqu’à l’Irak, qu’il ne symbolisât, face à l’invasion américaine. » Le 22 mars, la chaîne télévisée satellitaire panarabe Al-Jazeera diffusait interview sur interview d’hommes politiques arabes, laïques et islamistes, lesquels affirmaient la même chose.
Né en 1938 dans le village d’al-Jawra, (dans ce qui est aujourd’hui Israël), Yassine est resté paralysé à la suite d’un accident survenu tandis qu’il faisait du sport, dans sa jeunesse. Mais son handicap n’a pas empêché son engagement politique. En 1983, il fut arrêté par Israël, pour détention d’armes et création d’une organisation secrète ; il a été condamné par une cour martiale israélienne à 13 années de prison. Deux ans après, il était libéré, dans le cadre d’un échange de prisonniers. En 1987, Yassine et d’autres membres des Frères musulmans décidèrent qu’il était grand temps de changer le profil des Frères musulmans en Palestine et de créer un groupe expressément voué à combattre l’occupation israélienne. La naissance du Mouvement Islamique de Résistance (Hamas, selon l’acronyme en arabe : Harakatu-l-Muqâwamati-l-‘Islâmiyyah) coïncida avec le début de la première Intifada. Yassine fut arrêté, à nouveau, en 1989, et condamné, cette fois, à l’emprisonnement à perpétuité. Mais il fut, à nouveau, libéré, en 1997, sur l’exigence des Jordaniens, très vindicatifs après la pitoyable tentative ratée d’agents israéliens d’assassiner un des épigones du Hamas, Khalid Meshaal, sur le territoire jordanien. Sa libération fut pour le Hamas un véritable coup médiatique, mais il ne sortit de sa prison que pour retrouver des territoires palestiniens occupés en pleine ébullition, après la répression de l’Autorité contre le Hamas, au milieu d’affrontements directs entre Israël et l’Autorité palestinienne. Un an plus tard, il fut arrêté par l’Autorité palestinienne, après qu’il eût exigé la démission de plusieurs de ses responsables. Israël avait déjà tenté de l’assassiner, en septembre 2003.
Mais, l’un dans l’autre, Yassine était un pragmatique, parmi les dirigeants du Hamas. Sa capacité à donner des justifications religieuses à des objectifs politiques lui conféra une certaine crédibilité et lui gagna un indéniable respect. Ces derniers mois, il avait souvent choisi une voie qui subordonnait les objectifs du Hamas à l’Autorité palestinienne, au nom de l’unité nationale. Barghouti dit que Yassine lui avait un jour confié : « Si on m’offrait un jour la place du Président Arafat lui-même, je ne l’accepterais pas. »
Ses ultimes déclarations concernaient, dans une large mesure, la nécessité d’un projet politique palestinien unifié, dans l’éventualité d’un départ des Israéliens de Gaza. « Ce projet d’accord se concentrera sur les relations entre factions palestiniennes et Autorité palestinienne, et sur la manière de contrôler la bande de Gaza, et d’en protéger la sécurité et la stabilité après un éventuel retrait des Israéliens », avait-il indiqué. Même si cette proposition constituait, de toute évidence, une critique vis-à-vis de l’Autorité, incapable d’assurer la « sécurité et la stabilité », la force du soufflet était atténuée par un ton conciliant. A bien des égards, ce sont là les qualités qui ont valu au réseau politique du Hamas sa popularité auprès du Palestinien moyen : une réputation de sérieux, d’humilité et d’engagement vis-à-vis de la cohésion palestinienne, ainsi que la capacité et le désir de venger le nombre sans cesse croissant des victimes palestiniennes.
La question pendante est celle de savoir comment le Hamas pourrait évoluer sous la nouvelle direction d’Abd al-Aziz al-Rantisi ? Bien que ce pédiatre, père de six enfants, ait la réputation d’un brandon de discorde, Barghouti pense que les pressions des responsabilités auront pour effet d’adoucir son style. « A la tête du mouvement, il devra faire preuve de plus de diplomatie. »
Ali Jarbawi, professeur de science politique à l’Université de Birzeit, écarte toute idée d’un déclin, à partir de maintenant, du Hamas. « Le Hamas est solide et bien organisé. Je pense que la popularité du mouvement va encore s’accroître », dit-il. « Si cet assassinat signifie quelque chose, c’est bien l’entrée dans une nouvelle phase du conflit : une phase où les propos sur un processus de paix n’ont plus aucune valeur, et où nous allons vivre une période d’escalade ouverte. »
Une autre question, ouverte après l’assassinat de Yassine, est celle de savoir si le Hamas va s’embarquer sur un nouveau front, en étendant pour la première fois ses opérations à l’extérieur de la Palestine historique. Le fait que l’administration Bush n’ait pas jugé bon de condamner son assassinat à coups de missiles a mis en évidence sa politique consistant à inclure le Hamas dans les ennemis de sa « guerre mondiale au terrorisme », une politique qui attire une colère croissante des Palestiniens. « Les sionistes ne mènent pas à bien leurs opérations sans le feu vert de l’administration américaine terroriste, et celle-ci doit être tenue responsable de ce crime. » D’après l’analyste israélien Reuven Paz, Yassine figurait au nombre des dirigeants du Hamas opposés à l’ouverture de ce nouveau front panislamique. Depuis lors, le Hamas a effectué un retrait, par rapport à ces déclarations, en niant considérer que les intérêts américains représenteraient pour lui des cibles légitimes. Mais que l’on ne s’y trompe néanmoins pas : il existe bel et bien une tension accrue entre les Etats-Unis, qui ont mis la faction palestinienne dans leur collimateur, et un Hamas certes populaire, mais internationalement isolé.
Des limites impérieuses
Selon les derniers sondages, effectués juste avant l’assassinat de Yassine, le soutien au Hamas, à Gaza, s’était élevé jusqu’à 27 %, à comparer à un soutien à la faction laïque Fath, à 23 %. Même si on inclut la Cisjordanie à l’échantillon (en tenant compte d’une marge d’erreur de 3 %), le Hamas et le Fatah sont au coude à coude, dans l’opinion publique.
Plus intéressant est le fait que la popularité du Hamas continue à monter, même si le soutien aux attentats suicides meurtriers prenant pour cibles des civils israéliens, et qui sont devenus en quelque sorte la signature du Hamas, commence à montrer les signes d’un lent déclin. Des indices anecdotiques suggèrent que, tandis que la plupart des Palestiniens continuent à voir dans les milliers de checkpoints qui barrent les routes de Gaza et de Cisjordanie une punition collective illégale, certains d’entre eux commencent à voir dans les attentats suicides la cause de l’empiètement d’Israël sur leur vie personnelle. De là découle que le glissement vers le Hamas puisse être considéré, fondamentalement, comme un rejet de l’Autorité palestinienne, de son programme de paix en échec total et de son incapacité exaspérante à entreprendre des réformes significatives dans sa propre gouvernance.
Beaucoup, au sein du Fath, reconnaissent la situation critique que connaît aujourd’hui le mouvement laïque en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Durant des années, les militants de base du Fath ont réclamé à cor et à cri une part au processus de décision, en appuyant des appels plus larges à la réforme gouvernementale et à la transparence. Ces appels, et une instabilité croissante, mise en évidence par des flambées de violences entre différents groupes locaux, poussèrent finalement Arafat, en février dernier, à annoncer une conférence générale, ainsi que les premières élections et la première session de stratégie du Fatah à être tenues depuis quinze ans. Les plus jeunes, parmi ses membres, aspirent à être admis au Comité Central du Fath, un comité composé de onze membres, à travers lequel les décisions les plus importantes sont contrôlées par Arafat avant d’être transmises à des instances dirigeantes plus larges. Ahmad Ghneïm, membre du Conseil Révolutionnaire, qui se décrit lui même comme un « Jeune Turc », affirme que « la nouvelle génération appartient à un monde nouveau. » Si leur politique vis-à-vis d’Israël ressemblera vraisemblablement beaucoup à celle de la direction actuelle, leurs idées sur la transparence, la participation citoyenne et les droits des femmes, pour ne citer que quelques grandes questions, promettent de donner un nouveau parfum à l’agenda politique de la faction qui représentait, naguère, le consensus palestinien.
Mais demeure la question de savoir comment (et où ?) le Fath va-t-il rassembler ses membres éparpillés dans le vaste monde, dans un climat où le Conseil Législatif Palestinien est dans l’impossibilité de se réunir régulièrement, et où Arafat reste confiné par la volonté israélienne dans son QG de Ramallah ? Les membres du Fath qui ne peuvent se rendre au QG d’Arafat sont au nombre de plusieurs centaines. Plus douteuse est la perspective d’un Arafat rencontrant ses militants ailleurs ; immédiatement après l’assassinat de Yassine, ses gardes ont installé de lourdes grilles métalliques devant son QG, qu’ils ont refusé d’ouvrir, même devant la manifestation qui parcourait les rues de Ramallah. M. Ghneïm est dubitatif, devant le défi. « Je pense qu’ils choisissent une option impossible », dit-il, hochant la tête. En pratique, le Fath reste prisonnier des limites impérieuses que lui dicte l’armée israélienne.
Ce que réserve l’avenir
Pendant ce temps, le gouvernement israélien et le Hamas sont aux prises d’une étreinte mortelle. Après le serment de Rantisi devant un stade de Gaza bondé, la direction politique du Hamas s’est faite discrète, dans la crainte de nouveaux assassinats israéliens. Le cabinet de Sharon a indiqué que d’autres exécutions extrajudiciaires étaient programmées. « Tout ceci dépend du plan de désengagement », suggère Jarbawi. « Israël fait tout son possible afin d’attiser la volatilité et d’aggraver les « chances » d’une guerre civile palestinienne. La seule chose que ce gouvernement sache gérer, c’est un conflit : alors, ils veulent un conflit ! »
L’opinion publique israélienne est dans l’expectative ; elle reste vigilante, dans l’attente de la prochaine attaque du Hamas. Les estimations, localement, consistent à dire que la revanche que le Hamas a promise, pour l’assassinat de Yassine, sera à la hauteur du crime. Si le Front Populaire de Libération de la Palestine a assassiné le ministre israélien du Tourisme Rehavam Zeevi, en représailles de la frappe par missiles d’Israël contre son secrétaire général Mustafa al-Zibri (Abu Ali Mustafa), en août 2001, alors le Hamas doit lui aussi se venger en frappant « une cible de haute qualité ». Le Hamas est allé jusqu’à menacer Sharon en personne. En raison des capacités limitées du Hamas et des difficultés qu’il y a, ne serait-ce qu’à pénétrer sur le territoire israélien, cette attaque de représailles ne sera pas pour l’immédiat – elle ne sera certainement pas effectuée tant qu’Israël sera en état d’alerte maximale, comme actuellement.
Si, en attendant, Israël réussit à éliminer des responsables supplémentaires de la direction politique du Hamas, les analystes pensent que le mouvement ne disparaîtra pas pour autant. Ainsi, en Cisjordanie , les activités du Hamas sont plus profondément dissimulées sous des activités sociales et dans la « préparation des esprits » - euphémisme désignant les activités religieuses à motivation politique qui font du Hamas cette force incontournable, dont on doit tenir le plus grand compte. La force d’un mouvement religieux, dit Barghouti, c’est sa capacité à se réinterpréter. « Lorsque le Hamas est soumis à la pression politique », explique-t-il, « il peut aisément aller se refaire une santé sur le terrain de jeux religieux, dont on sait à quel point il est vaste : on n’y est jamais à l’étroit. »
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